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Corte europea dei diritti dell’uomo (Sezione II), 8 dicembre 2009

(requête n. 45291/06)

 

DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête présentée par Cesare PREVITI contre l’ITALIE

 

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 8 décembre 2009 en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente,

Ireneu Cabral Barreto,

Danutė Jočienė,

Dragoljub Popović,

András Sajó,

Işıl Karakaş,

Kristina Pardalos, juges,

et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 2 novembre 2006,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1. Le requérant, M. Cesare Previti, est un ressortissant italien né en 1934 et résidant à Rome. Il est représenté devant la Cour par Mes N. Zanon et A. Saccucci, avocats exerçant respectivement à Milan et à Rome.

A. Les circonstances de l’espèce

2. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

1. Le différend civil entre la banque IMI (Istituto Mobiliare Italiano) et la société SIR (ci-après le « différend civil IMI/SIR ») ainsi que les versements effectués sur les comptes bancaires du requérant et de ses coaccusés

3. D’après le jugement rendu par le tribunal de Milan le 29 avril 2003 (voir ci-après), les principaux faits relatifs au différend civil IMI/SIR, qui est à l’origine des vicissitudes judiciaires du requérant, se déroulèrent comme suit.

4. Le 11 mars 1982, la société SIR, active dans le secteur de la chimie et appartenant à M. Angelo Rovelli, engagea contre la banque IMI une procédure civile en dédommagement. Elle alléguait que, selon un protocole d’entente signé entre les parties, elle avait droit au versement d’une somme d’argent en contrepartie du transfert de certaines actions.

5. Par des jugements rendus en 1986 et 1988, le tribunal et la cour d’appel de Rome déclarèrent que M. Rovelli avait droit à une somme à titre de réparation des dommages. Il fut en outre décidé que le montant de cette somme serait fixé dans une procédure civile séparée, dite « procédure sur le quantum » ; une expertise fut réalisée afin d’établir la valeur patrimoniale de la société SIR.

6. L’audience dans le cadre de la procédure sur le quantum fut fixée au 4 avril 1989. La chambre du tribunal devait être présidée par M. Minniti. Celui-ci fut cependant convoqué le jour même au ministère de la Justice pour une réunion portant sur les bâtiments judiciaires (edilizia giudiziaria). Il tenta, en vain, d’ajourner l’audience et fut donc remplacé par Mme Campolongo, laquelle, malgré la demande de M. Minniti, décida d’examiner le fond de l’affaire. Par un jugement rendu le même jour et déposé au greffe le 13 mai 1989, le tribunal de Rome, présidé par Mme Campolongo, fixa à environ 771 milliards de lires italiennes (ITL – soit 398 188 269 euros (EUR)) le montant du dédommagement dû à M. Rovelli.

7. Toutefois, le 7 juillet 1989, la Cour de cassation annula la décision de la cour d’appel de Rome concernant le droit à dédommagement de M. Rovelli et l’IMI fit appel du jugement du 4 avril 1989. Les procédures sur l’existence d’une créance et sur le quantum de celle-ci, pendantes devant la cour d’appel de Rome, furent jointes. En octobre 1989, M. Vittorio Metta fut désigné comme juge rapporteur. De février à décembre 1990, il effectua de nombreux versements d’argent liquide sur son compte courant pour constituer un total de 464 000 000 ITL (soit 239 636 EUR).

8. Le 26 novembre 1990, le texte de l’arrêt de la cour d’appel de Rome, rédigé par M. Metta, fut déposé au greffe. L’IMI fut condamnée à verser à M. Rovelli environ 528 485 000 000 ITL (soit 272 939 724 EUR), somme à laquelle s’ajoutaient les intérêts légaux.

9. Le 30 décembre 1990, M. Angelo Rovelli décéda. Ses héritiers étaient son épouse, Mme Battistella, et son fils, M. Felice Rovelli.

10. En 1991, Me Attilio Pacifico, avocat inscrit au barreau de Rome, prit contact avec les héritiers de M. Rovelli et sollicita le paiement de 30 000 000 000 ITL (soit 15 493 706 EUR) en vertu d’une dette que M. Angelo Rovelli aurait eue envers lui. Il ne produisit aucun document à l’appui de sa demande mais précisa que deux autres avocats romains, le requérant (qui revendiquait 20 milliards) et Me Acampora (qui en réclamait 12), étaient titulaires de créances analogues. Le paiement aurait dû avoir lieu une fois que l’arrêt de la cour d’appel de Rome du 26 novembre 1990 avait acquis l’autorité de la chose jugée. Le 24 juin 1991, Mme Battistella versa, par virement bancaire, 1 000 000 000 ITL (soit 516 456 EUR) à Me Pacifico. Celui-ci transmit ensuite au requérant et à M. Renato Squillante, juge à Rome, la somme de 133 000 000 ITL (soit 68 688 EUR) chacun.

11. Entre-temps, l’IMI s’était pourvue en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Rome du 26 novembre 1990.

12. Le 29 janvier 1992, lors des plaidoiries devant la Cour de cassation, les représentants de la famille Rovelli excipèrent de l’absence dans le dossier d’une procuration valable par laquelle l’IMI donnait mandat à ses avocats. Le lendemain, le président de l’IMI, M. Arcuti, porta plainte, alléguant que la procuration, régulièrement déposée, avait été égarée.

13. L’affaire fut attribuée à une chambre présidée par M. Mario Corda. Celui-ci rédigea à l’attention des juges siégeant dans la chambre une note contenant des observations sur la question juridique de l’absence de procuration. En mars 1993, une lettre anonyme renfermant des références à la note de M. Corda fut adressée à la Cour de cassation. En conséquence, M. Corda se déporta.

14. L’audience devant la chambre de la Cour de cassation, présidée par un autre haut magistrat, se tint le 27 mai 1993. Le 1er juin 1993, le greffe de la Cour de cassation reçut une lettre anonyme contenant l’original de la procuration que l’IMI avait donnée à ses conseils. Cependant, la partie sur laquelle aurait dû figurer le tampon du greffe attestant la date du dépôt avait été coupée. Le 14 juillet 1993, la Cour de cassation déposa au greffe le texte de sa décision, adoptée le 27 mai. Elle décida de déclarer le pourvoi de l’IMI irrecevable, faute de procuration. La décision de la cour d’appel de Rome du 26 novembre 1990 devint ainsi définitive.

15. En janvier 1994, l’IMI versa aux héritiers de M. Angelo Rovelli 980 351 147 815 ITL (soit 506 309 113 EUR), à titre de dédommagement et intérêts légaux. Entre mars et juin 1994, M. Felice Rovelli et Mme Battistella transférèrent par virement bancaire au requérant et à Mes Pacifico et Acampora respectivement 18 millions de francs suisses (CHF), 28 850 000 CHF et 10 850 000 CHF.

16. En 1994, le requérant, qui avait rejoint le parti politique Forza Italia, devint ministre de la Défense dans le premier gouvernement présidé par M. Silvio Berlusconi.

2. Les accusations portées contre le requérant

a) Les déclarations de Mme Ariosto

17. En juillet 1995, Mme Stefania Ariosto fit des déclarations aux magistrats du parquet de Milan. Elle affirmait en substance que le requérant entretenait des rapports douteux avec certains juges romains et avait donné de l’argent liquide à M. Squillante. En outre, le requérant se serait vanté de pouvoir influer sur l’issue des procès grâce à ses relations avec les juges.

b) L’ouverture des poursuites

18. Des poursuites pour corruption dans des actes judiciaires (corruzione in atti giudiziari, infraction punie par l’article 319ter du code pénal – paragraphe 166 ci-après) furent ouvertes contre, entre autres, le requérant, Mes Pacifico et Acampora, M.M. Metta et Squillante, ainsi que M. Felice Rovelli et Mme Battistella.

19. Les investigations conduisirent à la découverte d’un autre contentieux judiciaire (affaire « Lodo Mondadori »), où certains éléments amenaient à soupçonner qu’un arrêt de la cour d’appel de Rome, officiellement rédigé par le juge Metta, avait en réalité été écrit par un tiers non identifié pour favoriser des intérêts privés, et cela grâce au rôle d’intermédiaire rémunéré du requérant et de Mes Pacifico et Acampora.

20. Dès que leur teneur fut connue de la presse, les poursuites eurent un retentissement médiatique tout à fait exceptionnel en Italie. Les différentes phases du procès du requérant et de ses coïnculpés furent relatées en détail par la presque totalité des médias italiens et un ample débat politique éclata au sujet de certains projets de loi susceptibles d’influer sur l’issue des débats. Une partie considérable de la gauche italienne estimait en effet qu’il s’agissait de lois ad personam, faites pour protéger le Premier ministre et le requérant. Cette thèse était rejetée par les partis et l’opinion publique de centre droit.

21. Plusieurs questions de droit, de déontologie et de procédure surgirent au cours des investigations préliminaires et des débats en première instance. Elles furent discutées non seulement au cours du procès, mais également dans les médias. Les paragraphes qui suivent visent à donner un aperçu de chacune d’elles, dans la mesure où elles se révèlent pertinentes pour les griefs soulevés par le requérant devant la Cour.

3. Les investigations préliminaires

a) La question de la compétence ratione loci

22. Le tribunal de Milan fut désigné comme juridiction compétente ratione loci pour l’affaire IMI/SIR. La question de la compétence de cette juridiction fit l’objet d’une longue querelle.

23. Aux termes de l’article 8 du code de procédure pénale (ci-après le « CPP »), est compétent ratione loci le tribunal du lieu où l’infraction a été commise. L’article 9 du CPP prévoit des règles complémentaires (regole supplettive) pour les cas où ce lieu ne peut pas être établi ; sont compétents ratione loci, successivement, le tribunal

a) du lieu où s’est déroulée une partie de l’action ou de l’omission criminelle (article 9 § 1) ;

b) du lieu où le prévenu a sa résidence ou son domicile (article 9 § 2) ;

c) du lieu où se trouve le parquet qui, en premier, a procédé à l’inscription de l’avis d’infraction (notitia criminis) dans le registre prévu à cet effet (article 9 § 3).

24. Estimant que les lieux de commission des infractions et de résidence des prévenus ne pouvaient pas être établis, les autorités milanaises appliquèrent la règle complémentaire prévue au paragraphe 3 de l’article 9 du CPP (paragraphe 23 c) ci-dessus).

25. Le requérant contesta cette approche à maintes reprises, faisant observer qu’il était accusé d’avoir corrompu un juge de Rome par des intermédiaires résidant dans cette ville. Quoi qu’il en soit, et à supposer même que les lieux indiqués aux articles 8 et 9 §§ 1 et 2 du CPP ne puissent pas être établis, le critère posé par l’article 9 § 3 du CPP aurait dû conduire à désigner comme compétents ratione loci les tribunaux de Rome ou de Pérouse. En effet, d’après l’intéressé, il ressortait de certains documents découverts par la défense, et dont le parquet de Milan avait connaissance, que le parquet de Pérouse avait en premier ouvert les poursuites dans le cadre de la procédure civile IMI/SIR. A l’appui de sa thèse, le requérant attire l’attention de la Cour sur les faits suivants.

26. En avril 1994, M. Arcuti, président de l’IMI, adressa une dénonciation au Président de la République en sa qualité de Président du Conseil supérieur de la magistrature (ci-après le « CSM »). De l’avis du requérant, les faits dénoncés par le président de l’IMI en avril 1994 étaient les mêmes que ceux dont il fut successivement accusé dans le cadre de la procédure pénale devant le tribunal de Milan. Le dossier fut transféré au parquet de Rome, qui, estimant que deux magistrats du district de Rome semblaient impliqués dans les faits, en transmit une copie au parquet de Pérouse.

27. En outre, en 1992, l’IMI avait porté plainte contre X pour la disparition de la procuration donnée à ses avocats, alléguant que ce document avait été dérobé. Le parquet de Rome avait ouvert des poursuites contre X. Par la suite, ces poursuites furent inscrites à l’encontre des deux avocats de l’IMI. Le parquet de Rome demanda le classement sans suite de la plainte de l’IMI ; cette demande fut accueillie le 13 mai 1996.

28. Cependant, le 21 mai 1996, le parquet de Rome sollicita l’autorisation de rouvrir les investigations, observant qu’il était utile d’obtenir une copie des actes accomplis par le parquet de Milan. Le 24 mai 1996, le juge des investigations préliminaires (giudice per le indagini preliminari – ci-après le « GIP ») de Rome fit droit à cette demande.

29. Par la suite, le requérant apprit que le parquet de Pérouse avait ouvert un autre dossier concernant les « anomalies de la procédure dans le cadre du différend civil IMI/héritiers Rovelli ». Le 20 octobre 1994, le parquet de Pérouse avait interrogé M. Arcuti, qui avait déposé des documents. Le 25 octobre 1994, le parquet avait ouvert un nouveau dossier, qui concernait l’infraction prévue et punie par l’article 326 du CP (divulgation d’informations couvertes par le secret), relativement, en particulier, à la question de l’abstention de M. Corda. Les pièces avaient été transmises au parquet de Rome, puis à celui de Milan.

30. Le requérant soutient que, au-delà de la différence de qualification juridique, les faits qui lui furent reprochés à Milan et dans les dossiers ouverts par les parquets de Rome et de Pérouse étaient en substance identiques. Il note également que les poursuites pour corruption dans des actes judiciaires ne furent officiellement ouvertes contre lui par le parquet de Milan que le 10 mai 1996.

31. Le requérant affirme que le parquet de Milan ne l’a jamais informé des mesures prises à Pérouse, et ce alors que les pièces y relatives avaient été versées au dossier le concernant et à la disposition du parquet de Milan à partir de novembre 1996. Ses avocats n’eurent connaissance qu’en 2002 de l’existence du dossier incriminé, qui avait été annexé à celui d’une autre procédure pendante à Pérouse.

32. Le requérant et ses coïnculpés excipèrent à plusieurs reprises de l’incompétence ratione loci du tribunal de Milan. Ils alléguèrent que, bien qu’il ressortît des documents qu’un autre parquet avait ouvert des investigations sur les mêmes faits à une date antérieure, le parquet de Milan s’était arbitrairement déclaré compétent ratione loci, au mépris de la règle contenue à l’article 9 § 3 du CPP.

33. Ces exceptions furent rejetées par des ordonnances émises les 14 juillet 2000 et 24 mars 2003. D’après le tribunal de Milan, les critères d’établissement de la juridiction compétente étaient liés à des données formelles et objectives. Etant donné que deux accusés résidaient à l’étranger et que le lieu de commission des infractions n’était pas connu (on ignorait où l’accord de corruption s’était finalisé et où, sur le territoire italien, la rémunération de la corruption avait été versée), il y avait lieu d’appliquer la règle fixée à l’article 9 § 3 du CPP. Or celle-ci exigeait l’existence d’un fait objectif : l’inscription dans le registre ad hoc du nom des accusés et de l’infraction pour laquelle ils seraient jugés. En l’espèce, seul le parquet de Milan avait inscrit le nom du requérant et de ses coïnculpés relativement à l’infraction de corruption dans des actes judiciaires. A cet égard, il y avait lieu d’observer que les parquets de Rome et de Pérouse avaient ouvert des poursuites contre des tiers ou contre X et pour des infractions différentes (soustraction de documents et divulgation d’informations couvertes par le secret). Par ailleurs, le parquet de Pérouse, compétent pour des faits dont étaient accusés des magistrats du district de Rome, avait transmis les pièces au parquet de la capitale, ce qui prouvait, implicitement mais sans équivoque, qu’il avait estimé que les auteurs présumés des infractions n’étaient pas des magistrats romains, contrairement à ce qui était le cas dans la procédure pendante à Milan.

34. Le tribunal confirma également dans la partie introductive de son jugement sur le fond de l’affaire ses conclusions sur sa compétence ratione loci. Il observa notamment que l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation dans des affaires similaires (inscription par deux parquets différents des poursuites pour association de malfaiteurs et association de malfaiteurs de type mafieux) confirmait l’exactitude de son approche.

35. Les accusés demandèrent par ailleurs la production, par les parquets de Milan et de Rome, de nouveaux documents afin de mieux évaluer la question de la compétence ratione loci. Par une ordonnance du 26 mars 2003, le tribunal de Milan rejeta cette demande, estimant, compte tenu du caractère objectif de la règle posée par l’article 9 § 3 du CPP, qu’il disposait de tous les documents nécessaires pour trancher la question litigieuse.

b) La question du secret de l’instruction concernant le dossier no 9520/95

36. Le requérant soutient que plusieurs éléments favorables aux accusés se trouvaient dans le dossier no 9520/95, ouvert par le parquet de Milan et auquel il n’a pas eu accès. Il s’agirait notamment de pièces indiquant que le parquet de Pérouse avait ouvert des poursuites avant le parquet de Milan, que celui-ci avait « géré » Mme Ariosto et que la crédibilité de ce témoin avait été mise en doute par les déclarations d’un autre. De plus, le requérant considère qu’il est très probable que le dossier no 9520/95 contenait l’original de l’enregistrement relatif aux écoutes effectuées dans le bar « Mandara » (paragraphes 48-55 ci-après).

37. Ce dossier était inscrit au « module 21 » (concernant les infractions commises par des personnes identifiées) et avait pour origine les déclarations de Mme Stefania Ariosto (paragraphe 17 ci-dessus). Les pièces de la procédure IMI/SIR et d’autres procédures similaires furent successivement versées dans d’autres dossiers, mais le dossier no 9520/95 ne fut pas supprimé. Selon les dires du requérant, le parquet de Milan l’a utilisé pour pouvoir continuer sine die les investigations contre lui et y verser des documents favorables à la défense. En effet, pour autant qu’un dossier se trouve dans la phase de l’instruction, les pièces qu’il renferme sont couvertes par le secret et la défense ne peut y avoir accès. Le requérant demanda à maintes reprises l’accès au dossier litigieux, mais il se heurta donc à chaque fois à un refus.

38. Par ailleurs, le requérant précise que, selon le CPP, les investigations préliminaires durent six mois ; ce délai peut être prorogé trois fois au maximum pour des périodes successives de six mois, ce qui signifie que la durée des investigations ne peut en aucun cas dépasser deux ans (articles 405-407 du CPP). Dès lors, les investigations concernant le dossier n9520/95, ouvert en 1995, n’auraient pas dû se poursuivre après 1997. Cependant, le parquet indiqua que les investigations menées dans le cadre du dossier no 9520/95 visaient à l’identification d’autres fonctionnaires impliqués dans les faits ou dans d’éventuels délits de faux et de divulgation d’informations couvertes par le secret. S’agissant d’investigations contre des personnes dont l’identité n’était pas connue, le délai maximum de deux ans ne trouvait pas à s’appliquer.

39. Le 31 mars 2003, le requérant se plaignit au ministre de la Justice de l’impossibilité d’accéder aux pièces contenues dans le dossier no 9520/95. Le 28 mai 2003, le ministre de la Justice demanda aux inspecteurs du ministère de se procurer une copie des documents figurant dans le dossier no 9520/95 et d’établir s’il y avait eu des conduites répréhensibles sur le plan disciplinaire ou susceptibles de donner lieu à une incompatibilité tenant au lieu et/ou à la fonction (incompatibilità ambientale e/o funzionale).

40. Dans leur rapport du 19 juin 2003, les inspecteurs du ministère indiquaient que leur enquête avait notamment pour but d’établir s’il y avait eu violation de l’article 416 § 2 du CPP, lequel énonce que le parquet doit transmettre au GIP toutes les pièces relatives aux investigations contenues dans son dossier (paragraphe 161 ci-dessous). Le parquet avait le droit incontesté de séparer la position de certains accusés de celle des autres ; il n’en demeurait pas moins qu’il devait produire devant le GIP (et donc mettre à la disposition de la défense) toutes les pièces concernant l’accusé dont il demandait le placement en détention provisoire ou le renvoi en jugement. Par ailleurs, d’après l’article 13 du « code des magistrats » (un recueil de normes déontologiques approuvées par l’association nationale des magistrats), le parquet devait rechercher la vérité, recueillir, entre autres, les preuves favorables à l’accusé et ne pas les dissimuler au juge.

41. Les inspecteurs faisaient également observer que, dans son arrêt no 1295 du 14 janvier 2003, la Cour de cassation avait rejeté l’approche précédemment majoritaire selon laquelle, dans les poursuites ouvertes contre X, une fois obtenue une première autorisation de continuer les investigations, le parquet n’était pas censé demander d’autorisations ultérieures. Il s’agissait cependant d’une question encore controversée, car il semblait que, dans un arrêt dont la motivation n’avait pas encore été déposée au greffe, la Cour de cassation avait une nouvelle fois modifié sa jurisprudence en la matière. Dans ces conditions, le non-respect des principes énoncés par la Cour de cassation dans son arrêt no 1295 de 2003 ne révélait aucune infraction disciplinaire.

42. Selon les explications fournies par le parquet de Milan, le dossier no 9520/95 visait certaines personnes dont l’identité était connue ainsi que des personnes non identifiées. Le 4 novembre 1996, le parquet y avait joint les dossiers nos 3897/96 et 3899/96 concernant des personnes non identifiées. Le 30 janvier 1997, il avait demandé au GIP – avec succès – l’autorisation de continuer les investigations contre ces inconnus dans le cadre des dossiers nos 3897/96 et 3899/96. Sur la base de ces indications, les inspecteurs parvinrent à la conclusion que le GIP avait autorisé la poursuite des investigations seulement pour les infractions déjà prescrites, qui faisaient l’objet des dossiers nos 3897/96 et 3899/96 (faux et divulgation d’informations couvertes par le secret), et non pour les infractions poursuivies dans le cadre du dossier no 9520/95.

43. Dans leur rapport, les inspecteurs notaient qu’ils n’avaient pas pu avoir accès au dossier no 9520/95, le parquet de Milan s’étant prévalu du secret de l’instruction. Ils estimaient cependant que le secret avait été invoqué à tort, car le dossier litigieux contenait des pièces destinées à ne jamais être utilisées puisqu’elles concernaient des infractions prescrites. De l’avis des inspecteurs, on ne pouvait invoquer le secret de l’instruction relativement à une enquête qui semblait se poursuivre au-delà du délai légal, sans autorisation du GIP.

44. Le requérant porta plainte contre les magistrats du parquet de Milan pour les irrégularités prétendument commises dans le cadre de la gestion du dossier no 9520/95. Le 31 juillet 2004, le GIP de Brescia classa cette plainte sans suite. Le parquet de Brescia ouvrit contre le requérant des poursuites pour calomnie.

45. Le 18 avril 2005, le dossier no 9520/95 fut classé sans suite.

46. Le 29 juillet 2005, le requérant demanda l’autorisation de consulter ce dossier, qui n’était plus couvert par le secret de l’instruction.

47. Le 17 août 2005, le GIP de Milan rejeta la demande du requérant. Il observa qu’en vertu de l’article 116 du CPP toute personne ayant un intérêt pouvait obtenir, à ses frais, une copie de pièces spécifiquement indiquées (singoli atti). Il s’agissait d’une faculté et non d’un droit. Or, en l’espèce, le requérant n’avait pas indiqué les pièces dont il souhaitait une copie ; par ailleurs, son intérêt à obtenir ces copies n’était pas établi : il n’était pas accusé dans le cadre du dossier no 9520/95 (ouvert contre X) et ses craintes que le parquet de Milan n’ait commis des irrégularités avaient été écartées par l’autorité judiciaire de Brescia. En autorisant le requérant à consulter le dossier dans son ensemble pour lui permettre d’établir quels documents pouvaient l’intéresser, on lui aurait donné accès également à des pièces concernant des tiers, ce qui aurait emporté violation du droit de ces derniers au respect de leur vie privée et du secret de l’instruction relativement à des investigations susceptibles d’être rouvertes.

c) Les écoutes effectuées dans le bar « Mandara » et leur utilisation au procès du requérant

48. Alors que la procédure dirigée contre le requérant était pendante au stade des investigations préliminaires, le 2 mars 1996, deux officiers de la police de Rome interceptèrent dans un bar (le « Snack-bar Mandara ») une conversation entre M. Renato Squillante, juge et coïnculpé du requérant, et M. Francesco Misiani, magistrat du ministère public romain. La teneur de cette conversation fut l’un des éléments qui permit de demander et d’obtenir le placement en détention provisoire de M. Squillante. Elle fut en outre mentionnée comme l’un des éléments à l’appui du placement en détention provisoire du requérant (mesure qui ne fut pas exécutée, faute d’autorisation du Parlement) et de son renvoi en jugement.

