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ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

18 mai 2021(*)

Table des matières

 

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le traité d’adhésion

L’acte d’adhésion

La décision 2006/928

Le droit roumain

La Constitution roumaine

Le code civil

Le code de procédure civile

Le code de procédure pénale

Les lois sur la justice

– La loi no 303/2004

– La loi no 304/2004

– La loi no 317/2004

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

Éléments communs aux litiges au principal

Affaire C 83/19

Affaire C 127/19

Affaire C 195/19

Affaire C 291/19

Affaire C 355/19

Affaire C 397/19

Sur la procédure devant la Cour

Sur les questions préjudicielles

Sur la compétence de la Cour

Sur l’éventuel non-lieu à statuer et la recevabilité

Affaire C 83/19

Affaires C 127/19 et C355/19

Affaires C 195/19 et C291/19

Affaire C 397/19

Sur le fond

Sur la première question posée dans les affaires C 83/19, C127/19, C355/19, C291/19 et C397/19

Sur la première question posée dans l’affaire C 195/19, la deuxième question posée dans les affaires C83/19, C127/19, C291/19, C355/19 et C397/19 ainsi que la troisième question posée dans les affaires C127/19, C291/19 et C397/19

– Sur la nature juridique, le contenu et les effets dans le temps de la décision 2006/928

– Sur les effets juridiques de la décision 2006/928 et des rapports de la Commission établis sur la base de cette décision

Sur la quatrième question posée dans l’affaire C 83/19 et la troisième question posée dans l’affaire C355/19

Sur la troisième question posée dans l’affaire C 83/19

Sur les quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C 127/19, la deuxième question posée dans l’affaire C195/19, les quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C291/19 ainsi que les troisième et quatrième questions posées dans l’affaire C355/19

Sur les quatrième à sixième questions posées dans l’affaire C 397/19

Sur la troisième question posée dans l’affaire C 195/19

Sur les dépens

 

« Renvoi préjudiciel – Traité d’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne – Acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union de la République de Bulgarie et de la Roumanie – Articles 37 et 38 – Mesures appropriées – Mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption – Décision 2006/928/CE – Nature et effets juridiques du mécanisme de coopération et de vérification et des rapports établis par la Commission sur le fondement de celui-ci – État de droit – Indépendance de la justice – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Lois et ordonnances gouvernementales d’urgence adoptées en Roumanie au cours des années 2018 et 2019 en matière d’organisation du système judiciaire et de responsabilité des juges – Nomination ad interim aux postes de direction de l’Inspection judiciaire – Mise en place au sein du ministère public d’une section chargée d’enquêter sur les infractions commises au sein du système judiciaire – Responsabilité patrimoniale de l’État et responsabilité personnelle des juges en cas d’erreur judiciaire »

Dans les affaires jointes C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19,

ayant pour objet six demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites, respectivement, par le Tribunalul Olt (tribunal de grande instance d’Olt, Roumanie), par décision du 5 février 2019, parvenue à la Cour le 5 février 2019 (C‑83/19) ; par la Curtea de Apel Piteşti (cour d’appel de Piteşti, Roumanie), par décision du 18 février 2019, parvenue à la Cour le 18 février 2019 (C‑127/19) ; par la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), par décision du 28 février 2019, parvenue à la Cour le 28 février 2019 (C‑195/19) ; par la Curtea de Apel Braşov (cour d’appel de Braşov, Roumanie), par décision du 28 mars 2019, parvenue à la Cour le 9 avril 2019 (C‑291/19) ; par la Curtea de Apel Piteşti (cour d’appel de Piteşti, Roumanie), par décision du 29 mars 2019, parvenue à la Cour le 6 mai 2019 (C‑355/19), ainsi que par le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie), par décision du 22 mai 2019, parvenue à la Cour le 22 mai 2019 (C‑397/19), dans les procédures

Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România »

contre

Inspecţia Judiciară (C‑83/19),

Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România »,

Asociaţia « Mişcarea pentru Apărarea Statutului Procurorilor »

contre

Consiliul Superior al Magistraturii (C‑127/19),

PJ

contre

QK (C‑195/19),

SO

contre

TP e.a.,

GD,

HE,

IF,

JG (C‑291/19),

Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România »,

Asociaţia « Mişcarea pentru Apărarea Statutului Procurorilor »,

OL

contre

Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie – Procurorul General al României (C‑355/19),

et

AX

contre

Statul Român – Ministerul Finanţelor Publice (C‑397/19),

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice–présidente, M. A. Arabadjiev, Mme A. Prechal, MM. M. Vilaras, L. Bay Larsen, N. Piçarra et A. Kumin, présidents de chambre, MM. T. von Danwitz (rapporteur), M. Safjan, D. Šváby, Mme K. Jürimäe, M. P. G. Xuereb, Mme L. S. Rossi et M. I. Jarukaitis, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffiers : Mmes R. Şereş, V. Giacobbo, administratrices et M. R. Schiano, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience des 20 et 21 janvier 2020,

considérant les observations présentées :

–        pour l’Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România », par M. D. Călin ainsi que par Mmes ACodreanu et L. Zaharia,

–        pour  l’Asociaţia « Mişcarea pentru Apărarea Statutului Procurorilor », par Mmes A. Diaconu et A. C. Lăncrănjan ainsi que par M. A. C. Iordache,

–        pour OL, par M. B. C. Pîrlog,

–        pour l’Inspecția Judiciară, par M. L. Netejoru, en qualité d’agent,

–        pour le Consiliul Superior al Magistraturii, par Mme L. Savonea, en qualité d’agent, assistée de Mes R. Chiriță et Ş.–N. Alexandru, avocaţi,

–        pour le Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie – Procurorul General al României, par MM. B. D. Licu et R. H. Radu, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement roumain,  initialement par MM. C.-R. Canţăr et C. T. Băcanu ainsi que par Mmes E. Gane et R. I. Haţieganu, puis par M. C. T. Băcanu ainsi que par Mmes E. Gane et R. I. Haţieganu, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs, L. Van den Broeck et C. Pochet, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement danois, par MM. L. B. Kirketerp Lund et J. Nymann-Lindegren, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman, M. L. Noort et C. S. Schillemans, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement suédois, initialement par Mmes H. Shev, H. Eklinder, C. Meyer-Seitz, J. Lundberg et A. Falk, puis par Mmes H. Shev, H. Eklinder et C. Meyer-Seitz, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, initialement par MM. H. Krämer, M. Wasmeier et I. Rogalski, puis par MM. M. Wasmeier et I. Rogalski, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 23 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent, en substance, sur l’interprétation de l’article 2, de l’article 4, paragraphe 3, de l’article 9 et de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de l’article 67, paragraphe 1, et de l’article 267 TFUE, de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que de la décision 2006/928/CE de la Commission, du 13 décembre 2006, établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption (JO 2006, L 354, p. 56).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant :

–        l’Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » (association « Forum des juges de Roumanie ») (ci-après le « Forum des juges de Roumanie ») à l’Inspecţia Judiciară (Inspection judiciaire, Roumanie) au sujet du refus de cette dernière de fournir des informations d’intérêt public relatives à son activité (affaire C‑83/19) ;

–        le Forum des juges de Roumanie et l’Asociația « Mișcarea pentru Apărarea Statutului Procurorilor » (association « Mouvement pour la défense du statut des procureurs ») (ci-après le « Mouvement pour la défense du statut des procureurs ») au Consiliul Superior al Magistraturii (Conseil supérieur de la magistrature, Roumanie) au sujet de la légalité de deux décisions portant approbation de règlements sur la nomination et la révocation des procureurs exerçant des fonctions de gestion ou d’exécution au sein de la section du ministère public chargée des enquêtes sur les infractions commises au sein du système judiciaire (ci-après la « SIIJ ») (affaire C‑127/19) ;

–        PJ à QK au sujet d’une plainte contre un juge pour abus de fonction (affaire C‑195/19) ;

–        SO à TP e.a., à GD, à HE, à IF et à JG au sujet de plaintes contre des procureurs et des juges pour abus de fonction et appartenance à une organisation criminelle (affaire C‑291/19) ;

–        le Forum des juges de Roumanie, le Mouvement pour la défense du statut des procureurs et OL au Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie – Procurorul General al României (parquet près la Haute Cour de cassation et de justice – Procureur général de la Roumanie) au sujet de la légalité d’un arrêté du Procurorul General al României (Procureur général de la Roumanie) (ci-après le « Procureur général ») portant sur l’organisation et le fonctionnement de la SIIJ (affaire C‑355/19) ;

–        AX au Statul Român – Ministerul Finanţelor Publice (État roumain – ministère des Finances publiques) au sujet d’une demande visant à la réparation du préjudice matériel et moral résultant d’une erreur judiciaire alléguée (affaire C‑397/19).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le traité d’adhésion

3        L’article 2 du traité entre les États membres de l’Union européenne et la République de Bulgarie et la Roumanie, relatif à l’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 11, ci-après le « traité d’adhésion »), qui a été signé le 25 avril 2005 et est entré en vigueur le 1er janvier 2007, dispose, à ses paragraphes 2 et 3 :

« 2.      Les conditions de l’admission et les adaptations des traités sur lesquels l’Union européenne est fondée, que [l’adhésion] entraîne et qui s’appliqueront à compter de la date d’adhésion jusqu’à la date d’entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l’Europe, figurent dans l’acte annexé au présent traité. Les dispositions de cet acte font partie intégrante du présent traité.

3.      [...]

Les actes adoptés avant l’entrée en vigueur du protocole visé à l’article 1er, paragraphe 3, sur la base du présent traité ou de l’acte visé au paragraphe 2 restent en vigueur et leurs effets juridiques sont maintenus jusqu’à la modification ou l’abrogation de ces actes. »

4        L’article 3 de ce traité est libellé comme suit :

« Les dispositions concernant les droits et obligations des États membres ainsi que les pouvoirs et compétences des institutions de l’Union telles qu’elles figurent dans les traités auxquels la République de Bulgarie et la Roumanie deviennent parties s’appliquent à l’égard du présent traité. »

5        L’article 4, paragraphes 2 et 3, dudit traité prévoit :

« 2.      Le présent traité entre en vigueur le 1er janvier 2007 à condition que tous les instruments de ratification aient été déposés avant cette date.

[...]

3.      Par dérogation au paragraphe 2, les institutions de l’Union peuvent adopter avant l’adhésion les mesures visées [...] aux articles 37 et 38 [...] du protocole visé à l’article 1er, paragraphe 3. Ces mesures sont adoptées au titre des dispositions équivalentes [...] des articles 37 et 38 [...] de l’acte visé à l’article 2, paragraphe 2, avant l’entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l’Europe.

Ces mesures n’entrent en vigueur que sous réserve et à la date de l’entrée en vigueur du présent traité. »

 L’acte d’adhésion

6        L’article 2 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 203, ci-après l’« acte d’adhésion »), lequel est entré en vigueur le 1er janvier 2007, prévoit :

« Dès l’adhésion, les dispositions des traités originaires et les actes pris, avant l’adhésion, par les institutions et la Banque centrale européenne, lient la Bulgarie et la Roumanie et sont applicables dans ces États dans les conditions prévues par ces traités et par le présent acte. »

7        L’article 37 de cet acte est libellé comme suit :

« Si la Bulgarie ou la Roumanie n’a pas donné suite aux engagements qu’elle a pris dans le cadre des négociations d’adhésion, y compris les engagements à l’égard de toutes les politiques sectorielles qui concernent les activités économiques ayant une dimension transfrontalière, et provoque ainsi, ou risque de provoquer à très brève échéance, un dysfonctionnement grave du marché intérieur, la Commission peut, pendant une période pouvant aller jusqu’à trois ans à compter de la date d’adhésion, à la demande motivée d’un État membre, ou de sa propre initiative, adopter des mesures appropriées.

Ces mesures sont proportionnées et le choix est donné en priorité à celles qui perturbent le moins le fonctionnement du marché intérieur et, le cas échéant, à l’application des mécanismes de sauvegarde sectoriels en vigueur. Ces mesures de sauvegarde ne peuvent pas être utilisées comme moyen de discrimination arbitraire ou de restriction déguisée des échanges commerciaux entre les États membres. La clause de sauvegarde peut être invoquée même avant l’adhésion sur la base de constatations établies dans le cadre du suivi et les mesures adoptées entrent en vigueur dès la date d’adhésion, à moins qu’une date ultérieure ne soit prévue. Les mesures sont maintenues pendant la durée strictement nécessaire et, en tout état de cause, sont levées lorsque l’engagement correspondant est rempli. Elles peuvent cependant être appliquées au-delà de la période visée au premier alinéa tant que les engagements correspondants n’ont pas été remplis. La Commission peut adapter les mesures arrêtées en fonction de la mesure dans laquelle le nouvel État membre concerné remplit ses engagements. La Commission informe le Conseil en temps utile avant d’abroger les mesures de sauvegarde et elle prend dûment en compte les observations éventuelles du Conseil à cet égard. »

8        L’article 38 dudit acte dispose :

« Si de graves manquements ou un risque imminent de graves manquements sont constatés en Bulgarie ou en Roumanie en ce qui concerne la transposition, l’état d’avancement de la mise en œuvre ou l’application des décisions-cadres ou de tout autre engagement, instrument de coopération et décision afférents à la reconnaissance mutuelle en matière pénale adoptés sur la base du titre VI du traité UE, et des directives et règlements relatifs à la reconnaissance mutuelle en matière civile adoptés sur la base du titre IV du traité CE, la Commission peut, pendant une période pouvant aller jusqu’à trois ans à compter de la date d’adhésion et à la demande motivée d’un État membre ou de sa propre initiative et après avoir consulté les États membres, prendre les mesures appropriées en précisant les conditions et les modalités de leur application.

Ces mesures peuvent prendre la forme d’une suspension temporaire de l’application des dispositions et décisions concernées dans les relations entre la Bulgarie ou la Roumanie et un ou plusieurs autres États membres, sans que soit remise en cause la poursuite de l’étroite coopération judiciaire. La clause de sauvegarde peut être invoquée même avant l’adhésion sur la base de constatations faites dans le cadre du suivi et les mesures adoptées entrent en vigueur dès la date d’adhésion, à moins qu’une date ultérieure ne soit prévue. Les mesures sont maintenues pendant la durée strictement nécessaire et, en tout état de cause, sont levées dès que le manquement constaté est corrigé. Elles peuvent cependant être appliquées au-delà de la période visée au premier alinéa tant que ces manquements persistent. La Commission peut, après avoir consulté les États membres, adapter les mesures arrêtées en fonction de la mesure dans laquelle le nouvel État membre corrige les manquements constatés. La Commission informe le Conseil en temps utile avant d’abroger les mesures de sauvegarde et elle prend dûment en compte les observations éventuelles du Conseil à cet égard. »

9        L’article 39, paragraphes 1 à 3, de l’acte d’adhésion prévoit :

« 1.      Si, sur la base du suivi continu des engagements pris par la Bulgarie et la Roumanie dans le cadre des négociations d’adhésion et notamment dans les rapports de suivi de la Commission, il apparaît clairement que l’état des préparatifs en vue de l’adoption et de la mise en œuvre de l’acquis en Bulgarie et en Roumanie est tel qu’il existe un risque sérieux que l’un de ces États ne soit manifestement pas prêt, d’ici la date d’adhésion du 1er janvier 2007, à satisfaire aux exigences de l’adhésion dans un certain nombre de domaines importants, le Conseil, statuant à l’unanimité sur la base d’une recommandation de la Commission, peut décider que la date d’adhésion prévue de l’État concerné est reportée d’un an, au 1er janvier 2008.

2.      Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, le Conseil peut, statuant à la majorité qualifiée sur la base d’une recommandation de la Commission, prendre la décision visée au paragraphe 1 à l’égard de la Roumanie si de graves manquements au respect par la Roumanie de l’un ou plusieurs des engagements et exigences énumérés à l’annexe IX, point I, sont constatés.

3.      Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, et sans préjudice de l’article 37, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur la base d’une recommandation de la Commission, peut prendre, après une évaluation détaillée qui aura lieu à l’automne 2005 sur les progrès réalisés par la Roumanie dans le domaine de la politique de la concurrence, la décision visée au paragraphe 1 à l’égard de la Roumanie si de graves manquements au respect par la Roumanie des obligations prises au titre de l’accord européen ou de l’un ou plusieurs des engagements et exigences énumérés à l’annexe IX, point II, sont constatés. »

10      L’annexe IX de cet acte, intitulée « Engagements spécifiques contractés par la Roumanie et exigences acceptées par celle‐ci lors de la clôture des négociations d’adhésion le 14 décembre 2004 (visés à l’article 39 de l’acte d’adhésion) », contient le passage suivant :

« I.      En liaison avec l’article 39, paragraphe 2

[...]

3)      Élaborer et appliquer un plan d’action et une stratégie actualisés et intégrés de réforme du système judiciaire, comprenant les principales mesures de mise en œuvre de la loi sur l’organisation du système judiciaire, de la loi sur le statut des magistrats et de la loi sur le Conseil supérieur de la magistrature, entrées en vigueur le 30 septembre 2004. Il faut que ces deux documents actualisés soient présentés à l’Union au plus tard en mars 2005 ; des ressources financières et humaines suffisantes doivent être dégagées pour la mise en œuvre du plan d’action, qui doit être appliqué sans plus tarder et dans le respect des délais fixés. Il faut en outre que la Roumanie démontre, pour mars 2005, que le nouveau système de répartition aléatoire des affaires est pleinement opérationnel.

4)      Renforcer considérablement la lutte contre la corruption et en particulier contre la corruption de haut niveau en garantissant l’application rigoureuse de la législation en matière de lutte contre la corruption ainsi que l’indépendance réelle de l’Office national du ministère public chargé de la lutte contre la corruption, et en présentant, à partir de novembre 2005 et sur une base annuelle, un rapport convaincant sur l’action menée par l’Office contre la corruption de haut niveau. Il faut que l’Office reçoive les effectifs, les ressources budgétaires et en matière de formation, ainsi que les équipements dont il a besoin pour jouer son rôle capital.

5)      Procéder à un audit indépendant des résultats et des effets de la stratégie nationale de lutte contre la corruption actuellement en vigueur ; tenir compte des conclusions et des recommandations émises à l’issue de cet audit dans la nouvelle stratégie pluriannuelle de lutte contre la corruption, qui doit consister en un document unique, exhaustif, arrêté pour mars 2005 au plus tard et accompagné d’un plan d’action prévoyant des critères d’évaluation clairement définis et des résultats à atteindre, ainsi que des dispositions financières adéquates ; la mise en œuvre de la stratégie et du plan d’action doit être supervisée par un organe indépendant clairement défini et déjà existant ; la stratégie doit inclure l’engagement de réviser, d’ici la fin 2005, la procédure criminelle, dont la durée est excessive, pour que les affaires de corruption soient traitées d’une façon rapide et transparente et que des sanctions adéquates ayant un effet dissuasif soient prises ; enfin, elle doit prévoir des mesures visant à réduire considérablement, pour la fin 2005, le nombre d’organes ayant des compétences en matière de prévention de la corruption ou d’enquête dans ce domaine, de façon à éviter tout chevauchement des responsabilités. »

 La décision 2006/928

11      La décision 2006/928 a été adoptée, ainsi qu’il ressort de ses visas, sur le fondement du traité d’adhésion « et notamment [de] son article 4, paragraphe 3 », ainsi que de l’acte d’adhésion « et notamment [de] ses articles 37 et 38 ».

12      Les considérants 1 à 6 et 9 de cette décision énoncent :

« (1)      L’Union européenne est fondée sur l’État de droit, un principe commun à tous les États membres.

(2)      L’espace de liberté, de sécurité et de justice et le marché intérieur instaurés par le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne reposent sur la conviction réciproque que les décisions et pratiques administratives et judiciaires de tous les États membres respectent pleinement l’État de droit.

(3)      Cette condition implique l’existence, dans tous les États membres, d’un système judiciaire et administratif impartial, indépendant et efficace, doté de moyens suffisants, entre autres, pour lutter contre la corruption.

(4)      Le 1er janvier 2007, la Roumanie deviendra membre de l’Union européenne. Tout en saluant les efforts considérables déployés par la Roumanie pour parachever ses préparatifs d’adhésion à l’Union européenne, la Commission a recensé, dans son rapport du 26 septembre 2006, des questions en suspens, en particulier en ce qui concerne la responsabilisation et l’efficacité du système judiciaire et des instances chargées de faire appliquer la loi, domaines dans lesquels des progrès sont encore nécessaires pour garantir la capacité de ces organes à mettre en œuvre et à appliquer les mesures adoptées pour établir le marché intérieur et l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

(5)      L’article 37 de l’acte d’adhésion habilite la Commission à adopter des mesures appropriées en cas de risque imminent de dysfonctionnement du marché intérieur lié au non-respect, par la Roumanie, d’engagements qu’elle a pris. L’article 38 de l’acte d’adhésion habilite la Commission à prendre des mesures appropriées en cas de risque imminent de manquements graves constaté en Roumanie en ce qui concerne la transposition, l’état d’avancement de la mise en œuvre ou l’application d’actes adoptés sur la base du titre VI du traité UE ou d’actes adoptés sur la base du titre IV du traité CE.

(6)      Les questions en suspens portant sur la responsabilisation et l’efficacité du système judiciaire et des instances chargées de faire appliquer la loi justifient la mise en place d’un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption.

[...]

(9)      Il conviendra de modifier la présente décision si l’évaluation de la Commission indique qu’il y a lieu d’ajuster les objectifs de référence. La présente décision sera abrogée lorsque tous les objectifs de référence auront été atteints ».

13      L’article 1er de la décision 2006/928 prévoit :

« Chaque année, le 31 mars au plus tard, et pour la première fois le 31 mars 2007, la Roumanie fait rapport à la Commission sur les progrès qu’elle a réalisés en vue d’atteindre chacun des objectifs de référence exposés dans l’annexe.

La Commission peut, à tout moment, apporter une aide technique par différents moyens ou collecter et échanger des informations sur les objectifs de référence. En outre, elle peut, à tout moment, organiser des missions d’experts en Roumanie à cet effet. Les autorités roumaines lui apportent le soutien nécessaire dans ce contexte. »

14      L’article 2 de cette décision dispose :

« La Commission transmettra, pour la première fois en juin 2007, au Parlement européen et au Conseil ses propres commentaires et conclusions sur le rapport présenté par la Roumanie.

La Commission leur fera de nouveau rapport par la suite, en fonction de l’évolution de la situation et au moins tous les six mois. »

15      L’article 3 de ladite décision prévoit :

« La présente décision n’entre en vigueur que sous réserve et à la date de l’entrée en vigueur du traité d’adhésion. »

16      Aux termes de l’article 4 de la même décision :

« Les États membres sont destinataires de la présente décision. »

17      L’annexe de la décision 2006/928 est libellée comme suit :

« Objectifs de référence que la Roumanie doit atteindre, visés à l’article 1er :

1)      Garantir un processus judiciaire à la fois plus transparent et plus efficace, notamment en renforçant les capacités et la responsabilisation du Conseil supérieur de la magistrature. Rendre compte de l’incidence des nouveaux codes de procédure civile et administrative et l’évaluer.

2)      Constituer, comme prévu, une agence pour l’intégrité dotée de responsabilités en matière de vérification de patrimoine, d’incompatibilités et de conflits d’intérêt potentiels, mais aussi de la capacité d’arrêter des décisions impératives pouvant donner lieu à la prise de sanctions dissuasives.

3)      Continuer, en se basant sur les progrès déjà accomplis, à mener des enquêtes professionnelles et non partisanes sur les allégations de corruption de haut niveau.

4)      Prendre des mesures supplémentaires pour prévenir et combattre la corruption, en particulier au sein de l’administration locale. »

 Le droit roumain

 La Constitution roumaine

18      L’article 115, paragraphe 4, de la Constituția României (Constitution roumaine) prévoit :

« Le Gouvernement peut adopter des ordonnances d’urgence seulement dans des situations extraordinaires dont la réglementation ne peut être ajournée, en étant tenu de motiver l’urgence dans leur contenu. »

19      L’article 133, paragraphes 1 et 2, de la Constitution dispose :

« (1)      Le Conseil supérieur de la magistrature est le garant de l’indépendance de la justice.

(2)      Le Conseil supérieur de la magistrature est composé de dix-neuf membres, dont :

a)      quatorze sont élus dans les assemblées générales des magistrats et sont validés par le Sénat ; ceux-ci font partie de deux sections, l’une pour les juges et l’autre pour les procureurs ; la première section est composée de neuf juges, et la seconde de cinq procureurs ;

b)      deux représentants de la société civile, spécialistes dans le domaine du droit, jouissant de haute réputation professionnelle et morale, élus par le Sénat ; ceux-ci ne participent qu’aux séances plénières ;

c)      le ministre de la Justice, le président de la Haute Cour de cassation et de justice et le [Procureur général]. »

20      L’article 134 de la Constitution est libellé comme suit :

« (1)      Le Conseil supérieur de la magistrature propose au Président de la Roumanie la nomination dans leurs fonctions respectives des juges et des procureurs, exception faite des stagiaires, dans les conditions établies par la loi.

(2)      Le Conseil supérieur de la magistrature remplit le rôle d’instance de jugement, par l’intermédiaire de ses sections, dans le domaine de la responsabilité disciplinaire des juges et des procureurs, conformément à la procédure établie par sa loi organique. Dans ces situations, le ministre de la Justice, le président de la Haute Cour de cassation et de justice et le [Procureur général] n’ont pas droit de vote.

(3)      Les décisions du Conseil supérieur de la magistrature en matière disciplinaire peuvent être attaquées auprès de la Haute Cour de cassation et de justice.

(4)      Le Conseil supérieur de la magistrature remplit également d’autres attributions établies par sa loi organique, dans l’accomplissement de son rôle de garant de l’indépendance de la justice. »

21      L’article 148, paragraphes 2 à 4, de la Constitution prévoit :

« (2)      À la suite de l’adhésion, les dispositions des traités constitutifs de l’Union européenne ainsi que les autres réglementations communautaires contraignantes priment les dispositions contraires de la législation nationale, dans le respect des dispositions de l’acte d’adhésion.

(3)      Les dispositions des paragraphes 1 et 2 s’appliquent par analogie à l’adhésion aux actes de révision des traités constitutifs de l’Union européenne.

(4)      Le Parlement, le Président de la Roumanie, le gouvernement et l’autorité judiciaire garantissent le respect des obligations résultant de l’acte d’adhésion et des dispositions du paragraphe 2. »

 Le code civil

22      Selon l’article 1381, paragraphe 1, du Codul civil (code civil), « [t]out préjudice ouvre droit à réparation ».

 Le code de procédure civile

23      L’article 82, paragraphe 1, du Codul de procedură civilă (code de procédure civile) dispose :

« Lorsque la juridiction constate le défaut de preuve de la qualité de représentant de la personne ayant agi au nom de la partie, elle accorde un bref délai pour qu’il y soit remédié. À défaut, la demande est annulée. [...] »

24      L’article 208 de ce code énonce :

« (1)      Le mémoire en défense est obligatoire, sauf disposition contraire prévue expressément par la loi.

(2)      L’absence de dépôt de mémoire en défense dans le délai prévu par la loi entraîne la déchéance du défendeur de son droit de présenter des preuves et de soulever des exceptions, sauf les exceptions d’ordre public, sous réserve de dispositions contraires à la loi. »

25      L’article 248, paragraphe 1, dudit code est libellé comme suit :

« La juridiction se prononce d’abord sur les exceptions de procédure, ainsi que sur les exceptions de fond qui rendent inutiles, en tout ou en partie, l’administration de la preuve ou, selon le cas, l’examen de l’affaire sur le fond. »

 Le code de procédure pénale

26      L’article 539 du Codul de procedură penală (code de procédure pénale) dispose :

« (1)      Toute personne qui, au cours de la procédure pénale, a été illégalement privée de liberté a également droit à réparation.

(2)      La privation illégale de liberté doit être établie, selon le cas, par décision du procureur, par ordonnance définitive du juge des droits et libertés ou du juge de chambre préliminaire, ainsi que par ordonnance définitive ou décision définitive de la juridiction saisie de l’affaire. »

27      L’article 541, paragraphes 1 et 2, de ce code prévoit :

« (1)      L’action indemnitaire peut être intentée par l’ayant droit en vertu des articles 538 et 539 et, après le décès de celui-ci, elle peut être poursuivie ou intentée par les personnes qui étaient à sa charge au moment du décès.

(2)      L’action peut être intentée dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la décision juridictionnelle, la décision du procureur ou l’ordonnance des autorités judiciaires constatant l’erreur judiciaire ou la privation illégale de liberté est devenue définitive. »

 Les lois sur la justice

28      Dans le but d’améliorer l’indépendance et l’efficacité de la justice, la Roumanie a adopté, au cours de l’année 2004, dans le contexte des négociations en vue de son adhésion à l’Union, trois lois, dites « lois sur la justice », à savoir la Legea nr. 303/2004 privind statutul judecătorilor și procurorilor (loi no 303/2004 sur le statut des juges et des procureurs), du 28 juin 2004 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 826 du 13 septembre 2005), la Legea nr. 304/2004 privind organizarea judiciară (loi no 304/2004 sur l’organisation judiciaire), du 28 juin 2004 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 827 du 13 septembre 2005) et la Legea nr. 317/2004 privind Consiliul Superior al Magistraturii (loi no 317/2004 sur le Conseil supérieur de la magistrature), du 1er juillet 2004 (Monitorul Oficial al României, partie I, n° 827 du 13 septembre 2005). Au cours des années 2017 à 2019, des modifications ont été apportées à celles-ci par des lois et des ordonnances gouvernementales d’urgence adoptées sur le fondement de l’article 115, paragraphe 4, de la Constitution roumaine.

–       La loi no 303/2004

29      La loi no 303/2004 a été modifiée, notamment, par :

–        la Legea nr. 242/2018 (loi no 242/2018), du 12 octobre 2018 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 868 du 15 octobre 2018) ;

–        l’Ordonanța de urgență a Guvernului nr. 7/2019 (ordonnance d’urgence du gouvernement no 7/2019), du 19 février 2019 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 137 du 20 février 2019, ci-après l’« ordonnance d’urgence no 7/2019 »).

30      L’article 96 de la loi no 303/2004, telle qu’ainsi modifiée (ci-après la « loi no 303/2004 modifiée »), est libellé comme suit :

« (1)      La responsabilité patrimoniale de l’État est engagée pour les préjudices causés par des erreurs judiciaires.

(2)      La responsabilité de l’État est déterminée conformément à la loi et n’exclut pas la responsabilité des juges et des procureurs qui, même s’ils ne sont plus en fonction, ont exercé leurs fonctions de mauvaise foi ou avec négligence grave, au sens de l’article 991.

(3)      Une erreur judiciaire est commise lorsque :

a)      dans le cadre de la procédure, la réalisation d’actes de procédure a été ordonnée en violation manifeste des règles de droit matériel et procédural, lorsque ces actes ont porté une atteinte grave aux droits, libertés et intérêts légitimes de la personne concernée, causant ainsi un préjudice auquel une voie de recours ordinaire ou extraordinaire n’a pas permis de remédier ;

b)      une décision juridictionnelle définitive manifestement non conforme à la loi ou aux faits établis au regard des preuves administrées dans le cadre de l’instance a été adoptée, lorsque cette décision a porté une atteinte grave aux droits, libertés et intérêts légitimes de la personne concernée, causant ainsi un préjudice auquel une voie de recours ordinaire ou extraordinaire n’a pas permis de remédier.

(4)      Le code de procédure civile, le code de procédure pénale et d’autres lois spéciales peuvent prévoir des cas spécifiques d’erreur judiciaire.

(5)      Pour la réparation du préjudice, la personne lésée ne peut agir que contre l’État, représenté par le ministère des Finances publiques. L’action civile relève de la compétence du tribunal de grande instance de la circonscription du domicile du requérant.

(6)      Le paiement des sommes dues par l’État à titre d’indemnisation est effectué dans un délai d’un an à compter de la notification de la décision juridictionnelle définitive.

(7)      Dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision définitive statuant sur l’action visée au paragraphe 6, le ministère des Finances publiques saisit l’Inspection judiciaire afin de vérifier si l’erreur judiciaire a été causée par le juge ou le procureur en exerçant ses fonctions de mauvaise foi ou avec négligence grave, conformément à la procédure prévue à l’article 741 de la loi no 317/2004, republiée, telle que modifiée.

(8)      L’État, par l’intermédiaire du ministère des Finances publiques, exerce l’action récursoire contre le juge ou le procureur si, à la suite du rapport consultatif de l’Inspection judiciaire visé au paragraphe 7 et de sa propre appréciation, il considère que l’erreur judiciaire a été causée par l’exercice des fonctions du juge ou du procureur de mauvaise foi ou avec négligence grave. L’action récursoire doit être intentée dans un délai de six mois à compter de la communication du rapport de l’inspection judiciaire.

(9)      La compétence pour statuer en première instance sur l’action récursoire appartient à la chambre civile de la Curtea de Apel [(cour d’appel)] du domicile du défendeur. Si le juge ou le procureur contre lequel l’action récursoire est dirigée exerce ses fonctions au sein de cette cour d’appel ou du parquet près celle-ci, cette action est portée devant une cour d’appel voisine, au choix de la partie requérante.

(10)      La décision rendue conformément au paragraphe 9 est susceptible de pourvoi devant la chambre compétente de l’Înalta Curte de Casație şi Justiție [(Haute Cour de cassation et de justice), Roumanie].

(11)      Le Conseil supérieur de la magistrature établit, dans un délai de six mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, les conditions, délais et procédures aux fins de l’assurance professionnelle obligatoire des juges et procureurs. L’assurance est intégralement couverte par le juge ou le procureur, et l’absence de celle-ci ne peut retarder, diminuer ou écarter la responsabilité civile du juge ou du procureur pour erreur judiciaire causée par l’exercice de ses fonctions de mauvaise foi ou avec négligence grave. »

31      L’article 991 de la loi no 303/2004 modifiée dispose :

« (1)      Un juge ou procureur fait preuve de mauvaise foi lorsqu’il enfreint sciemment les règles de droit matériel ou procédural dans le but ou en acceptant de porter préjudice à une personne.

(2)      Un juge ou procureur commet une négligence grave lorsqu’il méconnaît de manière fautive, grave, indubitable et inexcusable les règles de droit matériel ou procédural. »

–       La loi no 304/2004

32      La loi no 304/2004 a été modifiée, notamment, par :

–        la Legea nr. 207/2018 (loi no 207/2018), du 20 juillet 2018 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 636 du 20 juillet 2018), entrée en vigueur le 23 octobre 2018 conformément à son article III et qui a inséré au chapitre 2 du titre III, intitulé « Ministère public », de la loi no 304/2004 une section 21, relative à la « SIIJ » et contenant les articles 881 à 8811 de cette dernière loi ;

–        l’Ordonanța de urgență a Guvernului nr. 90/2018 (ordonnance d’urgence du gouvernement no 90/2018), du 10 octobre 2018 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 862 du 10 octobre 2018, ci-après l’« ordonnance d’urgence du gouvernement no 90/2018 »), qui a, entre autres, modifié l’article 882, paragraphe 3, de la loi no 304/2004 et institué une procédure dérogatoire aux articles 883 à 885 de cette loi en vue de la nomination provisoire du procureur en chef, du procureur en chef adjoint et d’au moins un tiers des procureurs de la SIIJ ;

–        l’Ordonanța de urgență a Guvernului nr. 92/2018 (ordonnance d’urgence du gouvernement no 92/2018), du 15 octobre 2018 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 874 du 16 octobre 2018), qui a, entre autres, inséré à l’article 882 de la loi no 304/2004 un nouveau paragraphe 5 et a modifié l’article 885, paragraphe 5, de cette loi ;

–        l’ordonnance d’urgence no 7/2019, qui a, entre autres, inséré un paragraphe 6 à l’article 881 de la loi no 304/2004, ainsi que des paragraphes 111 et 112 à l’article 885 de cette loi, un point e) à l’article 888, paragraphe 1, de la loi no 304/2004, et modifié le point d) de l’article 888, paragraphe 1, de cette loi ;

–        l’Ordonanța de urgență a Guvernului nr. 12/2019 pentru modificarea şi completarea unor acte normative în domeniul justiţiei (ordonnance d’urgence du gouvernement no 12/2019, modifiant et complétant certains actes normatifs dans le domaine de la justice), du 5 mars 2019 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 185 du 7 mars 2019), qui a, entre autres, inséré dans la loi no 304/2004 les articles 8810 et 8811 relatifs, notamment, au détachement d’officiers et d’agents de police judiciaire au sein de la SIIJ.

33      Aux termes de l’article 881 de la loi no 304/2004, telle qu’ainsi modifiée (ci-après la « loi no 304/2004 modifiée ») :

« (1)      Dans le cadre du [parquet près la Haute Cour de cassation et de justice], il est institué la [SIIJ], qui détient la compétence exclusive en matière de poursuites pénales pour les infractions commises par des juges et procureurs, y compris les juges et procureurs militaires et ceux qui ont qualité de membres du Conseil supérieur de la magistrature.

(2)      La [SIIJ] demeure compétente pour les poursuites pénales dans le cas où d’autres personnes sont poursuivies en sus de celles prévues au paragraphe 1.

[...]

(4)      La [SIIJ] est dirigée par un procureur en chef de la [SIIJ], assisté par un procureur en chef adjoint, nommés dans ces fonctions par l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature, dans les conditions prévues par la présente loi.

(5)      Le [Procureur général] règle les conflits de compétence entre la [SIIJ] et les autres structures ou unités du ministère public.

(6)      Lorsque le code de procédure pénale ou d’autres lois spéciales se réfèrent au “procureur hiérarchiquement supérieur” dans le cas des infractions relevant de la compétence de la [SIIJ], il faut entendre le procureur en chef de la section, y compris en cas de solutions concertées avant d’être opérationnelle. »

34      L’article 882 de cette loi dispose :

« (1)      La [SIIJ] exerce ses activités en vertu des principes de légalité, d’impartialité et de contrôle hiérarchique.

(2)      Il est interdit de déléguer ou de détacher des procureurs auprès de la [SIIJ].

(3)      La [SIIJ] exerce ses activités avec quinze postes de procureurs.

(4)      Le nombre de postes dans la [SIIJ] peut être modifié, en fonction du volume d’activité, par ordonnance du [Procureur général], à la demande du procureur en chef de la [SIIJ], sur avis conforme de l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature.

(5)      Pendant la durée de leurs fonctions au sein de la [SIIJ], les procureurs [...] bénéficient des droits des procureurs détachés, dans les conditions prévues par la loi. »

35      L’article 883, paragraphe 1, de ladite loi prévoit :

« Le procureur en chef de la [SIIJ] est nommé dans ses fonctions par l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature, à la suite d’un concours consistant dans la présentation d’un projet relatif à l’accomplissement des tâches spécifiques du poste de gestion en question, qui vise à évaluer les compétences en matière de gestion, la gestion efficace des ressources, la capacité de prendre des décisions et d’assumer des responsabilités, les compétences en matière de communication et la résistance au stress, ainsi que l’intégrité du candidat, son activité en tant que procureur et son rapport à des valeurs spécifiques à cette profession, telles que l’indépendance de la justice ou le respect des droits et libertés fondamentaux. »

36      L’article 884, paragraphe 1, de la même loi énonce :

« Le procureur en chef adjoint de la [SIIJ] est nommé dans ses fonctions par l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature, sur proposition motivée du procureur en chef de la [SIIJ], parmi les procureurs déjà nommés à [la SIIJ]. »

37      L’article 885 de la loi no 304/2004 est ainsi libellé :

« (1)      La [SIIJ] emploie des procureurs nommés par l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature, à la suite d’un concours, dans la limite des postes prévus au tableau des effectifs, approuvé conformément à la loi, pour une période de trois ans, avec la possibilité de renouvellement pour une période totale d’au maximum neuf ans.

(2)      Le concours est passé devant la commission chargée de l’organisation du concours composée conformément à l’article 883, paragraphe 2, dont le procureur en chef de la [SIIJ] fait partie d’office.

[...]

(11)      La nomination au poste de procureur dans la [SIIJ] est faite par l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature, dans la limite des postes vacants et dans l’ordre des points obtenus.

(111)      Les membres des commissions de concours prévues au présent article ne deviennent pas incompatibles et votent à l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature.

(112)      Les commissions de concours prévues à l’article 883, respectivement à l’article 885 exercent légalement l’activité en présence d’au moins trois membres.

(12)      Les procédures de nomination, de poursuite des fonctions et de révocation des fonctions de gestion et d’exécution dans la [SIIJ] seront détaillées dans un règlement approuvé par l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature. »

38      Selon l’article 887 de cette loi :

« (1)      Les procureurs nommés à la [SIIJ] peuvent être révoqués par l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature, sur demande motivée du procureur en chef de la [SIIJ], en cas d’accomplissement inapproprié des tâches spécifiques au poste, lorsqu’une sanction disciplinaire a été appliquée.

(2)      En cas de révocation, le procureur revient à son parquet d’origine et retrouve le grade et la rémunération correspondant à celui-ci qu’il avait antérieurement ou qu’il a acquis à la suite d’une promotion, dans les conditions prévues par la loi, pendant l’exercice de ses fonctions dans la [SIIJ]. »

39      L’article 888, paragraphe 1, de ladite loi dispose :

« Les attributions de la [SIIJ] sont les suivantes :

a)      exercer les poursuites pénales, dans les conditions prévues par [le code de procédure pénale], pour les infractions relevant de sa compétence ;

b)      saisir les juridictions afin que ces dernières prennent les mesures prévues par la loi et jugent les affaires relatives aux infractions prévues sous a) ;

c)      créer et actualiser la base de données sur les infractions relevant de son domaine de compétence ;

[…]

e)      exercer d’autres attributions prévues par la loi. »

40      Aux termes de l’article II de l’ordonnance d’urgence no 90/2018 :

« (1)      Par dérogation aux articles 883 à 885 de la loi no 304/2004 sur l’organisation du système judiciaire, republiée, telle que modifiée et complétée ultérieurement, avant l’achèvement des concours organisés pour l’attribution du poste de procureur en chef de la [SIIJ] et des postes d’exécution de procureur de [la SIIJ] et la validation des résultats de ces concours, les fonctions de procureur en chef et au moins un tiers des fonctions d’exécution de procureur seront exercées provisoirement par des procureurs qui remplissent les conditions prévues par la loi pour être nommés à ces postes, sélectionnés par la commission chargée de l’organisation du concours composée conformément à l’article 883, paragraphe 2, de la loi no 304/2004, republiée, telle que modifiée et complétée ultérieurement.

(2)      La sélection des candidats est effectuée par la commission chargée de l’organisation du concours prévue au paragraphe 1, selon une procédure qui se déroule dans cinq jours calendaires à compter de la date de son déclenchement par le président du Conseil supérieur de la magistrature. La commission chargée de l’organisation du concours exerce ses activités en présence d’au moins trois membres.

[...]

(10)      Afin de rendre opérationnelle la [SIIJ], dans un délai de cinq jours calendaires à compter de l’entrée en vigueur de la présente ordonnance d’urgence, le [Procureur général] fournit les ressources humaines et matérielles nécessaires à son fonctionnement, y compris le personnel auxiliaire spécialisé, des officiers et agents de la police judiciaire, des spécialistes et d’autres catégories de personnel.