49. La conversation en question fit l’objet de deux rapports de la police de Rome. Dans le premier, l’inspecteur Vardeu indiquait s’être assis derrière les deux magistrats, ce qui lui avait permis d’écouter une partie de leur conversation et de prendre des notes écrites à ce sujet. Selon ce rapport, les deux hommes auraient échangé, entre autres, les propos suivants :

« Squillante (S) : (...) le fait que mes enfants puissent être appelés me rend presque fou.

Misiani (M) : ils ne peuvent pas dire qu’ils ont pris l’argent !

S : c’est moi qui leur ai donné l’argent. Tout ce qu’il me reste à faire, c’est d’aller chez un avocat.

M : mais à propos du compte ?

S : ils sont en train de le chercher (...) ils ne le trouvent pas (...)

M : mais à l’avocat, tu dois lui dire qu’il existe (...) combien il y a et comment tu l’as partagé.

S : il y a quatre signatures.

M : parmi lesquelles Pacifico (...) et même celle de ta femme.

(...)

M : les délais expireraient en mars ... ils n’ont pas intérêt à faire une prorogation.

 S : et si rien ne se passe, moi je n’en ai rien à foutre ... si les choses se corsent, je prends ma famille et je m’en vais sous les tropiques ... je dis au revoir à tout le monde (...). »

50. Dans un deuxième rapport, M. Ragone, un autre officier de police chargé de surveiller M. Squillante, affirma que la conversation en question avait été enregistrée. Le requérant conteste la véracité de ces affirmations.

51. Etant donné que, selon le rapport de M. Vardeu, M. Misiani avait révélé à M. Squillante des informations couvertes par le secret, le CSM avait entamé une procédure disciplinaire. La question de la responsabilité disciplinaire de M. Misiani fut abordée au cours d’une séance tenue le 23 janvier 1997. Le procès-verbal de celle-ci renferme, entre autres, le passage suivant :

« Par ailleurs, il convient d’ajouter qu’une partie de la conversation qui s’est déroulée entre M. Squillante et M. Misiani au bar Mandara le 2 mars 1996 n’a pas été enregistrée mais a fait l’objet d’une simple écoute par un agent de police, qui a établi un rapport à ce sujet et en a confirmé [le contenu] au cours de son audition (...). Or cette partie de la conversation, même sans tenir compte de celle interceptée à l’aide d’un microphone (microspia), est plus que suffisante pour démontrer ce qu’on vient de dire quant au comportement de M. Misiani à l’égard de M. Squillante. »

52. Le 10 octobre 1996, M. Vardeu avait déclaré à une commission du CSM qu’une partie de la conversation litigieuse avait également été enregistrée et que la bobine relative à cet enregistrement avait été transmise au parquet.

53. Le requérant souligne que le GIP de Rome n’a reçu une copie de l’original des notes relatives à la conversation litigieuse prises par M. Vardeu que le 5 septembre 1996, après avoir ordonné le placement en détention provisoire de M. Squillante. Or, dans l’ordonnance de placement en détention du 11 mars 1996, le GIP certifiait avoir vérifié que le rapport de M. Vardeu correspondait « aux originaux » et avait qualifié l’épisode du bar d’« interception », alors que, contrairement à ce que le parquet laissait entendre, aucune véritable écoute hertzienne n’avait eu lieu. Par ailleurs, le GIP n’avait jamais reçu la bobine des enregistrements et n’avait donc pas vérifié si les propos consignés par M. Vardeu correspondaient à ceux qui avaient été enregistrés. Le requérant y voit un manque d’impartialité de la part du GIP. De plus, M. Vardeu aurait mal retranscrit certaines phrases anodines prononcées par MM. Squillante et Misiani de manière à corroborer les thèses du parquet.

54. Le 27 janvier 1999, le requérant demanda au GIP de Rome de fixer une audience ad hoc (incidente probatorio) en vue de l’audition de MM. Vardeu, Ragone, Squillante et Misiani sur les circonstances de l’écoute de la conversation du 2 mars 1996 et sur la teneur de celle-ci.

55. A l’audience préliminaire du 17 mai 1999, le requérant invita le GIP à s’abstenir, au motif qu’il avait certifié à tort l’exactitude du rapport de M. Vardeu. Par une ordonnance rendue le même jour, le GIP rejeta cette demande. Le 13 octobre 1999, le GIP fit droit à la demande d’audition de MM. Vardeu, Ragone, Squillante et Misiani présentée par le requérant. Une audience ad hoc se tint le 22 octobre 1999. A cette occasion, MM. Vardeu et Ragone se prévalurent de la faculté de garder le silence que la loi italienne leur reconnaissait du fait de leur qualité de personnes accusées dans une procédure connexe.

4. L’audience préliminaire

a) La question de l’incompatibilité entre les fonctions de GIP et celles de GUP

56. Jusqu’en 1999, le système juridique italien n’établissait aucune incompatibilité entre le rôle du GIP, juge chargé de surveiller le déroulement des investigations préliminaires, et celui du GUP, juge de l’audience préliminaire (giudice dell’udienza preliminare), au cours de laquelle, sauf adoption de procédures simplifiées, la question à trancher était celle de savoir si les éléments recueillis par la police, par le parquet ou par le GIP étaient suffisants pour justifier le renvoi en jugement de l’accusé. La même personne pouvait dès lors remplir, au cours de la même procédure, les fonctions de GIP et celles de GUP. Au cours des investigations, le GIP pouvait également être appelé à ordonner une mesure de précaution, qui pouvait être adoptée seulement s’il existait de « graves indices de culpabilité » concernant l’accusé.

57. L’article 171 du décret législatif no 51 du 19 février 1998 introduisit, à l’article 34 du CPP, un paragraphe 2bis, qui, dans ses parties pertinentes en l’espèce, est ainsi libellé :

« Le juge qui, au cours de la même procédure, a exercé les fonctions de GIP ne peut [pas] (...) tenir l’audience préliminaire. »

58. Le décret législatif no 51 de 1998 prévoyait l’entrée en vigueur de la réforme le 2 juin 1999. Cependant, le Parlement approuva la loi no 234 du 22 juillet 1999. L’article 3bis § 1 de celle-ci prévoyait que jusqu’au 2 janvier 2000 le nouveau paragraphe 2bis de l’article 34 du CPP ne s’appliquerait pas aux procédures dans lesquelles l’audience préliminaire était en cours.

59. En vertu de cette disposition, M. Rossato, qui avait exercé les fonctions de GIP dans la procédure dirigée contre le requérant et demandé au Parlement l’autorisation d’exécuter contre l’intéressé une mesure de précaution privative de liberté, put continuer à tenir les audiences préliminaires jusqu’au 2 janvier 2000.

60. Le requérant souligne que trente audiences préliminaires se sont déroulées dans son affaire entre le 5 novembre 1998 et le 15 novembre 1999. Au cours des neuf premiers mois, c’est-à-dire jusqu’au 6 juillet 1999, dix-huit ont eu lieu, dont huit ont été ajournées en raison d’empêchements des accusés ou de leurs conseils. Après les vacances judiciaires, à partir de septembre 1999, le calendrier des audiences a été beaucoup plus serré (douze audiences) et aucun ajournement n’a été accordé en raison d’empêchements similaires. Le requérant y voit une volonté de terminer la phase de l’audience préliminaire avant le 2 janvier 2000, ce qui serait révélateur d’un manque d’impartialité.

b) L’impossibilité pour le requérant de participer aux audiences préliminaires des 17 et 22 septembre et des 5 et 6 octobre 1999 en raison de son mandat parlementaire

61. A l’époque des audiences préliminaires, le requérant était député. Il demanda donc plusieurs ajournements des audiences pour pouvoir participer aux débats parlementaires. Jusqu’en septembre 1999, ses demandes furent accueillies ; en particulier, les audiences des 25 novembre 1998 et 23 avril, 24 mai, 15, 16 et 28 juin 1999 furent reportées. A partir de septembre 1999, des demandes similaires concernant les audiences des 17 et 22 septembre et 5 et 6 octobre 1999 furent rejetées.

62. En particulier, par une ordonnance du 17 septembre 1999, le GUP observa qu’il avait estimé par le passé, de manière explicite ou implicite, que la participation aux débats parlementaires constituait un empêchement légitime à la comparution à l’audience. Cependant, étant donné qu’il y avait des débats au Parlement presque tous les jours, la procédure risquait d’être paralysée, puisque, comme indiqué par le conseil du requérant, il était impossible d’envisager un calendrier des audiences permettant de tenir compte des engagements parlementaires de l’intéressé. Dans ces conditions, les engagements en question – et la nécessité qui en découlait pour le requérant de remplir son mandat parlementaire – étaient en conflit avec les exigences de respect du « délai raisonnable » et d’efficacité de la justice. Les deux intérêts en conflit correspondaient à des valeurs (activité parlementaire et activité juridictionnelle) protégées par la Constitution. Le texte de celle-ci ne permettait pas de dire que l’une devait prévaloir sur l’autre.

63. En l’espèce, l’empêchement allégué par le requérant était légitime, mais il ne constituait pas, aux yeux du GUP, une « impossibilité absolue de comparaître », ce qui justifiait le rejet de la demande d’ajournement de l’audience.

64. Le 18 novembre 1999, la Chambre des députés saisit la Cour constitutionnelle d’un conflit entre pouvoirs de l’Etat. Estimant qu’il n’appartenait pas au GUP d’affirmer que la participation aux débats parlementaires n’entraînait pas une impossibilité absolue de comparaître, elle demanda l’annulation de l’ordonnance du 17 septembre 1999 et de toute autre décision ayant un contenu similaire.

65. Par son arrêt no 225 du 4 juillet 2001, la Cour constitutionnelle déclara qu’il n’appartenait pas au GUP, dans le cadre de l’évaluation de la nature et de l’importance des empêchements invoqués par le requérant, d’affirmer que l’intérêt de la Chambre des députés au déroulement des activités parlementaires devait s’effacer devant l’exigence de respect du délai raisonnable. Elle annula par conséquent les ordonnances du GUP de Milan.

66. La Cour constitutionnelle observa qu’il ne lui appartenait pas d’interpréter le CPP et de dire si l’existence d’autres obligations institutionnelles de l’accusé avait un caractère « absolu » et était donc de nature à constituer une cause de force majeure, cette appréciation relevant des différentes juridictions compétentes. L’objet du conflit entre pouvoirs de l’Etat était uniquement d’établir si le GUP avait lésé les prérogatives constitutionnelles de la Chambre des députés. Or, en méconnaissant l’importance de l’empêchement invoqué par le requérant, le GUP n’avait pas tenu compte des intérêts, protégés par la Constitution, du Parlement. De plus, il avait réitéré sa décision à l’occasion des audiences suivantes, sans la motiver, ce qui démontrait qu’il n’avait pas apprécié les circonstances particulières entourant chaque demande d’ajournement.

67. La Cour constitutionnelle souligna également que le calendrier des activités des chambres législatives était sans doute chargé, mais qu’il n’était a priori pas incompatible avec tout autre engagement des membres du Parlement. Il était vrai que le respect du « délai raisonnable » avait une importance particulière lorsque, comme en l’espèce, la procédure était complexe et concernait plusieurs parties, ce qui augmentait les probabilités d’un empêchement de l’une d’elles. C’était pour cette raison que le CPP avait prévu des dispositions précises en matière d’empêchement des accusés. Cependant, en principe, il était possible d’établir le calendrier des audiences en accord avec les parties afin de tenir compte des engagements parlementaires de certaines d’entre elles. Au lieu d’ignorer les engagements du requérant, le GUP aurait dû rechercher s’il y avait un moyen de les concilier avec la participation de l’accusé aux audiences préliminaires.

c) Le renvoi en jugement du requérant

68. Entre-temps, par une ordonnance du 15 novembre 1999, le GUP de Milan avait renvoyé le requérant et ses sept coïnculpés (Mes Pacifico et Acampora, MM. Metta, Squillante, Verde et Rovelli, et Mme Battistella) en jugement devant le tribunal de Milan.

5. Les débats devant le tribunal de Milan

a) L’ordonnance du 21 novembre 2001

69. L’arrêt de la Cour constitutionnelle fut prononcé après le renvoi en jugement du requérant, pendant le déroulement des débats devant le tribunal de Milan. Le requérant demanda à cette juridiction de dire qu’en conséquence de l’arrêt en question tous les actes accomplis après le 17 septembre 1999 devaient être considérés comme nuls et non avenus.

70. Par une ordonnance du 21 novembre 2001, le tribunal de Milan rejeta la demande du requérant. Il observa tout d’abord que, dans le cadre d’un conflit entre pouvoirs, la Cour constitutionnelle n’annulait pas une loi, mais se prononçait sur l’éventuelle atteinte aux attributions constitutionnelles d’une institution (en l’espèce la Chambre des députés) ; en effet, en l’occurence, elle ne s’était prononcée ni sur l’interprétation des dispositions du CPP en matière d’empêchement légitime de l’accusé ni sur la question de savoir si la demande d’ajournement du requérant était bien fondée.

71. Le tribunal repoussa la thèse du requérant selon laquelle l’arrêt de la Cour constitutionnelle entraînait automatiquement la nullité de l’audience préliminaire (ce qui aurait impliqué un retour de la procédure à la phase antérieure). En effet, la Cour constitutionnelle n’avait pas censuré le rejet des demandes d’ajournement, mais la motivation ayant amené le GUP à une telle conclusion. Certes, l’ordonnance du GUP du 17 septembre 1999 et toutes les autres décisions similaires avaient été annulées par la Cour constitutionnelle. Il n’en demeurait pas moins qu’il appartenait au tribunal d’établir si l’empêchement du requérant était légitime et justifié ; dans l’affirmative seulement, l’audience préliminaire et le renvoi en jugement seraient nuls et non avenus. Il n’y aurait violation des droits de la défense que si l’accusé avait effectivement le droit d’obtenir un ajournement des audiences auxquelles il n’avait pas participé.

72. Le tribunal estima qu’il appartenait à l’accusé de prouver l’existence d’un empêchement et le caractère absolu de celui-ci, et que le juge n’avait aucune obligation de vérification à cet égard (voir Cour de cassation, sixième section, arrêt no 9712 du 19 septembre 1995, ainsi que cinquième section, arrêt no 11667 du 16 décembre 1997). Lorsque l’accusé était empêché en raison de sa participation aux débats parlementaires, il ne lui suffisait pas de produire la convocation informelle à la séance émise par le chef d’un groupe parlementaire (comme le requérant l’avait fait), mais il lui fallait joindre les documents officiels relatifs aux travaux parlementaires et une preuve de sa présence au sein de l’assemblée législative au moment de l’audience, comme cela ressortait d’un arrêt de la Cour de cassation du 3 décembre 1980. Or le requérant n’avait pas produit de tels documents et/ou preuves. Ce n’est que le 13 novembre 1999, et donc tardivement, que ses conseils ont soumis un document émanant de la Chambre des députés et indiquant, entre autres, qu’il avait siégé au sein de l’assemblée législative les 22 septembre et 5 et 6 octobre 1999. Au demeurant, selon les dispositions en vigueur à l’époque des faits, l’empêchement d’un accusé à comparaître à l’audience préliminaire entraînait la nullité de celle-ci seulement s’il s’agissait de la première audience (celle où les parties se constituent dans la procédure). Or les audiences des 17 et 22 septembre et 5 et 6 octobre 1999 n’avaient pas été les premières audiences préliminaires de la procédure en cause.

73. Le requérant souligne que, le 22 octobre 2001, avant le prononcé de l’ordonnance litigieuse, M. Carfì, président de la chambre du tribunal de Milan chargée du procès, avait adressé une lettre au président de la Chambre des députés, demandant une copie du calendrier des travaux parlementaires. Le président de la Chambre des députés avait répondu en exprimant ses regrets relativement à la divulgation du contenu du courrier en question à la presse ; il précisa que les décisions concernant l’organisation des travaux de la Chambre des députés étaient publiées sur le site Internet de celle-ci.

74. Par ailleurs, à l’audience du 21 novembre 2001, le conseil du requérant demanda un ajournement au motif que son client était en train de voter sur la conversion en lois de certains décrets-lois. Le président du tribunal, observant qu’il ne ressortait pas du calendrier des travaux parlementaires dont il disposait que des votes devaient avoir lieu également l’après-midi, ordonna la suspension de l’audience pour une durée d’une heure et invita le conseil du requérant à produire un document officiel indiquant les activités en cours à la Chambre des députés et la présence de son client au sein de l’assemblée. Après la suspension, l’avocat du requérant déclara qu’il n’avait pas pu joindre son client ou obtenir les documents que le tribunal sollicitait, les travaux parlementaires étant en cours. Le tribunal donna lecture de deux ordonnances concernant respectivement la demande du requérant tendant à l’annulation de son renvoi en jugement (paragraphes 70-72 ci-dessus) et la question de savoir si les éléments obtenus par commission rogatoire pouvaient être utilisés. Le représentant du parquet demanda la fixation de dates pour deux audiences qui avaient été annulées. Le tribunal réserva sa décision et ajourna la procédure au 23 novembre 2001.

b) La nomination d’avocats d’office pour représenter le requérant

75. Par une lettre du 22 novembre 2001, le requérant révoqua le mandat qu’il avait confié aux deux avocats qu’il avait choisis (Mes Sammarco et Saponara ; ce dernier, par ailleurs, n’avait pas participé à la procédure et avait désigné, dès le début, Me Perroni pour le remplacer). Il précisa qu’il ne souhaitait pas que ses conseils fussent obligés de subir des humiliations dans le cadre d’un procès où les droits de la défense et le principe de la prééminence du droit n’étaient pas respectés.

76. A l’audience du 23 novembre 2001, le tribunal prit acte de la lettre du requérant et nomma Me Crea avocate d’office de l’intéressé. Me Crea précisa ne rien connaître de l’affaire et sollicita un ajournement « d’au moins six mois » pour se familiariser avec le dossier. Le président du tribunal répliqua que l’ajournement devait être plus bref ; il expliqua que l’audience suivante était consacrée à l’interrogatoire d’un témoin à charge, Mme Ariosto, qui avait déjà été entendue par le ministère public et, au cours de deux audiences consécutives (24 mai et 1er juin 2001), par les avocats du requérant. Dès lors, la présence de Mme Ariosto à l’audience suivante devait principalement permettre aux autres accusés de lui poser des questions. La procédure fut ajournée au 1er décembre 2001.

77. A cette date, Me Crea réitéra sa demande d’ajournement de la procédure. Le président du tribunal observa que, le 30 novembre 2001, il avait informé les avocats choisis par le requérant qu’au cas où un nouvel ajournement serait demandé et obtenu par Me Crea, avocate d’office de leur ancien client, l’article 107 §§ 3 et 4 du CPP trouverait à s’appliquer. Aux termes de cette disposition, la révocation du mandat confié à un avocat ne prenait effet qu’à partir du moment où un nouvel avocat représentait l’accusé et où le délai octroyé à ce dernier pour se familiariser avec le dossier avait expiré. Le tribunal rendit une ordonnance par laquelle il octroya à Me Crea un délai expirant le 12 janvier 2002 pour se familiariser avec le dossier. Il releva en outre que les avocats choisis par le requérant, dont la révocation n’avait pas encore pris effet, avaient été informés de la date de l’audience et n’étaient pas présents. Il nomma donc Me Totis avocate d’office du requérant pour l’audience en cours.

78. Me Totis, qui défendait déjà le juge Metta, releva un motif d’incompatibilité et demanda à être déchargée du mandat. Le tribunal repoussa cette demande. Mme Ariosto fut interrogée par les représentants d’autres accusés. Me Totis déclara qu’en tant que représentante de M. Metta elle ne souhaitait poser aucune question à Mme Ariosto ; en sa qualité d’avocate d’office du requérant, elle considéra qu’interroger ce témoin serait contraire à la déontologie professionnelle.

79. A l’audience du 12 janvier 2002, Me Crea demanda une prorogation du délai qui lui avait été octroyé pour étudier le dossier ; cette demande fut rejetée. Une discussion s’ensuivit au sujet des demandes du parquet tendant à la production de certains documents bancaires et à l’audition de nouveaux témoins. Me Crea déclara ne pas pouvoir intervenir car elle ne connaissait pas assez bien le dossier. Elle déposa en revanche des documents attestant un empêchement parlementaire du requérant. La discussion continua à l’audience suivante, qui se tint le 14 janvier 2002. MCrea ne fit aucune déclaration.

80. Par une lettre du 28 janvier 2002, Mes Sammarco, Saponara et Perroni informèrent le tribunal que leur client leur avait demandé de continuer à le défendre. A partir de ce moment-là, le requérant fut représenté par les avocats de son choix.

81. A l’audience du 8 avril 2002, les avocats du requérant sollicitèrent une nouvelle audition de Mme Ariosto, observant que cette dernière avait été entendue seulement comme témoin à charge, et non comme témoin à décharge. Cette demande fut rejetée.

c) L’exception tirée par le requérant du manque de précision des chefs d’inculpation

82. A l’issue des investigations préliminaires, le parquet de Milan demanda le renvoi en jugement du requérant et de ses coïnculpés. Dans la mesure où ils concernaient le différend IMI/SIR, les chefs d’inculpation étaient rédigés comme suit en leurs passages pertinents :

« [Les prévenus] sont accusés de l’infraction prévue et punie par les articles 81, 110, 112 no 1, 319, 319ter, 321 du CP car, au moyen de plusieurs actions en exécution d’un même plan criminel, violant plusieurs fois par chacune d’elles la même disposition et agissant de concert (in concorso) avec Rovelli Nino, décédé, et avec d’autres personnes, dont des magistrats – non identifiés – appartenant au district de la cour d’appel de Rome et des agents de la fonction publique ou [des personnes] chargées d’un service public de l’administration judiciaire, ils ont promis ou versé des sommes d’argent pour faire commettre aux agents de la fonction publique une violation de leurs devoirs d’impartialité, de confidentialité, d’indépendance et de probité dans l’exercice de leurs fonctions, dans le but de favoriser Rovelli Nino et ses héritiers aux différents stades de la procédure civile entre ces derniers et l’IMI – affaire traitée au fond d’abord par le tribunal puis par la cour d’appel de Rome (affaires jointes nos 3176/89 et 3250/89) et tranchée par un arrêt ayant acquis l’autorité de la chose jugée à la suite de la déclaration d’irrecevabilité du pourvoi de l’IMI par la Cour de cassation. En particulier :

(...)

– ils ont versé, en 1994, à Acampora Giovanni, Pacifico Attilio et Previti Cesare, par virement bancaire, les sommes suivantes :

(...)

b) Previti, 18 000 000 CHF (21 019 140 000 ITL), SBS Genève, en faveur du compte 136183, réf. Filippo, transfert du 21.3.1994.

(...)

Acampora Giovanni, Pacifico Attilio et Previti Cesare ont reçu, d’un commun accord, les sommes indiquées ci-dessus, les destinant en partie à Metta Vittorio, à Squillante Renato, à Verde Filippo et à d’autres agents de la fonction publique ou [personnes] chargées d’un service public, non identifiés.

(...)

Metta Vittorio, en sa qualité d’agent de la fonction publique en tant que magistrat en service auprès de la cour d’appel de Rome, membre de la chambre qui a tranché les affaires jointes nos 3176/89 et 3250/89, a d’abord accepté puis reçu des sommes d’argent pour statuer sur ces affaires d’une manière favorable à la partie Rovelli et défavorable à la partie IMI, en violation des devoirs d’impartialité, de probité et d’indépendance inhérents à l’exercice de la fonction judiciaire.

(...)

Accords finalisés dans un lieu non précisé à partir de 1986 et paiements effectués dans des banques au Luxembourg, [dans la] Confédération helvétique, [au] Liechtenstein, [au] Royaume-Uni au moins jusqu’en 1994. »

83. Le GUP prononça le renvoi en jugement sur la base des chefs d’inculpation rédigés par le parquet.

84. A l’audience du 29 mai 2000 devant le tribunal de Milan, le requérant excipa d’un manque de précision des chefs d’inculpation. Le 14 juillet 2000, le tribunal écarta cette exception, estimant que les chefs d’inculpation indiquaient d’une manière suffisamment claire le schéma de l’activité de corruption et les rôles joués par les différents accusés.

d) La production des relevés téléphoniques et la jonction des procédures

85. Pendant les investigations préliminaires, le parquet obtint les relevés des appels émis et reçus sur les lignes téléphoniques de certains des accusés, parmi lesquels le requérant. A l’audience du 30 octobre 2000, il demanda que ces relevés fussent versés au dossier du juge.