(11)      À compter de la date à laquelle la [SIIJ] devient opérationnelle, celle–ci reprend les affaires relevant de sa compétence pendantes devant la direction nationale anticorruption et devant d’autres branches du parquet, ainsi que les dossiers des affaires relatives aux infractions prévues à l’article 881, paragraphe 1, de la loi no 304/2004, republiée, telle que modifiée et complétée ultérieurement, qui ont été clôturées avant la date à laquelle [la SIIJ] est devenue opérationnelle. »

41      L’introduction de cette procédure dérogatoire a été justifiée, conformément aux considérants de l’ordonnance d’urgence no 90/2018, dans les termes suivants :

« Eu égard au fait que, en vertu de l’article III, paragraphe 1, de la loi no 207/2018 modifiant et complétant la loi no 304/2004 sur l’organisation du système judiciaire, “[l]a [SIIJ] commence ses activités dans un délai de trois mois après la date d’entrée en vigueur de la présente loi”, à savoir le 23 octobre 2018,

étant donné que, jusqu’à présent, le Conseil supérieur de la magistrature n’a pas achevé dans le délai légal la procédure visant à rendre opérationnelle la [SIIJ],

au regard du fait que la loi prévoit expressément la compétence de cette section pour poursuivre pénalement les infractions commises par des juges et procureurs, y compris par des juges et procureurs militaires et par ceux ayant qualité de membres du Conseil supérieur de la magistrature, ainsi qu’au fait que, à compter du 23 octobre 2018, date fixée par la loi à laquelle la section deviendra opérationnelle, la direction nationale anticorruption et les autres parquets ne seront plus compétents pour poursuivre pénalement les infractions commises par ces personnes, ce qui affecterait gravement les procédures judiciaires dans les affaires relevant de la compétence de la section et pourrait créer un blocage institutionnel,

compte tenu du fait que la loi en vigueur ne contient pas de règles transitoires sur les modalités concrètes selon lesquelles la [SIIJ] deviendra opérationnelle, en cas de dépassement du délai fixé par la loi no 207/2018, et qu’il est nécessaire d’adopter des mesures législatives urgentes réglementant une procédure simple, dérogeant aux articles 883 à 885 de la loi no 304/2004, republiée, telle que modifiée et complétée ultérieurement, en vue de la nomination provisoire du procureur en chef, du procureur en chef adjoint et d’au moins un tiers des procureurs de la section, ce qui permettra à la section de devenir opérationnelle dans le délai fixé par la loi, à savoir le 23 octobre 2018,

considérant que la situation présentée ci-dessus est une situation extraordinaire dont la réglementation ne saurait être différée ».

–       La loi no 317/2004

42      La loi no 317/2004 a été modifiée, notamment, par :

–        l’Ordonanța de Urgență a Guvernului nr. 77/2018 (ordonnance d’urgence du gouvernement no 77/2018), du 5 septembre 2018 (Monitorul Oficial al României, no 767, du 5 septembre 2018, ci-après l’« ordonnance d’urgence no 77/2018 »), qui a inséré, en vertu de son article I, des paragraphes 7 et 8 à l’article 67 de la loi no 317/2004 ;

–        la Legea nr. 234/2018 (loi no 234/2018), du 4 octobre 2018 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 850, du 8 octobre 2018), qui a, entre autres, modifié les articles 65 et 67 de la loi no 317/2004 et inséré dans celle-ci un article 741 ;

–        l’ordonnance d’urgence no 7/2019.

43      L’article 65, paragraphes 1 à 3, de la loi no 317/2004, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de la loi n° 234/2018, disposait :

« (1)      L’Inspection judiciaire est mise en place comme organe doté de la personnalité juridique, dans le cadre du Conseil supérieur de la magistrature, ayant son siège à Bucarest, par réorganisation de l’Inspection judiciaire.

(2)      L’Inspection judiciaire est dirigée par un inspecteur en chef, assisté d’un inspecteur en chef adjoint, nommés à l’issue d’un concours organisé par le Conseil supérieur de la magistrature.

(3)      L’Inspection judiciaire agit dans le respect du principe d’indépendance opérationnelle, en remplissant, par l’intermédiaire des inspecteurs judiciaires nommés conformément à loi, des fonctions d’analyse, de vérification et de contrôle dans les domaines spécifiques d’activité. »

44      L’article 67 de cette loi était rédigé comme suit :

« (1)      L’inspecteur en chef et l’inspecteur en chef adjoint sont nommés par l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature parmi les inspecteurs judiciaires en fonction, à la suite d’un concours consistant dans la présentation d’un projet relatif à l’exercice des attributions spécifiques au poste de gestion en question, dans une épreuve écrite testant les connaissances en matière de gestion, de communication, de ressources humaines, la capacité du candidat de prendre des décisions et d’assumer des responsabilités, sa résistance au stress, ainsi que dans un test psychologique.

(2)      Le concours est organisé par le Conseil supérieur de la magistrature, conformément au règlement approuvé par décision de l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature [...].

(3)      L’organisation des concours pour les postes d’inspecteur en chef et d’inspecteur en chef adjoint est annoncée au moins trois mois avant leur date.

(4)      Le mandat de l’inspecteur en chef et celui de l’inspecteur en chef adjoint sont de trois ans et peuvent être renouvelés une seule fois, dans le respect des dispositions du paragraphe 1.

(5)      L’inspecteur en chef et l’inspecteur en chef adjoint peuvent être révoqués de leurs fonctions par l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature, dans le cas où ils ne remplissent pas ou remplissent de manière inappropriée leurs attributions de gestion. La révocation est décidée sur la base du rapport annuel d’audit prévu à l’article 68.

(6)      La décision de révocation prise par l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature peut faire l’objet d’un pourvoi, dans un délai de quinze jours après sa communication, auprès de la chambre du contentieux administratif et fiscal de l’Înalta Curte de Casație și Justiție [(Haute Cour de cassation et de justice)]. Le pourvoi suspend l’exécution de la décision du Conseil supérieur de la magistrature. La décision rendue sur pourvoi est irrévocable.

(7)      Lorsque le poste d’inspecteur en chef ou, selon le cas, d’inspecteur en chef adjoint de l’Inspection judiciaire devient vacant à la suite de l’expiration du mandat, la suppléance de ce poste est assurée par l’inspecteur en chef ou, selon le cas, par l’inspecteur en chef adjoint dont le mandat a expiré, jusqu’à la date à laquelle ce poste est pourvu dans les conditions de la loi.

(8)      Lorsque le mandat de l’inspecteur en chef prend fin pour une cause autre que l’expiration du mandat, la suppléance de ce poste est assurée par l’inspecteur en chef adjoint jusqu’à la date à laquelle ce poste est pourvu dans les conditions de la loi. Lorsque le mandat de l’inspecteur en chef adjoint prend fin pour une cause autre que l’expiration du mandat, la suppléance de ce poste est assurée par un inspecteur judiciaire nommé par l’inspecteur en chef jusqu’à la date à laquelle ce poste est pourvu dans les conditions de la loi. »

45      Aux termes de l’article 741 de la loi n° 317/2004, issu de la loi n° 234/2018 :

« (1)      Sur saisine du ministère des Finances publiques, dans les cas et les délais prévus à l’article 96 de la loi no 303/2004, telle que republiée, modifiée ultérieurement et complétée, l’Inspection judiciaire effectue les vérifications pour déterminer si l’erreur judiciaire causée par le juge ou le procureur était due à l’exercice de ses fonctions de mauvaise foi ou avec une négligence grave.

(2)      La vérification prévue au paragraphe 1 sera achevée dans les 30 jours suivant la date de la saisine. L’inspecteur en chef peut ordonner jusqu’à 30 jours de prorogation de délai si de bonnes raisons le justifient. Le délai maximal de vérification ne peut pas excéder 120 jours.

(3)      La vérification est assurée par une commission composée de trois juges, inspecteurs judiciaires ou trois procureurs, inspecteurs judiciaires (selon la fonction occupée par la personne concernée). Si une affaire concerne simultanément des juges et des procureurs, deux commissions sont établies pour examiner les faits différemment selon la fonction occupée par les personnes concernées.

(4)      Au cours des vérifications, les juges et les procureurs mis en cause sont tenus de se présenter à l’audience ; tout refus de leur part de participer ou de faire une déclaration sera dûment consigné dans les procès-verbaux et n’entravera en rien la réalisation des vérifications. Le juge ou le procureur concerné a le droit de connaître tous les actes de la procédure de vérification et de demander des preuves à décharge. Les inspecteurs peuvent entendre toutes les autres personnes impliquées dans l’affaire qui exige ces vérifications.

(5)      Un rapport fera le bilan des vérifications réalisées et des preuves recueillies, afin que l’Inspection judiciaire puisse déterminer si le juge ou le procureur a commis des actes de mauvaise foi ou de négligence grave conduisant à une erreur judiciaire.

(6)      Les vérifications prévues au paragraphe 1 seront également effectuées si le juge ou le procureur n’est plus en exercice.

(7)      Le rapport sera transmis au ministère des Finances publiques et au juge ou procureur concerné.

(8)      Le rapport prévu au paragraphe 5) est soumis à confirmation par l’inspecteur en chef. Ce dernier peut ordonner une seule fois, de manière motivée, une vérification complémentaire. Cette vérification complémentaire est effectuée par la commission dans un délai de 30 jours à compter de la date à laquelle elle a été ordonnée par l’inspecteur en chef. »

46      L’article II de l’ordonnance d’urgence no 77/2018 précise ce qui suit :

« Les dispositions de l’article 67, paragraphe 7, de la loi no 317/2004 sur le Conseil supérieur de la magistrature, republiée, telle que modifiée ultérieurement et telle que complétée par la présente ordonnance d’urgence, s’appliquent également aux situations dans lesquelles le poste d’inspecteur en chef ou, selon le cas, d’inspecteur en chef adjoint de l’Inspection judiciaire est vacant à la date d’entrée en vigueur de la présente ordonnance d’urgence. »

  Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 Éléments communs aux litiges au principal

47      Les litiges au principal s’inscrivent dans le prolongement d’une réforme d’envergure en matière de justice et de lutte contre la corruption en Roumanie, réforme qui fait l’objet d’un suivi à l’échelle de l’Union depuis l’année 2007 en vertu du mécanisme de coopération et de vérification institué par la décision 2006/928 à l’occasion de l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne (ci-après le « MCV »).

48      Au cours des années 2017 à 2019, le législateur roumain a modifié à différentes reprises les lois nos 303/2004, 304/2004 et 317/2004. Les requérants au principal contestent la compatibilité avec le droit de l’Union de certaines de ces modifications, en particulier de celles concernant l’organisation de l’Inspection judiciaire (affaire C‑83/19), la mise en place au sein du ministère public de la SIIJ (affaires C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19 et C‑355/19) ainsi que le régime de la responsabilité personnelle des magistrats (affaire C‑397/19).

49      À l’appui de leurs recours, les requérants au principal se réfèrent aux rapports de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur les progrès réalisés par la Roumanie au titre du mécanisme de coopération et de vérification, du 25 janvier 2017 [COM(2017) 44 final, ci-après le « rapport MCV de janvier 2017 »], du 15 novembre 2017 [COM(2017) 751 final] et du 13 novembre 2018 [COM(2018) 851 final, ci-après le « rapport MCV de novembre 2018 »], à l’avis no 924/2018 de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), du 20 octobre 2018, sur les projets d’amendements de la loi no 303/2004 sur le statut des juges et des procureurs, la loi no 304/2004 sur l’organisation judiciaire et la loi no 317/2004 sur le Conseil de la magistrature [(CDL-AD(2018)017], au rapport du Groupe d’États contre la corruption (GRECO) sur la Roumanie, adopté le 23 mars 2018 [Greco-AdHocRep(2018)2], à l’avis du Conseil consultatif de juges européens (CCJE), du 25 avril 2019 [CCJE-BU(2019)4], ainsi qu’à l’avis du Conseil consultatif de procureurs européens, du 16 mai 2019 [CCPE–BU(2019)3]. En effet, selon les requérants, ces rapports et ces avis contiendraient des critiques à l’égard des dispositions adoptées par la Roumanie au cours des années 2017 à 2019 au regard de l’efficacité de la lutte contre la corruption et de la garantie de l’indépendance du pouvoir judiciaire et formuleraient des recommandations aux fins de modification, de suspension ou de retrait de ces dispositions.

50      Les juridictions de renvoi s’interrogent, à cet égard, sur la nature et les effets juridiques du MCV ainsi que sur la portée des rapports établis par la Commission au titre de celui-ci. Elles font observer, en substance, que le MCV, institué sur le fondement des articles 37 et 38 de l’acte d’adhésion, vise à remédier à l’insuffisance des réformes accomplies en Roumanie en matière d’organisation de la justice et de lutte contre la corruption, afin que cet État puisse remplir les obligations résultant du statut d’État membre. Elles ajoutent que les rapports établis par la Commission au titre du MCV ont, notamment, pour objectif d’orienter les efforts déployés par les autorités roumaines et formulent des exigences et des recommandations spécifiques. Selon lesdites juridictions, le contenu, la nature juridique et la durée dudit mécanisme devraient être considérés comme relevant du champ d’application du traité d’adhésion de sorte que les exigences formulées dans ces mêmes rapports devraient avoir un caractère obligatoire pour la Roumanie.

51      Dans ce contexte, les juridictions de renvoi font état de plusieurs arrêts de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle, Roumanie) ayant abordé ces questions, parmi lesquels l’arrêt no 104 du 6 mars 2018. Selon cet arrêt, le droit de l’Union ne primerait pas l’ordre constitutionnel roumain et la décision 2006/928 ne pourrait pas constituer une norme de référence dans le cadre d’un contrôle de constitutionnalité au titre de l’article 148 de la Constitution, dès lors que cette décision a été adoptée avant l’adhésion de la Roumanie à l’Union et n’a fait l’objet d’aucune interprétation par la Cour en ce qui concerne la question de savoir si son contenu, sa nature juridique et sa durée relèvent du champ d’application du traité d’adhésion.

 Affaire C83/19

52      Par une demande enregistrée le 27 août 2018, le Forum des juges de Roumanie a saisi l’Inspection judiciaire d’une demande de communication d’informations d’ordre statistique portant sur l’activité de cette dernière au cours de la période 2014-2018, en particulier sur le nombre de procédures disciplinaires engagées, les motifs d’ouverture de celles-ci et l’issue de ces dernières, ainsi que sur un accord de coopération passé entre l’Inspection judiciaire et le Serviciul Român de Informaţii (service roumain de renseignement) et la participation de ce service aux enquêtes menées.

53      Estimant que l’Inspection judiciaire, en n’ayant répondu que partiellement à cette demande qui portait sur des informations d’intérêt public, n’avait pas respecté ses obligations légales, le Forum des juges de Roumanie a saisi, le 24 septembre 2018, le Tribunalul Olt (tribunal de grande instance d’Olt, Roumanie) d’une requête tendant à ce qu’il soit fait injonction à l’Inspection judiciaire de communiquer les informations en cause.

54      Le 26 octobre 2018, l’Inspection judiciaire a déposé un mémoire en défense devant cette juridiction, dans lequel elle affirmait que les droits subjectifs que le Forum des juges de Roumanie tirait de la Lege nr. 544/2001 privind liberul acces la informațiile de interes public (loi no 544/2001 sur le libre accès aux informations d’intérêt public), du 12 octobre 2001 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 663 du 23 octobre 2001), n’avaient pas été violés et que la requête devait être rejetée. Le mémoire en défense était signé par M. Lucian Netejoru, présenté comme étant l’inspecteur en chef de l’Inspection judiciaire.

55      Dans son mémoire en réplique, le Forum des juges de Roumanie a soulevé une exception tirée de ce que le signataire du mémoire en défense ne justifiait pas de sa qualité à représenter l’Inspection judiciaire. Il a expliqué que, si M. Netejoru avait effectivement été nommé inspecteur en chef de l’Inspection judiciaire par une décision de l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature du 30 juin 2015 à compter du 1er septembre 2015, son mandat, d’une durée de trois ans, avait expiré le 31 août 2018, soit à une date antérieure à celle du dépôt du mémoire en défense.

56      Certes, selon le Forum des juges de Roumanie, les dispositions de l’article 67, paragraphe 7, de la loi no 317/2004 prévoient que, dans le cas où le poste d’inspecteur en chef devient vacant à la suite d’une expiration de mandat, la suppléance de ce poste est assurée par l’inspecteur en chef dont le mandat a expiré, jusqu’à la date à laquelle ce poste est pourvu dans les conditions prévues par la loi. Toutefois, ces dispositions, issues de l’ordonnance d’urgence no 77/2018, seraient inconstitutionnelles, puisqu’elles porteraient atteinte aux compétences du Conseil supérieur de la magistrature, découlant de son rôle de garant de l’indépendance de la justice consacré à l’article 133, paragraphe 1, de la Constitution, pour nommer l’inspecteur en chef et l’inspecteur en chef adjoint de l’Inspection judiciaire et, dans le cas où ces postes deviendraient vacants, pour désigner des personnes chargées d’assurer la suppléance de ces fonctions. D’ailleurs, cette ordonnance d’urgence aurait été adoptée aux fins de rendre possible la nomination de personnes déterminées, ainsi qu’il ressortirait de l’exposé des motifs de ladite ordonnance.

57      Le Forum des juges de Roumanie a ajouté que, compte tenu des compétences étendues dont disposent l’inspecteur en chef et l’inspecteur en chef adjoint de l’Inspection judiciaire, l’ordonnance d’urgence no 77/2018 méconnaît le principe de l’indépendance des juges dont la garantie est, conformément à la jurisprudence de la Cour, inhérente à leur mission et requise en vertu de l’article 19 TUE, ce qui serait confirmé par le rapport MCV de novembre 2018. En effet, l’inspecteur en chef et l’inspecteur en chef adjoint seraient compétents en matière de contrôle de la sélection des inspecteurs judiciaires, de nomination des inspecteurs judiciaires chargés des fonctions de direction, de contrôle de l’activité d’inspection, ainsi que d’exercice de l’action disciplinaire.

58      Le Forum des juges de Roumanie en a conclu que le mémoire en défense, en ce qu’il était signé par une personne nommée au poste d’inspecteur en chef de l’Inspection judiciaire sur le fondement de dispositions inconstitutionnelles et contraires au droit de l’Union, devait, conformément aux dispositions pertinentes du code de procédure civile, être écarté du dossier.

59      L’Inspection judiciaire a répondu que M. Netejoru était légalement habilité à la représenter en vertu de la décision du 30 juin 2015 de l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature et de l’article 67, paragraphe 7, de la loi no 317/2004.

60      Le Tribunalul Olt (tribunal de grande instance d’Olt) relève que les considérations avancées par le Forum des juges de Roumanie soulèvent la question de savoir si l’exigence d’indépendance de la justice impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union, en particulier de garantir l’indépendance de la procédure disciplinaire concernant les juges, en écartant tous les risques liés à l’influence politique sur le déroulement d’une telle procédure, tels que ceux susceptibles de résulter de la nomination directe par le gouvernement, même à titre intérimaire, des membres dirigeants de l’organe chargé de conduire cette procédure.

61      Dans ce contexte, il importerait de clarifier le statut et les effets juridiques des rapports établis par la Commission au titre du MCV afin que la juridiction de renvoi puisse statuer sur l’exception procédurale tirée du défaut de qualité du signataire du mémoire en défense à représenter la défenderesse au principal et sur le sort à réserver audit mémoire ainsi qu’aux éléments de preuve et aux exceptions invoqués par cette partie. Si la Cour devait juger que le MCV est obligatoire et que le droit primaire de l’Union s’oppose à l’adoption de dispositions telles que celles de l’ordonnance d’urgence no 77/2018, la représentation de l’Inspection judiciaire aurait été, à la date de dépôt du mémoire en défense, sans fondement légal, et ce nonobstant l’adoption ultérieure d’une décision de l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature portant nomination de M. Netejoru aux fonctions d’inspecteur en chef de l’Inspection judiciaire.

62      C’est dans ces conditions que le Tribunalul Olt (tribunal de grande instance d’Olt) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le [MCV], établi par la décision [2006/928], doit-il être considéré comme un acte pris par une institution de l’Union, au sens de l’article 267 TFUE, pouvant être soumis à l’interprétation de la [Cour] ?

2)      Le contenu, le caractère et la durée du [MCV], établi par la décision [2006/928], relèvent-ils du champ d’application du [traité d’adhésion] ? Les exigences formulées dans les rapports établis dans le cadre dudit mécanisme ont-elles un caractère obligatoire pour la Roumanie ?

3)      L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit-il être interprété en ce sens qu’il oblige les États membres à établir les mesures nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union, à savoir des garanties d’une procédure disciplinaire indépendante pour les juges roumains, en écartant tous les risques liés à l’influence politique sur le déroulement de telles procédures, tels que la nomination directe par le gouvernement de la direction de l’[Inspection judiciaire], même à titre provisoire ?

4)      L’article 2 TUE doit-il être interprété en ce sens que les États membres sont tenus de respecter les critères de l’État de droit, exigés également par les rapports établis dans le cadre du [MCV], établi par la décision [2006/928], dans le cas des procédures de nomination directe par le gouvernement de la direction de l’[Inspection judiciaire], même à titre provisoire ? »

63      Par ordonnance du 8 février 2019, la Curtea de Apel Craiova (cour d’appel de Craiova, Roumanie), sur demande de l’Inspection judiciaire, a renvoyé l’affaire au principal au Tribunalul Mehedinţi (tribunal de grande instance de Mehedinţi, Roumanie), tout en maintenant les actes de procédure effectués.

64      Dans ces conditions, le Tribunalul Olt (tribunal de grande instance d’Olt), par une ordonnance du 12 février 2019, a décidé de se dessaisir de l’affaire au principal, de transmettre le dossier au Tribunalul Mehedinţi (tribunal de grande instance de Mehedinţi) et d’informer la Cour de cette circonstance, tout en précisant que cette dernière demeurait saisie de la demande de décision préjudicielle.