86. Par une ordonnance du 15 janvier 2001, le tribunal de Milan annula, pour défaut de motivation, les décisions par lesquelles le parquet avait ordonné l’obtention des documents litigieux. S’agissant des décisions concernant les preuves, il estima que l’article 185 § 2 du CPP imposait de les renouveler. Par une ordonnance séparée, il ordonna donc la production des relevés en question, les jugeant utiles pour clarifier la nature des relations entre les accusés.

87. A l’audience du 28 janvier 2002, la procédure relative à l’affaire IMI/SIR fut jointe à celle concernant l’affaire Lodo Mondadori (paragraphe 19 ci-dessus).

6. Le jugement de première instance

88. Par un jugement du 29 avril 2003, le tribunal de Milan condamna le requérant à onze ans d’emprisonnement et à la peine accessoire d’interdiction permanente d’exercer une fonction publique (interdizione perpetua dai pubblici uffici).

89. Le requérant fut déclaré coupable relativement aux faits de la procédure IMI/SIR et à ceux de l’affaire Lodo Mondadori. Dans le cadre de la procédure IMI/SIR, les juges de première instance l’estimèrent responsable d’un épisode de corruption dans des actes judiciaires (ci-après l’« épisode Metta ») et d’un épisode de corruption simple (ci-après l’« épisode Squillante »). Des peines d’emprisonnement furent également infligées à Mes Pacifico et Acampora, MM. Metta, Squillante et Rovelli et à Mme Battistella. Le requérant et ses coïnculpés furent en outre condamnés à la réparation des dommages qu’ils avaient provoqués et qui, pour deux des parties civiles, s’élevaient au total à 896 000 000 EUR.

90. Dans la motivation de son jugement, qui comptait 536 pages, le tribunal examina les différentes irrégularités qui avaient été établies au cours des procédures civiles IMI/SIR et Lodo Mondadori et étudia en détail les transferts d’argent qui avaient eu lieu entre le requérant et ses coïnculpés. Ces transferts furent établis, entre autres, sur la base des documents bancaires reçus par commission rogatoire des autorités suisses et que le tribunal considéra comme fiables. Les explications données par les accusés ne furent pas jugées crédibles, au motif notamment que ni le requérant ni Mes Pacifico et Acampora n’avaient officiellement exercé une activité professionnelle dans le cadre des procédures civiles incriminées. Le versement d’honoraires exorbitants était donc injustifié. Le tribunal parvint à la conclusion que les mouvements d’argent en question constituaient, en réalité, la rémunération du requérant et de Mes Pacifico et Acampora pour leur rôle illicite d’intermédiaire ainsi que celle des juges corrompus impliqués dans les affaires.

91. Concernant le témoignage de Mme Ariosto, le tribunal observa que celle-ci n’avait rien relaté quant aux faits spécifiques qui étaient l’objet des chefs d’inculpation ; cependant, ses déclarations, bien qu’en partie contradictoires, décrivaient les relations entre certains accusés et constituaient donc un indice supplémentaire, même s’il n’était pas décisif, quant à l’existence des accords de corruption.

92. Pour ce qui est du moment de la commission de l’infraction de corruption dans des actes judiciaires, le tribunal estima qu’il devait être fixé à une date postérieure au 17 mars 1992 (date d’entrée en vigueur de la loi no 181 de 1992 – paragraphe 167 ci-après) car le juge Metta avait été rémunéré après cette date pour ses actes de corruption.

7. Le comportement du président du tribunal de Milan au cours du procès de première instance et après le prononcé du jugement

93. La chambre du tribunal de Milan qui condamna le requérant était présidée par M. Carfì. Le requérant soutient que ce juge a fait preuve d’un comportement révélateur d’un manque d’impartialité. A cet égard, il s’appuie sur les éléments suivants.

94. Un article paru dans le quotidien L’Unità du 1er juin 2002 indiquait que M. Carfì écoutait « avec un malaise (insofferenza) compréhensible les plaidoiries des avocats de Previti » et que face à une question de la défense visant à savoir si la procédure aurait été suspendue dans l’attente d’une décision de la Cour constitutionnelle, il avait répondu : « Maître, voulez-vous que je vous dise également quand on prononcera le jugement et peut-être aussi que je vous [en] révèle [le contenu] ? ». M. Carfì aurait également ironisé sur le retard avec lequel était arrivée une commission rogatoire.

95. Il ressort d’articles parus dans les quotidiens Il Giornale du 11 juillet 2002, La Stampa et Il Corriere della Sera du 21 juillet 2002, La Repubblica du 30 juillet 2002, et Il Corriere della Sera du 20 septembre 2002 que lors d’audiences publiques M. Carfì fit les déclarations suivantes :

« Les accusés qui souhaitent être interrogés sont invités à se présenter le 20 juillet pour donner leur accord (...). Lorsqu’ils l’auront donné, je commencerai leur audition. Il y a un an, j’étais disposé à conclure un accord quant aux interrogatoires. Maintenant, c’est moi qui décide. »

« Le parquet de Pérouse continue à demander des pièces que nous n’avons pas. Il le sait car nous le lui avons expliqué par un courrier du 7 juin. Malgré cela, il nous a présenté un ordre de production ad horas. Voici la lettre par laquelle j’ai répondu que ces pièces ne font pas partie de ce procès, qu’elles ne l’ont jamais fait et que, compte tenu de nos ordonnances, elles ne le feront jamais dans le cadre de ces débats. »

« Y a-t-il un autre empêchement ? Comme on est passé de un à deux par jour, je me demandais s’il y en avait d’autres (...) »

« Tant qu’on y est, comme j’entends dire qu’il y aurait une « compétition » entre la chambre de ce tribunal et les autres institutions et que je lis que selon certains chroniqueurs on est en train de faire une course, je veux éviter toute équivoque : nous ne ferons pas de « course ». Nous ne prononcerons absolument aucun jugement avant la décision de la Cour constitutionnelle. Certes, si la loi qu’on sait [la loi Cirami – voir ci-après] intervient entre-temps, on ne va rien prononcer du tout. Et attention : en l’état actuel de la législation, nous estimons avoir tout à fait la légitimité [nécessaire] pour prononcer un jugement. C’est pour des raisons de respect des institutions que nous ne prononcerons pas de jugement avant que la Cour constitutionnelle ait statué. »

96. Selon le quotidien L’Unità du 30 juillet 2002, M. Carfì avançait « tête baissée (a testa bassa), décidé à ne rien accorder face aux manœuvres dilatoires » ; le quotidien Il Messaggero du 6 août 2003 relata que face à la demande des chroniqueurs visant à savoir si dans la motivation du jugement de première instance il « s’était ôté une épine du pied », M. Carfì aurait répondu « Je dirais que oui ».

97. Le requérant note également que le jugement de première instance commence par le préambule suivant, qui montrerait l’hostilité des juges à son égard :

« Ce tribunal a fait l’objet, ces deux dernières années en particulier, des critiques les plus âpres et des accusations les plus graves – car c’est de cela qu’il s’agit – dans la salle d’audience et surtout en dehors, allant jusqu’à l’attaque, la plus infâme (infamante) qui soit pour un juge, accusant celui-ci d’être non pas au service de la loi mais aux ordres d’un parti politique ; des accusations que jamais, qu’il soit permis de le dire, un organe judiciaire n’a eu à supporter en cours de procès. Il est inutile de rappeler tous ces propos, car ils sont totalement dépourvus de pertinence et n’ont pas troublé la sérénité avec laquelle ce tribunal a accompli son travail pendant ces années ; d’ailleurs, quiconque souhaitait en prendre connaissance pour les lire ou les entendre pouvait le faire. Le tribunal, comme il est de son devoir absolu, n’a jamais estimé devoir répondre, même lorsque les rumeurs (vociare) autour du procès dépassaient toute limite, y compris celle du droit de critique le plus contraignant et sacré, rumeurs qui oubliaient également les règles minimales du respect dû à quiconque, même à un juge. Pour un magistrat, le cadre institutionnel pour répondre à des critiques et à des accusations est la motivation du jugement, elle seule (qu’elle soit partagée ou non) pouvant rendre compte de l’honorabilité d’un tribunal de la République que, à vrai dire, il y a lieu de présumer jusqu’à preuve du contraire – pour protéger non le magistrat à titre individuel mais d’autres intérêts supérieurs. »

98. Interrogé au sujet de ce préambule, M. Carfì déclara que « les deux premières pages du jugement sont un accès d’orgueil (scatto d’orgoglio) après trois années pendant lesquelles notre tribunal a fait l’objet de toutes sortes d’insultes, sans pouvoir répondre » (voir l’entretien paru dans le quotidien Il Corriere della Sera du 8 août 2003).

99. Le requérant met également en cause la partie du jugement de première instance dans laquelle le tribunal fixe la peine. Les passages incriminés se lisent comme suit :

« Il s’agit peut-être de moralisme, comme d’aucuns le prétendront sûrement, mais ce tribunal estime qu’aucune excuse (scusante) ne peut être avancée par des accusés auxquels rien ni personne (ni leur situation familiale ni leur situation sociale ou financière) n’imposait de vendre ainsi leur impartialité, leur honnêteté et leur professionnalisme. Ajoutons que les intéressés ont eu au cours du procès un très mauvais comportement (pessimo), et ce n’est pas peu dire, niant toute circonstance, même la plus évidente, et montrant ainsi un manque absolu de « reconsidération » (ripensamento), aussi minime soit-elle, de leur conduite. Un comportement qui – non seulement s’agissant de l’accusé Previti mais aussi des autres accusés qui se sont souvent alignés sur sa conduite, aussi bien pendant le procès qu’en dehors de celui-ci – s’est traduit par une série de tentatives visant exclusivement à empêcher le déroulement du procès, par l’utilisation détournée (strumentalmente) des moyens prévus par le code (...). Ils sont allés jusqu’à envoyer quelqu’un filmer en cachette deux « extraits » du Corriere della Sera affichés dans les locaux du greffe, dans un lieu où le public n’avait pas accès. »

100. Par ailleurs, appelé à se prononcer sur un projet de loi destiné à réduire les délais de prescription, M. Carfì s’exprima comme suit : « Que voulez-vous que je dise ? Que j’ai eu deux infarctus pour rien ? Peut-être [dire ça] serait humain. Cependant, je dois rester serein, on m’a dit de ne pas trop y penser. J’ai fait mon devoir de juge. Et je ferais à nouveau exactement ce que j’ai fait ». En février 2006, il signa un « appel pour la justice », où « l’abrogation des principales lois qui ont été adoptées presque exclusivement pour servir les intérêts personnels de quelques personnes » était indiqué comme étant une « priorité absolue ».

8. La procédure d’appel

a) L’appel du requérant

101. Le requérant interjeta appel du jugement du tribunal de Milan. Il demanda sa relaxe et réitéra pour l’essentiel les exceptions soulevées en première instance.

102. Il observa entre autres que les éléments de preuve à charge comportaient une note anonyme, trouvée dans le cabinet de Me Pacifico et dont le contenu correspondait en grande partie à certaines pages de l’arrêt civil concernant le différend IMI/SIR. Les juges de première instance avaient estimé que cette note prouvait que l’arrêt en question avait été rédigé par des personnes qui ne faisaient pas partie de l’ordre judiciaire. Or cette pièce ne figurait pas parmi les éléments de preuve à charge mentionnés dans les chefs d’inculpation.

b) La réouverture de l’instruction

103. La cour d’appel ordonna la réouverture de l’instruction afin que les accusés fussent entendus sur la question de la valeur probatoire des documents trouvés chez Me Pacifico.

c) L’arrêt de la cour d’appel

104. Par un arrêt du 23 mai 2005, dont la motivation comptait 856 pages, la cour d’appel de Milan confirma la condamnation du requérant dans l’affaire IMI/SIR, le considérant coupable des épisodes « Metta » et « Squillante ». Ayant écarté une circonstance aggravante, elle ramena la peine infligée à sept ans d’emprisonnement. Appliquant le régime de « l’infraction continue » (reato continuato), elle indiqua que l’infraction la plus grave était l’épisode « Metta », punissable d’une peine d’emprisonnement de six ans, qu’il y avait lieu de majorer d’un an pour la deuxième infraction (épisode « Squillante »). Elle relaxa le requérant dans le cadre de l’affaire Lodo Mondadori.

105. Pour ce qui était de l’impossibilité, pour la défense, d’avoir accès au dossier no 9520/95 (paragraphes 36-47 ci-dessus), la cour d’appel observa que l’éventuelle insuffisance de l’instruction menée par le parquet concernait une question qui touchait le fond de l’affaire et n’entraînait donc pas la nullité de la demande de renvoi en jugement. Par ailleurs, si le requérant souhaitait produire de nouvelles preuves, il pouvait demander la réouverture de l’instruction. La possibilité hypothétique que le dossier no 9520/95 comportât des preuves à décharge ne justifiait pas, à elle seule, une telle réouverture. Quoi qu’il en soit, un éventuel comportement fautif du parquet, qui n’aurait pas versé au dossier prévu à l’article 416 § 2 du CPP tous les documents concernant les faits de la cause, n’était sanctionné par aucune disposition du CPP et n’entraînait aucune nullité.

106. La cour d’appel rejeta les allégations du requérant concernant le défaut allégué de précision des chefs d’inculpation (paragraphe 102 ci-dessus). Elle observa que le principe de la correspondance entre l’accusation et la sentence n’empêchait pas le juge d’attacher de l’importance à des éléments que le parquet n’avait pas mentionnés dans les chefs d’inculpation ou dans ses conclusions, tels que la note manuscrite trouvée chez Me Pacifico.

107. Quant à la production des relevés téléphoniques (paragraphes 85-87 ci-dessus), la cour d’appel estima, eu égard au défaut de motivation des décisions du parquet à cet égard, que le tribunal n’aurait pas dû conclure à la nullité de cette mesure, mais aurait dû interdire l’utilisation des relevés en question. Par ailleurs, afin de remédier au vice constaté, le tribunal aurait dû, à la fin de la production des preuves, ordonner la saisie des relevés. Cependant, le fait que le tribunal eût choisi une voie différente, à savoir le prononcé d’une décision ordonnant la production d’office des éléments de preuve litigieux, s’analysait en une simple irrégularité qui n’entraînait aucune nullité.

108. Quant à la question de savoir si le requérant, en tant que corrupteur, pouvait être puni en vertu des articles 319ter et 321 du CP, cette dernière disposition ayant été modifiée par la loi no 181 de 1992 (paragraphes 164-167 ci-après), la cour d’appel estima que l’accord de corruption requis par ces dispositions pouvait intervenir soit avant soit après l’accomplissement de l’acte judiciaire incriminé. Il s’ensuivait que, pour les faits antérieurs au 17 mars 1992 (date d’entrée en vigueur de la loi no 181 de 1992), le requérant devait être puni pour corruption simple (infraction prévue par l’article 319 du CP) ; pour les faits postérieurs, il devait être condamné pour corruption dans des actes judiciaires (infraction prévue par l’article 319ter du CP).

109. La cour d’appel considéra en outre que la somme versée au juge Metta dans l’affaire IMI/SIR en rémunération des actes de corruption s’élevait, en réalité, à 400 000 000 ITL, somme qui, dans les chefs d’inculpation, était mentionnée comme ayant été payée dans le cadre de l’affaire Lodo Mondadori. Le juge du fond appelé à se prononcer sur l’existence d’une corruption devait évaluer correctement les faits concernant le paiement des sommes litigieuses, sans être lié par les thèses de l’accusation à cet égard. Une telle approche ne violait pas les droits de la défense des accusés car ceux-ci avaient eu la possibilité de se défendre sur « la substance » des chefs d’inculpation, c’est-à-dire sur le fait que M. Metta disposait de sommes incompatibles avec ses revenus légaux, ce qui laissait supposer l’existence d’un accord de corruption.

9. Le deuxième conflit entre pouvoirs de l’Etat

110. Dans l’intervalle, le 11 janvier 2005, la Chambre des députés avait soulevé un nouveau conflit entre pouvoirs de l’Etat. Elle alléguait que certaines ordonnances rendues dans les procédures judiciaires dirigées contre le requérant, notamment celle du 21 novembre 2001 relative à la procédure IMI/SIR (paragraphes 70-72 ci-dessus), ainsi que les jugements de condamnation prononcés en première instance contre l’intéressé avaient violé les prérogatives constitutionnelles du Parlement.

111. Par l’arrêt no 451 du 12 décembre 2005, la Cour constitutionnelle accueillit en partie le recours de la Chambre des députés. Elle déclara qu’il n’appartenait pas au tribunal de Milan d’affirmer : a) que le GUP n’était pas tenu de prendre des mesures pour obtenir la preuve de l’empêchement du requérant et que la lettre de convocation du chef du groupe parlementaire n’était pas pertinente à cet égard ; b) qu’il y avait empêchement légitime seulement lorsque des votes étaient prévus au sein de l’assemblée législative et que la présence effective de l’accusé aux débats parlementaires était prouvée.

112. La Cour constitutionnelle observa que le tribunal de Milan avait rejeté les allégations du requérant, notamment sur la base de l’argument selon lequel il pouvait y avoir nullité de l’audience préliminaire seulement si l’absence de l’accusé concernait la première audience, et non les audiences ultérieures. Le tribunal avait en outre estimé que l’arrêt no 225 de 2001 n’entraînait pas automatiquement la nullité de tous les actes accomplis par le GUP. Il s’agissait là d’interprétations des dispositions internes qui ne pouvaient pas être censurées dans le cadre d’un conflit entre pouvoirs.

113. La Cour constitutionnelle considéra en outre que les jugements de condamnation prononcés contre le requérant ne contenaient aucune affirmation portant atteinte aux attributions et prérogatives constitutionnelles du Parlement.

114. Quant aux conséquences de son arrêt, la Cour constitutionnelle précisa que l’atteinte aux prérogatives du Parlement entraînait l’annulation de l’ordonnance du 21 novembre 2001 et d’autres ordonnances similaires dans la mesure où la motivation de ces mesures était constitutive d’une telle atteinte. Il appartenait aux juges du fond d’évaluer les conséquences éventuelles de cette annulation du point de vue procédural.

115. La cour d’appel de Milan et la Cour de cassation rejetèrent les allégations du requérant selon lesquelles l’audience préliminaire devait être déclarée nulle et non avenue en conséquence de l’arrêt de la Cour constitutionnelle no 451 de 2005.

10. La procédure en cassation

a) Les pourvois du requérant, du parquet et de la partie civile

116. Le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Milan. Il réitéra, en substance, les exceptions formulées en première et deuxième instances.

117. Le parquet et l’une des parties civiles se pourvurent en cassation contre la relaxe du requérant dans l’affaire Lodo Mondadori.

b) L’entrée en vigueur de la loi no 251 de 2005 et le recours incident de constitutionnalité formé par le requérant

118. Alors que le pourvoi du requérant était pendant en cassation, le Parlement adopta la loi no 251 du 5 décembre 2005, qui entra en vigueur le 8 décembre 2005. Ce texte modifiait, entre autres, le délai de prescription pour les infractions pénales ; en particulier, le délai de prescription pour l’infraction de corruption dans des actes judiciaires passa de quinze à huit ans ; il pouvait être prorogé jusqu’à dix ans. La date de la commission de l’infraction reprochée au requérant pouvant être fixée en décembre 1993, ses éléments constitutifs auraient donc été prescrits fin 2003.

119. Cependant, l’article 10 § 3 de la loi no 251 de 2005 énonçait :

« Si, en conséquence des nouvelles dispositions, les délais de prescription sont plus courts, ces dispositions s’appliquent aux procédures et aux procès en cours à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, exception faite des procès pendants en première instance où il y a eu déclaration d’ouverture des débats, ainsi que des procès [qui sont] pendants en deuxième instance ou devant la Cour de cassation ».

En vertu de cette disposition, le requérant, dont le procès était pendant en cassation, ne put bénéficier des modifications relatives au régime de prescription.

120. Le 13 avril 2006, observant qu’un recours incident de constitutionnalité concernant l’article 10 § 3 de la loi no 251 de 2005 était pendant devant la Cour constitutionnelle, le requérant demanda à la Cour de cassation d’ajourner l’examen de son pourvoi dans l’attente de la décision de la Cour constitutionnelle. A l’audience du 19 avril 2006, la Cour de cassation rejeta la demande d’ajournement présentée par le requérant. Le 28 avril 2006, l’avocat du requérant excipa de l’inconstitutionnalité de l’article 10 de la loi no 251 de 2005, demandant la suspension de la procédure et le renvoi du dossier à la Cour constitutionnelle.

c) L’arrêt de la Cour de cassation

i. Le dispositif

121. Par un arrêt du 4 mai 2006, dont le texte fut déposé au greffe le 5 octobre 2006, la sixième section de la Cour de cassation, présidée par M. Ambrosini et composée de quatre autres juges, cassa, sans ordonner un renvoi, l’arrêt d’appel concernant l’un des épisodes de corruption reprochés au requérant – l’épisode « Squillante ». Elle estima que les faits en question ne s’étaient pas produits (perché il fatto non sussiste). Dès lors, la peine infligée à l’intéressé fut ramenée à six ans d’emprisonnement, après déduction de l’année de détention que la cour d’appel de Milan avait infligée pour l’épisode « Squillante » (paragraphe 104 ci-dessus). Elle débouta le requérant de son pourvoi pour le surplus.

122. La Cour de cassation accueillit en revanche les pourvois du parquet et de la partie civile relatifs à l’affaire Lodo Mondadori. Elle cassa la relaxe du requérant dans cette dernière affaire et renvoya l’affaire devant la cour d’appel de Milan.

ii. La question de la constitutionnalité de la loi no 251 de 2005

123. La Cour de cassation prit acte de ce que le requérant contestait la constitutionnalité de l’article 10 § 3 de la loi no 251 de 2005 ; cependant, cette disposition ne violait pas l’égalité des citoyens devant la loi car elle traitait différemment les accusés sur la base d’un fait objectif, à savoir l’incidence de la prescription sur les différentes phases du procès. Par ailleurs, la Constitution n’imposait pas la rétroactivité de la loi pénale la plus favorable et le législateur jouissait d’une large marge d’appréciation lorsqu’il réglementait l’application dans le temps des modifications à la loi pénale. Seules des règles manifestement déraisonnables étaient inconstitutionnelles.

124. En l’espèce, l’article 10 § 3 n’était pas entaché d’arbitraire. Cette disposition visait à garantir la sécurité juridique dans le cadre de procès qui se trouvaient à un stade avancé. Certes, la ligne de démarcation choisie par l’article 10 § 3 n’était pas idéale, mais elle n’était pas discriminatoire et ne constituait pas une source d’abus.