 Affaire C127/19

65      Le 13 décembre 2018, le Forum des juges de Roumanie et le Mouvement pour la défense du statut des procureurs ont saisi la Curtea de Apel Piteşti (cour d’appel de Piteşti, Roumanie) d’un recours visant à l’annulation des décisions nos 910 et 911 de l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature du 19 septembre 2018, approuvant, respectivement, le règlement sur la nomination et la révocation des procureurs ayant des fonctions de gestion dans la SIIJ, et le règlement sur la nomination, la poursuite des fonctions et la révocation des procureurs ayant des fonctions d’exécution dans cette section. À l’appui de leur recours, ces associations ont fait valoir que lesdites décisions violent, notamment, l’article 148 de la Constitution roumaine, selon lequel la Roumanie est tenue de respecter les obligations découlant des traités auxquels elle est partie.

66      La juridiction de renvoi fait observer que les décisions en cause au principal constituent des actes administratifs à caractère normatif et qu’elles ont été adoptées sur le fondement de l’article 885, paragraphe 12, de la loi no 304/2004 modifiée, issu de la loi no 207/2018. En ce qui concerne la création de la SIIJ, la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle) aurait, dans son arrêt no 33 du 23 janvier 2018, rejeté les griefs visant à faire constater que cette création serait contraire au droit de l’Union et, partant, aux obligations découlant de l’article 148 de la Constitution roumaine, aucun acte contraignant de l’Union ne pouvant être utilement invoqué à l’appui de ces griefs.

67      Les requérants au principal, qui se réfèrent aux rapports et aux avis visés au point 49 du présent arrêt, considèrent toutefois que la création, en tant que telle, de la SIIJ, de même que les modalités de son fonctionnement ainsi que de nomination et de révocation des procureurs, sont contraires au droit de l’Union, en particulier aux exigences découlant du MCV.

68      La juridiction de renvoi relève que, si le MCV et les rapports établis par la Commission dans le cadre de ce mécanisme font naître une obligation à laquelle l’État roumain doit se conformer, une telle obligation incombe aussi aux autorités administratives, telles que le Conseil supérieur de la magistrature lorsque celui-ci adopte une réglementation dérivée telle que celle visée au point 65 du présent arrêt, ainsi qu’aux juridictions nationales. Cependant, eu égard notamment à l’évolution de la jurisprudence de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle), mentionnée au point 66 de cet arrêt, la résolution du litige au principal exigerait de clarifier la nature et les effets juridiques du MCV ainsi que des rapports adoptés sur son fondement.

69      En outre, la juridiction de renvoi éprouve des doutes sur le point de savoir si les principes du droit de l’Union, notamment les principes de l’État de droit, de coopération loyale et d’indépendance des juges, s’opposent à la réglementation nationale relative à la SIIJ. En effet, celle-ci pourrait être saisie à mauvais escient dans le but de soustraire aux parquets spécialisés certains dossiers sensibles en cours en matière de lutte contre la corruption et d’entraver ainsi l’efficacité de cette lutte.

70      C’est dans ces conditions que la Curtea de Apel Piteşti (cour d’appel de Piteşti) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le [MCV], établi par la décision [2006/928], doit-il être considéré comme un acte pris par une institution de l’Union, au sens de l’article 267 TFUE, pouvant être soumis à l’interprétation de la [Cour] ?

2)      Le contenu, le caractère et la durée du [MCV], établi par la décision [2006/928], relèvent-ils du champ d’application du [traité d’adhésion] ? Les exigences formulées dans les rapports établis dans le cadre dudit mécanisme ont-elles un caractère obligatoire pour la Roumanie ?

3)      L’article 2, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, doit-il être interprété en ce sens que l’obligation pour la Roumanie de respecter les exigences imposées par les rapports établis dans le cadre du [MCV], établi par la décision [2006/928], relève de l’obligation de l’État membre de respecter les principes de l’État de droit ?

4)      L’article 2 TUE, plus particulièrement l’obligation de respecter les valeurs de l’État de droit, s’oppose-t-il à une législation par laquelle est créée et organisée la [SIIJ], dans le cadre du [parquet près la Haute Cour de cassation et de justice], en raison de la possibilité d’exercer une pression indirecte sur les magistrats ?

5)      Le principe d’indépendance des juges, consacré à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47 de la [Charte], tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour (arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117), s’oppose-t-il à la création de la [SIIJ], dans le cadre du [parquet près la Haute Cour de cassation et de justice], eu égard aux modalités de nomination/révocation des procureurs faisant partie de [la SIIJ], aux modalités d’exercice des fonctions dans le cadre de celle-ci ainsi qu’à la manière dont la compétence est établie, en lien avec le nombre réduit de postes dans le cadre de cette section ? »

71      Par courrier du 15 juin 2020, parvenu à la Cour le 1er juillet 2020, la Curtea de Apel Piteşti (cour d’appel de Piteşti) a informé cette dernière que, par ordonnance du 10 juin 2019, l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice) avait renvoyé l’affaire au principal, sur demande du Conseil supérieur de la magistrature, à la Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia, Roumanie). Dans ce courrier, il était précisé que les actes de procédure accomplis par la Curtea de Apel Piteşti étaient maintenus.

 Affaire C195/19

72      PJ a introduit auprès du parquet près la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest, Roumanie) une plainte contre QK pour abus de fonction. À l’appui de cette plainte, PJ a allégué que QK avait, dans le cadre de ses fonctions de juge, commis cette infraction pénale, en ayant rejeté comme infondée une demande relative à un différend de nature fiscale avec l’administration des finances publiques sans avoir respecté son obligation légale de motiver sa décision dans le délai de 30 jours après le prononcé de celle-ci. PJ a également prétendu que le défaut de motivation l’avait empêché d’exercer des voies de recours contre cette décision.

73      Après avoir, dans un premier temps, par une ordonnance du 28 septembre 2018, décidé d’engager des poursuites pénales contre QK, le procureur chargé de traiter la plainte a finalement, par une ordonnance du 1er octobre 2018, classé l’affaire au motif que l’abus de fonction allégué n’était pas établi.

74      Le 18 octobre 2018, PJ a introduit une réclamation contre cette ordonnance.

75      Le 24 octobre 2018, conformément aux dispositions combinées de l’article 881 de la loi no 304/2004 modifiée et de l’article III de la loi no 207/2018, le parquet près la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest) a renvoyé la réclamation à la SIIJ, dans la mesure où cette réclamation visait une personne ayant la qualité de magistrat.

76      Le procureur en chef adjoint de cette section ayant rejeté la réclamation comme infondée, PJ a introduit un recours devant la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest).

77      La juridiction de renvoi précise que, dans l’hypothèse où elle ferait droit au recours de PJ, il lui appartiendrait de renvoyer l’affaire à la SIIJ, de sorte que la question se pose de savoir si la réglementation nationale ayant institué cette section est conforme au droit de l’Union. En cas de réponse négative à cette question, il conviendra de constater la nullité de tous les actes établis par la SIIJ dans l’affaire au principal. L’interprétation de la Cour devrait également être prise en compte lors de la détermination de la future unité du parquet compétente pour statuer sur la plainte de PJ.

78      Dans ce contexte, il importerait, eu égard aux conclusions du rapport MCV de novembre 2018, de s’interroger sur les effets juridiques du MCV, car, dans l’hypothèse où ce mécanisme revêtirait un caractère obligatoire pour la Roumanie, les dispositions du droit national relatives à la création de la SIIJ devraient être suspendues. De manière plus générale, et indépendamment du caractère obligatoire dudit mécanisme, la question se poserait de savoir si l’article 67, paragraphe 1, TFUE, l’article 2, première phrase, et l’article 9, première phrase, TUE s’opposent à la création d’une section, telle que la SIIJ, qui est exclusivement compétente pour enquêter sur tout type d’infraction commise par des procureurs ou des juges. À cet égard, la juridiction de renvoi fait observer qu’elle partage pleinement les appréciations figurant dans l’avis de la Commission de Venise visé au point 49 du présent arrêt.

79      Enfin, la juridiction de renvoi relève que, compte tenu de la jurisprudence de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle) visée au point 51 du présent arrêt, il existe un risque sérieux que les réponses de la Cour à ces questions soient privées d’effet en droit interne.

80      C’est dans ces conditions que la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le [MCV], établi par la décision [2006/928], et les exigences formulées dans les rapports établis dans le cadre dudit mécanisme ont-ils un caractère obligatoire pour la Roumanie ?

2)      L’article 67, paragraphe 1, TFUE ainsi que l’article 2, première phrase, et l’article 9, première phrase, TUE s’opposent-ils à une réglementation nationale instituant une section du parquet qui est exclusivement compétente pour enquêter sur tout type d’infraction commise par des juges ou des procureurs ?

3)      Le principe de primauté du droit [de l’Union], tel que consacré par l’arrêt du 15 juillet 1964, Costa (6/64, EU:C:1964:66), et par la jurisprudence ultérieure constante de la Cour, s’oppose-t-il à une réglementation nationale permettant à une institution politico-juridictionnelle, telle que la Curtea Constituțională [(Cour constitutionnelle)], de porter atteinte au principe susmentionné par des décisions qui ne sont susceptibles d’aucune voie de recours ? »

 Affaire C291/19

81      Au cours des mois de décembre 2015 et de février 2016, SO a déposé plainte contre plusieurs procureurs et juges pour abus de fonction et appartenance à une organisation criminelle. Ces plaintes ont été enregistrées par la section de lutte contre les infractions assimilées aux infractions de corruption de la Direcția Națională Anticorupție (DNA) (Direction nationale anticorruption, Roumanie), qui dépend du parquet de l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice).

82      Par ordonnance du 8 septembre 2017, le procureur compétent au sein de cette section a ordonné le classement desdites plaintes. La réclamation introduite contre cette ordonnance a été rejetée par une ordonnance du 20 octobre 2017 du procureur en chef de ladite section.

83      SO a introduit un recours contre ces ordonnances devant la Curtea de Apel Constanța (cour d’appel de Constanța, Roumanie). Celle-ci ayant décliné sa compétence, le recours a été transmis à la Curtea de Apel Brașov (cour d’appel de Brașov, Roumanie).

84      Dans le cadre de cette procédure, le ministère public a été initialement représenté par un procureur du service territorial de Braşov de la DNA. À compter du 1er mars 2019, en raison des modifications législatives intervenues en relation avec la compétence en matière d’infractions commises au sein du système judiciaire, la représentation du ministère public a été assurée par un procureur du parquet près la Curtea de Apel Brașov (cour d’appel de Brașov).

85      Cette juridiction précise que la poursuite de la procédure au principal implique, tant au stade des poursuites pénales qu’au stade juridictionnel, la participation de procureurs de la SIIJ, dans la mesure où, si elle devait considérer que le recours formé par SO est fondé, il lui incomberait de renvoyer l’affaire à cette section, aux fins de l’exercice de poursuites pénales. Ainsi, ladite juridiction considère qu’il est nécessaire d’examiner la compatibilité des dispositions nationales ayant institué la SIIJ avec les dispositions du droit de l’Union.

86      Or, à cet égard, la juridiction de renvoi s’interroge, tout d’abord, sur la portée juridique de la décision 2006/928 et du MCV institué par celle-ci. Elle fait en outre observer que les rapports MCV de janvier 2017 et de novembre 2018 ainsi que les autres rapports et avis auxquels il est fait référence dans ceux-ci se sont montrés très critiques à l’encontre de la création de la SIIJ. Ainsi, dans l’hypothèse où le MCV revêtirait un caractère obligatoire pour la Roumanie, il lui appartiendrait de constater que les dispositions nationales ayant institué cette section sont ou doivent être suspendues.

87      Ensuite, et en tout état de cause, la juridiction de renvoi se demande si la création de la SIIJ est conforme aux principes qui fondent l’ordre juridique de l’Union, tels que les principes de l’État de droit, de coopération loyale et d’indépendance des juges. Sur ce dernier point, elle souligne que, étant donné que l’ouverture d’une procédure pénale contre un magistrat peut conduire à la suspension de celui-ci, l’existence de la SIIJ pourrait être perçue, eu égard à son organisation et à son fonctionnement, comme étant un facteur de pression de nature à affecter l’indépendance des juges.

88      En outre, les modalités de nomination du procureur en chef ainsi que des quatorze autres procureurs de la SIIJ ne présenteraient pas suffisamment de garanties au regard de l’exigence d’impartialité, ce qui pourrait avoir une incidence sur l’exercice de l’activité de la SIIJ. À cet égard, les dernières modifications apportées à la loi no 304/2004 par l’ordonnance d’urgence no 7/2019 auraient pour effet pratique de placer la SIIJ hors de l’autorité du Procureur général.

89      La juridiction de renvoi ajoute que, alors que la SIIJ est composée seulement de quinze procureurs, elle détient une compétence exclusive en matière de poursuites pénales introduites non seulement contre les magistrats mais également contre toute personne dans les affaires où est mis en cause un magistrat, ce qui représente un nombre élevé d’affaires nécessitant un minimum d’enquête. Or, jusqu’à la mise en place de la SIIJ, les plaintes susceptibles de donner lieu à de telles poursuites auraient été examinées par plus de 150 procureurs appartenant à plusieurs branches du parquet, telles que les parquets près les différentes cours d’appel, le parquet près l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice), la DNA et la Direcția de Investigare a Infracțiunilor de Criminalitate Organizată și Terorism (DIICOT) (direction des enquêtes sur la criminalité organisée et le terrorisme, Roumanie). Il conviendrait donc de s’interroger sur la capacité de cette section à traiter les affaires pendantes devant elle d’une manière appropriée et dans un délai raisonnable.

90      C’est dans ces conditions que la Curtea de Apel Brașov (cour d’appel de Brașov) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le [MCV], établi par la [décision 2006/928], doit-il être considéré comme un acte pris par une institution de l’Union, au sens de l’article 267 TFUE, pouvant être soumis à l’interprétation de la [Cour] ?

2)      Les exigences formulées dans les rapports établis dans le cadre dudit mécanisme ont-elles un caractère contraignant pour la Roumanie, notamment (mais pas uniquement) en ce qui concerne la nécessité de procéder à des modifications législatives qui soient conformes aux conclusions du [MCV] ainsi qu’aux recommandations formulées par la Commission de Venise et par le [GRECO] ?

3)      L’article 2, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, TUE, doit-il être interprété en ce sens que l’obligation pour la Roumanie de respecter les exigences imposées par les rapports établis dans le cadre du [MCV] institué par la [décision 2006/928] relève de l’obligation de l’État membre de respecter les principes de l’État de droit ?

4)      Le principe d’indépendance des juges, consacré à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47 de la [Charte], tel qu’interprété par la jurisprudence de la [Cour] (arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117), s’oppose-t-il à la création de la [SIIJ] dans le cadre du parquet près l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice), eu égard aux modalités de nomination et de révocation des procureurs faisant partie de [la SIIJ], aux modalités d’exercice des fonctions dans le cadre de celle-ci ainsi qu’à la manière dont la compétence est établie, en lien avec le nombre réduit de postes au sein de [la SIIJ] ?

5)      L’article 47, [deuxième alinéa], de la [Charte], relatif au droit à un procès équitable par la résolution de l’affaire dans un délai raisonnable, s’oppose-t-il à la création de la [SIIJ] dans le cadre du parquet près l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice), eu égard aux modalités d’exercice des fonctions dans le cadre de [la SIIJ] ainsi qu’à la manière dont la compétence est établie, en lien avec le nombre réduit de postes au sein de [la SIIJ] ? »

 Affaire C355/19

91      Le 23 janvier 2019, le Forum des juges de Roumanie, le Mouvement pour la défense du statut des procureurs et OL ont saisi la Curtea de Apel Piteşti (cour d’appel de Piteşti) d’un recours visant à l’annulation d’un arrêté du Procureur général, du 23 octobre 2018, relatif à l’organisation et au fonctionnement de la SIIJ. Cet arrêté, adopté en vue de la mise en œuvre de la loi no 207/2018 et de l’ordonnance d’urgence no 90/2018, concerne l’organisation et le fonctionnement de cette section.

92      À l’appui de leur recours, les requérants au principal, qui se réfèrent aux rapports et aux avis visés au point 49 du présent arrêt, considèrent que la création de la SIIJ, en ce qu’elle est de nature à entraver la lutte contre la corruption et qu’elle constitue un instrument d’intimidation des magistrats, est contraire aux exigences découlant du MCV, portant sur le respect des principes de l’État de droit, de coopération loyale et d’indépendance des juges, ainsi que, plus généralement, aux exigences de l’article 2 et de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

93      Après avoir rappelé que la DNA était parvenue à des résultats significatifs en matière de lutte contre la corruption, les requérants au principal font observer que la mise en place de la SIIJ peut remettre en cause ces résultats, puisque, désormais, toutes les affaires de corruption impliquant un magistrat sont transférées à cette section, sans que les procureurs qui la constituent disposent d’une compétente spécifique en la matière. En outre, ces transferts pourraient créer des conflits de compétence avec les sections spécialisées en ce domaine, à savoir la DNA et la DIICOT. Enfin, la limitation à quinze du nombre de procureurs au sein de la SIIJ ne permettrait pas à celle-ci de traiter l’ensemble des plaintes enregistrées chaque année contre des magistrats. Le législateur roumain aurait ainsi créé une structure particulièrement mal équipée par rapport aux compétences attribuées à celle-ci et à l’importance des affaires qu’elle traite, ce qui fragiliserait le bon fonctionnement et l’indépendance fonctionnelle de cette structure.

94      C’est dans ces conditions que la Curtea de Apel Pitești (cour d’appel de Pitești) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le [MCV], établi par la décision [2006/928], doit-il être considéré comme un acte pris par une institution de l’Union, au sens de l’article 267 TFUE, pouvant être soumis à l’interprétation de la [Cour] ?

2)      Le contenu, le caractère et la durée du [MCV], établi par la décision [2006/928], relèvent-ils du champ d’application du [traité d’adhésion] ? Les exigences formulées dans les rapports établis dans le cadre dudit mécanisme ont-elles un caractère obligatoire pour la Roumanie ?

3)      L’article 2 TUE doit-il être interprété en ce sens que les États membres sont tenus de respecter les critères de l’État de droit, exigés également par les rapports établis dans le cadre du [MCV], établi par la décision [2006/928], en cas de création d’urgence d’une section du parquet chargée d’enquêter exclusivement sur les infractions commises par des magistrats, ce qui suscite une inquiétude particulière en matière de lutte contre la corruption et qui peut faire office d’instrument supplémentaire pour intimider les magistrats et faire pression sur eux ?

4)      L’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE doit-il être interprété en ce sens que les États membres sont tenus de prendre les mesures nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union, à savoir en écartant tous les risques liés à l’influence politique sur l’enquête pénale à l’encontre de juges, en cas de création d’urgence d’une section du parquet chargée d’enquêter exclusivement sur les infractions commises par des magistrats, ce qui suscite une inquiétude particulière en matière de lutte contre la corruption et qui peut faire office d’instrument supplémentaire pour intimider les magistrats et faire pression sur eux ? »

 Affaire C397/19

95      Le 3 janvier 2019, AX a saisi le Tribunalul București (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie) d’un recours fondé notamment sur l’article 1381 du code civil ainsi que sur les articles 9 et 539 du code de procédure pénale, tendant à ce que l’État roumain soit condamné à lui payer des dommages et intérêts au titre des préjudices matériel et moral résultant d’une condamnation pénale et de mesures de détention et de restriction de liberté illégales.

96      À l’appui de son recours, AX a exposé que, par un jugement du 13 juin 2017, le Tribunalul București (tribunal de grande instance de Bucarest) l’avait condamné à une peine d’emprisonnement de quatre ans avec sursis pour fraude fiscale continue ainsi qu’à une peine complémentaire et à une peine accessoire, avait fixé à 1 642 970 lei roumains (RON) (environ 336 000 euros) le montant des dommages et intérêts à verser, à titre solidaire, à la partie civile et avait ordonné une saisie conservatoire sur tous ses biens mobiliers et immobiliers existants et futurs. En outre, du 21 janvier 2015 au 21 octobre 2015, AX avait été placé en garde à vue, en détention provisoire puis assigné à résidence. Or, par la suite, la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest) a constaté qu’il n’avait pas commis l’infraction pour laquelle il avait été condamné et a levé la saisie conservatoire sur ses biens.

97      La juridiction de renvoi considère que le recours soulève des interrogations sur le statut et les effets juridiques des rapports établis par la Commission dans le cadre du MCV ainsi que sur le point de savoir si le droit primaire de l’Union s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, susceptible de porter atteinte à l’indépendance des juges et des procureurs.

98      S’agissant de l’indépendance des juges nationaux, la juridiction de renvoi relève que celle-ci doit être garantie conformément à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. Or, les règles relatives à l’indemnisation des dommages causés par les erreurs judiciaires seraient, en raison des modalités de la procédure d’indemnisation, de nature à porter atteinte au principe du contradictoire et aux droits de la défense du magistrat en cause, dans la mesure où l’existence d’une erreur judiciaire pourrait être établie dans le cadre d’une première procédure, telle que celle en cause au principal, sans que ce dernier soit entendu ni dispose du droit de remettre en cause l’existence d’une telle erreur dans le cadre de la procédure initiée par l’action récursoire subséquente introduite à son égard. En outre, la question de savoir si cette erreur a été commise par ce magistrat de mauvaise foi ou en raison d’une négligence grave serait laissée à l’appréciation de l’État, ledit magistrat n’ayant qu’une possibilité limitée de s’opposer aux griefs de ce dernier ou de l’Inspection judiciaire, ce qui serait susceptible de porter atteinte, notamment, au principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire, lequel serait l’un des fondements de l’État de droit.

99      C’est dans ces conditions que le Tribunalul București (tribunal de grande instance de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le [MCV], établi par la décision [2006/928], doit-il être considéré comme un acte pris par une institution de l’Union, au sens de l’article 267 TFUE, pouvant être soumis à l’interprétation de la [Cour] ?

2)      Le [MCV], établi par la décision [2006/928], fait-il partie intégrante du [traité d’adhésion] et doit-il être interprété et appliqué au regard de celui-ci ? Les exigences formulées dans les rapports établis dans le cadre dudit mécanisme ont-elles un caractère obligatoire pour l’État roumain et, dans l’affirmative, la juridiction nationale chargée de l’application, dans le cadre de ses compétences, des dispositions du droit de l’Union est-elle tenue d’assurer l’application de ces règles, le cas échéant, en refusant d’office d’appliquer les dispositions de la législation nationale contraires auxdites exigences ?

3)      Les dispositions combinées de l’article 2 et de l’article 4, paragraphe 3, TUE doivent-elles être interprétées en ce sens que l’obligation pour la Roumanie de respecter les exigences imposées par les rapports établis dans le cadre du [MCV], établi par la décision [2006/928], relève de l’obligation de l’État membre de respecter les principes de l’État de droit ?

4)      Les dispositions combinées de l’article 2 et de l’article 4, paragraphe 3, TUE et, plus particulièrement, la nécessité de respecter les valeurs de l’État de droit, s’opposent-elles à une législation nationale telle que l’article 96, paragraphe 3, sous a), de la [loi no 303/2004 modifiée], qui définit la notion d’« erreur judiciaire » de façon lapidaire et abstraite comme la réalisation d’actes de procédure en violation manifeste des règles de droit matériel et procédural, sans préciser la nature des règles enfreintes, le champ d’application ratione materiae et ratione temporis de ces règles dans le cadre de la procédure, les modalités, le délai et la procédure de constatation de la violation desdites règles de droit, ni l’organe compétent pour constater cette violation, permettant ainsi de faire indirectement pression sur les magistrats ?

5)      Les dispositions combinées de l’article 2 et de l’article 4, paragraphe 3, TUE et, plus particulièrement, la nécessité de respecter les valeurs de l’État de droit, s’opposent-elles à une législation nationale telle que l’article 96, paragraphe 3, sous b), de la [loi no 303/2004 modifiée], qui définit la notion d’« erreur judiciaire » comme le prononcé d’une décision juridictionnelle définitive manifestement non conforme à la loi ou aux faits établis au regard des preuves administrées dans le cadre de l’instance, sans préciser la procédure de constatation de la non-conformité ni définir in concreto cette non-conformité de la décision juridictionnelle avec la législation applicable et les faits, permettant ainsi de faire obstacle à l’interprétation de la loi et des preuves par le magistrat (juge ou procureur) ?

6)      Les dispositions combinées de l’article 2 et de l’article 4, paragraphe 3, TUE et, plus particulièrement, la nécessité de respecter les valeurs de l’État de droit s’opposent-elles à une législation nationale telle que l’article 96, paragraphe 3, de la [loi no 303/2004 modifiée], en vertu de laquelle la responsabilité civile patrimoniale du magistrat (juge ou procureur) est engagée à l’égard de l’État, sur la seule base de la propre appréciation de ce dernier et, éventuellement, sur le fondement du rapport consultatif de l’[Inspection judiciaire], concernant l’intention du magistrat de commettre l’erreur matérielle ou sa négligence grave à cet égard, sans que le magistrat soit en mesure d’exercer pleinement ses droits de la défense, permettant ainsi d’engager et de mettre en œuvre arbitrairement la responsabilité matérielle du magistrat envers l’État ?

7)      L’article 2 TUE, et, plus particulièrement, la nécessité de respecter les valeurs de l’État de droit, s’oppose-t-il à une législation nationale telle que les dispositions combinées de l’article 539, paragraphe 2, dernier membre de phrase, et de l’article 541, paragraphes 2 et 3, du [code de procédure pénale], en vertu de laquelle la personne mise en examen dispose, sine die et implicitement, d’une voie de recours extraordinaire, sui generis, contre une décision juridictionnelle définitive relative à la légalité d’une mesure de détention provisoire, dans l’hypothèse où cette personne est acquittée sur le fond, voie de recours relevant de la compétence exclusive d’une juridiction civile, alors que l’illégalité de la détention provisoire n’a pas été constatée par décision d’une juridiction pénale, ce qui méconnaît les principes de prévisibilité et d’accessibilité de la loi, de spécialisation des juges et de sécurité des rapports juridiques ? »

 Sur la procédure devant la Cour

100    Les affaires C‑83/19, C‑127/19 et C‑195/19 ont, par décision du président de la Cour du 21 mars 2019, été jointes aux fins des procédures écrite et orale ainsi que de l’arrêt. Par décision du président de la Cour du 27 novembre 2020, les affaires C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19 ont été jointes à ces affaires aux fins de l’arrêt.

101    Les juridictions de renvoi dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑355/19 et C‑397/19 ont demandé à la Cour que les renvois préjudiciels dans ces affaires soient soumis à une procédure accélérée en vertu de l’article 105 du règlement de procédure de la Cour. À l’appui de leurs demandes, ces juridictions ont fait valoir que les exigences de l’État de droit nécessitaient la résolution des litiges au principal dans de brefs délais.

102    L’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut décider, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée dérogeant aux dispositions de ce règlement lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais.

103    Il importe de rappeler, à cet égard, qu’une telle procédure accélérée constitue un instrument procédural destiné à répondre à une situation d’urgence extraordinaire. Par ailleurs, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que la procédure accélérée peut ne pas être appliquée lorsque le caractère sensible et complexe des problèmes juridiques posés par une affaire se prête difficilement à l’application d’une telle procédure, notamment lorsqu’il n’apparaît pas approprié d’écourter la phase écrite de la procédure devant la Cour [arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 48 et 49 ainsi que jurisprudence citée].

104    En l’occurrence, par des décisions du 21 mars 2019 (affaires C‑83/19, C‑127/19 et C‑195/19), du 26 juin 2019 (affaire C‑397/19) et du 27 juin 2019 (affaire C‑355/19), le président de la Cour a décidé, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, qu’il convenait de rejeter les demandes des juridictions de renvoi visées au point 101 du présent arrêt.

105    En effet, si les questions posées, qui ont trait à des dispositions fondamentales du droit de l’Union, sont a priori susceptibles de revêtir une importance primordiale pour le bon fonctionnement du système juridictionnel de l’Union, auquel l’indépendance des juridictions nationales est essentielle (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 11 décembre 2018, Uniparts, C‑668/18, non publiée, EU:C:2018:1003, point 12), le caractère sensible et complexe de ces questions, qui s’inscrivent dans le cadre d’une réforme d’envergure en matière de justice et de lutte contre la corruption en Roumanie, se prêtait difficilement à l’application de la procédure accélérée.

106    Toutefois, eu égard à la nature des questions posées, le président de la Cour a, par décision du 18 septembre 2019, accordé à l’ensemble des affaires visées au point 100 du présent arrêt un traitement prioritaire, en vertu de l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la compétence de la Cour

107    Les gouvernements polonais et roumain estiment que la Cour n’est pas compétente pour répondre à certaines questions posées par les juridictions de renvoi.

108    Le gouvernement polonais, qui s’est limité à formuler des observations concernant la troisième question posée dans l’affaire C‑83/19, les quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C‑127/19, la deuxième question posée dans l’affaire C‑195/19, les quatrième et cinquième questions posée dans l’affaire C‑291/19, la quatrième question posée dans l’affaire C‑355/19 et les quatrième à sixième questions posées dans l’affaire C‑397/19, conteste la compétence de la Cour pour répondre à ces questions. En effet, les interrogations soulevées par les juridictions de renvoi en ce qui concerne la conformité de la législation roumaine au droit de l’Union porteraient, d’une part, sur l’organisation de la justice, plus particulièrement sur la procédure de nomination des membres de l’Inspection judiciaire et l’organisation interne du ministère public, et, d’autre part, sur le régime de la responsabilité de l’État pour les préjudices causés par les juges aux particuliers en raison d’une violation du droit interne. Or, ces deux domaines relèveraient de la compétence exclusive des États membres et, par suite, échapperaient au champ d’application du droit de l’Union.

109    Quant au gouvernement roumain, il fait valoir que la Cour n’est pas compétente pour répondre à la quatrième question posée dans l’affaire C‑83/19, aux quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C‑127/19, à la deuxième question posée dans l’affaire C‑195/19, aux quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C‑291/19, aux troisième et quatrième questions posées dans l’affaire C‑355/19 ainsi qu’aux troisième à sixième questions posées dans l’affaire C‑397/19, dans la mesure où ces questions visent l’interprétation de l’article 2 et de l’article 4, paragraphe 3, TUE, de l’article 67 TFUE ainsi que de l’article 47 de la Charte. En effet, alors que ces dispositions auraient nécessité, pour être applicables aux litiges au principal, que la Roumanie ait mis en œuvre le droit de l’Union, il n’existerait aucun acte de l’Union qui régirait les mesures en cause au principal. Seul l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE serait susceptible, eu égard à la jurisprudence issue de l’arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117), d’être pertinent au regard des interrogations soulevées par les juridictions de renvoi dans ces questions. En tout état de cause, lesdites questions auraient trait à l’organisation de la justice, laquelle ne relèverait pas des compétences de l’Union.

110    À cet égard, il y a lieu de constater que les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation du droit de l’Union, qu’il s’agisse de dispositions de droit primaire, en l’occurrence l’article 2, l’article 4, paragraphe 3, l’article 9 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 67 TFUE ainsi que l’article 47 de la Charte, ou de dispositions de droit dérivé, à savoir la décision 2006/928.

111    En outre, l’argumentation des gouvernements polonais et roumain quant à l’absence de compétence de l’Union en matière d’organisation de la justice et de responsabilité de l’État en cas d’erreurs judiciaires a trait, en réalité, à la portée même et, partant, à l’interprétation des dispositions du droit primaire de l’Union visées par les questions posées, laquelle interprétation relève manifestement de la compétence de la Cour au titre de l’article 267 TFUE. En effet, la Cour a déjà jugé que, si l’organisation de la justice dans les États membres relève de la compétence de ces derniers, ceux-ci n’en sont pas moins tenus, dans l’exercice de cette compétence, de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 68 et 69 ainsi que jurisprudence citée]. Cette obligation vaut également dans le domaine de la responsabilité patrimoniale des États membres et de la responsabilité personnelle des juges en cas d’erreur judiciaire, en cause dans l’affaire C‑397/19.

112    Eu égard à ce qui précède, la Cour est compétente pour répondre aux questions posées dans les présentes affaires, y compris à celles visées aux points 108 et 109 du présent arrêt.

 Sur l’éventuel non-lieu à statuer et la recevabilité

 Affaire C83/19

113    L’Inspection judiciaire et le gouvernement roumain soutiennent que la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑83/19 est irrecevable en raison de l’absence de lien entre les questions posées et le litige au principal. En particulier, l’interprétation du droit de l’Union sollicitée dans cette affaire n’aurait pas d’incidence directe sur l’issue de ce litige, celui-ci devant être tranché sur la seule base du droit national.

114    De son côté, la Commission fait valoir dans ses observations écrites que les questions posées semblent avoir perdu leur pertinence pour le litige au principal, dans la mesure où l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature a nommé, le 15 mai 2019, soit ultérieurement à la saisine de la Cour, M. Netejoru aux fonctions d’inspecteur en chef de l’Inspection judiciaire pour un nouveau mandat de trois ans sur le fondement de la loi no 317/2004. Cette nomination ayant mis fin à l’ingérence du pouvoir exécutif dans l’indépendance de la justice, résultant de l’ordonnance d’urgence no 77/2018, M. Netejoru serait désormais en mesure de justifier de sa qualité de représentant de l’Inspection judiciaire, de sorte que, en principe, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union ne se poseraient plus et qu’il n’y aurait dès lors plus lieu pour la Cour de se prononcer sur celles-ci. Lors de l’audience, la Commission a précisé que, conformément aux règles du droit national, des vices de procédure de la nature de celui invoqué par le requérant au principal pourraient être purgés en cours de procédure, ce qu’il appartiendrait toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

115    Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre cette dernière et les juridictions nationales, instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer [arrêt du 24 novembre 2020, Openbaar Ministerie (Faux en écritures), C‑510/19, EU:C:2020:953, point 25 et jurisprudence citée].

116    Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées [arrêt du 24 novembre 2020, Openbaar Ministerie (Faux en écritures), C‑510/19, EU:C:2020:953, point 26 et jurisprudence citée].

117    En particulier, comme il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie. Ainsi, la procédure préjudicielle présuppose, notamment, qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt préjudiciel [arrêt du 24 novembre 2020, Openbaar Ministerie (Faux en écritures), C‑510/19, EU:C:2020:953, point 27 et jurisprudence citée].

118    En l’occurrence, il découle sans équivoque de la décision de renvoi que la juridiction nationale considère qu’une décision préjudicielle est nécessaire pour qu’elle puisse statuer in limine litis sur l’exception de procédure soulevée par le Forum des juges de Roumanie, tirée de ce que M. Netejoru, signataire du mémoire en défense, n’a pas justifié de sa qualité de représentant de l’Inspection judiciaire. Cette juridiction expose en effet qu’il lui appartient, en application notamment de l’article 248, paragraphe 1, du code de procédure civile, de se prononcer d’abord sur cette exception, dans la mesure où, si celle-ci était accueillie, il conviendrait d’écarter du dossier ce mémoire en défense ainsi que les preuves et les exceptions invoquées par l’Inspection judiciaire.

119    Il s’ensuit que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union répond à un besoin objectif pour la décision que la juridiction de renvoi doit prendre.

120    Par ailleurs, comme l’a relevé en substance M. l’avocat général au point 95 de ses conclusions dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C–291/19 et C‑355/19, cette interprétation demeure nécessaire nonobstant le fait que M. Netejoru a été entretemps nommé aux fonctions d’inspecteur en chef de l’Inspection judiciaire par le Conseil supérieur de la magistrature. En effet, d’une part, aucun élément du dossier dont dispose la Cour n’indique que l’exception procédurale soulevée dans l’affaire au principal ou la procédure au principal elle–même aurait perdu son objet. D’autre part, alors que la capacité de l’intéressé à représenter légalement l’Inspection judiciaire doit, en vertu du droit national applicable, tel qu’exposé par la juridiction de renvoi, être appréciée à la date de dépôt du mémoire en défense, il est constant que cette nomination a eu lieu postérieurement à cette date. Dans ces conditions, les interrogations soulevées par la Commission quant à la persistance de la pertinence des questions posées en raison de cette nomination ultérieure ne sont pas de nature à remettre en cause la présomption de pertinence dont bénéficient lesdites questions ni, partant, à conduire à un non-lieu à statuer sur ces questions.

121    Il résulte de ce qui précède que la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑83/19 est recevable et qu’il y a lieu de statuer sur celle-ci.

 Affaires C127/19 et C355/19

122    Le Conseil supérieur de la magistrature soutient que la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑127/19 est irrecevable, notamment en raison du fait que la décision 2006/928 ne constitue pas un acte législatif de l’Union ayant force obligatoire pour la Roumanie et susceptible d’être soumis à l’interprétation de la Cour au titre de l’article 267 TFUE. En tout état de cause, les questions posées dans cette affaire auraient trait non pas à l’application uniforme d’une disposition du droit de l’Union, mais à l’applicabilité au litige au principal des dispositions de ce droit visées par lesdites questions et ne pourraient, ainsi formulées, faire l’objet d’une demande de décision préjudicielle.

123    Pour sa part, le gouvernement roumain considère que les première à troisième questions posées dans l’affaire C‑127/19 et l’ensemble des questions posées dans l’affaire C‑355/19 sont irrecevables, faute pour les juridictions de renvoi d’avoir établi un lien entre ces questions et les litiges au principal. L’interprétation sollicitée n’aurait donc pas de rapport avec la réalité ou l’objet de ces litiges.

124    En premier lieu, il convient de relever que les considérations du Conseil supérieur de la magistrature exposées au point 122 du présent arrêt et relatives à la nature et aux effets de la décision 2006/928 ainsi qu’à l’applicabilité de cette décision dans le contexte du litige au principal relèvent, en réalité, de l’examen au fond des questions posées dans l’affaire C‑127/19 et non de celui de la recevabilité de ces questions.

125    S’agissant, en second lieu, des objections du gouvernement roumain, il suffit de relever que les litiges au principal dans les affaires C‑127/19 et C‑355/19 portent sur la légalité, respectivement, de deux décisions du Conseil supérieur de la magistrature et d’un arrêté du Procureur général visant à mettre en œuvre certaines des modifications issues de la loi no 207/2018, dont la compatibilité avec le droit de l’Union, plus particulièrement avec la décision 2006/928, avec l’article 2, l’article 4, paragraphe 3, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ainsi qu’avec l’article 47 de la Charte, est contestée devant les juridictions de renvoi. Ainsi, compte tenu des indications fournies à cet effet par lesdites juridictions, il ne saurait être considéré que les questions posées dans ces affaires ne présentent manifestement pas de rapport avec la réalité ou l’objet des litiges au principal.

126    Dans ces conditions, les demandes de décision préjudicielle dans les affaires C‑127/19 et C‑355/19 sont recevables.

 Affaires C195/19 et C291/19

127    Le gouvernement roumain allègue l’irrecevabilité des questions posées dans les affaires C‑195/19 et C‑291/19, en faisant valoir que les juridictions de renvoi n’ont pas établi l’existence d’un lien entre les questions posées et les procédures au principal. S’agissant, en particulier, de la référence à l’article 9, première phrase, TUE et à l’article 67, paragraphe 1, TFUE, figurant dans la deuxième question posée dans l’affaire C‑195/19, le gouvernement roumain fait observer que la demande de décision préjudicielle ne contient aucun élément expliquant en quoi ces dispositions entretiendraient un quelconque rapport avec la réalité du litige au principal. Quant à la troisième question posée dans cette même affaire, il ajoute que cette question et, en particulier, les références à la jurisprudence de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle) et aux effets de celle-ci sont formulées de manière trop générale et n’ont aucun rapport avec la réalité de ce litige.

128    À cet égard, il convient de relever que les procédures en cause au principal dans les affaires C‑195/19 et C‑291/19, relatives à la mise en cause de la responsabilité pénale de juges et de procureurs, impliquent la participation de procureurs de la SIIJ. Or, à la lumière des rapports et des avis visés au point 49 du présent arrêt, les juridictions de renvoi nourrissent des doutes quant à la compatibilité de la réglementation relative à la création de la SIIJ avec les dispositions du droit de l’Union visées par les questions préjudicielles. En outre, il ressort des indications fournies par ces juridictions qu’il leur appartient de statuer à titre incident sur cette question avant de pouvoir décider de l’issue des recours dont elles sont saisies.

129    Il ne saurait donc être considéré que les questions posées, dans la mesure où elles portent sur la décision 2006/928, sur l’article 2, l’article 4, paragraphe 3, et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que sur l’article 47 de la Charte, ne présentent pas de rapport avec la réalité ou l’objet des litiges au principal ou qu’elles portent sur un problème de nature hypothétique.

130    S’agissant, en revanche, de la référence à l’article 9, première phrase, TUE et à l’article 67, paragraphe 1, TFUE, figurant dans la deuxième question posée dans l’affaire C‑195/19, la demande de décision préjudicielle ne comporte aucun élément permettant de comprendre en quoi l’interprétation de ces dispositions pourrait être utile à la juridiction de renvoi pour la solution du litige au principal. Dans ces conditions, cette deuxième question est irrecevable dans la mesure où elle porte sur l’article 9, première phrase, TUE et l’article 67, paragraphe 1, TFUE.

131    En ce qui concerne la recevabilité de la troisième question dans l’affaire C‑195/19, il importe de rappeler que, dans le cadre de la coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 179 ainsi que jurisprudence citée). Ainsi, la circonstance que la question en cause soit formulée, sur un plan formel, en des termes généraux ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à cette juridiction tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments de droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

132    En l’occurrence, il suffit de relever que les précisions figurant dans la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑195/19 permettent de comprendre la portée de la troisième question, par laquelle la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si le principe de primauté du droit de l’Union s’oppose à une disposition nationale de rang constitutionnel, telle qu’interprétée par la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle), en vertu de laquelle la juridiction de renvoi ne disposerait pas du pouvoir d’appliquer les enseignements découlant de l’arrêt de la Cour rendu dans la présente affaire et de laisser, le cas échéant, inappliquée la réglementation nationale en cause au principal qui serait contraire au droit de l’Union.

133    Or, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’article 267 TFUE confère aux juridictions nationales la faculté la plus étendue de saisir la Cour si elles considèrent qu’une affaire pendante devant elles soulève des questions exigeant une interprétation des dispositions du droit de l’Union nécessaires au règlement du litige qui leur est soumis (arrêt du 24 octobre 2018, XC e.a., C‑234/17, EU:C:2018:853, point 42). C’est ainsi, notamment, que la juridiction qui ne statue pas en dernière instance doit être libre, si elle considère que l’appréciation en droit effectuée par une juridiction de degré supérieur, même de rang constitutionnel, pourrait l’amener à rendre un jugement contraire au droit de l’Union, de saisir la Cour des questions qui la préoccupent (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C‑349/17, EU:C:2019:172, point 52 et jurisprudence citée).

134    Dans ces conditions, s’agissant de l’affaire C‑195/19, la première question, la deuxième question en ce qu’elle vise l’article 2 TUE et la troisième question sont recevables. Quant à l’affaire C‑291/19, l’ensemble des questions posées sont recevables.

 Affaire C397/19

135    Le gouvernement roumain allègue l’irrecevabilité des trois premières questions posées dans l’affaire C‑397/19, au motif qu’elles ne présentent aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, dont les faits ne relèvent pas du champ d’application du droit de l’Union. Il soutient à cet égard que le lien entre ce litige et le MCV n’est qu’indirect de sorte qu’une réponse à ces questions serait sans influence sur l’issue dudit litige. S’agissant des quatrième à sixième questions, le gouvernement roumain fait valoir que les dispositions du droit de l’Union visées par ces questions sont également sans lien avec le litige au principal. Concernant, en particulier, la sixième question, ce gouvernement considère que le problème juridique qu’elle soulève dépasse l’objet de ce litige dès lors que la juridiction de renvoi est saisie d’une action en responsabilité patrimoniale à l’encontre de l’État roumain et non d’une action récursoire contre un juge. Quant à la septième question, il considère que celle-ci est irrecevable, puisque les allégations y figurant, outre qu’elles sont infondées, soulèvent un problème d’interprétation hypothétique.