125. A la lumière de ce qui précède, et conformément à la jurisprudence d’autres sections de la Cour de cassation (voir les arrêts de la cinquième section nos 9589 du 20 janvier 2006 et 9601 du 25 janvier 2006, ainsi que les arrêts de la même section des 12 et 13 avril 2006 dans les affaires Chizzola et Di Primio), la sixième section jugea manifestement mal fondée la question de constitutionnalité soulevée par le requérant.

iii. La compétence ratione loci du tribunal de Milan

126. Quant à la question de la compétence ratione loci, la Cour de cassation souligna que lorsque, comme en l’espèce, une exception à cet égard avait été soulevée avant la clôture des plaidoiries de l’audience préliminaire, elle pouvait être réitérée devant les juges du fond ; cependant, ces derniers ne devaient utiliser que les éléments disponibles au moment de l’audience préliminaire, sans se livrer à des actes d’instruction. En l’espèce, il était vrai que le parquet de Pérouse avait ouvert à une date antérieure des poursuites sur la base de la dénonciation de M. Arcuti (paragraphe 26 ci-dessus) mais, aux fins de la détermination de la compétence ratione loci, il fallait examiner non le contenu de cette dénonciation mais l’avis d’infraction inscrit par le ministère public dans le registre officiel. Or les poursuites entamées par le parquet de Pérouse concernaient l’infraction de divulgation d’informations couvertes par le secret, et non des épisodes de corruption comme les poursuites ouvertes à Milan.

iv. Les questions liées au dossier no 9520/95

127. Concernant l’impossibilité pour la défense d’avoir accès au dossier no 9520/95, la Cour de cassation observa que le CPP ne prévoyait aucun contrôle visant à établir si le parquet avait versé toutes les pièces pertinentes au dossier prévu à l’article 416 § 2 du CPP ; la violation de cette disposition était sanctionnée uniquement par l’impossibilité d’utiliser les pièces non versées au dossier et n’entraînait pas la nullité de l’audience préliminaire ou de l’ordonnance de renvoi en jugement. Cette façon de procéder aurait pu soulever la question d’une atteinte potentielle au droit de l’accusé de participer à son procès (diritti partecipativi dell’imputato) ; il n’en demeurait pas moins qu’elle n’emportait aucune violation automatique des droits de la défense. Celle-ci aurait par contre dû prouver, éventuellement à l’aide d’éléments obtenus au moyen de ses propres investigations, qu’il existait des pièces pertinentes qui n’avaient pas été transmises au GUP.

v. L’allégation de manque de précision des chefs d’inculpation

128. Quant à cette allégation, la Cour de cassation estima que les chefs d’inculpation étaient clairs et complets ; ils ne se bornaient pas à énoncer les infractions, mais en précisaient, quand bien même de manière synthétique, les modalités d’exécution et le rôle joué par les différents accusés en vue de l’obtention d’un certain résultat dans la procédure civile IMI/SIR. Il n’y aurait violation du principe de la corrélation entre l’accusation et la sentence que si la conduite pour laquelle un prévenu était condamné était totalement différente, en ses éléments constitutifs, de celle énoncée dans les chefs d’inculpation. En revanche, une simple modification concernant les modalités d’exécution de l’action criminelle n’entraînait aucune méconnaissance des droits de la défense. Le fait que la somme de 400 000 000 ITL dont disposait le juge Metta était liée non pas à l’affaire Lodo Mondadori mais à l’affaire IMI/SIR n’avait pas modifié le « noyau central » de l’accusation, c’est-à-dire l’accord de corruption conclu entre des particuliers et le juge Metta.

vi. L’obtention des relevés téléphoniques

129. Quant à la question de l’obtention des relevés téléphoniques, la Cour de cassation estima ne pas pouvoir accepter l’argument de la défense selon lequel le tribunal de Milan aurait dû ordonner non la production des documents litigieux en possession du parquet mais leur saisie chez l’opérateur téléphonique concerné. Elle observa que la provenance et l’authenticité de ces documents ne faisaient aucun doute et que le tribunal n’avait pas régularisé a posteriori la conduite du parquet, mais avait, de manière autonome, ordonné l’obtention des relevés là où ils étaient disponibles.

vii. Le moment de la commission de l’infraction de corruption dans des actes judiciaires

130. Quant au moment de la commission de l’infraction prévue par l’article 319ter du CP (corruption dans des actes judiciaires), la Cour de cassation précisa que l’accord de corruption devait en principe précéder l’accomplissement de l’acte judiciaire incriminé. Cependant, le versement effectif de la rémunération de la corruption, effectué jusqu’en décembre 1993 en exécution de l’accord entre les corrupteurs et l’agent de la fonction publique corrompu, avait « absorbé » cet accord et opéré un « déplacement en avant dans le temps » (sposatamento in avanti nel tempo) du moment de la perpétration de l’infraction. Il s’ensuivait que le requérant pouvait être condamné en tant que corrupteur aux termes des articles 319ter et 321 du CP (paragraphes 164-167 ci-après).

12. L’arrêt de la Cour constitutionnelle no 393 de 2006

131. Par l’arrêt no 393 du 23 octobre 2006, la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnel l’article 10 § 3 de la loi no 251 de 2005 en ce qui concerne les termes suivants : « pour les procès pendants en première instance où il y a eu déclaration d’ouverture des débats, ainsi que » (limitatamente alle parole « dei processi già pendenti in primo grado ove vi sia stata la dichiarazione di apertura del dibattimento, nonché »).

132. Elle observa que se posait en l’espèce la question de savoir si le choix de fixer au moment de la déclaration d’ouverture des débats le délai pour bénéficier des dispositions plus favorables de la loi no 251 de 2005 était raisonnable. La Cour constitutionnelle pencha pour la négative. En effet, l’ouverture des débats n’avait aucun lien significatif avec la prescription. Elle n’existait pas dans tous les procès de première instance et, à la différence du jugement de condamnation, ne pouvait pas interrompre le délai de prescription.

13. La requête no 35201/06

133. Le 22 août 2006, le requérant introduisit une requête devant la Cour (no 35201/06). Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention ainsi que l’article 2 du Protocole no 7, il se plaignait du refus de la Cour de cassation d’ajourner la date de l’audience dans l’attente de la décision de la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité de l’article 10 § 3 de la loi no 251 de 2005 et du rejet du recours incident de constitutionnalité présenté par son avocat à l’audience du 28 avril 2006.

134. Par une décision du 12 avril 2007, la Cour (deuxième section) déclara cette requête irrecevable, en partie pour défaut manifeste de fondement et en partie pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention.

14. Le comportement du président de la sixième section de la Cour de cassation

a) La lettre de M. Ambrosini à la ministre de l’Education nationale

135. En 2003, alors que le procès du requérant était pendant en première ou deuxième instance, M. Ambrosini, président de la sixième section de la Cour de cassation, adressa une lettre à la ministre de l’Education nationale, dans laquelle il critiqua un projet de réforme de l’ordre judiciaire, qu’il considéra hostile à la magistrature dans son ensemble et portant atteinte à son indépendance. Il cita ensuite l’affaire d’un certain Muccioli, une personnalité publique qui « luttait dans le procès et non contre le procès afin que son innocence fût reconnue ». De l’avis de M. Ambrosini, M. Muccioli « avait eu raison, les juges n’étant pas fous et la bataille procédurale ayant abouti à une solution équitable ». Selon le requérant, ce passage constituait une référence implicite à sa situation. En effet, il avait souvent été accusé de « se défendre du procès » (difendersi dal processo – expression italienne signifiant que l’accusé utilise les moyens de procédure pour éviter d’être jugé). Ainsi, il estimait que M. Ambrosini souhaitait opposer sa conduite, jugée incorrecte, à celle, jugée irréprochable, de M. Muccioli.

b) Les idées politiques de M. Ambrosini

136. Le requérant rappelle également que M. Ambrosini était connu pour ses opinions d’extrême gauche. Il était membre de l’association de magistrats Magistratura Democratica (paragraphe 141 ci-après) et, en 1979, s’était porté candidat aux élections législatives pour le Parti communiste italien. Le requérant attire l’attention de la Cour sur certains extraits des publications de M. Ambrosini, qui démontreraient que celui-ci prenait ses fonctions de juge comme un véritable engagement politique. Il se réfère, notamment, à un ouvrage publié en 1970 intitulé « Rapport sur la répression », à un article intitulé « Une vieille loi pour de nouveaux criminels » paru dans la revue Quale Giustizia en janvier 1975, à un article paru dans la revue Nuova società du 27 octobre 1979 et au livre « La Constitution expliquée à ma fille », publié en 2004.

15. Le « contexte politique » du procès IMI/SIR

137. Dans son formulaire de requête, le requérant a longuement insisté sur le contexte politique du procès pénal IMI/SIR, qui expliquerait l’acharnement judiciaire dont il aurait été victime.

138. Il soutient que de 1996 à 2006 la vie publique italienne fut caractérisée par le conflit entre la magistrature et une partie de la classe politique. Aux yeux des magistrats, le requérant n’était pas un prévenu quelconque, mais l’un des principaux collaborateurs de M. Berlusconi. En 1994, le requérant avait exposé son projet de réforme du CSM, consistant à séparer la carrière des juges de celle des magistrats du parquet. Ce projet suscita des réactions très vives et mille magistrats du parquet, parmi lesquels ceux qui furent ensuite chargés du dossier du requérant, signèrent un document critiquant la « réforme Previti ».

139. Le requérant se réfère également aux déclarations faites par le procureur général adjoint du tribunal de Milan, M. Gerardo D’Ambrosio, qui avait parlé de l’existence d’un « conflit entre pouvoir politique et pouvoir judiciaire » et d’une « attaque systématique contre la magistrature » (voir entretien au Corriere della sera du 27 juin 2002), et aux vicissitudes de la loi no 367 de 2001 concernant « la ratification et l’application de l’accord entre l’Italie et la Suisse en vue de compléter la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 et d’en faciliter l’application, fait à Rome le 10 septembre 1998, ainsi que les modifications pertinentes au CP et au CPP ». Cette loi aurait dû être appliquée dans le cadre du procès IMI/SIR, étant donné que plusieurs preuves à la charge du requérant se fondaient sur des documents transmis depuis l’étranger. Or les magistrats de Milan se sont opposés à cette loi, ont envisagé une grève et ont même organisé des réunions en vue de trouver un subterfuge pour ne pas l’appliquer. M. Borrelli, procureur en chef de Milan, la critiqua ouvertement (voir entretien au quotidien La Repubblica du 13 juin 2002). Le requérant soutient que les juges du procès IMI/SIR se sont ralliés à ses vues et ont, en substance, refusé d’appliquer la loi no 367 de 2001.

140. Le requérant relate aussi les vicissitudes de la loi no 248 du 7 novembre 2002 (dite « loi Cirami »), qui a modifié l’article 45 du CPP en réintroduisant la possibilité, déjà prévue dans le CPP de 1930, de demander le transfert du procès à un autre tribunal (rimessione del processo) pour des raisons de « suspicion légitime » (legittimo sospetto) de manque d’impartialité du juge. De l’avis du requérant, la loi no 248 de 2002 ne faisait qu’introduire un progrès juridique. Cependant, elle fut critiquée par de nombreux magistrats. Le requérant attire en particulier l’attention de la Cour sur les déclarations faites par M. Gerardo D’Ambrosio et relatées, entre juillet et décembre 2002 par les quotidiens La Repubblica, Il Corriere della Sera, La Stampa, Il Messaggero, L’Unità et Il Giornale. M. D’Ambrosio soutenait, pour l’essentiel, que la loi « Cirami » poursuivait non pas l’intérêt général, mais le but de soustraire le requérant et M. Berlusconi à la juridiction du tribunal de Milan.

141. Le requérant allègue également qu’un courant de la magistrature, Magistratura Democratica, a exercé des pressions sur le procès IMI/SIR, en désignant le requérant comme un ennemi, en critiquant ses stratégies défensives et en le qualifiant d’« accusé plus égal que d’autres devant la loi ». De nombreux articles furent publiés sur les nos 2 et 4 de 2002 de la revue Questione Giustizia, éditée par l’association de magistrats en question.

142. A la suite de la publication de ces articles, le requérant demanda à M. Pepino, président de l’association Magistratura Democratica, de lui transmettre la liste des membres de l’association en vue de l’obtention d’informations utiles dans le cadre de ses recours en récusation ou de ses demandes de transfert du procès. M. Pepino répondit par la négative, observant que la loi sur la protection de la vie privée (loi no 675 de 1996) ne permettait pas la communication des données sans l’accord préalable des personnes concernées. M. Pepino accusa ensuite le requérant de « maccarthysme », d’avoir pour but « de se défendre du procès et non pas dans le procès » (voir l’entretien paru dans le quotidien La Repubblica du 9 juillet 2002) et de construire une « chasse aux sorcières hors du temps » basée sur la déformation de la réalité (voir l’article publié dans le no 5 de 2002 de la revue Questione Giustizia).

143. La question de la liste des membres de Magistratura Democratica fut abordée également par M. D’Ambrosio, qui, dans un entretien rapporté par le quotidien La Repubblica du 13 juillet 2002, affirma que la demande du requérant s’analysait en une « provocation » inscrite dans le cadre d’une campagne visant à priver de légitimité la magistrature.

144. Dans un document du 13 juillet 2002, l’Association nationale des magistrats (ci-après l’« ANM ») déclara qu’elle aurait répondu à toute question concernant l’appartenance des magistrats à un ou à plusieurs courants de la magistrature en déclarant que tous ses membres appartenaient aux courants en question.

16. L’affaire Lodo Mondadori

145. A la suite de l’annulation par la Cour de cassation de la relaxe du requérant relativement aux infractions qui lui étaient reprochées dans le cadre de l’affaire Lodo Mondadori (paragraphe 122 ci-dessus), cette affaire fut renvoyée devant la cour d’appel de Milan. Par un arrêt du 23 février 2007, celle-ci condamna le requérant pour corruption dans des actes judiciaires à un an et six mois d’emprisonnement. Selon cet arrêt, la somme de 400 000 000 ITL dont le juge Metta disposait lui avait été versée pour le corrompre. Aux yeux de la cour d’appel, rien n’excluait que cette somme représentait la rémunération de ce juge, tant pour l’affaire IMI/SIR que pour l’affaire Lodo Mondadori.

146. Le requérant se pourvut en cassation, mais il fut débouté par un arrêt du 13 juillet 2007. La Cour de cassation estima, entre autres, que la cour d’appel n’avait pas violé le principe ne bis in idem, car l’augmentation des ressources financières de M. Metta et l’établissement de leur provenance constituaient des preuves de l’infraction. La somme utilisée par M. Metta pour acheter un immeuble ne constituait pas la rémunération de la corruption, mais représentait un indice significatif de la commission de l’infraction. L’utilisation de cet indice dans l’affaire Lodo Mondadori n’était pas incompatible avec les décisions définitives adoptées dans l’affaire IMI/SIR.

147. Le requérant s’est plaint du manque d’équité de la procédure Lodo Mondadori dans le cadre de la requête no 1845/08, introduite devant la Cour le 21 décembre 2007. A ce jour, la Cour n’a adopté aucune décision dans le cadre de cette requête.

17. Les différentes procédures pénales menées contre le requérant

148. Le requérant fut poursuivi pour plusieurs épisodes de corruption. Outre les procédures IMI/SIR et Lodo Mondadori, deux autres procès, « Ariosto » et « SME », furent dirigés contre lui. Il attire l’attention de la Cour sur les faits suivants.

149. Du 5 novembre 1998 au 15 novembre 1999, vingt-sept audiences préliminaires eurent lieu dans le cadre de l’affaire IMI/SIR ; pendant les six premiers mois, l’intervalle moyen entre les audiences fut de vingt jours ; cet intervalle s’est réduit, dans les six mois suivants, à dix jours. En outre, trois audiences eurent lieu pour la collecte des preuves (incidente probatorio) sollicitées par la défense.

150. Les débats en première instance du procès IMI/SIR eurent lieu du 11 mai 2000 au 29 avril 2003 et se déroulèrent au cours de 108 audiences (séparées par des intervalles moyens de dix jours). Dans cette même période, la Cour de cassation tint cinq audiences pour l’examen des demandes de transfert du procès des accusés, et la Cour constitutionnelle en tint une, le 22 octobre 2002.

151. Du 28 février au 19 juin 2000, onze audiences préliminaires eurent lieu dans le cadre de l’affaire Lodo Mondadori ; elles furent suivies par neuf audiences consacrées aux débats qui se terminèrent le 28 janvier 2002, date à laquelle cette affaire fut jointe à l’affaire IMI/SIR (paragraphe 87 ci-dessus).

152. Le procès en appel dans le cadre des affaires jointes IMI/SIR et Lodo Mondadori eut lieu du 7 février au 23 mai 2005 et compta trente-trois audiences, soit en moyenne une audience tous les trois jours.

153. La procédure en cassation dans ces affaires se déroula du 16 janvier au 4 mai 2006, et huit audiences eurent lieu.

154. La procédure de renvoi dans le cadre de l’affaire Lodo Mondadori eut lieu du 18 décembre 2006 au 23 février 2007 et sept audiences furent tenues.

155. L’audience préliminaire dans l’affaire Ariosto débuta le 29 juin 1998 ; neuf autres audiences et six audiences pour l’obtention des preuves eurent lieu.

156. Dans le cadre de l’affaire SME, sept audiences préliminaires se tinrent à partir du 12 janvier 1999. Le 24 mai 1999, les affaires SME et Ariosto furent jointes ; seize autres audiences préliminaires eurent lieu jusqu’au 26 novembre 1999.

157. Les débats du procès SME/Ariosto se déroulèrent du 9 mars 2000 au 22 novembre 2003 et furent répartis sur 125 audiences (en moyenne une audience tous les dix jours). La procédure d’appel (dix-sept audiences) se tint du 18 juin au 2 décembre 2005, et celle en cassation eut lieu du 24 au 30 novembre 2006 (cinq audiences).

158. Si l’on considère toutes les procédures pendantes contre le requérant, 340 audiences se tinrent dans la période de 1998 à 2003, et soixante-dix eurent lieu de février 2005 à février 2007. Le requérant souligne qu’il y a eu, en moyenne, une audience tous les cinq jours (ou bien une audience tous les deux-trois jours si l’on soustrait les vacances judiciaires – du 1er août au 15 septembre – les jours fériés et les week-ends).

159. Il note également que dans le cadre des affaires IMI/SIR, Lodo Mondadori, SME et Ariosto, il fut représenté par les deux mêmes avocats, Mes Sammarco et Saponara (ce dernier ayant été, par ailleurs, constamment remplacé par Me Perroni – paragraphe 75 ci-dessus). En effet, aux termes de l’article 96 du CPP, un accusé ne peut pas nommer « plus de deux avocats de son choix » ; ceux-ci ont la faculté de nommer un remplaçant en cas d’empêchement (article 101 du CPP).

160. Dans le procès IMI/SIR, il y avait quatre parties civiles, notamment l’IMI, la société CIR, le ministère de la Justice et la Présidence du Conseil des Ministres. Les sociétés IMI et CIR furent représentées par un avocat de leur choix, alors que les deux autres parties civiles étaient représentées par les avocats de l’Etat (Avvocatura distrettuale dello Stato). La cour d’appel de Milan exclut le ministère de la Justice du procès, observant que ce dernier n’avait pas fourni la preuve d’un préjudice patrimonial. Le requérant fut condamné à la réparation des dommages subis par les parties civiles et au paiement de leurs frais de procédure, représentant des montants très importants.

B. Le droit interne pertinent

1. La constitution du dossier du parquet

161. Aux termes de l’article 416 § 2 du CPP, s’il demande le renvoi en jugement de l’accusé, le parquet doit transmettre au greffe du GIP « le dossier contenant l’inscription de l’avis d’infraction (notizia di reato), les pièces relatives aux investigations accomplies et les procès-verbaux des actes effectués au cours de la procédure devant le GIP ». L’accusé est informé qu’il a la faculté d’avoir accès aux actes et aux objets transmis aux termes de l’article 416 § 2 (voir l’article 419 § 2 du CPP).

162. L’article 130 § 1 des dispositions d’exécution du CPP prévoit que, si les actes d’investigation concernent plusieurs personnes ou plusieurs chefs d’inculpation, « le parquet constitue le dossier prévu à l’article 416 § 2 du [CPP] en y insérant les pièces y indiquées pour la partie qui se réfère aux personnes ou aux chefs d’inculpation pour lesquels l’action pénale est entamée ».

163. Conformément à l’article 358 du CPP, le parquet doit accomplir tout acte nécessaire à l’exercice de l’action pénale ainsi que des « vérifications quant aux faits et circonstances favorables à l’accusé ».

2. L’infraction de corruption dans des actes judiciaires (corruzione in atti giudiziari)

164. Jusqu’en avril 1990, l’article 319 du CP relatif à l’infraction de corruption se lisait comme suit en ses parties pertinentes :

« Tout agent de la fonction publique qui (...) pour accomplir un acte contraire à ses devoirs, reçoit, pour lui-même ou pour un tiers, de l’argent ou tout autre avantage (utilità) (...) ou bien en accepte la promesse, est puni (...). La peine est augmentée s’il en découle : (...) 2) un avantage ou un préjudice pour une partie à un procès civil, pénal ou administratif. »

165. L’article 321 du CP renfermait en outre le passage suivant : « [l]es peines indiquées dans les articles 318, première partie, 319 et 320 s’appliquent également à celui qui donne ou promet à l’agent de la fonction publique (...) de l’argent ou un autre avantage ».

166. La loi no 86 du 26 avril 1990 a abrogé le paragraphe 2 de l’article 319 du CP, sans cependant modifier l’article 321. L’article 9 de la loi no 86 a en outre introduit un article 319ter, punissant l’infraction de corruption dans des actes judiciaires, ainsi libellé :

« Si les faits indiqués dans les articles 318 et 319 sont commis pour créer un avantage ou un préjudice pour une partie à un procès civil, pénal ou administratif, la peine d’emprisonnement est de trois à huit ans. »

167. L’article 321 a été modifié par la loi no 181 du 7 février 1992, entrée en vigueur le 17 mars 1992. Dans ses parties pertinentes, le nouveau texte se lit comme suit :

« Les peines indiquées au premier paragraphe de l’article 318, à l’article 319, à l’article 319bis, à l’article 319ter [1] et à l’article 320 s’appliquent également à la personne qui donne ou promet à un agent de la fonction publique (...) de l’argent ou un autre avantage ».

3. Les règles en matière de fixation de la peine

168. Aux termes de l’article 132 du CP, « dans les limites fixées par la loi, le juge applique la peine de manière discrétionnaire ; il doit indiquer les motifs qui justifient l’utilisation de ce pouvoir discrétionnaire ». L’article 133 du CP prévoit que, dans l’exercice du pouvoir susmentionné, le juge doit tenir compte de la gravité de l’infraction (qui dépend, entre autres, des modalités de l’action criminelle) et des potentialités criminelles (capacità a delinquere) du coupable. Ces dernières sont établies sur la base : a) du mobile et du caractère de l’accusé ; b) de ses antécédents ; c) de sa conduite au moment de l’infraction ou après la commission de celle-ci ; d) de ses conditions de vie individuelles, familiales et sociales.

4. Les dispositions en matière d’écoutes téléphoniques

169. Les dispositions internes en matière d’écoute des conversations et des communications sont décrites dans l’arrêt Panarisi c. Italie (no 46794/99, §§ 36-39, 10 avril 2007).

GRIEFS

170. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint, à différents égards, d’un manque d’équité de la procédure pénale IMI/SIR. Il allègue en outre qu’il y a eu méconnaissance du principe de la présomption d’innocence, que les juridictions internes n’étaient pas impartiales et que le tribunal de Milan n’était pas un « tribunal établi par la loi ».

171. Sous l’angle de l’article 7 de la Convention, seul et combiné avec l’article 14, le requérant allègue avoir été condamné pour une action qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national, et ne pas avoir bénéficié des dispositions plus favorables en matière de prescription introduites par la loi no 251 de 2005.

172. Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant soutient que l’obtention de ses relevés téléphoniques n’était pas « prévue par la loi ».

173. Sur le terrain de l’article 2 du Protocole no 7, il se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un double degré de juridiction en matière pénale.

EN DROIT

A. Griefs tirés de l’article 6

174. Le requérant se plaint, à différents égards, de l’iniquité de la procédure pénale IMI/SIR, d’un manque d’impartialité des tribunaux nationaux et d’une méconnaissance du principe de la présomption d’innocence. Il invoque l’article 6 de la Convention.

Dans ses parties pertinentes, cette disposition se lit ainsi :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...), par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge (...). »

175. La Cour rappelle que les exigences des paragraphes 2 et 3 de l’article 6 de la Convention représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de cette disposition. Partant, elle examinera les griefs du requérant sous l’angle de ces textes combinés (voir, parmi beaucoup d’autres, Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, § 27, CEDH 1999-I).

1. Grief relatif à l’impossibilité d’avoir accès au dossier no 9520/95

a) Allégations du requérant

176. D’après le requérant, la non-communication à la défense des actes contenus dans le dossier no 9520/95 (paragraphes 36-47 ci-dessus) a violé l’article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention, ainsi que la loi italienne. De plus, il était selon lui illégitime d’invoquer le secret de l’instruction s’agissant d’investigations pour lesquelles aucune prorogation n’avait été demandée et qui concernaient des infractions déjà prescrites. De plus, même après le classement sans suite du dossier litigieux (paragraphe 45 ci-dessus), ses demandes pour y avoir accès se seraient heurtées à un refus motivé par un « manque d’intérêt » (paragraphe 47 ci-dessus). L’obstination avec laquelle les autorités italiennes continueraient à refuser l’accès à ce dossier ne pourrait s’expliquer que par le fait que son contenu est favorable à la défense et susceptible d’engager la responsabilité des représentants du parquet de Milan.