136    De son côté, la Commission expose ses doutes quant à la recevabilité des première à sixième questions. En effet, si les modifications apportées au régime de la responsabilité personnelle des juges et des procureurs par la loi no 242/2018 ont été jugées problématiques, en ce qui concerne leur conformité au droit de l’Union, par le rapport MCV de novembre 2018 ainsi que par d’autres rapports et avis visés au point 49 du présent arrêt, le litige au principal aurait pour objet l’engagement de la responsabilité de l’État au titre d’une erreur judiciaire alléguée, et non la mise en cause, dans le cadre d’une action récursoire, de la responsabilité personnelle du juge à l’origine de cette erreur. Toutefois, lors de l’audience, la Commission a précisé, à cet égard, que la recevabilité de ces questions pourrait être admise pour autant que celles-ci soient reformulées comme visant à ce qu’il soit procédé à un examen du régime de la responsabilité pour erreur judiciaire dans son ensemble eu égard aux liens procéduraux existant entre les deux procédures concernées et, en particulier, à la circonstance que la première peut influencer l’issue de la seconde alors même que le juge concerné n’est entendu qu’au stade de cette seconde procédure.

137    En revanche, la Commission considère que la septième question est irrecevable. Cette institution expose qu’il appartient, en principe, aux États membres de déterminer les conditions dans lesquelles un recours peut être formé pour contester la légalité d’une mesure de détention provisoire dans le cadre d’une procédure pénale, afin d’obtenir réparation du préjudice subi, cet aspect n’étant pas régi par le droit de l’Union. En outre, la juridiction de renvoi ne fournirait pas la moindre explication permettant de mettre en doute la conformité au droit de l’Union des dispositions des articles 539 et 541 du code de procédure pénale visées par cette septième question.

138    À cet égard, s’agissant, tout d’abord, de la recevabilité des première à troisième questions, relatives à la nature et à la portée du MCV institué par la décision 2006/928, il suffit de constater que le régime de la responsabilité personnelle des juges fait partie, comme l’a fait observer la Commission, des lois régissant l’organisation de la justice en Roumanie et a fait l’objet du suivi assuré à l’échelle de l’Union sur le fondement de ce mécanisme. Il n’apparaît donc pas de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union visée par ces questions n’ait aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal.

139    Concernant, ensuite, la recevabilité des quatrième à sixième questions, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence citée au point 131 du présent arrêt, il appartient à la Cour, le cas échéant, d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige.

140    Or, il ressort du libellé de ces questions et des motifs y figurant que la juridiction de renvoi éprouve des doutes quant à la conformité au droit de l’Union, notamment à la valeur de l’État de droit et au principe d’indépendance des juges, consacrés à l’article 2 et à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, des règles nationales qui régissent la responsabilité patrimoniale de l’État pour les préjudices causés par des erreurs judiciaires ainsi que la responsabilité personnelle des juges dont l’exercice des fonctions est à l’origine de ces erreurs, en raison, notamment, du caractère général et abstrait de la définition de la notion d’« erreur judiciaire » et de certaines modalités procédurales prévues.

141    À cet égard, il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’existence d’une erreur judiciaire est établie de manière définitive dans le cadre d’une procédure engagée à l’encontre de l’État, telle que celle en cause au principal, à laquelle le juge dont l’exercice des fonctions est à l’origine de l’erreur judiciaire alléguée ne participe pas. Dans le cas où il est constaté, à l’issue de cette procédure, l’existence d’une erreur judiciaire, le ministère compétent peut décider, selon les indications de la juridiction de renvoi, sur la seule base de sa propre appréciation, d’engager ou non l’action récursoire à l’encontre du juge concerné, celui-ci disposant alors d’une possibilité limitée de s’opposer aux griefs soulevés par l’État.

142    Au regard des liens substantiels et intrinsèques qui existent entre les règles matérielles et procédurales régissant le régime de la responsabilité patrimoniale de l’État et celles régissant le régime de la responsabilité personnelle des juges, la juridiction de renvoi demande, en substance, par les quatrième à sixième questions, si ces règles, prises dans leur ensemble, sont susceptibles de porter atteinte aux principes du droit de l’Union dès le stade de la procédure contre l’État, dans la mesure où le constat d’une erreur judiciaire dans le cadre de cette procédure s’impose dans le cadre de la procédure contre le juge en cause, alors que celui-ci n’a pas participé à la première procédure.

143    Dans ces conditions, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union visée par les quatrième à sixième questions n’ait aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ni que le problème soulevé par ces questions soit de nature hypothétique.

144    Pour ce qui est, enfin, de la recevabilité de la septième question, il convient de relever que la demande de décision préjudicielle ne permet de comprendre ni la portée exacte de cette question ni les raisons pour lesquelles la juridiction de renvoi émet des doutes quant à la compatibilité des dispositions nationales visées par ladite question avec l’article 2 TUE. La Cour ne disposant donc pas des éléments nécessaires pour répondre à la septième question de manière utile, celle-ci doit être déclarée irrecevable.

145    Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑397/19 est, à l’exception de la septième question, recevable.

 Sur le fond

146    Les demandes de décision préjudicielle, en ce qu’elles sont recevables, portent :

–        sur la question de savoir si la décision 2006/928 et les rapports établis par la Commission sur la base de cette décision constituent des actes pris par une institution de l’Union, susceptibles d’être soumis à l’interprétation de la Cour au titre de l’article 267 TFUE (première question dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19) ;

–        sur le point de savoir si la décision 2006/928 relève du champ d’application du traité d’adhésion et, dans l’affirmative, sur les conséquences juridiques qui en découlent pour la Roumanie (première question dans l’affaire C‑195/19, deuxième question dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19 ainsi que troisième question dans les affaires C‑127/19, C‑291/19 et C‑397/19) ;

–        sur le point de savoir si les réglementations régissant l’organisation de la justice en Roumanie relèvent du champ d’application de la décision 2006/928 (quatrième question dans l’affaire C‑83/19 et troisième question dans l’affaire C‑355/19) ;

–        sur la conformité au droit de l’Union de la réglementation roumaine relative à la nomination ad interim aux postes de direction de l’Inspection judiciaire (troisième question dans l’affaire C‑83/19) ;

–        sur la conformité au droit de l’Union de la réglementation roumaine relative à la création de la SIIJ (quatrième et cinquième questions dans l’affaire C‑127/19, deuxième question dans l’affaire C‑195/19, quatrième et cinquième questions dans l’affaire C‑291/19 ainsi que troisième et quatrième questions dans l’affaire C‑355/19) ;

–        sur la conformité au droit de l’Union du régime roumain de la responsabilité patrimoniale de l’État et de la responsabilité personnelle des juges en cas d’erreur judiciaire (quatrième à sixième questions dans l’affaire C‑397/19) ;

–        sur le principe de primauté du droit de l’Union (troisième question dans l’affaire C‑195/19).

 Sur la première question posée dans les affaires C83/19, C127/19, C355/19, C291/19 et C397/19

147    Par leur première question posée dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, qu’il convient d’examiner conjointement, les juridictions de renvoi cherchent, en substance, à savoir si la décision 2006/928 ainsi que les rapports établis par la Commission sur la base de celle-ci constituent des actes pris par une institution de l’Union, susceptibles d’être interprétés par la Cour au titre de l’article 267 TFUE.

148    À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’article 267 TFUE attribue à la Cour la compétence pour statuer, à titre préjudiciel, sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions de l’Union, sans exception aucune [voir, en ce sens, arrêts du 13 juin 2017, Florescu e.a., C‑258/14, EU:C:2017:448, point 30, ainsi que du 20 février 2018, Belgique/Commission, C‑16/16 P, EU:C:2018:79, point 44 et jurisprudence citée].

149    Or, la décision 2006/928 est un acte adopté par une institution de l’Union, à savoir la Commission, sur le fondement de l’acte d’adhésion, lequel relève du droit primaire de l’Union, et constitue, plus particulièrement, une décision au sens de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE. Quant aux rapports de la Commission au Parlement européen et au Conseil, établis au titre du MCV institué par cette décision, ils doivent également être regardés comme des actes adoptés par une institution de l’Union, ayant pour base juridique le droit de l’Union, à savoir l’article 2 de ladite décision.

150    Il s’ensuit que la décision 2006/928 et les rapports de la Commission établis sur la base de cette décision peuvent être soumis à l’interprétation de la Cour au titre de l’article 267 TFUE, sans qu’il importe, à cette fin, de savoir si ces actes sont revêtus, ou non, d’effets contraignants.

151    Il convient donc de répondre à la première question posée dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19 que la décision 2006/928 ainsi que les rapports établis par la Commission sur la base de cette décision constituent des actes pris par une institution de l’Union, susceptibles d’être interprétés par la Cour au titre de l’article 267 TFUE.

 Sur la première question posée dans l’affaire C195/19, la deuxième question posée dans les affaires C83/19, C127/19, C291/19, C355/19 et C397/19 ainsi que la troisième question posée dans les affaires C127/19, C291/19 et C397/19

152    Par la première question posée dans l’affaire C‑195/19, la deuxième question posée dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19 ainsi que la troisième question posée dans les affaires C‑127/19, C‑291/19 et C‑397/19, qu’il convient d’examiner conjointement, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si les articles 2, 37 et 38 de l’acte d’adhésion, lus en combinaison avec les articles 2 et 49 TUE, doivent être interprétés en ce sens que la décision 2006/928 relève, en ce qui concerne sa nature juridique, son contenu et ses effets dans le temps, du champ d’application du traité d’adhésion et, dans l’affirmative, quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour la Roumanie. En particulier, les juridictions de renvoi s’interrogent sur le point de savoir si et dans quelle mesure les exigences et les recommandations formulées dans les rapports de la Commission adoptés sur le fondement de la décision 2006/928 sont obligatoires pour la Roumanie.

–       Sur la nature juridique, le contenu et les effets dans le temps de la décision 2006/928

153    Ainsi qu’il ressort de ses considérants 4 et 5, la décision 2006/928 a été adoptée, dans le contexte de l’adhésion de la Roumanie à l’Union, laquelle est intervenue le 1er janvier 2007, sur le fondement des articles 37 et 38 de l’acte d’adhésion.

154    Or, en vertu de l’article 2, paragraphe 2, du traité d’adhésion, l’acte d’adhésion, qui énonce les conditions de l’adhésion de la Roumanie à l’Union et fixe les adaptations des traités que cette adhésion entraîne, fait partie intégrante de ce traité.

155    Ainsi, la décision 2006/928 relève, en tant que mesure adoptée sur le fondement de l’acte d’adhésion, du champ d’application du traité d’adhésion. La circonstance que cette décision a été prise antérieurement à l’adhésion de la Roumanie à l’Union n’infirme pas cette conclusion, dans la mesure où l’article 4, paragraphe 3, de ce traité, lequel a été signé le 25 avril 2005, a expressément habilité les institutions de l’Union à adopter avant cette adhésion les mesures qui y sont énumérées, parmi lesquelles figurent celles visées aux articles 37 et 38 de l’acte d’adhésion.

156    S’agissant de ces articles 37 et 38 de l’acte d’adhésion, ceux-ci habilitent la Commission à adopter des mesures appropriées en cas, respectivement, de risque imminent de dysfonctionnement grave du marché intérieur lié au non-respect, par la Roumanie, d’engagements pris dans le cadre des négociations d’adhésion et de risque imminent de manquements graves de la Roumanie en ce qui concerne le respect du droit de l’Union relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

157    Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 134 et 135 de ses conclusions dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19 et C‑355/19, la décision 2006/928 a été adoptée en raison de l’existence de risques imminents de la nature de ceux visés aux articles 37 et 38 de l’acte d’adhésion.

158    En effet, comme il ressort du rapport de suivi de la Commission, du 26 septembre 2006, sur le degré de préparation à l’adhésion à l’Union européenne de la Bulgarie et de la Roumanie [COM(2006) 549 final], auquel se réfère le considérant 4 de la décision 2006/928, cette institution a constaté la persistance en Roumanie de défaillances, notamment dans les domaines de la justice et de la lutte contre la corruption, et a proposé au Conseil de subordonner l’adhésion de cet État à l’Union à l’institution d’un mécanisme de coopération et de vérification aux fins de faire face à ces défaillances. Ainsi qu’il ressort notamment des considérants 4 et 6 de cette décision et comme l’a souligné la Commission, ladite décision a institué le MCV et édicté les objectifs de référence, visés à l’article 1er et à l’annexe de la même décision, en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption pour résoudre précisément lesdites défaillances et garantir la capacité de ce système et des instances chargées de faire appliquer la loi à mettre en œuvre et à appliquer les mesures adoptées pour contribuer au fonctionnement du marché intérieur et de l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

159    À cet égard, et comme l’énoncent les considérants 2 et 3 de la décision 2006/928, ce marché et cet espace reposent sur la confiance réciproque entre les États membres que leurs décisions et leurs pratiques administratives et judiciaires respectent pleinement l’État de droit, cette condition impliquant l’existence, dans tous les États membres, d’un système judiciaire et administratif impartial, indépendant et efficace, doté de moyens suffisants, entre autres, pour lutter contre la corruption.

160    Or, l’article 49 TUE, qui prévoit la possibilité pour tout État européen de demander à devenir membre de l’Union, précise que celle-ci regroupe des États qui ont librement et volontairement adhéré aux valeurs communes actuellement visées à l’article 2 TUE, qui respectent ces valeurs et qui s’engagent à les promouvoir. En particulier, il découle de l’article 2 TUE que l’Union est fondée sur des valeurs, telles que l’État de droit, qui sont communes aux États membres dans une société caractérisée, notamment, par la justice. À cet égard, il convient de relever que la confiance mutuelle entre les États membres et, notamment, leurs juridictions est fondée sur la prémisse fondamentale selon laquelle les États membres partagent une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à cet article (arrêt du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, points 61 et 62 ainsi que jurisprudence citée).

161    Ainsi, le respect des valeurs visées à l’article 2 TUE constitue, comme l’ont souligné la Commission ainsi que les gouvernements belge, danois et suédois, une condition préalable à l’adhésion à l’Union de tout État européen demandant à devenir membre de l’Union. C’est dans ce contexte que le MCV a été institué par la décision 2006/928 afin que soit assuré le respect de la valeur de l’État de droit en Roumanie.

162    Par ailleurs, le respect par un État membre des valeurs consacrées à l’article 2 TUE constitue une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités à cet État membre. Un État membre ne saurait donc modifier sa législation de manière à entraîner une régression de la protection de la valeur de l’État de droit, valeur qui est concrétisée, notamment, par l’article 19 TUE. Les États membres sont ainsi tenus de veiller à éviter toute régression, au regard de cette valeur, de leur législation en matière d’organisation de la justice, en s’abstenant d’adopter des règles qui viendraient porter atteinte à l’indépendance des juges (arrêt du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, points 63 et 64 ainsi que jurisprudence citée).

163    Dans ce contexte, il importe de relever que les actes pris, avant l’adhésion, par les institutions de l’Union, au nombre desquels figure la décision 2006/928, lient la Roumanie depuis la date de son adhésion à l’Union, en vertu de l’article 2 de l’acte d’adhésion, et restent en vigueur, conformément à l’article 2, paragraphe 3, du traité d’adhésion, jusqu’à leur abrogation.

164    S’agissant plus spécifiquement des mesures adoptées sur le fondement des articles 37 et 38 de l’acte d’adhésion, s’il est vrai que le premier alinéa de chacun de ces articles a autorisé la Commission à adopter les mesures qu’ils visent « pendant une période pouvant aller jusqu’à trois ans à compter de la date d’adhésion », le second alinéa de chacun desdits articles a toutefois expressément prévu que les mesures ainsi adoptées pourraient être appliquées au-delà de ladite période tant que les engagements correspondants n’auraient pas été remplis ou que les manquements constatés persisteraient, et qu’elles ne seraient levées que lorsque l’engagement correspondant serait rempli ou le manquement en cause corrigé. D’ailleurs, la décision 2006/928 précise elle-même, à son considérant 9, qu’elle « sera abrogée lorsque tous les objectifs de référence auront été atteints ».

165    La décision 2006/928 relève donc, en ce qui concerne sa nature juridique, son contenu et ses effets dans le temps, du champ d’application du traité d’adhésion et continue à déployer ses effets tant qu’elle n’a pas été abrogée.

–       Sur les effets juridiques de la décision 2006/928 et des rapports de la Commission établis sur la base de cette décision

166    Il y a lieu de rappeler que l’article 288, quatrième alinéa, TFUE prévoit, à l’instar de l’article 249, quatrième alinéa, CE, qu’une décision « est obligatoire dans tous ses éléments » pour les destinataires qu’elle désigne.

167    Conformément à son article 4, la décision 2006/928 a pour destinataires l’ensemble des États membres, ce qui inclut la Roumanie à compter de son adhésion. Cette décision présente par conséquent un caractère contraignant dans tous ses éléments pour cet État membre dès son adhésion à l’Union.

168    Ainsi, ladite décision impose à la Roumanie l’obligation d’atteindre les objectifs de référence figurant à son annexe et de faire chaque année, en vertu de son article 1er, premier alinéa, rapport à la Commission sur les progrès réalisés à cet égard.

169    S’agissant, en particulier, de ces objectifs de référence, il convient d’ajouter que ceux-ci ont été définis, ainsi qu’il ressort des points 158 à 162 du présent arrêt, en raison des défaillances constatées par la Commission avant l’adhésion de la Roumanie à l’Union dans les domaines, notamment, des réformes judiciaires et de la lutte contre la corruption, et qu’ils visent à assurer le respect, par cet État membre, de la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE, condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités audit État membre.

170    En outre, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 152 de ses conclusions dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19 et C‑355/19 et comme l’ont fait observer la Commission et le gouvernement belge, lesdits objectifs de référence concrétisent les engagements spécifiques contractés par la Roumanie et les exigences acceptées par celle‐ci lors de la clôture des négociations d’adhésion le 14 décembre 2004, figurant à l’annexe IX de l’acte d’adhésion, concernant notamment les domaines de la justice et de la lutte contre la corruption.

171    Ainsi, comme l’a souligné notamment la Commission et ainsi qu’il ressort des considérants 4 et 6 de la décision 2006/928, la mise en place du MCV et la fixation des objectifs de référence ont eu pour but de parachever l’adhésion de la Roumanie à l’Union, afin de remédier aux défaillances constatées par la Commission avant cette adhésion dans ces domaines.

172    Il en résulte que les objectifs de référence revêtent un caractère contraignant pour la Roumanie, de sorte que cet État membre est soumis à l’obligation spécifique d’atteindre ces objectifs et de prendre les mesures appropriées aux fins de la réalisation de ceux-ci dans les meilleurs délais. De même, ledit État membre est tenu de s’abstenir de mettre en œuvre toute mesure qui risquerait de compromettre la réalisation de ces mêmes objectifs.

173    Quant aux rapports établis par la Commission sur le fondement de la décision 2006/928, il convient de rappeler que, pour déterminer si un acte de l’Union produit des effets obligatoires, il y a lieu de s’attacher à sa substance et d’apprécier ses effets à l’aune de critères objectifs, tels que le contenu de cet acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteur (voir, en ce sens, arrêt du 20 février 2018, Belgique/Commission, C‑16/16 P, EU:C:2018:79, point 32).

174    En l’occurrence, il est vrai que les rapports établis sur le fondement de la décision 2006/928 sont, en vertu de l’article 2, premier alinéa, de celle-ci, adressés non pas à la Roumanie, mais au Parlement et au Conseil. En outre, si ces rapports comportent une analyse de la situation en Roumanie et formulent des exigences à l’égard de cet État membre, les conclusions qui y figurent adressent des « recommandations » audit État membre en s’appuyant sur ces exigences.

175    Il reste que ces rapports, ainsi qu’il ressort d’une lecture combinée des articles 1er et 2 de ladite décision, sont destinés à analyser et à évaluer les progrès réalisés par la Roumanie au regard des objectifs de référence que cet État membre doit atteindre. S’agissant en particulier des recommandations figurant dans ces rapports, celles-ci sont, ainsi que l’a également fait observer la Commission, formulées en vue de la réalisation de ces objectifs et afin de guider les réformes dudit État membre à cet égard.

176    Sur ce point, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il résulte du principe de coopération loyale, consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, que les États membres sont tenus de prendre toutes les mesures propres à garantir la portée et l’efficacité du droit de l’Union ainsi que d’effacer les conséquences illicites d’une violation de ce droit, et qu’une telle obligation incombe, dans le cadre de ses compétences, à chaque organe de l’État membre concerné [voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Slovénie (Archives de la BCE), C‑316/19, EU:C:2020:1030, points 119 et 124 ainsi que jurisprudence citée].

177    Dans ces conditions, pour se conformer aux objectifs de référence énoncés à l’annexe de la décision 2006/928, la Roumanie doit tenir dûment compte des exigences et des recommandations formulées dans les rapports établis par la Commission au titre de cette décision. En particulier, cet État membre ne saurait adopter ou maintenir des mesures dans les domaines couverts par les objectifs de référence qui risqueraient de compromettre le résultat qu’elles prescrivent. Dans le cas où la Commission émet, dans un tel rapport, des doutes quant à la compatibilité d’une mesure nationale avec l’un des objectifs de référence, il incombe à la Roumanie de collaborer de bonne foi avec cette institution en vue de surmonter, dans le plein respect de ces objectifs de référence et des dispositions des traités, les difficultés rencontrées à l’égard de la réalisation desdits objectifs de référence.

178    Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question posée dans l’affaire C‑195/19, à la deuxième question posée dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19 ainsi qu’à la troisième question posée dans les affaires C‑127/19, C‑291/19 et C‑397/19 que les articles 2, 37 et 38 de l’acte d’adhésion, lus en combinaison avec les articles 2 et 49 TUE, doivent être interprétés en ce sens que la décision 2006/928 relève, en ce qui concerne sa nature juridique, son contenu et ses effets dans le temps, du champ d’application du traité d’adhésion. Cette décision est, aussi longtemps qu’elle n’a pas été abrogée, obligatoire dans tous ses éléments pour la Roumanie. Les objectifs de référence qui figurent à son annexe visent à assurer le respect, par cet État membre, de la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE et revêtent un caractère contraignant pour ledit État membre, en ce sens que ce dernier est tenu de prendre les mesures appropriées aux fins de la réalisation de ces objectifs, en tenant dûment compte, au titre du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, des rapports établis par la Commission sur la base de ladite décision, en particulier des recommandations formulées dans lesdits rapports.

 Sur la quatrième question posée dans l’affaire C83/19 et la troisième question posée dans l’affaire C355/19

179    Par la quatrième question posée dans l’affaire C‑83/19 et la troisième question posée dans l’affaire C‑355/19, qu’il convient d’examiner conjointement, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si les réglementations régissant l’organisation de la justice en Roumanie, telles que celles relatives à la nomination ad interim aux postes de direction de l’Inspection judiciaire et à l’institution de la SIIJ, relèvent du champ d’application de la décision 2006/928 et si elles doivent respecter les exigences découlant de la valeur de l’État de droit, énoncée à l’article 2 TUE.

180    À cet égard, il y a lieu de relever que la décision 2006/928 couvre, ainsi qu’il ressort de son considérant 6 et du libellé particulièrement large des premier, troisième et quatrième objectifs de référence figurant en annexe à celle-ci, et comme le confirme le rapport de la Commission visé au point 158 du présent arrêt, le système judiciaire en Roumanie dans son ensemble ainsi que la lutte contre la corruption dans cet État membre. À cet égard, au point 3.1. de son rapport au Parlement européen et au Conseil, du 27 juin 2007, sur les progrès réalisés par la Roumanie en ce qui concerne les mesures d’accompagnement depuis l’adhésion [COM(2007) 378 final], rapport qui est visé à l’article 2 de cette décision, la Commission a constaté que, dans la mesure où chacun des objectifs de référence contribuait à la mise en place d’un système judiciaire et administratif indépendant et impartial, ceux-ci devaient être considérés non pas séparément mais ensemble, comme faisant partie intégrante de toute réforme du système judiciaire recherchée ainsi que de la lutte contre la corruption tant que ces objectifs n’auraient pas été atteints.

181    Or, en l’occurrence, comme l’a relevé en substance M. l’avocat général aux points 178 et 250 de ses conclusions dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19 et C‑355/19, les réglementations nationales en cause au principal, issues des réformes intervenues au cours des années 2018 et 2019, ont apporté des modifications aux différentes lois sur la justice qui avaient été adoptées dans le cadre des négociations d’adhésion de la Roumanie à l’Union en vue d’améliorer l’indépendance et l’efficacité du pouvoir judiciaire et qui forment le cadre législatif régissant l’organisation du système judiciaire dans cet État membre.

182    S’agissant, plus particulièrement, de la réglementation nationale en cause dans l’affaire C‑83/19, celle-ci porte sur la nomination ad interim aux postes de direction de l’Inspection judiciaire, laquelle est un organisme doté de la personnalité juridique au sein du Conseil supérieur de la magistrature dont la responsabilité fait expressément l’objet du premier objectif de référence figurant à l’annexe de la décision 2006/928, en tant que garantie d’un processus judiciaire à la fois plus transparent et plus efficace. Cet organisme dispose de compétences essentielles dans le cadre des procédures disciplinaires au sein du pouvoir judiciaire ainsi que dans le cadre des procédures visant la responsabilité personnelle des magistrats. Sa structure institutionnelle et son activité, tout comme la réglementation en cause dans l’affaire C‑83/19, ont d’ailleurs fait l’objet de rapports de la Commission établis en vertu de l’article 2 de la décision 2006/928, notamment dans les années 2010, 2011 et 2017 à 2019.

183    Quant à la réglementation nationale en cause dans les affaires C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19 et C‑355/19, celle-ci a trait à la création de la SIIJ et aux modalités de désignation des procureurs devant y exercer leurs fonctions. Or, comme l’a relevé M. l’avocat général aux points 180 et 181 de ses conclusions dans ces affaires, la création d’une telle section relève des premier, troisième et quatrième objectifs de référence figurant à l’annexe de la décision 2006/928, relatifs à l’organisation du système judiciaire et à la lutte contre la corruption, et a, par ailleurs, fait l’objet des rapports de la Commission établis dans les années 2018 et 2019 en vertu de l’article 2 de cette décision.

184    Il s’ensuit que de telles réglementations relèvent du champ d’application de la décision 2006/928 et que, ainsi qu’il ressort du point 178 du présent arrêt, elles doivent respecter les exigences découlant du droit de l’Union et, en particulier, de la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE.

185    Il convient donc de répondre à la quatrième question posée dans l’affaire C‑83/19 et à la troisième question posée dans l’affaire C‑355/19 que les réglementations régissant l’organisation de la justice en Roumanie, telles que celles relatives à la nomination ad interim aux postes de direction de l’Inspection judiciaire et à l’institution d’une section du ministère public chargée des enquêtes sur les infractions commises au sein du système judiciaire, relèvent du champ d’application de la décision 2006/928, de sorte qu’elles doivent respecter les exigences découlant du droit de l’Union et, en particulier, de la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE.

 Sur la troisième question posée dans l’affaire C83/19

186    Par sa troisième question posée dans l’affaire C‑83/19, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la décision 2006/928 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, adoptée par le gouvernement d’un État membre, qui permet à ce dernier de procéder à des nominations intérimaires aux postes de direction de l’organe judiciaire chargé de mener des enquêtes disciplinaires et d’exercer l’action disciplinaire à l’encontre des juges et des procureurs, sans que soit respectée la procédure de nomination ordinaire prévue pour de tels postes par le droit national.

187    Ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi pose cette question en raison du fait que les missions dont est investi un organe judiciaire tel que celui visé par la réglementation nationale en cause au principal et, en particulier, l’étendue des compétences dont disposent, dans le cadre de ces missions, les membres dirigeants de cet organe sont de nature à soulever des interrogations au regard de l’exigence d’indépendance des juges.

188    À cet égard, il importe de rappeler que l’article 19 TUE, qui concrétise la valeur de l’État de droit affirmée à l’article 2 TUE, confie aux juridictions nationales et à la Cour la charge de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle que les justiciables tirent de ce droit [arrêts du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 50 ; du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 47, ainsi que du 5 novembre 2019, Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun), C‑192/18, EU:C:2019:924, point 98].

189    L’existence même d’un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect du droit de l’Union est inhérente à un État de droit [arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, point 36, ainsi que du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 51].

190    À ce titre, et ainsi que le prévoit l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, il appartient aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures assurant aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. Le principe de protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, auquel se réfère l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, constitue un principe général du droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, qui a été consacré aux articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et qui est à présent affirmé à l’article 47 de la Charte [arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 109 et 110 ainsi que jurisprudence citée].

191    Il s’ensuit que tout État membre doit assurer que les instances relevant, en tant que « juridiction », au sens défini par le droit de l’Union, de son système de voies de recours dans les domaines couverts par le droit de l’Union satisfont aux exigences d’une protection juridictionnelle effective [arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, point 37, ainsi que du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 52].

192    Quant au champ d’application matériel de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, il y a lieu de rappeler que cette disposition vise les « domaines couverts par le droit de l’Union », indépendamment de la situation dans laquelle les États membres mettent en œuvre ce droit, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte [arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 111 ainsi que jurisprudence citée].

193    Des réglementations nationales, telles celles en cause au principal, s’appliquent à la magistrature dans son ensemble et, donc, aux juges de droit commun qui sont appelés, en cette qualité, à statuer sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation du droit de l’Union. Dans la mesure où ces derniers relèvent ainsi, en tant que « juridictions », au sens défini par ce droit, du système roumain de voies de recours dans les « domaines couverts par le droit de l’Union », au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ils doivent satisfaire aux exigences d’une protection juridictionnelle effective.

194    Or, il importe de rappeler que, pour garantir que des instances qui peuvent être appelées à statuer sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation du droit de l’Union soient à même d’assurer la protection juridictionnelle effective requise par cette disposition, la préservation de l’indépendance de celles-ci est primordiale, comme le confirme l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui mentionne l’accès à un tribunal « indépendant » parmi les exigences liées au droit fondamental à un recours effectif [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 115 ainsi que jurisprudence citée].

195    Cette exigence d’indépendance des juridictions, qui est inhérente à la mission de juger, relève du contenu essentiel du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit fondamental à un procès équitable, lequel revêt une importance cardinale en tant que garant de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment la valeur de l’État de droit. Conformément au principe de séparation des pouvoirs qui caractérise le fonctionnement d’un État de droit, l’indépendance des juridictions doit notamment être garantie à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 116 et 118 ainsi que jurisprudence citée].

196    Aux termes d’une jurisprudence constante, les garanties d’indépendance et d’impartialité requises en vertu du droit de l’Union postulent l’existence de règles qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de l’instance en cause à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent [voir, en ce sens, arrêts du 19 septembre 2006, Wilson, C‑506/04, EU:C:2006:587, point 53 et jurisprudence citée ; du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 117, ainsi que du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, point 53].

197    À cet égard, il importe que les juges se trouvent à l’abri d’interventions ou de pressions extérieures susceptibles de mettre en péril leur indépendance. Les règles applicables au statut des juges et à l’exercice de leur fonction de juge doivent, en particulier, permettre d’exclure non seulement toute influence directe, sous forme d’instructions, mais également les formes d’influence plus indirecte susceptibles d’orienter les décisions des juges concernés, et d’écarter ainsi une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ceux-ci qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 119 et 139 ainsi que jurisprudence citée].

198    S’agissant plus particulièrement des règles gouvernant le régime disciplinaire, l’exigence d’indépendance impose, conformément à une jurisprudence constante, que ce régime présente les garanties nécessaires afin d’éviter tout risque d’utilisation d’un tel régime en tant que système de contrôle politique du contenu des décisions judiciaires. À cet égard, l’édiction de règles qui définissent, notamment, tant les comportements constitutifs d’infractions disciplinaires que les sanctions concrètement applicables, qui prévoient l’intervention d’une instance indépendante conformément à une procédure garantissant pleinement les droits consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte, notamment les droits de la défense, et qui consacrent la possibilité de contester en justice les décisions des organes disciplinaires, constitue un ensemble de garanties essentielles aux fins de la préservation de l’indépendance du pouvoir judiciaire [arrêts du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 67 ; du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 77, ainsi que du 5 novembre 2019, Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun), C‑192/18, EU:C:2019:924, point 114].

199    En outre, comme l’a relevé en substance M. l’avocat général au point 268 de ses conclusions dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19 et C‑355/19, la perspective d’ouverture d’une enquête disciplinaire étant, en tant que telle, susceptible d’exercer une pression sur ceux qui ont la tâche de juger, il est essentiel que l’organe compétent pour conduire les enquêtes et exercer l’action disciplinaire agisse lors de l’exercice de ses missions de manière objective et impartiale et qu’il soit, à cet effet, à l’abri de toute influence extérieure.

200    Ainsi, et dès lors que les personnes occupant les postes de direction au sein d’un tel organe sont susceptibles d’exercer une influence déterminante sur l’activité de celui-ci, les règles gouvernant la procédure de nomination à ces postes doivent être conçues, comme l’a relevé en substance M. l’avocat général au point 269 de ses conclusions dans les affaires C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19 et C‑355/19, de manière à ce qu’elles ne puissent faire naître aucun doute légitime quant à l’utilisation des prérogatives et des fonctions dudit organe comme instrument de pression sur l’activité judiciaire ou de contrôle politique de cette activité.

201    C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartiendra, en dernière analyse, de se prononcer à ce sujet après avoir procédé aux appréciations requises à cette fin. Il importe, en effet, de rappeler que l’article 267 TFUE habilite la Cour non pas à appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée, mais seulement à se prononcer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l’Union. Toutefois, conformément à une jurisprudence constante, la Cour peut, dans le cadre de la coopération judiciaire instaurée à cet article 267 TFUE, à partir des éléments du dossier, fournir à la juridiction nationale les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui pourraient lui être utiles dans l’appréciation des effets de telle ou telle disposition de celui-ci [arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 132, ainsi que du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 96].

202    À cet égard, il convient de relever que le seul fait que les dirigeants de l’organe qui a pour mission d’effectuer des enquêtes disciplinaires et d’exercer l’action disciplinaire à l’égard des juges et des procureurs sont nommés par le gouvernement d’un État membre n’est pas de nature à faire naître des doutes tels que ceux visés au point 200 du présent arrêt.

203    Il en va de même de dispositions nationales qui prévoient que la suppléance d’un poste de direction d’un tel organe est exercée, en cas de vacance de ce poste consécutive à l’expiration du mandat en cause, par le dirigeant dont le mandat a expiré, jusqu’à la date à laquelle ledit poste est pourvu dans les conditions prévues par la loi.

204    Néanmoins, il demeure nécessaire que les conditions de fond et les modalités procédurales présidant à l’adoption des décisions de nomination de ces dirigeants soient conçues de manière à satisfaire aux exigences rappelées au point 199 du présent arrêt.

205    En particulier, une réglementation nationale est susceptible d’engendrer des doutes tels que ceux visés au point 200 du présent arrêt lorsqu’elle a, même à titre provisoire, pour effet de permettre au gouvernement de l’État membre concerné de procéder à des nominations aux postes de direction de l’organe qui a pour mission d’effectuer les enquêtes disciplinaires et d’exercer l’action disciplinaire à l’encontre des juges et des procureurs, en méconnaissance de la procédure ordinaire de nomination prévue par le droit national.

206    Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, en tenant compte de l’ensemble des éléments pertinents du contexte juridico-factuel national, si la réglementation nationale en cause au principal a eu pour effet de conférer au gouvernement national un pouvoir direct de nomination pour ces postes et a pu faire naître des doutes légitimes quant à l’utilisation des prérogatives et des fonctions de l’Inspection judiciaire comme instrument de pression sur l’activité des juges et des procureurs ou de contrôle politique de cette activité.

207    Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question posée dans l’affaire C‑83/19 que l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la décision 2006/928 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale adoptée par le gouvernement d’un État membre, qui permet à ce dernier de procéder à des nominations intérimaires aux postes de direction de l’organe judiciaire chargé de mener des enquêtes disciplinaires et d’exercer l’action disciplinaire à l’encontre des juges et des procureurs, sans que soit respectée la procédure de nomination ordinaire prévue par le droit national, lorsque cette réglementation est de nature à faire naître des doutes légitimes quant à l’utilisation des prérogatives et des fonctions de cet organe comme instrument de pression sur l’activité de ces juges et procureurs ou de contrôle politique de cette activité.

 Sur les quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C127/19, la deuxième question posée dans l’affaire C195/19, les quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C291/19 ainsi que les troisième et quatrième questions posées dans l’affaire C355/19

208    Par les quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C‑127/19, la deuxième question posée dans l’affaire C‑195/19, les quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C‑291/19 ainsi que les troisième et quatrième questions posées dans l’affaire C‑355/19, qu’il convient d’examiner conjointement, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la décision 2006/928 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale prévoyant la création d’une section spécialisée du ministère public disposant d’une compétence exclusive pour mener des enquêtes sur les infractions commises par les juges et les procureurs.

209    Les juridictions de renvoi considèrent que la création en Roumanie d’une telle section, à savoir la SIIJ, à laquelle est attribuée cette compétence exclusive, est susceptible d’exercer une pression sur les juges, incompatible avec les garanties prévues à l’article 2 et à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi qu’à l’article 47 de la Charte. En outre, les règles régissant la compétence et l’organisation de la SIIJ, les modalités de son fonctionnement ainsi que la nomination et la révocation des procureurs qui y sont assignés renforceraient cette crainte et seraient, du reste, susceptibles d’entraver la lutte contre les infractions de corruption. Enfin, eu égard au nombre limité de postes de procureurs au sein de la SIIJ, celle-ci ne serait pas en mesure de traiter les affaires pendantes devant elle dans un délai raisonnable.

210    À cet égard, il doit être rappelé que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence constante de la Cour visée au point 111 du présent arrêt, l’organisation de la justice, en ce compris celle du ministère public, dans les États membres relève de la compétence de ces derniers, dans le respect du droit de l’Union.

211    Ainsi, il demeure essentiel, comme il a été indiqué aux points 191, 194 et 195 du présent arrêt, que cette organisation soit conçue de manière à assurer le respect des exigences découlant du droit de l’Union, notamment de celle de l’indépendance des juridictions appelées à statuer sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation de ce droit, afin de garantir aux justiciables la protection juridictionnelle effective de leurs droits tirés dudit droit.

212    Conformément à la jurisprudence visée aux points 196 et 197 du présent arrêt, le principe d’indépendance des juges exige l’élaboration de règles permettant d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité des juges à l’égard d’éléments extérieurs, en particulier d’influences directes ou indirectes des pouvoirs législatif et exécutif susceptibles d’orienter leurs décisions, et d’exclure ainsi une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ces juges qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit.

213    Lorsqu’un État membre prévoit des règles spécifiques régissant les procédures pénales contre des juges et des procureurs, telles que celles relatives à l’institution d’une section spéciale du ministère public ayant la compétence exclusive pour mener des enquêtes sur les infractions commises par les juges et les procureurs, l’exigence d’indépendance impose, afin d’écarter, dans l’esprit des justiciables, tout doute légitime tel que visé au point précédent, que ces règles spécifiques soient justifiées par des impératifs objectifs et vérifiables tenant à la bonne administration de la justice et que, à l’instar des règles relatives à la responsabilité disciplinaire de ces juges et procureurs, elles prévoient les garanties nécessaires assurant que ces procédures pénales ne puissent pas être utilisées comme système de contrôle politique de l’activité desdits juges et procureurs et qu’elles garantissent pleinement les droits consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte.

214    De telles règles spécifiques ne sauraient, en particulier, avoir pour effet d’exposer aux éléments extérieurs visés au point 212 du présent arrêt les juges et les procureurs en charge des affaires de corruption, ce sous peine de méconnaître non seulement les exigences découlant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, mais également, en l’occurrence, les obligations spécifiques incombant à la Roumanie en vertu de la décision 2006/928 en matière de lutte contre la corruption. Par ailleurs, elles ne sauraient avoir pour conséquence de prolonger la durée des enquêtes concernant les infractions de corruption ou d’affaiblir de quelque autre manière que ce soit la lutte contre la corruption.

215    En l’occurrence, premièrement, si le Conseil supérieur de la magistrature a soutenu devant la Cour que la création de la SIIJ se justifiait par la nécessité de protéger les juges et les procureurs contre des plaintes pénales arbitraires, il ressort du dossier dont dispose la Cour que l’exposé des motifs de cette loi ne fait apparaître aucune justification liée à des impératifs tirés de la bonne administration de la justice, ce qu’il appartient toutefois aux juridictions de renvoi de vérifier, en tenant compte de l’ensemble des éléments pertinents.

216    Deuxièmement, une structure autonome au sein du ministère public, telle que la SIIJ, qui est chargée d’enquêter sur les infractions commises par les juges et les procureurs, en ce qu’elle pourrait, en fonction des règles régissant les compétences, la composition et le fonctionnement d’une telle structure, ainsi que du contexte national pertinent, être perçue comme visant à instituer un instrument de pression et d’intimidation à l’égard des juges, et conduire ainsi à une apparence d’absence d’indépendance ou d’impartialité de ces juges, est susceptible de porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit.

217    À cet égard, il ressort du dossier dont dispose la Cour que l’introduction auprès de la SIIJ d’une plainte pénale contre un juge ou un procureur suffit pour que celle-ci ouvre une procédure, y compris lorsque la plainte est introduite dans le cadre d’une enquête pénale en cours concernant une personne autre qu’un juge ou un procureur, cette dernière enquête étant alors transférée à la SIIJ, quelle que soit la nature de l’infraction reprochée au magistrat et les preuves invoquées contre lui. Même dans l’hypothèse où l’enquête en cours porte sur une infraction qui relève de la compétence d’une autre section spécialisée du ministère public, telle que la DNA, l’affaire est également transférée à la SIIJ lorsqu’est mis en cause un juge ou un procureur. Enfin, la SIIJ peut former des recours contre les décisions adoptées avant sa création ou retirer un recours introduit par la DNA ou la DIICOT ou le Procureur général devant les juridictions supérieures.

218    Selon les indications fournies par les juridictions de renvoi, le système ainsi mis en place permettrait que des plaintes soient introduites de manière abusive, entre autres aux fins d’interférer dans des affaires sensibles en cours, notamment des affaires complexes et médiatisées liées à la corruption de haut niveau ou à la criminalité organisée, dès lors que, en cas de dépôt d’une telle plainte, le dossier relèverait automatiquement de la compétence de la SIIJ.

219    Il ressort des éléments dont dispose la Cour et du rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil, du 22 octobre 2019, sur les progrès réalisés par la Roumanie au titre du mécanisme de coopération et de vérification [COM(2019) 499 final, p. 5], que des exemples pratiques tirés des activités de la SIIJ sont de nature à confirmer la réalisation du risque, visé au point 216 du présent arrêt, que cette section s’apparente à un instrument de pression politique et qu’elle exerce ses pouvoirs pour modifier le déroulement de certaines enquêtes pénales ou de procédures judiciaires concernant, entre autres, des faits de corruption de haut niveau d’une manière suscitant des doutes quant à son objectivité, ce qu’il appartient aux juridictions de renvoi d’apprécier, conformément à la jurisprudence rappelée au point 201 de cet arrêt.