177. Même s’il est actuellement accusé de calomnie devant le tribunal de Brescia pour les critiques qu’il a formulées à l’encontre des membres du parquet de Milan (paragraphe 44 ci-dessus), le requérant indique que les autorités judiciaires nationales n’ont pas ordonné la production du dossier no 9520/95, dont le contenu est essentiel pour décider du bien-fondé de cette accusation. Par ailleurs, la Cour de cassation aurait utilisé des pièces qui étaient contenues dans le dossier no 9520/95 lorsqu’elle a tranché la question de la compétence ratione loci.

b) Appréciation de la Cour

178. La Cour rappelle que tout procès pénal doit revêtir un caractère contradictoire et garantir l’égalité des armes entre l’accusation et la défense : c’est là un des aspects fondamentaux du droit à un procès équitable. Le droit à un procès pénal contradictoire implique, pour l’accusation comme pour la défense, la faculté de prendre connaissance des observations ou éléments de preuve produits par l’autre partie (Brandstetter c. Autriche, 28 août 1991, §§ 66-67, série A no 211). De surcroît, l’article 6 § 1 exige que les autorités de poursuite communiquent à la défense toutes les preuves pertinentes en leur possession, à charge comme à décharge (Edwards c. Royaume-Uni, 16 décembre 1992, § 36, série A no 247-B).

179. Le droit à la divulgation des preuves pertinentes n’est cependant pas absolu. Dans une procédure pénale donnée, il peut y avoir des intérêts concurrents – tels que la sécurité nationale ou la nécessité de protéger des témoins risquant des représailles ou de garder secrètes des méthodes policières de recherche des infractions – qui doivent être mis en balance avec les droits de l’accusé (Doorson c. Pays-Bas, 26 mars 1996, § 70, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, et Rowe et Davis c. Royaume-Uni, no 28901/95, § 61, CEDH 2000-II). Dans certains cas, il peut être nécessaire de dissimuler certaines preuves à la défense, de façon à préserver les droits fondamentaux d’un autre individu ou à sauvegarder un intérêt public important. La Cour a, par exemple, estimé que l’exigence de traiter de manière confidentielle des informations concernant des enquêtes pénales en cours correspondait à un intérêt public important (Papalia c. Italie (déc.), no 38261/03, 23 juin 2005). Toutefois, seules sont légitimes au regard de l’article 6 § 1 les mesures restreignant les droits de la défense qui sont absolument nécessaires (Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, 23 avril 1997, § 58, Recueil 1997-III). De surcroît, si l’on veut garantir un procès équitable à l’accusé, toutes difficultés causées à la défense par une limitation de ses droits doivent être suffisamment compensées par la procédure suivie devant les autorités judiciaires (Rowe et Davis précité, § 61 in fine).

180. Lorsque des preuves ont été dissimulées à la défense au nom de l’intérêt public, il n’appartient pas à la Cour de dire si pareille attitude était absolument nécessaire car, en principe, c’est aux juridictions internes qu’il revient d’apprécier les preuves produites devant elles (Edwards précité, § 34). La Cour a quant à elle pour tâche de contrôler si le processus décisionnel appliqué dans un cas donné a satisfait autant que possible aux exigences du contradictoire et de l’égalité des armes et était assorti de garanties aptes à protéger les intérêts de l’accusé (Rowe et Davis précité, § 62, Jasper c. Royaume-Uni [GC], no 27052/95, §§ 52-53, 16 février 2000, et Milan c. Italie (déc.), no 32219/02, 2 décembre 2004).

181. La Cour note tout d’abord que le requérant n’affirme pas que le dossier no 9520/95 contenait des preuves à charge contre lui dont il n’aurait pas pu avoir connaissance. En effet, il ne conteste pas que tous les éléments sur lesquels les juridictions nationales ont fondé sa condamnation ont été produits lors des débats publics de la procédure IMI/SIR. L’intéressé soutient par contre que le dossier incriminé contenait des preuves à décharge ou, plus généralement, des éléments favorables à la défense (paragraphe 36 ci-dessus).

182. La Cour observe cependant que le contenu du dossier no 9520/95 n’est pas connu et que toute spéculation à l’égard des pièces qui s’y trouveraient est vouée à demeurer une hypothèse invérifiable. Il en va de même de l’affirmation du requérant selon laquelle la Cour de cassation se serait fondée sur des pièces qui étaient contenues dans ce dossier lorsqu’elle a tranché la question de la compétence ratione loci (paragraphe 177 ci-dessus).

183. La Cour considère en revanche que les éléments à sa disposition amènent à penser que le dossier incriminé ne concernait point le requérant. Initialement ouvert à l’encontre de personnes identifiées, ce dossier a ensuite eu pour objet des investigations contre X, notamment d’autres fonctionnaires impliqués dans les faits ou dans d’éventuels délits de faux et de divulgation d’informations couvertes par le secret (paragraphes 37-38 ci‑dessus). Faisant usage de son droit de séparer la position de certains accusés de celle des autres, le parquet a décidé de verser les pièces de la procédure IMI/SIR concernant le requérant et ses coïnculpés dans d’autres dossiers. Rien ne prouve que ce choix discrétionnaire ait été dicté par l’intention de cacher des documents à la défense ; à cet égard, en l’absence d’indices clairs d’une telle intention, la Cour ne peut que présumer la bonne foi des magistrats du ministère public.

184. L’approche consistant à refuser à un tiers l’accès à un dossier relatif à une enquête en cours concernant l’identification de suspects potentiels est conforme à la jurisprudence de la Cour et ce, à plus forte raison, lorsqu’aucun élément objectif autre que les affirmations de l’intéressé ne permet de penser que ce dossier puisse contenir des preuves dissimulées à la défense. Il est vrai que les inspecteurs du ministère de la Justice ont critiqué le parquet de Milan pour ne pas avoir demandé au GIP l’autorisation de poursuivre les investigations entamées dans le cadre du dossier no 9520/95 et pour avoir invoqué le secret de l’instruction au sujet de pièces concernant des infractions déjà prescrites (paragraphes 42-43 ci-dessus). Cependant, la Cour estime ne pas avoir à se pencher sur des questions de droit interne (telle que celle de savoir jusqu’à quel moment le secret de l’instruction pouvait couvrir les pièces contenues dans le dossier no 9520/95) qui n’ont pas été soumises aux tribunaux nationaux. Sa tâche étant de s’assurer du respect des droits et libertés garantis par la Convention, elle se borne à observer que le secret de l’instruction a en tout état de cause été levé le 18 avril 2005, lors du classement sans suite du dossier litigieux.

185. A partir de cette date, il a été loisible au requérant de s’adresser à un juge indépendant et impartial, à savoir le GIP de Milan, qui s’est penché sur la question de savoir s’il avait un intérêt à l’accès au dossier en question. Après avoir examiné les circonstances de l’affaire, le GIP a répondu par la négative, observant que le requérant n’était pas accusé dans le cadre du dossier no 9520/95 et que ses craintes d’irrégularités commises par le parquet de Milan avaient été écartées par l’autorité judiciaire de Brescia ; de plus, permettre au requérant de consulter le dossier dans son ensemble aurait violé le secret de l’instruction au sujet d’investigations susceptibles d’être rouvertes ainsi que le droit au respect de la vie privée des tiers ayant fait l’objet de ces investigations (paragraphe 47 ci-dessus). De l’avis de la Cour, cette décision s’inscrit dans la logique de la protection d’intérêts publics importants au sens de sa jurisprudence et ne saurait être constitutive d’une violation des principes du procès équitable. Par ailleurs, le fait que le GIP ait rejeté la demande du requérant ne saurait, en soi, rendre insatisfaisant ou inéquitable le processus décisionnel relatif à la faculté d’accès au dossier no 9520/95.

186. A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que le rejet des demandes du requérant visant à obtenir une copie des pièces contenues dans le dossier no 9520/95 n’a pas porté atteinte au caractère contradictoire de la procédure IMI/SIR ni au principe de l’égalité des armes. De plus, toute restriction éventuelle et hypothétique aux droits de la défense était nécessaire pour préserver le droit au respect de la vie privée des tiers impliqués dans les enquêtes menées dans le cadre de ce dossier et/ou pour sauvegarder l’intérêt public voulant que des informations concernant une enquête pénale en cours soient traitées de manière confidentielle. Le requérant a, par ailleurs, bénéficié d’un contrôle juridictionnel apte à protéger ses intérêts.

187. Enfin, dans la mesure où les allégations du requérant pourraient être comprises comme signifiant que l’impossibilité d’avoir accès aux pièces contenues dans le dossier no 9520/95 serait de nature à faire obstacle à la préparation de sa défense dans le cadre de la procédure pour calomnie pendante devant le tribunal de Brescia, la Cour rappelle que cette procédure était, à la date des dernières informations, encore pendante en première instance. Dans ces conditions, aucune apparence de violation de l’article 6 de la Convention ne saurait être décelée.

188. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. Grief relatif à l’absence aux audiences en raison d’empêchements parlementaires

a) Allégations du requérant

189. Le requérant considère que les principes du procès équitable ont également été violés en ce que sa participation aux débats parlementaires n’a pas été considérée comme constituant un empêchement absolu par le GUP (paragraphes 62-63 ci-dessus) et par le tribunal de Milan (paragraphes 70-72 ci-dessus). Il rappelle de plus que, en dépit des arrêts de la Cour constitutionnelle (paragraphes 65-67 et 111-114 ci-dessus), les juridictions du fond et la Cour de cassation ont rejeté ses demandes d’annulation de l’audience préliminaire et du renvoi en jugement. Le requérant observe également que la Cour de cassation ne s’est pas penchée sur son absence à l’audience du 21 novembre 2001 où, pendant qu’il participait aux débats parlementaires, le tribunal de Milan a d’abord exigé la preuve de son empêchement puis continué les débats (paragraphe 74 ci-dessus).

b) Appréciation de la Cour

190. Quoique non mentionnée en termes exprès au paragraphe 1 de l’article 6, la faculté pour l’« accusé » de prendre part à l’audience découle de l’objet et du but de l’ensemble de l’article (Sejdovic c. Italie [GC], n56581/00, § 81, CEDH 2006-II).

191. Si une procédure se déroulant en l’absence du prévenu n’est pas en soi incompatible avec l’article 6 de la Convention, il n’en demeure pas moins qu’un déni de justice est constitué lorsqu’un individu condamné in absentia ne peut obtenir ultérieurement qu’une juridiction statue à nouveau, après l’avoir entendu, sur le bien-fondé de l’accusation en fait comme en droit, alors qu’il n’est pas établi qu’il a renoncé à son droit de comparaître et de se défendre (Somogyi c. Italie, n67972/01, § 66, CEDH 2004-IV), ou qu’il a eu l’intention de se soustraire à la justice (Medenica c. Suisse, n20491/92, § 55, CEDH 2001‑VI).

192. Il faut qu’il n’incombe pas à l’accusé de prouver qu’il n’entendait pas se dérober à la justice, ni que son absence s’expliquait par un cas de force majeure (Colozza c. Italie, 12 février 1985, § 30, série A n89). En même temps, il est loisible aux autorités nationales d’évaluer si les excuses fournies par l’accusé pour justifier son absence étaient valables ou si les éléments versés au dossier permettaient de conclure que son absence était indépendante de sa volonté (Medenica précité, § 57, et Sejdovic précité, § 88).

193. La comparution d’un prévenu revêt une importance capitale en raison tant du droit de celui-ci à être entendu que de la nécessité de contrôler l’exactitude de ses affirmations et de les confronter avec les dires de la victime et des témoins. Dès lors, le législateur doit pouvoir décourager les absences injustifiées, à condition que les sanctions ne se révèlent pas disproportionnées dans les circonstances de la cause et que l’accusé ne soit pas privé du droit à l’assistance d’un défenseur (Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, § 35, série A no 277-A, et Van Geyseghem précité, § 34).

194. Par ailleurs, la Cour a opéré une distinction entre la participation de l’accusé aux débats devant le juge du fond et sa participation à l’audience préliminaire. En effet, même si en droit italien, le GUP peut, dans certains cas, se pencher sur le bien-fondé des charges (De Lorenzo c. Italie (déc.), n69264/01, 12 février 2004), en règle générale la seule question tranchée au cours de pareille audience est celle de savoir si l’accusé doit, ou non, être renvoyé en jugement. Or, si l’article 6 de la Convention peut jouer un rôle avant la saisine du juge du fond, cette disposition a pour finalité principale, au pénal, d’assurer un procès équitable devant un « tribunal » compétent pour décider « du bien-fondé de l’accusation » (Brennan c. Royaume-Uni [GC], n39846/98, § 45, CEDH 2001-X, et Berlinski c. Pologne, nos 27715/95 et 30209/96, § 75, 20 juin 2002). La Cour, soulignant que le but de l’audience préliminaire est exclusivement de décider si le requérant doit être jugé par un « tribunal » et non d’examiner son innocence ou sa culpabilité, a estimé que l’absence de l’intéressé à cette audience ne pouvait, à elle seule, compromettre l’équité de la procédure considérée dans son ensemble (Hany c. Italie (déc.), no 17543/05, 6 novembre 2007).

195. Or, le requérant se plaint tout d’abord de ne pas avoir pu participer aux audiences des 17 et 22 septembre et 5 et 6 octobre 1999. Cependant, il s’agissait d’audiences préliminaires au cours desquelles le GUP de Milan était uniquement appelé à examiner les éléments pertinents pour la question de savoir si le requérant et ses coïnculpés devaient, ou non, être renvoyés en jugement (paragraphe 56 ci-dessus). Elles n’impliquaient donc pas un examen du fond de l’accusation et le prononcé d’un verdict de culpabilité. Il s’ensuit que l’absence de l’intéressé à ces audiences n’entraîne aucune apparence de violation de l’article 6 de la Convention. Il en va de même en ce qui concerne la décision de ne pas annuler l’audience préliminaire et/ou le renvoi en jugement en raison de la non-participation du requérant aux audiences litigieuses.

196. Pour ce qui est de la phase de jugement, la Cour relève que les débats se sont déroulés pendant de nombreuses audiences : selon les informations fournies par le requérant lui-même, 108 audiences se sont tenues devant le tribunal de Milan, 33 devant la cour d’appel et 8 devant la Cour de cassation (paragraphes 150, 152 et 153 ci-dessus). Or l’intéressé ne dénonce que son absence à l’une d’entre elles, et précisément celle du 21 novembre 2001. La Cour estime que lorsque, comme en l’espèce, un nombre considérable d’audiences a lieu dans un procès, c’est seulement dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que la non-participation du prévenu à l’une d’entre elles peut compromettre l’équité de la procédure dans son ensemble.

197. Or de telles circonstances exceptionnelles ne se trouvent pas réunies en l’espèce. En effet, aucune activité exigeant la présence de l’accusé en personne – telle que, par exemple, la production de moyens de preuve – n’a eu lieu au cours de l’audience incriminée. Le tribunal s’est au contraire borné à donner lecture de deux ordonnances adoptées en chambre du conseil portant sur des questions techniques (à savoir la validité du renvoi en jugement et la possibilité d’utiliser les pièces obtenues par commission rogatoire) et à réserver toute décision quant à une demande du parquet visant à la fixation de deux audiences. Par ailleurs, la Cour estime que les vérifications faites par le tribunal de Milan afin de contrôler la réalité de l’empêchement parlementaire allégué par les conseils du requérant (paragraphe 74 ci-dessus) ne sauraient s’analyser en une conduite abusive ou arbitraire ; au contraire, elles s’inscrivaient dans une logique consistant à évaluer si les excuses fournies par l’accusé pour justifier son absence étaient valables et à décourager les absences injustifiées. Elles poursuivaient donc des buts légitimes au titre de l’article 6 de la Convention.

198. Dans ces conditions, aucune apparence de violation de cette disposition ne saurait être décelée du fait de l’absence du requérant à l’audience du 21 novembre 2001.

199. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3. Grief relatif à un manque de précision des chefs d’inculpation

a) Allégations du requérant

200. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 a) et b) de la Convention, le requérant se plaint de ne pas avoir été informé de manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui.

201. Il allègue que les chefs d’inculpation (paragraphe 82 ci-dessus) manquaient de précision et que les autorités judiciaires avaient modifié certaines caractéristiques essentielles de la conduite qui lui était reprochée. Il se réfère en particulier à la circonstance que l’accord de corruption aurait été finalisé à un endroit et à une époque qui n’étaient pas précisés et que les versements sur des comptes ouverts dans des banques étrangères étaient mentionnés sans autre indication que le pays où se trouvait la banque en question. En outre, les chefs d’inculpation mentionnaient les articles 319 (corruption) et 319ter (corruption dans des actes judiciaires) du CP, sans spécifier quelle était l’infraction qui lui était reprochée. Le requérant conteste également l’utilisation à charge, par les juges de première instance, de la note manuscrite trouvée dans le cabinet de Me Pacifico (paragraphe 102 ci-dessus), élément qui n’avait pas été mentionné par le parquet et qui changeait la nature de la conduite qui lui était reprochée : non seulement un rôle « d’intermédiaire » pour la conclusion de l’accord de corruption, mais également la participation à la rédaction de l’arrêt incriminé.

202. De plus, la cour d’appel aurait considéré que la somme de 400 000 000 ITL, dont le juge Metta disposait, ne constituait pas la rémunération de la corruption pour l’affaire Lodo Mondadori, comme initialement indiqué par le parquet, mais un « paiement anticipé » dans le cadre de l’affaire IMI/SIR (paragraphe 109 ci-dessus). Cela serait par ailleurs en contradiction avec les conclusions émises par la cour d’appel de Milan, agissant en tant que juridiction de renvoi pour l’affaire Lodo Mondadori, dans son arrêt du 23 février 2007 (paragraphe 145 ci-dessus). Enfin, la Cour de cassation aurait donné à l’infraction prévue par l’article 319ter du CP une qualification juridique différente de celle retenue par les juges du fond, estimant que l’accord de corruption devait nécessairement précéder l’accomplissement de l’acte judiciaire incriminé (paragraphe 146 ci-dessus).

b) Appréciation de la Cour

203. L’acte d’accusation joue un rôle déterminant dans les poursuites pénales : à compter de sa signification, la personne mise en cause est officiellement avisée de la base juridique et factuelle des reproches formulés contre elle (Kamasinski c. Autriche, 19 décembre 1989, § 79, série A n168). Par ailleurs, l’article 6 § 3 a) reconnaît à l’accusé le droit d’être informé non seulement de la cause de l’accusation, c’est-à-dire des faits matériels qui sont mis à sa charge et sur lesquels se fonde l’accusation, mais aussi, d’une manière détaillée, de la qualification juridique donnée à ces faits (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 51, CEDH 1999-II).

204. Certes, l’étendue de l’information « détaillée » visée par cette disposition varie selon les circonstances particulières de la cause ; toutefois, l’accusé doit en tout cas disposer d’éléments suffisants pour comprendre pleinement les charges portées contre lui en vue de préparer convenablement sa défense. A cet égard, le caractère adéquat des informations doit s’apprécier en relation avec l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 6, qui reconnaît à toute personne le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense (Mattoccia c. Italie, no 23969/94, § 60, CEDH 2000-IX). La Cour rappelle également que l’information visée par l’article 6 § 3 a) de la Convention ne doit pas nécessairement mentionner les éléments de preuve sur lesquels est fondée l’accusation (X c. Belgique, no 7628/76, décision de la Commission du 9 mai 1977, Décisions et Rapports (DR) 9, pp. 169-171).

205. En ce qui concerne les griefs portant sur le caractère « vague » du libellé des chefs d’inculpation, la Cour rappelle que, dans une affaire de corruption, elle a estimé suffisante une information indiquant que le parquet considérait que l’accusé avait reçu des sommes d’argent de la part de personnes, spécifiquement indiquées, agissant pour le compte de certaines entreprises pharmaceutiques, et ce en échange de l’accomplissement par le ministre de la Santé publique d’actes contraires aux devoirs de sa charge et visant à apporter des avantages indus aux corrupteurs (De Lorenzo, décision précitée ; voir aussi, mutatis mutandis, Dallos c. Hongrie, no 29082/95, §§ 49-53, CEDH 2001-II, D.C. c. Italie (déc.), no 55990/00, 28 février 2002, et Feldman c. France (déc.) n53426/99, 6 juin 2002).

206. La Cour a examiné les chefs d’inculpation sur la base desquels le parquet a demandé et obtenu le renvoi en jugement du requérant et de ses coïnculpés. Ce document spécifiait que la conduite reprochée aux prévenus était d’avoir conclu et exécuté un accord par lequel des agents de la fonction publique auraient violé, dans l’exercice de leurs fonctions, leurs devoirs d’impartialité et d’indépendance afin de favoriser M. Nino Rovelli et ses héritiers dans le différend civil IMI/SIR. Il était indiqué que les faits en question tombaient sous l’empire des articles 319 et 319ter du CP et que certains des magistrats impliqués n’avaient pu être identifiés. De plus, le parquet a mentionné la somme reçue par le requérant, le numéro du compte bancaire utilisé pour le transfert d’argent, la date de ce dernier et les personnes auxquelles cette somme aurait ensuite été destinée en échange d’un verdict favorable dans l’affaire IMI/SIR. Enfin, le parquet a pris le soin d’informer les prévenus que les accords de corruption avaient été perfectionnés à partir de 1986 et que les paiements avaient été effectués sur des comptes en banque à l’étranger au moins jusqu’en 1994.

207. Aux yeux de la Cour, les éléments mentionnés ci-dessus constituent une information suffisante au sens de l’article 6 § 3 a) de la Convention et étaient de nature à permettre au requérant de comprendre pleinement les charges portées contre lui et de préparer de manière adéquate sa défense. A titre surabondant, il convient de noter que l’intéressé était un avocat inscrit au barreau de Rome et donc une personne rompue aux arcanes du langage judiciaire.

208. Certes, les chefs d’inculpation n’indiquaient pas tous les éléments de preuve à charge, et ne précisaient pas le lieu et la date exacts de l’accord de corruption ni les noms et adresses de tous les établissements bancaires par lesquels l’argent avait transité. Toutefois, de par leur nature même, les chefs d’inculpation sont rédigés de manière synthétique et les précisions relatives à la conduite reprochée résultent normalement des autres documents du procès, tels que l’ordonnance de renvoi en jugement et les pièces contenues dans le dossier du parquet mis à la disposition de la défense. De plus, il ne saurait être exclu que certains détails – tels que, par exemple, le lieu où un accord oral a été conclu – demeurent obscurs même à l’issue de la procédure judiciaire interne. Quoi qu’il en soit, le requérant n’a pas allégué qu’il n’avait pas pu avoir connaissance de toutes les données techniques essentielles concernant les opérations bancaires qui lui étaient imputées et qu’il n’avait pas eu la possibilité de présenter sa défense sur tous les éléments de preuve à charge, et notamment la note manuscrite trouvée dans le cabinet de Me Pacifico. A cet égard, il convient de noter que la cour d’appel de Milan a ordonné la réouverture de l’instruction afin d’entendre les accusés sur la question de la valeur probatoire de la note litigieuse (paragraphe 103 ci-dessus).

209. La Cour note de surcroît que la Convention n’interdit pas aux juridictions internes de préciser, sur la base des éléments produits lors des débats publics et portés à la connaissance de l’accusé, les modalités d’exécution de l’infraction qui lui est reprochée. Cela a été le cas, en l’espèce, quant à l’utilisation de la somme de 400 000 000 ITL que les tribunaux internes ont estimé avoir été versée par le requérant à M. Metta. La Cour voit mal, enfin, comment la circonstance que la Cour de cassation, remplissant sa fonction de juge du droit, a donné une interprétation de l’article 319ter du CP différente de celle retenue par les juges du fond aurait pu méconnaître le droit du requérant à être informé de la nature et de la cause de l’accusation.

210. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

4. Grief relatif au défaut de compétence ratione loci du tribunal de Milan

a) Allégations du requérant

211. Le requérant allègue qu’il s’est vu dénier le droit à être jugé par le tribunal compétent ratione loci. Il souligne que le parquet de Milan a omis de déposer les documents qui auraient rendu juridiquement impossible la tenue de son procès à Milan. La Cour de cassation aurait par ailleurs estimé que la question de la compétence ratione loci devait être tranchée sur la base des actes disponibles lors de l’audience préliminaire (paragraphe 126 ci-dessus), oubliant de considérer qu’à l’époque litigieuse la défense ne pouvait pas avoir accès à toutes les informations pertinentes à cause des omissions du parquet.