220    Dans ce cadre, il appartient également à ces juridictions de vérifier si les règles relatives à l’organisation et au fonctionnement de la SIIJ ainsi que celles relatives à la nomination et à la révocation des procureurs assignés à celle-ci ne sont pas, eu égard, notamment, aux modifications qui leur ont été apportées par des ordonnances d’urgence dérogeant à la procédure ordinaire prévue par le droit national, de nature à rendre ladite section perméable aux influences extérieures.

221    Troisièmement, s’agissant des droits consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte, il importe, notamment, que les règles régissant l’organisation et le fonctionnement d’une section spécialisée du ministère public, telle que la SIIJ, soient conçues de manière à ne pas empêcher que la cause des juges et des procureurs concernés puisse être entendue dans un délai raisonnable.

222    Or, sous réserve de vérification par les juridictions de renvoi, il ressort des indications fournies par celles-ci que tel pourrait ne pas être le cas de la SIIJ, notamment par l’effet conjugué du nombre apparemment considérablement réduit de procureurs assignés à cette section, lesquels ne disposeraient en outre ni des moyens ni de l’expertise nécessaires pour mener des enquêtes dans des affaires complexes de corruption, et de la surcharge de travail découlant pour ces procureurs du transfert de telles affaires depuis les sections compétentes pour traiter celles-ci.

223    Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C‑127/19, à la deuxième question posée dans l’affaire C‑195/19, aux quatrième et cinquième questions posées dans l’affaire C‑291/19 ainsi qu’aux troisième et quatrième questions posées dans l’affaire C‑355/19 que l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la décision 2006/928 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale prévoyant la création d’une section spécialisée du ministère public disposant d’une compétence exclusive pour mener des enquêtes sur les infractions commises par les juges et les procureurs, sans que la création d’une telle section

–        soit justifiée par des impératifs objectifs et vérifiables tirés de la bonne administration de la justice et

–        soit assortie de garanties spécifiques permettant, d’une part, d’écarter tout risque que cette section soit utilisée comme un instrument de contrôle politique de l’activité de ces juges et procureurs susceptible de porter atteinte à leur indépendance et, d’autre part, d’assurer que cette compétence puisse être exercée à l’égard de ces derniers dans le plein respect des exigences découlant des articles 47 et 48 de la Charte.

 Sur les quatrième à sixième questions posées dans l’affaire C397/19

224    Par les quatrième à sixième questions posées dans l’affaire C‑397/19, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale régissant la responsabilité patrimoniale de l’État et la responsabilité personnelle des juges au titre des dommages causés par une erreur judiciaire, dans le cas où cette réglementation,

–        premièrement, définit la notion d’« erreur judiciaire » en des termes abstraits et généraux,

–        deuxièmement, prévoit que le constat de l’existence de l’erreur judiciaire, effectué dans le cadre de la procédure visant à la mise en cause de la responsabilité patrimoniale de l’État sans que le juge concerné ait été entendu, s’impose dans le cadre de la procédure visant à la mise en cause de la responsabilité personnelle de celui-ci,

–        troisièmement, attribue à un ministère la compétence pour ouvrir l’enquête destinée à vérifier s’il y a lieu d’engager l’action récursoire contre le juge et pour exercer, sur la base de sa propre appréciation, cette action récursoire.

225    À cet égard, il convient d’emblée de relever que, selon la réglementation nationale en cause au principal, l’existence d’une erreur judiciaire constitue l’une des conditions à la fois de la responsabilité patrimoniale de l’État et de la responsabilité personnelle du juge en cause. Au regard des exigences découlant des principes de l’État de droit et, notamment, de la garantie d’indépendance des juges, il convient d’examiner séparément le régime permettant aux justiciables d’engager la responsabilité de l’État pour les dommages qu’ils ont subis du fait d’une erreur judiciaire et le régime régissant la responsabilité personnelle des juges en raison d’une telle erreur judiciaire dans le cadre d’une action récursoire.

226    En ce qui concerne, d’une part, la responsabilité de l’État pour des décisions juridictionnelles contraires au droit de l’Union, la Cour a déjà jugé que la possibilité de voir engagée, sous certaines conditions, cette responsabilité n’apparaît pas comporter des risques particuliers de remise en cause de l’indépendance d’une juridiction statuant en dernier ressort (arrêt du 30 septembre 2003, Köbler, C‑224/01, EU:C:2003:513, point 42).

227    Cette appréciation est transposable, mutatis mutandis, à la possibilité de voir engagée la responsabilité de l’État pour des décisions juridictionnelles qui seraient, au regard du droit national, entachées d’une erreur judiciaire.

228    La circonstance, mentionnée par la juridiction de renvoi, que les conditions de fond relatives à l’engagement de la responsabilité de l’État, en particulier en ce qui concerne la définition de la notion d’« erreur judiciaire », soient libellées dans la réglementation nationale en cause dans des termes abstraits et généraux n’est pas non plus de nature, à elle seule, à mettre en péril l’indépendance des juges, dès lors qu’une réglementation régissant cette responsabilité doit, par sa nature même, prévoir, aux fins d’une telle définition, des critères abstraits et généraux qui sont voués à être précisés par la jurisprudence nationale.

229    En ce qui concerne, d’autre part, la responsabilité personnelle des juges pour les dommages résultant d’une erreur judiciaire de leur part, il convient de souligner que ce régime de responsabilité relève de l’organisation de la justice et, donc, de la compétence des États membres. En particulier, la possibilité pour les autorités d’un État membre de mettre en cause, à travers une action récursoire, cette responsabilité peut, selon le choix des États membres, constituer un élément permettant de contribuer à la responsabilisation et à l’efficacité du système judiciaire. Toutefois, dans l’exercice de cette compétence, les États membres doivent respecter le droit de l’Union.

230    Partant, et comme il a été rappelé aux points 191, 194 et 195 du présent arrêt, il demeure essentiel que le régime de responsabilité personnelle des juges soit conçu de manière à assurer le respect des exigences découlant du droit de l’Union, notamment de celle d’indépendance des juridictions appelées à statuer sur les questions liées à l’application ou à l’interprétation de ce droit, afin de garantir aux justiciables la protection juridictionnelle effective requise à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

231    Ainsi, selon la jurisprudence visée aux points 196 et 197 du présent arrêt, le principe d’indépendance des juges exige l’existence de garanties permettant d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité des juges à l’égard d’éléments extérieurs, en particulier d’influences directes ou indirectes des pouvoirs législatif et exécutif susceptibles d’orienter leurs décisions, et d’exclure ainsi une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ces juges qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit.

232    À cet égard, la reconnaissance d’un principe de responsabilité personnelle des juges pour les erreurs judiciaires qu’ils commettent comporte un risque d’ingérence dans l’indépendance des juges en ce qu’elle est susceptible d’influer sur la prise de décision par ceux qui ont pour tâche de juger.

233    Par conséquent, il importe que la mise en cause, dans le cadre d’une action récursoire, de la responsabilité personnelle d’un juge du fait d’une erreur judiciaire soit limitée à des cas exceptionnels et encadrée par des critères objectifs et vérifiables, tenant à des impératifs tirés de la bonne administration de la justice, ainsi que par des garanties visant à éviter tout risque de pressions extérieures sur le contenu des décisions judiciaires et à écarter ainsi, dans l’esprit des justiciables, tout doute légitime tel que visé au point 231 du présent arrêt.

234    À cet effet, il est essentiel que soient prévues des règles qui définissent de manière claire et précise, notamment, les comportements susceptibles d’engager la responsabilité personnelle des juges, afin de garantir l’indépendance inhérente à leur mission et d’éviter qu’ils soient exposés au risque que leur responsabilité personnelle puisse être engagée du seul fait de leur décision. Si, comme l’a relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 95 et 100 de ses conclusions dans l’affaire C‑397/19, la garantie d’indépendance n’exige pas qu’il soit conféré aux juges une immunité absolue pour les actes pris dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires, leur responsabilité personnelle ne saurait néanmoins être engagée pour des dommages causés dans l’exercice de leurs fonctions que dans des cas exceptionnels, dans lesquels leur culpabilité individuelle grave a été établie. À cet égard, le fait qu’une décision comporte une erreur judiciaire ne saurait, à elle seule, suffire pour engager la responsabilité personnelle du juge concerné.

235    S’agissant des modalités afférentes à la mise en cause de la responsabilité personnelle des juges dans le cadre d’une action récursoire, la réglementation nationale doit prévoir de manière claire et précise les garanties nécessaires assurant que ni l’enquête destinée à vérifier l’existence des conditions et des circonstances susceptibles d’engager cette responsabilité ni l’action récursoire n’apparaissent comme pouvant se muer en instruments de pression sur l’activité juridictionnelle.

236    Afin d’éviter que de telles modalités puissent déployer un effet dissuasif à l’égard des juges dans l’exercice de leur mission de juger en toute indépendance, notamment dans des domaines sensibles tels que celui de la lutte contre la corruption, il est essentiel, comme l’a relevé en substance la Commission, que les autorités compétentes pour ouvrir et mener l’enquête destinée à vérifier l’existence des conditions et des circonstances susceptibles d’engager la responsabilité personnelle du juge ainsi que pour exercer l’action récursoire soient elles-mêmes des autorités qui agissent lors de l’exercice de leurs missions de manière objective et impartiale et que les conditions de fond et les modalités procédurales présidant à l’exercice desdites compétences soient telles qu’elles ne puissent pas faire naître des doutes légitimes quant à l’impartialité de ces autorités.

237    De même, il importe que les droits consacrés à l’article 47 de la Charte, notamment les droits de la défense du juge, soient pleinement respectés et que l’instance compétente pour statuer sur la responsabilité personnelle du juge soit une juridiction.

238    En l’occurrence, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si les exigences visées aux points 233 à 237 du présent arrêt sont respectées, en tenant compte de l’ensemble des éléments pertinents.

239    Parmi ces éléments revêt une importance particulière le fait que, en l’occurrence, ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, l’existence d’une erreur judiciaire est constatée de manière définitive dans le cadre de la procédure en responsabilité engagée contre l’État et que ce constat s’impose dans le cadre de la procédure initiée par l’action récursoire visant à mettre en cause la responsabilité personnelle du juge concerné, et ce alors que ce dernier n’a pas été entendu dans le cadre de la première procédure. Une telle règle est non seulement de nature à créer un risque de pressions extérieures sur l’activité des juges, mais est également susceptible de porter atteinte à leurs droits de la défense, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

240    S’agissant, par ailleurs, des autorités compétentes pour ouvrir et mener la procédure d’enquête destinée à vérifier l’existence des conditions et des circonstances susceptibles d’engager la responsabilité personnelle du juge concerné et pour exercer l’action récursoire contre lui, il ressort du dossier dont dispose la Cour que, en vertu de la réglementation nationale en cause au principal, le rapport établi à cette fin par l’Inspection judiciaire n’a pas d’effet contraignant et qu’il revient, en définitive, au seul ministère des Finances publiques de décider, sur la base de sa propre appréciation, si ces conditions et ces circonstances sont remplies aux fins de l’exercice de cette action récursoire. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, en tenant compte de l’ensemble des éléments pertinents du contexte juridico-factuel national, si de tels éléments, eu égard notamment à ce pouvoir d’appréciation, sont de nature à permettre que ladite action récursoire soit utilisée comme instrument de pression sur l’activité juridictionnelle.

241    Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux quatrième à sixième questions posées dans l’affaire C‑397/19 que l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale régissant la responsabilité patrimoniale de l’État et la responsabilité personnelle des juges au titre des dommages causés par une erreur judiciaire, qui définit la notion d’« erreur judiciaire » en des termes généraux et abstraits. En revanche, ces mêmes dispositions doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une telle réglementation lorsqu’elle prévoit que le constat de l’existence d’une erreur judiciaire, effectué dans le cadre de la procédure visant à la mise en cause de la responsabilité patrimoniale de l’État et sans que le juge concerné ait été entendu, s’impose dans le cadre de la procédure subséquente liée à une action récursoire visant à la mise en cause de la responsabilité personnelle de celui-ci et lorsqu’elle ne comporte pas, d’une manière générale, les garanties nécessaires pour éviter qu’une telle action récursoire soit utilisée comme instrument de pression sur l’activité juridictionnelle et pour assurer le respect des droits de la défense du juge concerné afin que se trouve écarté tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité des juges à l’égard d’éléments extérieurs susceptibles d’orienter leurs décisions et exclue une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ces juges de nature à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer à ces mêmes justiciables dans une société démocratique et un État de droit.

 Sur la troisième question posée dans l’affaire C195/19

242    Par sa troisième question posée dans l’affaire C‑195/19, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation de rang constitutionnel d’un État membre, telle qu’interprétée par la juridiction constitutionnelle de celui-ci, selon laquelle une juridiction de rang inférieur n’est pas autorisée à laisser inappliquée, de sa propre autorité, une disposition nationale relevant du champ d’application de la décision 2006/928, qu’elle considère, à la lumière d’un arrêt de la Cour, comme étant contraire à cette décision ou à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

243    La juridiction de renvoi précise que cette question est liée à une jurisprudence récente de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle), selon laquelle le droit de l’Union, notamment la décision 2006/928, ne peut prévaloir sur le droit constitutionnel national. Selon la juridiction de renvoi, il existe un risque que le droit constitutionnel ainsi interprété par la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle) fasse échec à l’application des enseignements découlant de l’arrêt de la Cour à intervenir dans l’affaire C‑195/19.

244    Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, le principe de primauté du droit de l’Union consacre la prééminence du droit de l’Union sur le droit des États membres. Ce principe impose dès lors à toutes les instances des États membres de donner leur plein effet aux différentes normes de l’Union, le droit des États membres ne pouvant affecter l’effet reconnu à ces différentes normes sur le territoire desdits États (arrêt du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a., C‑511/18, C‑512/18 et C‑520/18, EU:C:2020:791, point 214 ainsi que jurisprudence citée).

245    Ainsi, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, le fait pour un État membre d’invoquer des dispositions de droit national, fussent-elles d’ordre constitutionnel, ne saurait porter atteinte à l’unité et à l’efficacité du droit de l’Union. En effet, conformément à une jurisprudence bien établie, les effets s’attachant au principe de primauté du droit de l’Union s’imposent à l’ensemble des organes d’un État membre, sans, notamment, que les dispositions internes afférentes à la répartition des compétences juridictionnelles, y compris d’ordre constitutionnel, puissent y faire obstacle [voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2013, Melloni, C‑399/11, EU:C:2013:107, point 59, ainsi que du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 148 et jurisprudence citée].

246    À cet égard, il y a lieu, notamment, de rappeler que le principe d’interprétation conforme du droit interne, en vertu duquel la juridiction nationale est tenue de donner au droit interne, dans toute la mesure du possible, une interprétation conforme aux exigences du droit de l’Union, est inhérent au système des traités, en ce qu’il permet à la juridiction nationale d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la pleine efficacité du droit de l’Union lorsqu’elle tranche le litige dont elle est saisie (arrêt du 24 juin 2019, Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530, point 55 et jurisprudence citée).

247    C’est également en vertu du principe de primauté que, à défaut de pouvoir procéder à une interprétation de la réglementation nationale conforme aux exigences du droit de l’Union, le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’assurer le plein effet de celles-ci en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (arrêt du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a., C‑511/18, C‑512/18 et C‑520/18, EU:C:2020:791, point 215 ainsi que jurisprudence citée).

248    À cet égard, tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a, en tant qu’organe d’un État membre, plus précisément l’obligation de laisser inappliquée toute disposition nationale contraire à une disposition de droit de l’Union qui est d’effet direct dans le litige dont il est saisi [arrêts du 24 juin 2019, Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530, point 61, ainsi que du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 161].

249    En l’occurrence, s’agissant de la décision 2006/928, laquelle est plus précisément visée par les considérations de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle) auxquelles se réfère la juridiction de renvoi, celle-ci impose à la Roumanie, ainsi qu’il a été relevé au point 172 du présent arrêt, d’atteindre dans les meilleurs délais les objectifs de référence qu’elle énonce. Dans la mesure où ces objectifs sont formulés en des termes clairs et précis et ne sont assortis d’aucune condition, ils sont d’effet direct.

250    Par ailleurs, étant donné que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE met à la charge des États membres une obligation de résultat claire et précise et qui n’est assortie d’aucune condition en ce qui concerne l’indépendance devant caractériser les juridictions appelées à interpréter et à appliquer le droit de l’Union [arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 146], la juridiction de renvoi est également tenue de garantir, dans le cadre de ses compétences, au regard des considérations figurant aux points 208 à 223 du présent arrêt, le plein effet de cette disposition en laissant au besoin inappliquée toute disposition nationale contraire à celle-ci.

251    Ainsi, en cas de violation avérée de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ou de la décision 2006/928, le principe de primauté du droit de l’Union exige que la juridiction de renvoi laisse inappliquées les dispositions en cause, que celles-ci soient d’origine législative ou constitutionnelle [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 150 ainsi que jurisprudence citée].

252    Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question posée dans l’affaire C‑195/19 que le principe de primautédu droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation de rang constitutionnel d’un État membre, telle qu’interprétée par la juridiction constitutionnelle de celui-ci, selon laquelle une juridiction de rang inférieur n’est pas autorisée à laisser inappliquée, de sa propre autorité, une disposition nationale relevant du champ d’application de la décision 2006/928, qu’elle considère, à la lumière d’un arrêt de la Cour, comme étant contraire à cette décision ou à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

 Sur les dépens

253    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant les juridictions de renvoi, il appartient à celles-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

1)      La décision 2006/928/CE de la Commission, du 13 décembre 2006, établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption, ainsi que les rapports établis par la Commission européenne sur la base de cette décision constituent des actes pris par une institution de l’Union, susceptibles d’être interprétés par la Cour au titre de l’article 267 TFUE.

2)      Les articles 2, 37 et 38 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne, lus en combinaison avec les articles 2 et 49 TUE, doivent être interprétés en ce sens que la décision 2006/928 relève, en ce qui concerne sa nature juridique, son contenu et ses effets dans le temps, du champ d’application du traité entre les États membres de l’Union européenne et la République de Bulgarie et la Roumanie, relatif à l’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne. Cette décision est, aussi longtemps qu’elle n’a pas été abrogée, obligatoire dans tous ses éléments pour la Roumanie. Les objectifs de référence qui figurent à son annexe visent à assurer le respect, par cet État membre, de la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE et revêtent un caractère contraignant pour ledit État membre, en ce sens que ce dernier est tenu de prendre les mesures appropriées aux fins de la réalisation de ces objectifs, en tenant dûment compte, au titre du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, des rapports établis par la Commission sur la base de ladite décision, en particulier des recommandations formulées dans lesdits rapports.

3)      Les réglementations régissant l’organisation de la justice en Roumanie, telles que celles relatives à la nomination ad interim aux postes de direction de l’Inspection judiciaire et à l’institution d’une section du ministère public chargée des enquêtes sur les infractions commises au sein du système judiciaire, relèvent du champ d’application de la décision 2006/928, de sorte qu’elles doivent respecter les exigences découlant du droit de l’Union et, en particulier, de la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 TUE.

4)      L’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la décision 2006/928 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale adoptée par le gouvernement d’un État membre, qui permet à ce dernier de procéder à des nominations intérimaires aux postes de direction de l’organe judiciaire chargé de mener des enquêtes disciplinaires et d’exercer l’action disciplinaire à l’encontre des juges et des procureurs, sans que soit respectée la procédure de nomination ordinaire prévue par le droit national, lorsque cette réglementation est de nature à faire naître des doutes légitimes quant à l’utilisation des prérogatives et des fonctions de cet organe comme instrument de pression sur l’activité de ces juges et procureurs ou de contrôle politique de cette activité.

5)      L’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la décision 2006/928 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale prévoyant la création d’une section spécialisée du ministère public disposant d’une compétence exclusive pour mener des enquêtes sur les infractions commises par les juges et les procureurs, sans que la création d’une telle section

–        soit justifiée par des impératifs objectifs et vérifiables tirés de la bonne administration de la justice et

–        soit assortie de garanties spécifiques permettant, d’une part, d’écarter tout risque que cette section soit utilisée comme un instrument de contrôle politique de l’activité de ces juges et procureurs susceptible de porter atteinte à leur indépendance et, d’autre part, d’assurer que cette compétence puisse être exercée à l’égard de ces derniers dans le plein respect des exigences découlant des articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

6)      L’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale régissant la responsabilité patrimoniale de l’État et la responsabilité personnelle des juges au titre des dommages causés par une erreur judiciaire, qui définit la notion d’« erreur judiciaire » en des termes généraux et abstraits. En revanche, ces mêmes dispositions doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une telle réglementation lorsqu’elle prévoit que le constat de l’existence d’une erreur judiciaire, effectué dans le cadre de la procédure visant à la mise en cause de la responsabilité patrimoniale de l’État et sans que le juge concerné ait été entendu, s’impose dans le cadre de la procédure subséquente liée à une action récursoire visant à la mise en cause de la responsabilité personnelle de celui-ci et lorsqu’elle ne comporte pas, d’une manière générale, les garanties nécessaires pour éviter qu’une telle action récursoire soit utilisée comme instrument de pression sur l’activité juridictionnelle et pour assurer le respect des droits de la défense du juge concerné afin que se trouve écarté tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité des juges à l’égard d’éléments extérieurs susceptibles d’orienter leurs décisions et exclue une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ces juges de nature à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer à ces mêmes justiciables dans une société démocratique et un État de droit.

7)      Le principe de primauté du droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation de rang constitutionnel d’un État membre, telle qu’interprétée par la juridiction constitutionnelle de celui-ci, selon laquelle une juridiction de rang inférieur n’est pas autorisée à laisser inappliquée, de sa propre autorité, une disposition nationale relevant du champ d’application de la décision 2006/928, qu’elle considère, à la lumière d’un arrêt de la Cour, comme étant contraire à cette décision ou à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

Signatures


*      Langue de procédure : le roumain.