212. Le requérant souligne qu’il réside à Rome et qu’il a été accusé d’avoir corrompu des juges romains dans le cadre d’un procès qui a eu lieu à Rome. Malgré cela, il aurait été jugé par un tribunal – celui de Milan – qui n’avait aucun lien avec les faits qui lui étaient reprochés. Il conteste le critère de répartition de la compétence fixé à l’article 9 § 3 du CPP (paragraphe 23 c) ci-dessus) ; celui-ci ne satisferait pas à l’exigence de prévisibilité du tribunal compétent et ferait dépendre la compétence ratione loci de circonstances liées au hasard et aux choix discrétionnaires du parquet. Enfin, interprétant de manière formaliste les dispositions de l’article 9 § 3 du CPP, les juges internes auraient attribué de l’importance uniquement à la qualification juridique donnée par le parquet aux infractions, et non à la circonstance que les faits poursuivis à Milan et ceux exposés dans la dénonciation de M. Arcuti étaient en substance identiques. Le requérant souligne que, dans une autre affaire le concernant, la Cour de cassation a refusé d’appliquer le critère prévu à l’article 9 § 3 du CPP.

b) Appréciation de la Cour

213. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 6 § 1 un « tribunal » doit toujours être « établi par la loi ». Cette expression reflète le principe de l’état de droit, inhérent à tout le système de la Convention et de ses protocoles. L’expression « établi par la loi » concerne non seulement la base légale de l’existence même du tribunal, mais encore la composition du siège dans chaque affaire (Lavents c. Lettonie no 58442/00, § 114, 28 novembre 2002). Le non-respect par un tribunal des dispositions susvisées emporte en principe violation de l’article 6 § 1. La Cour a donc compétence pour se prononcer sur le respect des règles du droit interne sur ce point. Toutefois, vu le principe général selon lequel c’est en premier lieu aux juridictions nationales elles-mêmes qu’il incombe d’interpréter la législation interne, la Cour estime qu’elle ne doit mettre en cause leur appréciation que dans des cas de violation flagrante de cette législation (Coëme et autres c. Belgique, nos 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, § 98 in fine, CEDH 2000‑VII, et Lavents précité, § 114).

214. La Cour note tout d’abord que la loi italienne prévoit (à l’article 8 du CPP – paragraphe 23 ci-dessus) que le tribunal compétent ratione loci est celui du lieu où l’infraction a été commise. Elle établit donc, en principe, une connexion entre le siège d’un parquet et les faits de la cause. C’est seulement lorsque les juridictions internes ne s’estiment pas en mesure d’établir le lieu où les infractions ont été commises que des règles complémentaires – prévues à l’article 9 du CPP – trouvent à s’appliquer. Or tel est le cas en l’espèce ; à cet égard, il convient de rappeler que les infractions dont le requérant et ses coïnculpés étaient accusés ne concernaient pas seulement les décisions prises dans le cadre du différend judiciaire IMI/SIR mais aussi la conclusion d’accords de corruption et le transfert de sommes d’argent et que, au moment de la décision sur la compétence ratione loci, le lieu où ces actions avaient été réalisées demeurait inconnu. En outre, les prévenus avaient des lieux de résidence ou de domicile différents, ce qui empêchait d’appliquer la règle complémentaire prévue au paragraphe 2 de l’article 9 du CPP (paragraphes 23 b) et 33 ci-dessus). Dans ces circonstances, l’utilisation par les juridictions italiennes de la dernière règle complémentaire inscrite au paragraphe 3 de l’article 9 précité ne saurait passer pour arbitraire ou déraisonnable.

215. Aux termes de cette disposition, le tribunal compétent ratione loci est celui du lieu où se trouve le parquet qui, le premier, a procédé à l’inscription de l’avis d’infraction dans le registre prévu à cet effet. Faisant usage de leur droit d’interpréter le droit interne, le tribunal de Milan et la Cour de cassation ont estimé que la règle en question devait être appliquée sur la base de données formelles et objectives, telles que le nom des accusés et la qualification juridique des infractions résultant des inscriptions faites par le parquet. Sans se pencher sur l’exactitude, en droit italien, d’une telle interprétation, la Cour observe qu’elle satisfait à une exigence de clarté et de sécurité juridique. Elle note de surcroît que l’approche de la Cour de cassation selon laquelle seuls les documents disponibles au moment de l’audience préliminaire doivent être pris en compte pour trancher la question de la compétence ratione loci est également conforme à cette exigence. Il peut en effet être souhaitable que le tribunal compétent soit établi au moment du renvoi en jugement et que la possibilité de découvrir des éléments nouveaux, à un stade ultérieur de la procédure, n’entraîne pas un retour de celle-ci à la phase antérieure au renvoi en jugement. A cet égard, il convient de souligner que la Cour a rappelé, à maintes reprises, l’importance du droit à un jugement dans un délai raisonnable et la nécessité qui en découle d’un traitement rapide des affaires inscrites au rôle (voir, par exemple et mutatis mutandis, Jan Åke Andersson c. Suède, 29 octobre 1991, § 27, série A no 212‑B, Hoppe c. Allemagne, n28422/95, § 63, 5 décembre 2002, et Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 80, CEDH 2006-XII).

216. En l’espèce, il ressortait des documents disponibles lors de l’audience préliminaire que seul le parquet de Milan avait inscrit dans son registre le nom du requérant et de ses coïnculpés en ce qui concerne l’infraction de corruption dans des actes judiciaires. Compte tenu de ce qui précède, ainsi que du libellé de l’article 9 du CPP, la Cour estime que l’interprétation suivie par les juridictions italiennes ne saurait passer pour arbitraire ou déraisonnable et que l’attribution de la compétence ratione loci au tribunal de Milan n’a pas constitué une violation flagrante de la législation nationale.

217. Dans ces conditions, la Cour ne saurait conclure que la chambre du tribunal de Milan qui a prononcé la condamnation du requérant en première instance n’était pas un « tribunal établi par la loi » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

218. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

5. Grief relatif à l’audition de Mme Ariosto

a) Allégations du requérant

219. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, le requérant se plaint de ne pas avoir pu interroger Mme Ariosto dans les mêmes conditions que celles dont ont bénéficié les représentants du parquet. Cette personne, admise par le tribunal comme témoin à charge et comme témoin à décharge, aurait été interrogée comme témoin à charge lors des audiences des 21 mai, 1er juin et 1er décembre 2001 ; la défense du requérant lui aurait posé des questions seulement pendant les deux premières audiences, la troisième audience ayant eu lieu en présence d’une avocate commise d’office (MTotis) qui n’avait aucune connaissance du dossier (paragraphe 78 ci-dessus). De l’avis du requérant, la défense aurait dû entendre Mme Ariosto en dernier ; de plus, une partie de ses déclarations faites n’aurait pas été mise à la disposition des accusés, ayant été au contraire été dissimulée dans le dossier no 9520/95.

b) Appréciation de la Cour

220. En règle générale, les paragraphes 1 et 3 d) de l’article 6 commandent d’accorder à l’accusé une occasion adéquate et suffisante de contester un témoignage à charge et d’en interroger l’auteur, au moment de la déposition ou plus tard (Van Mechelen et autres précité, § 51, et Bracci c. Italie, no 36822/02, § 54, 13 octobre 2005). En particulier, les droits de la défense sont restreints de manière incompatible avec les garanties de l’article 6 lorsqu’une condamnation se fonde, uniquement ou dans une mesure déterminante, sur des dépositions faites par une personne que l’accusé n’a pu interroger ou faire interroger ni au stade de l’instruction ni pendant les débats (A.M. c. Italie, no 37019/97, § 25, CEDH 1999-IX, et Lucà c. Italie, n33354/96, § 40, CEDH 2001-II).

221. En ce qui concerne les témoins à décharge, la Cour rappelle qu’il revient en principe aux juridictions nationales d’apprécier les éléments rassemblés par elles et la pertinence de ceux dont les accusés souhaitent la production (Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne, 6 décembre 1988, § 68, série A no 146). Plus particulièrement, l’article 6 § 3 d) leur laisse, toujours en principe, le soin de juger de l’utilité d’une offre de preuve par témoins (Asch c. Autriche, 26 avril 1991, § 25, série A no 203). Cette disposition n’exige pas la convocation et l’interrogation de tout témoin à décharge : ainsi que l’indiquent les mots « dans les mêmes conditions », elle a pour but essentiel une complète « égalité des armes » en la matière (Bricmont c. Belgique, 7 juillet 1989, § 89, série A no 158). Il appartient à la Cour de contrôler si l’accusé a eu une occasion adéquate et suffisante de contester les soupçons qui pesaient sur lui (Kajolli c. Italie (déc.), no 17494/07, 29 avril 2008).

222. La Cour note tout d’abord que la Convention ne consacre pas le droit, pour la défense, d’interroger les témoins en dernier lieu. Elle observe de surcroît que le requérant a eu le loisir, par l’intermédiaire des avocats de son choix, de poser à Mme Ariosto les questions qu’il a estimées utiles pour sa défense au cours des audiences publiques des 24 mai et 1er juin 2001 (paragraphe 76 ci-dessus). Il a ainsi eu une occasion adéquate et suffisante de mettre en doute la crédibilité de ce témoin. Par ailleurs, l’allégation du requérant selon laquelle une partie des déclarations faites par Mme Ariosto au parquet n’aurait pas été mise à la disposition des accusés ne se fonde sur aucun élément objectif. Sur ce point, la Cour ne peut que réitérer que rien ne permet d’établir le contenu du dossier no 9520/95 et que toute spéculation à cet égard est destinée à demeurer une hypothèse invérifiable.

223. A titre surabondant, la Cour observe que les déclarations de Mme Ariosto n’étaient ni le seul élément de preuve sur lequel les juges du fond ont appuyé la condamnation du requérant, ni un élément déterminant à cet égard (voir, mutatis mutandis et parmi beaucoup d’autres, Raniolo c. Italie (déc.), no 62676/00, 21 mars 2002 ; De Lorenzo, décision précitée ; Jerinò c. Italie (déc.), n27549/02, 7 juin 2005 ; Bracci précité, §§ 57 ; Carta c. Italie, no 4548/02, § 52, 20 avril 2006). Bien au contraire, il ne s’agissait que d’un des éléments ayant servi à corroborer les autres preuves à charge, lesquelles ont été produites au cours de débats publics et contradictoires (voir, mutatis mutandis, Sofri et autres c. Italie (déc.), n37235/97, CEDH 2003-VIII).

224. Parmi ces preuves, les juges nationaux ont attribué un poids considérable aux irrégularités qui se sont produites au cours de la procédure IMI/SIR et aux transferts d’argent entre les coïnculpés tels qu’ils ressortent des documents bancaires pertinents. Il n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre appréciation des preuves à celle des juridictions nationales ni de se prononcer sur la culpabilité du requérant (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I, et Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 34, CEDH 2000-V). La Cour se borne à observer que, compte tenu des éléments indiqués ci-dessus, on ne saurait conclure que les juridictions nationales ont fondé la condamnation du requérant uniquement, ou dans une mesure déterminante, sur les déclarations de Mme Ariosto. Le tribunal de Milan a en effet noté que cette dernière n’avait rien relaté quant aux faits spécifiques qui faisaient l’objet des chefs d’inculpation et que ses déclarations, bien qu’en partie contradictoires, constituaient simplement des indices supplémentaires, même s’ils n’étaient pas décisifs, de l’existence des accords de corruption (paragraphe 91 ci-dessus).

225. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

6. Grief relatif aux difficultés rencontrées par la défense

a) Allégations du requérant

226. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention, le requérant allègue ne pas avoir disposé du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense. Il critique notamment le grand nombre d’audiences qui ont eu lieu à de brefs intervalles dans le cadre de la procédure IMI/SIR et des autres procédures dans lesquelles il était accusé (paragraphes 148-158 ci-dessus) et la circonstance qu’il n’a pu nommer que deux avocats (qui le représentaient aussi dans les procédures Lodo Mondadori, Ariosto et SME – paragraphe 159 ci-dessus), alors qu’il devait faire face à plusieurs autres parties (le ministère public et les parties civiles, parmi lesquelles figuraient deux organes de l’Etat – paragraphe 160 ci-dessus). De plus, les tribunaux internes n’auraient pas dûment tenu compte du fait que ses procès avaient lieu à Milan, et donc loin de l’endroit (Rome) où il exerçait son activité professionnelle de député.

227. Le requérant souligne en outre que la motivation de l’arrêt de la cour d’appel du 23 mai 2005 (paragraphes 104-109 ci-dessus) était particulièrement prolixe et confuse : elle comptait 856 pages et était, en substance, une « espèce de roman judiciaire » manquant de clarté et mélangeant les arguments avec des données diverses et des hypothèses. Cela l’aurait empêché de comprendre les raisons de sa condamnation et de préparer de manière efficace, dans le délai de 45 jours prévu à cet effet, ses moyens de pourvoi en cassation.

228. Le requérant se plaint également du peu de temps accordé à ses avocats d’office pour se familiariser avec le dossier, ce qui selon lui les a empêchés de garantir une défense efficace aux audiences des 1er décembre 2001 et 12 et 14 janvier 2002 (paragraphes 76-79 ci-dessus).

b) Appréciation de la Cour

229. La Cour rappelle que, dans l’affaire Craxi c. Italie (no 34896/97, §§ 66-74, 5 décembre 2002), elle s’est penchée sur la question de savoir si le caractère rapproché des dates des audiences et la fixation simultanée d’audiences dans les autres affaires pendantes contre le requérant avaient porté atteinte au droit de celui-ci à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. Après avoir examiné les circonstances particulières du cas d’espèce, elle a conclu que le caractère rapproché des dates des audiences (trente-huit au cours d’une période d’un peu plus de quatre mois, auxquelles se sont ajoutées de nombreuses audiences concernant d’autres affaires contre le même accusé) n’avait pas privé d’efficacité la défense dont le requérant avait bénéficié.

230. La présente requête porte uniquement sur l’iniquité alléguée de la procédure IMI/SIR. La Cour n’est donc pas appelée à se prononcer sur les difficultés rencontrées par le requérant pour la préparation de sa défense dans le cadre des autres procédures judiciaires engagées à son encontre (notamment les affaires Ariosto et SME – voir, mutatis mutandis, Craxi précité, § 66).

231. Or il ressort des documents soumis par le requérant que, pendant une période d’un peu plus d’un an (du 5 novembre 1998 au 15 novembre 1999), vingt-sept audiences préliminaires ont eu lieu dans le cadre de la procédure IMI/SIR, séparées en moyenne par des intervalles de vingt jours pendant les six premiers mois et de dix jours pendant les six mois suivants. Les débats de première instance ont compté 108 audiences au cours d’une période de près de trois ans (du 11 mai 2000 au 29 avril 2003), avec un intervalle moyen d’environ dix jours. En appel, trente-trois audiences se sont déroulées sur une période de trois mois et quinze jours (du 7 février au 23 mai 2005), soit un intervalle moyen de trois jours. Pour ce qui est, enfin, de la procédure en cassation, huit audiences ont eu lieu du 16 janvier au 4 mai 2006, soit en moyenne une audience tous les treize jours.

232. Aux yeux de la Cour, un intervalle égal ou supérieur à dix jours entre deux audiences successives dans le cadre d’une longue procédure pénale doit normalement être largement suffisant pour permettre au prévenu et à ses conseils d’examiner le matériel produit par les autres parties et préparer la défense en conséquence. Dès lors, aucune apparence de violation du droit du requérant à un procès équitable ne saurait être décelée en raison du caractère rapproché des audiences préliminaires ou des audiences tenues en première instance puis en cassation. Il est vrai que, dans des circonstances exceptionnelles, un intervalle moyen de trois jours seulement, comme dans la procédure d’appel de l’affaire IMI/SIR, pourrait poser un problème sous l’angle de l’article 6 de la Convention. Or il n’y a eu aucune circonstance exceptionnelle en la présente espèce. En effet, même si l’affaire était d’une extrême complexité, la procédure d’appel ne portait que sur des questions amplement discutées lors de l’audience préliminaire et en première instance et que le tribunal de Milan avait de surcroît évoquées dans son jugement du 29 avril 2003. Elles étaient donc bien connues de l’accusé et ses conseils, Mes Sammarco et Perroni, qui, sauf pour la période allant du 22 novembre 2001 au 28 janvier 2002, l’ont assisté tout au long de la procédure judiciaire IMI/SIR et n’avaient donc pas besoin de se familiariser avec le dossier. Par ailleurs, le requérant n’a pas allégué que des éléments nouveaux, non mentionnés dans le jugement de première instance et exigeant, pour la défense, un travail supplémentaire de recherche et vérification, aient été produits en appel.

233. La Cour a également pris en considération la circonstance, invoquée par le requérant, qu’à partir du 29 juin 1998 d’autres audiences le concernant se sont tenues dans le cadre des affaires Ariosto, SME et Lodo Mondadori. En conséquence, le requérant et ses avocats ont été contraints de prendre part à un nombre très élevé d’audiences (selon les calculs de l’intéressé, en moyenne une tous les cinq jours). Cependant, il ne ressort pas du dossier que la défense qu’ils ont assurée ait été défectueuse ou autrement dépourvue d’efficacité. Au contraire, les témoins à charge ont été interrogés lors des audiences publiques par les conseils du requérant qui, dans les différentes phases du procès IMI/SIR, ont présenté de nombreuses demandes et des arguments factuels et juridiques concernant des questions tant de procédure que de fait. Par ailleurs, l’exposé des faits que le requérant a fourni à la Cour n’indique pas que lui-même ou ses conseils aient attiré l’attention des autorités nationales sur les difficultés qu’ils rencontraient dans la préparation de la défense. Leurs demandes d’ajournement des audiences ont été motivées par les empêchements parlementaires de leur client et non par l’impossibilité de se familiariser avec les pièces produites au cours de la procédure dans l’intervalle entre les audiences. Enfin, la Cour note que, s’il est vrai que l’article 96 du CPP prévoit que l’accusé ne peut nommer « plus de deux » conseils de son choix dans chaque procédure pénale le concernant, rien n’empêchait le requérant de recourir aux services de conseils différents dans les affaires autres que l’affaire IMI/SIR.

234. Dans ces conditions, la Cour ne saurait conclure que les modalités temporelles du déroulement de la procédure IMI/SIR révèlent une apparence de violation de l’article 6 de la Convention.

235. Pour autant que le requérant critique la longueur de la motivation de l’arrêt d’appel, la Cour rappelle qu’elle n’est pas appelée à rechercher si les arguments ont été adéquatement traités dans la motivation d’une décision judiciaire interne (Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, § 61, série A n° 288). Il incombe aux juridictions de répondre aux moyens essentiels, sachant que l’étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision et doit donc s’analyser à la lumière des circonstances de l’espèce (Hiro Balani c. Espagne, 9 décembre 1994, § 27, série A n° 303-B). La Cour ne saurait donc spéculer sur l’étendue de la réponse qu’un juge national doit accorder aux arguments en faveur ou au détriment des accusés en s’acquittant de l’obligation de motiver imposée par l’article 6 § 1 de la Convention (Sofri et autres, décision précitée ; voir également, mutatis mutandis, M.D.U. c. Italie (déc.), no 58540/00, 28 janvier 2003, où la Cour a exclu l’existence d’une apparence de partialité du fait, entre autres, de l’ampleur de la motivation d’un arrêt de la Cour de cassation).

236. De l’avis de la Cour, l’arrêt incriminé expose d’une manière qui n’est pas manifestement illogique ou arbitraire les éléments qui ont amené les juges d’appel à condamner le requérant et à rejeter les questions de procédure qu’il avait soulevées. L’étendue de la motivation se justifie par la complexité de l’affaire et par le nombre des accusés. Au demeurant, la Cour rappelle que, dans l’affaire Ortolani c. Italie (no 46283/99, décision du 31 mai 2001), elle a estimé qu’un délai de 40 jours pour interjeter appel d’un jugement de 4 392 pages n’avait pas entravé le plein exercice par le requérant du droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. Elle ne peut que parvenir à la même conclusion en l’espèce, où le délai pour présenter le pourvoi en cassation était de 45 jours et la motivation de l’arrêt incriminé était bien moins longue. A titre surabondant, la Cour relève qu’il ne ressort pas du dossier que le requérant ait demandé une prorogation dudit délai.

237. Il reste à examiner si le délai accordé aux avocats commis d’office pour représenter le requérant afin de se familiariser avec le dossier a été suffisant pour leur permettre d’assurer une défense efficace. A cet égard, la Cour rappelle que l’article 6 § 3 c) de la Convention laisse aux Etats contractants le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de garantir le droit de tout accusé à « se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur (...) » ; la tâche de la Cour consiste à rechercher si la voie qu’ils ont empruntée cadre avec les exigences d’un procès équitable (Quaranta c. Suisse, 24 mai 1991, § 30, série A no 205). La nomination d’un conseil n’assure pas à elle seule l’effectivité de l’assistance qu’il peut procurer à l’accusé (Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A n37, et Imbrioscia c. Suisse, 24 novembre 1993, § 38, série A no 275).

238. On ne saurait pour autant imputer à un Etat la responsabilité de toute défaillance d’un avocat d’office ou choisi par l’accusé. L’article 6 § 3 c) n’oblige les autorités nationales compétentes à intervenir que si la carence de l’avocat d’office apparaît manifeste ou si on les en informe suffisamment de quelque autre manière (Sannino c. Italie, no 30961/03, § 49, 27 avril 2006). La Cour a abordé la question du temps dont un avocat d’office doit pouvoir disposer pour se familiariser avec le dossier dans l’affaire Twalib c. Grèce (9 juin 1998, §§ 40-43, Recueil 1998-IV) où, à l’une des deux audiences qui eurent lieu devant elle, la juridiction de première instance avait désigné, pour défendre le requérant, l’avocat de l’un des coaccusés, et avait ordonné « une courte pause » pour lui permettre de consulter le dossier. La Cour a estimé que ces faits s’analysaient en des carences graves de la procédure de première instance, qui avaient pu nuire à la situation du requérant ; elle a cependant considéré que la procédure d’appel, au cours de laquelle s’était tenue une audience avec la participation du requérant et de son conseil, avait remédié à ces défaillances.

239. En l’espèce, le 22 novembre 2001, le requérant a révoqué de son plein gré le mandat qu’il avait confié aux deux avocats de son choix. Etant donné que l’intéressé n’avait chargé de sa défense aucun autre conseil, le tribunal a été contraint de nommer un avocat d’office pour le représenter. Le tribunal a choisi Me Crea, qui a demandé un ajournement « d’au moins six mois » pour se familiariser avec le dossier. Le tribunal lui a octroyé un délai bien plus court – une semaine – et a ajourné la procédure au 1er décembre 2001 (paragraphe 76 ci-dessus). A cette date, MCrea a obtenu un nouveau délai expirant le 12 janvier 2002 ; comme elle n’avait pas encore commencé à exécuter son mandat au cours des débats, une autre avocate d’office, MTotis, a été nommée pour représenter le requérant à l’audience du 1er décembre 2001, consacrée à la nouvelle audition d’un témoin (paragraphes 77-78 ci-dessus). Me Crea a représenté le requérant aux audiences des 12 et 14 janvier 2002, qui portaient sur les demandes du parquet en vue de la production de certains documents bancaires et de l’audition de nouveaux témoins (paragraphe 79 ci-dessus). Enfin, le 28 janvier 2002, le tribunal a été informé que le requérant avait renouvelé le mandat des avocats de son choix (paragraphe 80 ci-dessus).

240. Il ressort des faits exposés ci-dessus que Me Crea a disposé d’un délai global de quarante-neuf jours (du 23 novembre 2001 au 12 janvier 2002) pour se familiariser avec le dossier, ce qui ne saurait passer pour insuffisant. Quant à Me Totis, elle a invoqué une incompatibilité mais n’a demandé aucun ajournement ; elle était par ailleurs la représentante d’un coïnculpé accusé d’avoir été corrompu par le requérant, et connaissait les pièces du dossier. Il est vrai que Me Totis a décidé, pour des raisons déontologiques, de ne poser aucune question au témoin qui a été entendu à l’audience du 1er décembre 2001 ; il n’en demeure pas moins que le témoin en question, Mme Ariosto, avait déjà été interrogée par les avocats choisis par le requérant.

241. En tout état de cause, la première audience de la procédure IMI/SIR a eu lieu le 5 novembre 1998 ; l’affaire s’est terminée le 4 mai 2006, avec l’adoption de l’arrêt de la Cour de cassation. Au cours de cette période de sept ans et six mois, le requérant a été représenté par des avocats d’office pendant un bref laps de temps de deux mois et six jours (du 22 novembre 2001 au 28 janvier 2002). L’incidence que l’assistance prodiguée par ces derniers a eue sur la procédure considérée dans son ensemble n’a pu être qu’extrêmement modeste, et toute défaillance éventuelle ayant pu nuire au requérant a été réparée par la participation des conseils de son choix aux très nombreuses audiences qui ont eu lieu après celle du 14 janvier 2002 (voir, mutatis mutandis, Twalib précité, §§ 40-43), ainsi qu’aux procédures d’appel et de cassation.

242. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

7. Griefs relatifs au manque allégué d’impartialité des juridictions internes et à la méconnaissance du principe de la présomption d’innocence

a) Allégations du requérant

243. Le requérant se plaint d’un manque d’impartialité des juridictions chargées de son affaire. Il soutient que son procès a été caractérisé par l’opposition d’une grande partie de la magistrature au parti politique dont il était membre, comme le montreraient de nombreux comportements « anormaux » (déni d’accès au dossier no 9520/95, circonstances entourant les écoutes dans le bar « Mandara » et refus d’accepter les empêchements parlementaires de l’accusé). Cela serait symptomatique tant du parti pris des juges et des magistrats du parquet à son égard que d’une violation du principe de la présomption d’innocence. Les juges du fond se seraient fondés non pas exclusivement sur les preuves produites au cours du procès mais aussi sur les convictions qu’ils se seraient forgées sur la base d’éléments extérieurs et sur les conséquences négatives de l’exercice par lui-même du droit de garder le silence, et ils n’auraient pas fait jouer le bénéfice du doute en sa faveur. De plus, le tribunal de Milan a fixé le quantum de la peine en tenant compte, parmi d’autres facteurs, de sa conduite au cours du procès. Ainsi, il a été pénalisé pour avoir fait usage des instruments légaux que le droit national mettait à sa disposition.

244. Le requérant soutient, en particulier, que sa condamnation ne reposait pas sur les preuves recueillies par le parquet mais plutôt sur l’insuffisance alléguée des éléments produits par la défense afin de démontrer son innocence. Cela aurait inversé la charge de la preuve. Comme il ressortirait d’une lecture de l’arrêt de la Cour de cassation, les seuls indices à son encontre étaient : a) les irrégularités de la procédure civile IMI/SIR ; b) la note trouvée dans le cabinet de Me Pacifico, à partir de laquelle le juge Metta aurait copié son arrêt rendu dans la procédure civile IMI/SIR ; c) les disponibilités monétaires anormales du juge Metta après le prononcé dudit arrêt ; d) la circonstance que les héritiers Rovelli avaient versé sur le compte bancaire à l’étranger du requérant une importante somme d’argent en 1994 ; e) le fait qu’en 1992, soit deux ans après l’arrêt litigieux, il y avait eu des contacts téléphoniques entre M. Metta et lui. Or rien n’aurait prouvé qu’il avait versé de l’argent au juge Metta ; cependant, les juges internes auraient prononcé un verdict de culpabilité car le requérant n’avait pas démontré qu’il n’avait pas rémunéré ce juge.

245. Le requérant souligne aussi avoir été la victime d’une virulente campagne de presse tendant à affirmer sa culpabilité, et soutient que le fait que la Présidence du Conseil des Ministres et le ministère de la Justice se soient constitués parties civiles dans la procédure pénale dirigée contre lui pourrait être, en soi, contraire à l’article 6 § 2 de la Convention.

246. Le requérant conteste en particulier l’impartialité de trois des juges chargés de son affaire, à savoir MM. Rossato (le GUP de Milan), Carfì (le président du tribunal de Milan) et Ambrosini (le président de la sixième section de la Cour de cassation).

247. En ce qui concerne M. Carfì, le requérant critique son comportement au cours du procès de première instance, les déclarations faites à la presse et le contenu du préambule et de la partie relative à la fixation de la peine du jugement de tribunal de Milan (paragraphes 94-100 ci-dessus). Le manque d’impartialité de M. Carfì ressortirait également du contenu de l’ordonnance du tribunal de Milan du 21 novembre 2001 (paragraphes 70-72 ci-dessus) et de la lettre du 22 octobre 2001 adressée au Président de la Chambre des députés (paragraphe 73 ci-dessus). De l’avis du requérant, cette lettre démontre que M. Carfì avait l’intention de continuer les débats en dépit de la décision de la Cour constitutionnelle. En outre, le requérant dénonce le comportement de M. Carfì à l’audience du 21 novembre 2001 (paragraphe 74 ci-dessus) et souligne que celui-ci aurait pu vérifier que les débats parlementaires étaient en cours en regardant la télévision ou en consultant Internet.

248. Quant à M. Ambrosini, son manque d’impartialité ressortirait tant du contenu de sa lettre à la ministre de l’Education nationale que de ses idées politiques (paragraphes 135-136 ci-dessus).

b) Appréciation de la Cour

249. La Cour note tout d’abord qu’elle ne voit pas en quoi le fait que le ministère de la Justice et la Présidence du Conseil des Ministres se soient constitués parties civiles dans la procédure IMI/SIR pourrait être constitutif d’une violation du principe de la présomption d’innocence (voir, mutatis mutandis, Kamasinski précité, § 93). En l’espèce, le ministère de la Justice et la Présidence du Conseil des Ministres ont estimé que les épisodes de corruption incriminés avaient porté atteinte aux intérêts des administrations qu’ils représentaient. Leur constitution de partie civile ne préjugeait en rien de l’appréciation par les tribunaux internes de l’innocence ou de la culpabilité du requérant.

250. Pour autant que le requérant soutient que, contrairement à la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, Barberà, Messegué et Jabardo précité, § 77, John Murray c. Royaume-Uni, 8 février 1996, § 54, Recueil 1996-I, et Telfner c. Autriche, no 33501/96, § 15, 20 mars 2001), dans son cas, la charge de la preuve a été déplacée de l’accusation sur la défense, il y a lieu de noter que la condamnation de l’intéressé a été prononcée sur la base d’un faisceau d’indices jugés précis, graves et concordants. La circonstance que les juridictions internes n’aient pas pu trouver la preuve comptable de tous les transferts d’argent qui, selon le parquet, ont eu lieu entre les corrupteurs et les magistrats corrompus n’implique pas une méconnaissance de la présomption d’innocence, car il était loisible aux juges nationaux de déduire l’existence de tels transferts de la conduite des accusés, de leurs disponibilités financières et des autres opérations comptables antérieures ou postérieures.

251. La Cour a également examiné les allégations du requérant concernant la prétendue opposition d’une grande partie de la magistrature au parti dont il était membre et la campagne de presse dont il aurait été victime. Elle observe qu’au moment où les accusations de corruption dans des actes judiciaires ont été formulées à son encontre, le requérant, ancien ministre, était un membre du Parlement et une personnalité éminente du parti politique Forza Italia. Compte tenu de la gravité des faits dont il était accusé, il était inévitable, dans une société démocratique, que son procès attire l’attention des médias et de l’opinion publique. De plus, les vicissitudes du procès et, notamment, l’adoption de lois telles que la loi « Cirami », la loi en matière de commissions rogatoires et la loi no 251 de 2005 n’ont pu qu’augmenter l’intérêt des médias et le débat public au sujet de la procédure pénale IMI/SIR.

252. A cet égard, il convient de rappeler que dans son arrêt Craxi (précité, §§ 102-108), la Cour a écarté les allégations du requérant en observant qu’il est loisible à la presse d’exprimer des commentaires parfois sévères sur une affaire sensible concernant une personnalité éminente et que la condamnation litigieuse avait été prononcée à l’issue d’une procédure contradictoire. Des considérations analogues s’appliquent en la présente espèce.

253. La Cour a pris connaissance des déclarations faites par plusieurs magistrats à la presse et des articles, produits par le requérant, parus dans la revue Questione Giustizia, ainsi que du document de l’ANM du 13 juillet 2002 (paragraphes 139-144 ci-dessus). Dans leur ensemble, ces textes contiennent des critiques du climat politique entourant le procès, des réformes législatives proposées par le gouvernement et de la stratégie défensive du requérant. Ils n’affirment cependant en rien la culpabilité de ce dernier. Toujours sans se pencher sur la question de savoir si l’intéressé avait, ou non, commis les faits qu’on lui reprochait, l’ANM a en outre montré son opposition à la possibilité, pour un accusé, d’avoir accès à la liste des magistrats ayant adhéré à un courant de la magistrature. Aux yeux de la Cour, la circonstance que, en application des principes de la démocratie et du pluralisme, certains magistrats ou groupes de magistrats puissent, en leur qualité d’experts en matière juridique, exprimer des réserves ou des critiques à l’égard des projets de loi du gouvernement ne saurait nuire à l’équité des procédures judiciaires auxquelles ces projets pourraient s’appliquer. Il convient également d’observer que les juridictions appelées à connaître de la cause du requérant étaient entièrement composées de juges professionnels jouissant d’une expérience et d’une formation leur permettant d’écarter toute influence extérieure au procès (voir, mutatis mutandis, D’Urso et Sgorbati c. Italie (déc.), no 52948/99, 3 avril 2001, et Priebke c. Italie (déc.), n48799/99). Par ailleurs, il était loisible à des juges autres que ceux qui siégeaient dans l’affaire de formuler des commentaires sur la stratégie défensive, largement relatée et discutée par les médias, d’un personnage éminent.

254. A la lumière de ce qui précède, la Cour ne saurait conclure que les commentaires émis dans le cadre de la procédure IMI/SIR ont réduit les chances du requérant de bénéficier d’un procès équitable (voir, mutatis mutandis, Pullicino c. Malte (déc.), no 45441/99, 15 juin 2000, Papon c. France (déc.), no 54210/00, 19 novembre 2001, et Akay c. Turquie (déc.), no 34501/97, 19 février 2002).

255. Pour ce qui est des allégations du requérant concernant la partialité de M. Rossato, la Cour rappelle que ce juge était uniquement chargé de décider, à l’issue de l’audience préliminaire, si les accusés devaient ou non être renvoyés en jugement. Or, aux termes de la jurisprudence de la Cour, les garanties d’indépendance et d’impartialité propres au procès équitable fixées par l’article 6 § 1 de la Convention concernent essentiellement les juridictions appelées à décider du fond d’une accusation en matière pénale et ne s’appliquent pas au représentant du parquet – ce dernier étant notamment l’une des parties à une procédure judiciaire contradictoire (Priebke, décision précitée, et Forcellini c. Saint Marin (déc.) n34657/97, 28 mai 2002) – ou à l’organe qui, sans se pencher sur son innocence ou sa culpabilité, est chargé de décider si l’accusé doit être jugé par un « tribunal » (De Lorenzo, décision précitée, pp. 26-27).

256. Il reste à déterminer si les craintes du requérant concernant un éventuel manque d’impartialité de M. Carfì, président du tribunal de Milan, et de M. Ambrosini, président de la sixième section de la Cour de cassation, étaient objectivement justifiées.

257. Les principes généraux concernant les démarches pour évaluer l’impartialité d’un « tribunal » sont exposés, entre autres, dans les arrêts suivants : Padovani c. Italie, 26 février 1993, § 20, série A no 257-B ; Thomann c. Suisse, 10 juin 1996, § 30, Recueil 1996-III ; Ferrantelli et Santangelo c. Italie, 7 août 1996, § 58, Recueil 1996-III ; Castillo Algar c. Espagne, 28 octobre 1998, § 45, Recueil 1998-VIII ; Wettstein c. Suisse, no 33958/96, § 44, CEDH 2000-XII ; Morel c. France, no 34130/96, § 42, CEDH 2000-VI ; Cianetti c. Italie, no 55634/00, § 37, 22 avril 2004. Il convient en outre de rappeler que la plus grande discrétion s’impose aux autorités judiciaires lorsqu’elles sont appelées à juger, afin de garantir leur image de juges impartiaux. Cette discrétion doit les amener à ne pas utiliser la presse, même pour répondre à des provocations. Ainsi le veulent les impératifs supérieurs de la justice et la grandeur de la fonction judiciaire. Faisant application de ces principes, la Cour a, par exemple, conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention dans une affaire où le président du tribunal avait employé publiquement des expressions sous-entendant une appréciation négative de la cause du requérant avant de présider l’organe judiciaire appelé à la trancher (Buscemi c. Italie, no 29569/95, §§ 67-69, CEDH 1999-VI).

258. La Cour a cependant eu l’occasion de souligner que des craintes quant à un manque d’indépendance et d’impartialité des juges nationaux se fondant uniquement sur le contenu des décisions judiciaires prononcées contre un requérant (Bracci précité, § 52) ou sur les simples circonstances qu’une juridiction interne a commis des erreurs de fait ou de droit et que sa décision a été annulée par une instance supérieure (Sofri et autres, décision précitée) ne sauraient passer pour objectivement justifiées. De plus, elle a estimé que le fait qu’un juge ait des convictions politiques différentes de celles de l’accusé ne saurait, en soi, donner lieu à un conflit d’intérêts de nature à justifier le désistement du juge en question (M.D.U. c. Italie, décision précitée). Cela est d’autant plus vrai lorsqu’aucune raison objective ne permet de soupçonner que le magistrat mis en cause n’a pas regardé le serment qu’il a prêté lors de son entrée en fonctions comme prioritaire par rapport à tout autre engagement social ou politique (voir, mutatis mutandis, Salaman c. Royaume-Uni (déc.), no 43505/98, 15 juin 2000). En particulier, la Cour a jugé manifestement mal fondées des craintes relatives à un manque d’impartialité fondées sur les opinions politiques des juges dans des circonstances où aucun lien n’existait entre l’objet de la procédure nationale (qui, en l’espèce, concernait des infractions fiscales et ne mettait donc pas en cause les idées politiques du prévenu), et les propos ou l’engagement politique des juges concernés (M.D.U. c. Italie, décision précitée).

259. Selon les allégations du requérant, M. Carfì aurait montré au cours du procès une attitude hostile à l’égard de la défense et, après le prononcé du jugement de première instance, se serait livré à des considérations inappropriées dans des entretiens accordés à la presse. La Cour a examiné les déclarations faites pendant les débats par M. Carfì (paragraphes 94-96 ci-dessus) sans y déceler le moindre signe de partialité. Il est vrai que, dans le préambule de la motivation du jugement de première instance dont il a revendiqué la paternité, M. Carfì a, pour l’essentiel, répondu aux accusations selon lesquelles le tribunal qu’il présidait était « aux ordres d’un parti politique » (paragraphes 97-98 ci-dessus). Bien qu’à la rigueur superflu, un tel préambule avait pour but de rassurer quant à la sérénité de jugement du tribunal en déclarant que celui-ci, en dépit des attaques dont il avait fait l’objet, était au service de la loi et n’avait pas été influencé par les rumeurs entourant le procès. Partant, il ne saurait être constitutif d’une violation des principes du procès équitable, qu’il visait au contraire à réaffirmer.

260. Selon un article paru après le prononcé du jugement de première instance dans le quotidien Il Messaggero, lorsque les chroniqueurs ont demandé à M. Carfì si, dans le cadre de la rédaction du jugement de première instance, il s’était « ôté une épine du pied », l’intéressé aurait répondu : « Je dirais que oui » (paragraphe 96 ci-dessus). La Cour observe d’emblée qu’à l’époque de l’entretien litigieux, M. Carfì avait terminé l’examen de l’affaire du requérant. En tout état de cause, la réponse donnée par M. Carfì aux journalistes se prête à des interprétations différentes car la question elle-même était ambiguë. On ne savait pas clairement, en effet, quelles étaient les « épines » fichées dans le pied du magistrat mis en cause et d’où elles provenaient. On ne saurait, dès lors, interpréter ses affirmations comme un signe d’hostilité envers le requérant ou la défense.

261. Il en va de même pour ce qui est de la lettre adressée par M. Ambrosini à la ministre de l’Education nationale (paragraphe 135 ci-dessus). De l’avis du requérant, cette lettre se référait à lui et contenait des reproches implicites à son égard. Il convient d’observer, cependant, que la lettre incriminée a été écrite au moins un an et sept mois avant le début de la procédure en cassation. De plus, elle contient pour l’essentiel une critique d’un projet de réforme de l’ordre judiciaire. Ces propos ne révèlent, en tant que tels, aucun parti pris à l’égard du requérant et ne sous-entendent pas une appréciation négative de sa cause.

262. Pour ce qui est du passage dans lequel M. Ambrosini se référerait implicitement au requérant, la Cour estime que la référence en question est loin d’être établie. M. Ambrosini s’est en effet borné à citer l’affaire d’un certain Muccioli, une personnalité publique qui « luttait dans le procès et non contre le procès afin que son innocence fût reconnue ». Or le requérant affirme qu’il a souvent été accusé de « se défendre du procès » et que le passage incriminé visait à opposer sa conduite, jugée incorrecte, à celle, jugée irréprochable, de M. Muccioli. La Cour ne dispose cependant pas d’éléments objectifs suffisants pour souscrire à cette thèse et considère que, dans ces circonstances, il ne lui appartient pas de se lancer dans des spéculations quant à l’interprétation pouvant être donnée aux termes utilisés par M. Ambrosini.

263. Le requérant allègue également que ce juge était un extrémiste politique de gauche car il s’était porté candidat pour le Parti communiste aux élections législatives de 1979 et avait prôné, dans des articles écrits entre 1970 et 1979, une lecture critique de la loi par les magistrats « engagés ». M. Ambrosini aurait également montré sa sympathie pour les luttes ouvrières et son animosité envers les « fascistes » et il aurait, en 2004, critiqué les réformes de la justice proposées par le centre droit. Dès lors, il ne pouvait qu’être hostile envers le requérant, porteur d’une idéologie opposée.

264. La Cour estime qu’en ce qui concerne cet aspect la présente affaire s’apparente à l’affaire M.D.U. c. Italie, précitée. Tout comme dans l’affaire M.D.U., aucune raison objective ne permet en l’espèce de penser que M. Ambrosini n’a pas considéré le serment qu’il a prêté lors de son entrée en fonctions comme prioritaire par rapport à tout autre engagement social ou politique ; de plus, il n’existe aucun lien entre l’objet de la procédure nationale (qui concernait des épisodes de corruption et ne mettait donc pas en cause les idées politiques du prévenu) et les propos ou l’engagement politique du juge concerné. Enfin, l’engagement politique et les articles politiquement engagés de M. Ambrosini remontent aux années 1970, soit environ vingt-cinq ans avant le début de la procédure en cassation.

265. La Cour est d’avis qu’il aurait été préférable que les magistrats impliqués dans l’affaire du requérant eussent fait preuve d’une plus grande discrétion dans leurs commentaires publics. Cependant, elle estime que MM. Carfì et Ambrosini n’ont ni montré un parti pris à l’encontre du requérant ni employé publiquement des expressions sous-entendant une appréciation négative de sa cause ; dès lors, les craintes de l’intéressé quant à un manque d’impartialité de ces deux juges de ne sauraient passer pour objectivement justifiées (voir, a contrario, Buscemi précité, §§ 67-69, et Olujić c. Croatie, no 22330/05, §§ 56-68, 5 février 2009).

266. Enfin, pour autant que la partialité des juridictions internes résiderait dans les décisions prises par ces organes (comme, par exemple, l’ordonnance du tribunal de Milan du 21 novembre 2001 – paragraphes 70-72 ci-dessus), la Cour ne saurait accepter, en tant que telles, les allégations du requérant. Elle a par ailleurs examiné les questions liées au déni d’accès au dossier no 9520/95 et au refus d’accepter les empêchements parlementaires de l’accusé sans déceler la moindre apparence de violation des principes du procès équitable. Au demeurant, elle ne voit pas en quoi la circonstance que le tribunal de Milan a demandé au Président de la Chambre des députés le calendrier des travaux parlementaires afin de fixer les audiences suivantes sans interférer avec le mandat parlementaire du requérant (paragraphe 73 ci-dessus) pourrait s’analyser en un signe d’hostilité envers l’intéressé. Quant à l’épisode des écoutes effectuées dans le bar « Mandara » (paragraphes 48-55 ci-dessus), le requérant met en cause, pour l’essentiel, les modalités d’acquisition d’une preuve, et donc une matière dont la règlementation incombe, au premier chef, à la loi nationale, tout comme la bonne foi des agents de police ayant effectué les enregistrements litigieux. La Cour ne dispose d’aucun élément permettant d’étayer ces allégations ou de donner à penser que lesdits agents auraient menti au sujet du contenu des conversations qu’ils ont écoutées. En tout état de cause, les écoutes en question ne concernaient pas le requérant mais l’un de ses coïnculpés, et il appartient aux juridictions nationales de décider de la crédibilité d’un témoignage fait devant elles.

267. Il convient également de rappeler que la Convention n’interdit pas au juge national de fixer le quantum de la peine en ayant égard à la personnalité de l’accusé (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 90, série A no 22). Par ailleurs, l’article 133 du CP prévoit que, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire dans ce domaine, le juge doit tenir compte des potentialités criminelles du coupable, établies, entre autres, sur la base de sa conduite après la commission de l’infraction, et donc aussi pendant son procès (paragraphe 168 ci-dessus). Dès lors qu’il a été dûment prouvé que l’accusé est coupable de l’infraction en cause, l’article 6 § 2 ne peut s’appliquer en rapport avec les allégations énoncées au sujet de la personnalité et du comportement de l’intéressé dans le cadre de la procédure d’infliction de la peine, à moins que ces allégations soient d’une nature et d’un degré tels qu’elles s’analysent en la formulation d’une nouvelle « accusation », au sens autonome que possède cette notion dans le cadre de la Convention (Phillips c. Royaume-Uni, n41087/98, § 35, CEDH 2001‑VII). Or aucune nouvelle accusation n’a été formulée contre le requérant en raison de son comportement dans le cadre de la procédure judiciaire IMI/SIR.

268. Compte tenu de l’ensemble des éléments soulignés ci-dessus, la Cour ne décèle aucune apparence de violation des garanties d’indépendance et d’impartialité voulues par l’article 6 de la Convention ou des principes du procès équitable et de la présomption d’innocence.

269. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

B. Griefs tirés de l’article 7

270. Le requérant considère que sa condamnation pour corruption dans des actes judiciaires et le fait qu’il n’a pas pu bénéficier des délais de prescription introduits par la loi no 251 de 2005 ont violé l’article 7 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.

2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »

1. Grief relatif à la condamnation pour corruption dans des actes judiciaires

a) Allégations du requérant

271. Le requérant conteste tout d’abord sa condamnation à six ans d’emprisonnement pour corruption dans des actes judicaires.

272. Il observe qu’étant donné que la loi no 86 de 1990 n’a pas modifié l’article 321 du CP (paragraphe 166 ci-dessus), à partir d’avril 1990 le corrupteur ne pouvait pas être puni aux termes de l’article 319ter, mais seulement aux termes des articles 318 et 319, qui sanctionnent l’infraction de corruption et prévoient des peines plus légères. Ce n’est qu’à partir du 17 mars 1992, date de l’entrée en vigueur de la loi no 181 de 1992 (paragraphe 167 ci-dessus), que le corrupteur – et non pas seulement l’agent de la fonction publique corrompu – serait devenu punissable pour l’infraction prévue à l’article 319ter du CP.

273. Or la Cour de cassation aurait indiqué que cette infraction était constituée si l’accord de corruption avait eu lieu avant l’accomplissement de l’acte judiciaire incriminé, la rémunération d’actes antérieurs n’étant pas punissable. Selon les juges du fond, l’accord de corruption avec le juge Metta pour l’affaire IMI/SIR n’avait pas été conclu « avant décembre 1989 », date de l’assignation de l’affaire au magistrat en question, qui a rendu son jugement le 26 novembre 1990. Il est vrai que, selon la thèse des juges nationaux, le versement de la rémunération de la corruption se serait poursuivi jusqu’en 1993 ; cependant, il s’agirait de faits postérieurs à la réalisation des éléments constitutifs de l’infraction prévue à l’article 319ter du CP.

274. Le requérant indique que, en dépit de ce qui précède, il a été condamné en tant que corrupteur pour cette infraction, plus grave que la corruption simple, pour des faits nécessairement commis avant le prononcé du jugement du 26 novembre 1990, et donc avant l’entrée en vigueur de la loi no 181 de 1992 (17 mars 1992). Il estime dès lors avoir été puni pour une action (intervention en tant que « corrupteur » afin d’influencer l’issue d’un différend judiciaire) qui, au moment où elle a été commise, n’était pas constitutive en droit national de l’infraction sanctionnée par l’article 319ter du CP. Les conclusions auxquelles est parvenue la Cour de cassation seraient le fruit d’une interprétation extensive de la loi pénale au détriment de l’accusé.

b) Appréciation de la Cour

275. La garantie que consacre l’article 7, élément essentiel de la prééminence du droit, occupe une place primordiale dans le système de protection de la Convention. On doit l’interpréter et l’appliquer de manière à assurer une protection effective contre les poursuites, les condamnations et les sanctions arbitraires (S.W. c. Royaume-Uni et C.R. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 34 et § 32 respectivement, série A nos 335-B et 335-C, et Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 137, 12 février 2008).

276. L’article 7 § 1 de la Convention ne se borne pas à prohiber l’application rétroactive du droit pénal au détriment de l’accusé. Il consacre aussi le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege). S’il interdit en particulier d’étendre le champ d’application des infractions existantes à des faits qui, antérieurement, ne constituaient pas des infractions, il commande en outre de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé, par exemple par analogie (voir, parmi d’autres, Coëme et autres précité, § 145). Le justiciable doit pouvoir savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 52, série A no 260-A, Achour c. France [GC], no 67335/01, § 41, CEDH 2006-IV, et Sud Fondi Srl et autres c. Italie, no 75909/01, § 107, 20 janvier 2009).

277. La tâche qui incombe à la Cour est donc de s’assurer que, au moment où un accusé a commis l’acte qui a donné lieu aux poursuites et à la condamnation, il existait une disposition légale rendant l’acte punissable et que la peine imposée n’a pas excédé les limites fixées par cette disposition (Coëme et autres précité, § 145, et Achour précité, § 43).

278. La notion de « droit » (« law ») utilisée à l’article 7 correspond à celle de « loi » qui figure dans d’autres articles de la Convention ; elle englobe le droit d’origine tant législative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, entre autres celles d’accessibilité et de prévisibilité (Kokkinakis précité, §§ 40-41, Cantoni c. France, 15 novembre 1996, § 29, Recueil 1996‑V, Coëme et autres précité, § 145, et E.K. c. Turquie, no 28496/95, § 51, 7 février 2002).

279. En raison même du caractère général des lois, le libellé de celles-ci ne peut présenter une précision absolue. Aussi beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique (Cantoni précité, § 31, et Kokkinakis précité, § 40). Dès lors, dans quelque système juridique que ce soit, aussi clair que le libellé d’une disposition légale puisse être, y compris une disposition de droit pénal, il existe inévitablement un élément d’interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s’adapter aux changements de situation.

280. La fonction de décision confiée aux juridictions sert précisément à dissiper les doutes qui pourraient subsister quant à l’interprétation des normes (Kafkaris précité, § 141). D’ailleurs, il est solidement établi dans la tradition juridique des Etats parties à la Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement à l’évolution progressive du droit pénal (Kruslin c. France, 24 avril 1990, § 29, série A no 176‑A). On ne saurait interpréter l’article 7 de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prévisible (Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98, § 50, CEDH 2001‑II).

281. La portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. La prévisibilité d’une loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé (Achour précité, § 54, et Scoppola c. Italie [GC], no 10249/03, § 102, CEDH 2009‑...).

282. La Cour note tout d’abord que, en raison d’un défaut technique de la loi no 86 de 1990, qui a introduit dans le système juridique italien l’infraction de corruption dans des actes judiciaires, le corrupteur ne pouvait pas en 1990 être puni pour cette infraction (prévue à l’article 319ter du CP), mais seulement pour corruption simple (prévue à l’article 319 du CP). Ce n’est qu’à partir du 17 mars 1992, date d’entrée en vigueur de la loi no 181 de 1992, que ce défaut a été corrigé (paragraphes 166-167 ci-dessus). Dès lors, pour déterminer si une personne accusée d’avoir corrompu un agent de la fonction publique pour favoriser une partie dans une procédure judiciaire doit être punie au titre de l’article 319 ou de l’article 319ter du CP, il est essentiel de déterminer la date à laquelle l’infraction a été commise. Les juridictions italiennes ne peuvent appliquer l’article 319ter du CP – et les sanctions plus sévères qui y sont prévues – que si cette date est postérieure au 17 mars 1992.

283. Dans tout système juridique, il appartient aux tribunaux internes d’interpréter les dispositions de droit pénal matériel afin de déterminer, par rapport à la structure de chaque infraction, la date où, tous les éléments constitutifs de celle-ci étant réunis, il y a commission d’un acte punissable. Il s’agit là d’un élément d’interprétation judiciaire auquel la Convention ne saurait faire obstacle, à condition que les résultats auxquels les juridictions internes parviennent soient raisonnablement prévisibles au sens de la jurisprudence de la Cour.

284. En l’espèce, trois juridictions se sont penchées sur la question de l’applicabilité de l’article 319ter du CP. Le tribunal de Milan a d’abord estimé que la date à laquelle l’infraction de corruption dans des actes judiciaires avait été commise était postérieure au 17 mars 1992 car le versement au juge Metta de la rémunération de la corruption avait eu lieu après cette date (paragraphe 92 ci-dessus). La cour d’appel est cependant revenue sur cette interprétation, concluant que le requérant devait être puni pour corruption simple pour les faits commis jusqu’au 17 mars 1992 et pour corruption dans des actes judiciaires pour les faits ultérieurs. Elle a rappelé à cet égard que l’accord de corruption pouvait avoir lieu soit avant, soit après l’accomplissement de l’acte judiciaire incriminé (paragraphe 108 ci-dessus). Enfin, pour ce qui est de la Cour de cassation, tout en estimant que l’accord de corruption devait en principe précéder l’accomplissement de l’acte judiciaire incriminé, elle a considéré que le versement effectif de la rémunération de la corruption, effectué en exécution de cet accord, était de nature à opérer un « déplacement en avant dans le temps » du moment de la commission de l’infraction. Puisque le paiement en question avait eu lieu jusqu’en décembre 1993, c’est-à-dire après le 17 mars 1992, le requérant pouvait être condamné en tant que corrupteur aux termes des articles 319ter et 321 du CP (paragraphe 130 ci-dessus).

285. Aux yeux de la Cour, cette dernière interprétation, qui constitue le motif de doléance du requérant, n’est pas en soi déraisonnable. En effet, puisqu’aux termes de l’article 321 du CP le corrupteur est celui qui « donne ou promet à l’agent de la fonction publique (...) de l’argent ou un autre avantage » (paragraphe 165 ci-dessus), il n’est pas arbitraire de considérer le paiement des sommes convenues lors de l’accord de corruption comme l’un des éléments constitutifs de l’infraction de corruption dans des actes judiciaires. Au demeurant, il convient d’observer que le requérant n’a pas allégué que l’interprétation litigieuse était contraire à une jurisprudence bien établie ou qu’elle n’était pas prévisible en recourant, si nécessaire, à des conseils éclairés.

286. Dans ces conditions, aucune apparence de violation de l’article 7 de la Convention ne saurait être décelée.

287. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. Grief relatif à la non-application des nouveaux délais de prescription

a) Allégations du requérant

288. Invoquant l’article 7 § 1 de la Convention, seul ou combiné avec les articles 14 et 6 § 2, le requérant se plaint de ne pas avoir pu bénéficier des nouveaux délais de prescription prévus par la loi no 251 de 2005 (paragraphe 118 ci-dessus), qui auraient conduit à sa relaxe.

L’article 14 de la Convention se lit ainsi :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

289. Le requérant soutient d’abord que l’article 7 § 1 de la Convention ne garantit pas seulement le principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères mais aussi le principe de rétroactivité de la loi pénale la plus douce. De plus, les dispositions en matière de prescription des infractions seraient des dispositions de droit pénal substantiel et non procédural ; dès lors, elles devraient être appliquées en faveur de l’accusé même si elles sont entrées en vigueur après la commission des infractions, pourvu qu’aucune condamnation définitive n’ait été prononcée. Or, lorsque la loi no 251 de 2005 est entrée en vigueur, pareille condamnation n’aurait pas encore été prononcée à son encontre, puisque son procès était pendant en cassation.

290. En tout état de cause, les choix du législateur devraient être raisonnables et ne pas se heurter à l’interdiction de la discrimination. En l’espèce, le requérant allègue avoir été traité de manière différente – et moins avantageuse – que les personnes accusées d’infractions analogues commises au même moment mais dont le procès n’avait pas encore atteint la phase d’appel à l’époque de l’entrée en vigueur de la loi no 251 de 2005. La disposition transitoire contenue à l’article 10 § 3 de la loi no 251 de 2005 (paragraphe 119 ci-dessus) ferait dépendre l’application de la prescription d’un facteur – la rapidité du procès – qui échappe au contrôle de l’accusé et qui peut être influencé par la conduite du parquet. Il s’agirait donc d’un facteur imprévisible et aléatoire entraînant un risque d’arbitraire.

b) Appréciation de la Cour

291. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 2 b) de la Convention elle ne retient aucune requête individuelle lorsqu’elle est « essentiellement la même qu’une requête précédemment examinée par la Cour (...), et si elle ne contient pas des faits nouveaux ».

292. Elle observe que le requérant a déjà contesté devant elle la conduite de la Cour de cassation qui, malgré les doutes existant quant à la constitutionnalité de la clause transitoire contenue dans la loi no 251 de 2005, a adopté un arrêt rejetant en partie son pourvoi, ce qui a empêché l’intéressé de bénéficier des délais de prescription introduits par les nouvelles dispositions. En particulier, dans le cadre de la requête no 35201/06 (paragraphe 133 ci-dessus), l’intéressé se plaignait, entre autres, d’une violation de l’article 6 de la Convention « en raison du refus de la Cour de cassation d’ajourner la date de l’audience dans l’attente de la décision de la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité de l’article 10 § 3 de la loi no 251 de 2005, ainsi qu’en raison du rejet [du recours] incident de constitutionnalité présenté par son avocat à l’audience du 28 avril 2006 ». Il alléguait également que le rejet de son recours incident était constitutif d’une méconnaissance de son droit à un recours effectif tel que garanti par l’article 13 de la Convention et que, en violation de l’article 2 du Protocole no 7, la Cour de cassation avait été seul juge de la question fondamentale de l’applicabilité de la loi no 251 de 2005. La Cour a examiné ces allégations et les a rejetées pour défaut manifeste de fondement et pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention par une décision du 12 avril 2007 déclarant la requête no 35201/06 irrecevable (paragraphe 134 ci‑dessus).

293. Dans le cadre de la présente requête, le grief du requérant porte sur l’impossibilité de bénéficier des nouveaux délais de prescription en raison de la clause transitoire contenue à l’article 10 § 3 de la loi no 251 de 2005. L’intéressé y voit une violation des articles 7, 14 et 6 § 2 de la Convention. Aux yeux de la Cour, le requérant vise pour l’essentiel à faire réexaminer par elle sous l’angle d’autres clauses de la Convention les faits qui étaient à l’origine de la requête no 35201/06 et qui n’ont pas été jugés constitutifs d’une méconnaissance des articles 6 et 13 de la Convention et 2 du Protocole no 7. A cet égard, il convient de rappeler que, maîtresse de la qualification juridique des faits, la Cour ne se considère pas comme liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements. Un grief se caractérise par les faits qu’il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (Powell et Rayner c. Royaume-Uni, 21 février 1990, § 29, série A no 172, Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil 1998-I, et Scoppola précité, § 54).

294. Il s’ensuit que ce grief est essentiellement le même que celui soulevé par le requérant sous l’angle des articles 6 et 13 de la Convention et 2 du Protocole no 7 dans le cadre de la requête no 35201/06, déclarée irrecevable par la Cour le 12 avril 2007. Puisque le requérant n’a porté à l’attention de la Cour aucun fait nouveau non examiné dans le cadre de la décision sur la recevabilité de la requête no 35201/06, ce grief doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 2 b) et 4 de la Convention.

C. Grief tiré de l’article 8

295. Le requérant se plaint de l’obtention de ses relevés téléphoniques, ordonnée par le tribunal de Milan. Il invoque l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

1. Allégations du requérant

296. Le requérant observe que les relevés en question ont été d’abord obtenus par le parquet, qui s’est borné à prendre contact par courrier avec l’opérateur téléphonique concerné. Ce faisant, le parquet n’aurait pas respecté les normes internes qui, telles qu’interprétées par la Cour de cassation (qui a fait application, par analogie, des dispositions en matière d’écoutes téléphoniques), exigeaient l’adoption d’une ordonnance motivée. Le requérant considère tout d’abord que les règles jurisprudentielles élaborées par la Cour de cassation n’indiquent nullement les conditions, la durée et les modalités d’exécution des décisions en matière d’obtention de relevés téléphoniques. De plus, à supposer même que ces règles jurisprudentielles puissent constituer une base légale suffisante pour une ingérence dans le droit au respect de la vie privée, il serait indéniable que le parquet n’a pas respecté la garantie minimale qu’elles exigent. Par ailleurs, comme noté par la cour d’appel (paragraphe 107 ci-dessus), la procédure suivie par le tribunal de Milan n’aurait pas été correcte car la loi imposait d’ordonner la saisie des relevés auprès de l’opérateur téléphonique et non la simple production des documents illégalement obtenus par le parquet. Le requérant en déduit que l’ingérence dans son droit au respect de sa vie privée n’était pas « prévue par la loi ».

297. Il note, enfin, que les relevés litigieux ont été utilisés pour prouver l’existence de contacts téléphoniques entre lui et le juge Metta, contacts qui ont constitué une « preuve décisive » de sa participation à l’accord de corruption. Il estime que l’utilisation à charge de preuves obtenues au mépris des procédures légales et acquises par le tribunal, qui a comblé les lacunes du ministère public, a violé les principes du procès équitable tels que garantis par l’article 6 de la Convention.

2. Appréciation de la Cour

298. La Cour rappelle que, les communications téléphoniques se trouvant englobées dans les notions de « vie privée » et de « correspondance » au sens de l’article 8, leur interception peut s’analyser en une « ingérence d’une autorité publique » dans l’exercice d’un droit que le paragraphe 1 garantit à un requérant (voir, entre autres et mutatis mutandis, Malone c. Royaume-Uni, 2 août 1984, § 64, série A no 82, et Valenzuela Contreras c. Espagne, 30 juillet 1998, § 47, Recueil 1998-V).

299. Par ailleurs, une ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et, de plus, est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre (Panarisi précité, § 65).

300. Les mots « prévue par la loi », au sens de l’article 8 § 2, veulent d’abord que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais ils ont trait aussi à la qualité de la loi en cause : ils exigent l’accessibilité de celle-ci à la personne concernée, qui de surcroît doit pouvoir en prévoir les conséquences pour elle, et sa compatibilité avec la prééminence du droit (Coban c. Espagne (déc.), no 17060/02, 25 septembre 2006).

301. Il incombe au premier chef aux autorités nationales, et singulièrement aux cours et tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne (voir, parmi beaucoup d’autres, Malone précité, § 79, et Eriksson c. Suède, 22 juin 1989, § 62, série A n156). Par ailleurs, on ne saurait faire abstraction d’une jurisprudence établie. La Cour a en effet toujours entendu le terme « loi » dans son acception « matérielle » et non « formelle » ; dans un domaine couvert par le droit écrit, la « loi » est le texte en vigueur tel que les juridictions compétentes l’ont interprété (Kruslin précité, § 29).

302. Les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence et de l’étendue de la nécessité de l’ingérence, mais elle va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante (voir, mutatis mutandis, Silver et autres c. Royaume-Uni, 25 mars 1983, § 97, série A no 61, et Barfod c. Danemark, 22 février 1989, § 28, série A no 149). Dans le cadre de l’examen de la nécessité de l’ingérence, la Cour doit notamment se convaincre de l’existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus (Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, §§ 50, 54 et 55, série A no 28).

303. En l’espèce les conversations téléphoniques du requérant n’ont pas été écoutées, les autorités s’étant bornées à ordonner la production des relevés téléphoniques relatifs, entre autres, à la ligne de l’intéressé. Ces relevés ne divulguent pas le contenu des conversations téléphoniques du requérant, mais se limitent à indiquer les appels émis ou reçus sur sa ligne, la durée de ces derniers et les numéros de téléphone de ses correspondants. Il n’en demeure pas moins que la production de ces relevés au cours d’un procès public et leur utilisation à l’encontre du requérant ont constitué une « ingérence » d’une autorité publique dans le droit de l’intéressé au respect de sa correspondance. Comme la Cour a eu l’occasion de l’affirmer, il n’est pas décisif à cet égard que le système utilisé ait pris la forme d’un simple « comptage » effectué grâce à un mécanisme enregistrant les numéros composés sur un poste téléphonique donné ainsi que l’heure et la durée de chaque appel (Malone précité, § 87, et Valenzuela Contreras précité, § 47).

304. Quant à la question de savoir si l’ingérence litigieuse était « prévue par la loi », la Cour observe que le parquet n’a pas dûment motivé la décision d’obtenir les relevés téléphoniques. Cependant, le tribunal de Milan a remédié à ce vice de forme en annulant la décision litigieuse pour absence de motivation (paragraphe 86 ci-dessus ; voir, mutatis mutandis, Craxi c. Italie (déc.), no 25337/94, 7 décembre 2000). Estimant que ces éléments de preuve étaient utiles pour clarifier la nature des relations entre les accusés, il a ordonné à nouveau, cette fois avec une motivation adéquate, la production des relevés. Il est vrai que la cour d’appel de Milan a estimé que le tribunal aurait dû ordonner non la production d’office des relevés, mais leur saisie (paragraphe 107 ci-dessus) ; il n’en demeure pas moins que la cour d’appel elle-même a considéré que cet éventuel vice de procédure s’analysait en une simple irrégularité n’entraînant aucune conséquence sur le plan de la validité du moyen de preuve en question. De plus, la thèse selon laquelle le tribunal était tenu de saisir les relevés chez l’opérateur téléphonique concerné a été finalement écartée par la Cour de cassation, qui a observé que les relevés ont été obtenus là où ils étaient disponibles et qu’aucun doute ne subsistait quant à leur provenance et à leur authenticité (paragraphe 129 ci-dessus).

305. La Cour observe ensuite que, comme l’admet le requérant lui-même, les juridictions internes ont appliqué par analogie à la production des relevés les dispositions en matière d’écoutes téléphoniques (paragraphe 169 ci-dessus). Or, rien ne prouve que ces dispositions n’offraient pas les garanties requises par l’article 8 de la Convention.

306. A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que l’ingérence litigieuse était « prévue par la loi ». De plus, elle visait à permettre la manifestation de la vérité dans le cadre d’une procédure criminelle et tendait donc à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales (Coban, décision précitée, et Panarisi précité, § 73).

307. Il reste à examiner si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ces objectifs. A cet égard, il convient d’observer que la production des relevés a permis d’établir l’existence et la fréquence des contacts téléphoniques entre certains accusés à l’époque où, selon le parquet, les infractions avaient été commises. Cette mesure a donc contribué à l’établissement des faits dans une procédure pénale concernant des épisodes de corruption d’une gravité extrême. Par ailleurs, le requérant a bénéficié d’un « contrôle effectif » pour contester la production des relevés. En effet, le tribunal de Milan a examiné – et censuré – la légalité des mesures prises par le parquet, et la cour d’appel de Milan ainsi que la Cour de cassation se sont penchées sur les exceptions du requérant tirées de l’illégalité de l’ordonnance émise par le tribunal (voir, mutatis mutandis, Panarisi précité, §§ 75-76).

308. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que l’intéressé a bénéficié d’un « contrôle effectif » tel que voulu par la prééminence du droit et apte à limiter l’ingérence litigieuse à ce qui était « nécessaire dans une société démocratique ». A la lumière des principes qui se dégagent de la jurisprudence des organes de la Convention, elle considère que rien dans le dossier ne permet de déceler une apparence de violation par les juridictions italiennes du droit au respect de la vie privée et de la correspondance tel que reconnu par l’article 8 de la Convention.

309. Dans ces conditions, l’utilisation des relevés comme élément de preuve à charge n’a pas porté atteinte à l’équité du procès (voir, mutatis mutandis, Panarisi précité, §§ 91-93).

310. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

D. Grief tiré de l’article 2 du Protocole no 7

311. Le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un double degré de juridiction en matière pénale. Il invoque l’article 2 du Protocole no 7, ainsi libellé :

« 1. Toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. L’exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi.

2. Ce droit peut faire l’objet d’exceptions pour des infractions mineures telles qu’elles sont définies par la loi ou lorsque l’intéressé a été jugé en première instance par la plus haute juridiction ou a été déclaré coupable et condamné à la suite d’un recours contre son acquittement. »

1. Allégations du requérant

312. Le requérant observe que, l’ayant relaxé de l’infraction de corruption s’agissant de l’épisode « Squillante » (paragraphe 121 ci-dessus), la Cour de cassation aurait dû renvoyer l’affaire aux juges d’appel afin de fixer le quantum de la peine pour l’épisode « Metta ». En effet, selon la jurisprudence de la Cour de cassation elle-même, la possibilité d’une cassation sans renvoi serait limitée aux cas où, à la suite d’une annulation partielle, le juge ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire dans la fixation de la sanction à infliger car elle est une conséquence automatique du vice constaté. Or, lorsqu’il y a acquittement de l’une des infractions relevant du régime de l’infraction continue, le quantum de la peine pour les crimes restants se prêterait à une appréciation discrétionnaire incombant au juge du fond et non à la Cour de cassation. Le requérant cite à cet égard l’arrêt de la cinquième section de la Cour de cassation no 2844 du 21 janvier 1999 et souligne que les juges du fond auraient pu réévaluer les éléments qui les ont conduits à fixer à six ans la peine pour l’épisode « Metta » et à refuser l’octroi de circonstances atténuantes.

2. Appréciation de la Cour

313. Il ressort du texte de l’article 2 du Protocole no 7 que les Etats parties conservent la faculté de décider des modalités d’exercice du droit à réexamen et peuvent restreindre l’étendue de celui-ci ; dans nombre de ces Etats, ledit réexamen se trouve ainsi limité aux questions de droit (Loewenguth c. France (déc.), no 53183/99, CEDH 2000-VI, et Guala c. France (déc.), no 64117/00, 18 mars 2003).

314. La Cour a notamment rejeté les allégations d’un requérant qui soutenait que, ayant écarté une circonstance aggravante à son encontre, la Cour de cassation aurait dû renvoyer l’affaire devant une juridiction inférieure afin que celle-ci fixât à nouveau la peine globale à infliger. Elle a souligné que le requérant avait eu la possibilité de se pourvoir en cassation contre la décision d’appel et que la Cour de cassation avait procédé à un réexamen de la légalité de sa condamnation, ce qui excluait toute apparence de violation du droit à un double degré de juridiction en matière pénale (De Lorenzo, décision précitée).

315. Des considérations analogues s’appliquent en l’espèce. Le requérant, condamné en première instance, a eu le loisir d’interjeter appel et de se pourvoir en cassation contre le verdict de culpabilité. Deux juridictions ont donc réexaminé la pertinence des éléments à sa charge et la légalité de sa condamnation. En particulier, la Cour de cassation a conclu que, pour ce que concernait l’un des épisodes de corruption dont l’intéressé était accusé, les faits reprochés ne s’étaient pas produits (paragraphe 121 ci-dessus). Cela satisfait pleinement aux exigences de l’article 2 du Protocole no 7. Cette disposition n’impose pas à la Cour de cassation de renvoyer dans chaque cas de figure l’affaire devant une juridiction inférieure lorsqu’elle annule une partie de la décision attaquée. En effet, rien n’empêche la juridiction de dernière instance de fixer elle-même le quantum de la peine si elle estime, comme en l’espèce, que les éléments contenus dans le dossier lui permettent d’évaluer les répercussions qu’une annulation partielle a eues sur la sanction à infliger.

316. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Déclare la requête irrecevable.

Françoise Elens-Passos                              Françoise Tulkens

 Greffière adjointe                                             Présidente

 



[1]. Gras et soulignement ajoutés.