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ARRÊT DE LA COUR (assemblée plénière)

16 février 2022 (*)

Table des matières

 

I. Le cadre juridique

A. Le règlement (CE) no 1049/2001

B. Le règlement intérieur du Conseil

C. Les consignes relatives au traitement des documents internes du Conseil

D. Le règlement (UE, Euratom) no 883/2013

E. Le règlement financier

II. Le règlement attaqué

III. Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

IV. Sur la demande de ne pas prendre en compte certains passages de la requête de la République de Pologne

A. Argumentation des parties

B. Appréciation de la Cour

V. Sur le recours

A. Sur les premier, deuxième, cinquième, sixième et onzième moyens, tirés de l’incompétence de l’Union pour adopter le règlement attaqué

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

a) Sur la base juridique du règlement attaqué

b) Sur le contournement de l’article 7 TUE et de l’article 269 TFUE

B. Sur le troisième moyen, tiré de la violation du protocole no 2

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

C. Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

D. Sur le septième moyen, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 1, de l’article 4, paragraphe 2, deuxième phrase, et de l’article 5, paragraphe 2, TUE

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

E. Sur le huitième moyen, tiré de la violation du principe d’égalité des États membres devant les traités et du non-respect de leur identité nationale, prévus à l’article 4, paragraphe 2, première phrase, TUE

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

F. Sur le neuvième moyen, tiré d’une violation du principe de sécurité juridique

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

G. Sur le dixième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

VI. Sur les dépens

 

« Recours en annulation – Règlement (UE, Euratom) 2020/2092 – Régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union européenne – Protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre – Base juridique – Article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE – Article 311 TFUE – Article 312 TFUE – Contournement allégué de l’article 7 TUE et de l’article 269 TFUE – Violations alléguées de l’article 4, paragraphe 1, de l’article 5, paragraphe 2, de l’article 13, paragraphe 2, TUE, de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, du protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité ainsi que des principes d’attribution, de sécurité juridique, de proportionnalité et d’égalité des États membres devant les traités – Allégation d’un détournement de pouvoir »

Dans l’affaire C‑157/21,

ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduit le 11 mars 2021,

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna et Mme S. Żyrek, en qualité d’agents,

partie requérante,

soutenue par :

Hongrie, représentée par M. M. Z. Fehér et Mme M. M. Tátrai, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Parlement européen, représenté par MM. R. Crowe, F. Drexler, U. Rösslein et T. Lukácsi ainsi que par Mme A. Pospíšilová Padowska, en qualité d’agents,

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. de Gregorio Merino, E. Rebasti et A. Tamás ainsi que par Mme A. Sikora-Kalėda, en qualité d’agents,

parties défenderesses,

soutenus par :

Royaume de Belgique, représenté par Mmes M. Jacobs, C. Pochet et L. Van den Broeck, en qualité d’agents,

Royaume de Danemark, représenté initialement par Mme M. Søndahl Wolff et M. J. Nymann-Lindegren, puis par Mmes M. Søndahl Wolff et V. Pasternak Jørgensen, en qualité d’agents,

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

Irlande, représentée par Mmes M. Browne et J. Quaney ainsi que par M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de M. D. Fennelly, BL,

Royaume d’Espagne, représenté initialement par M. J. Rodríguez de la Rúa Puig et Mme S. Centeno Huerta, puis par M. J. Rodríguez de la Rúa Puig et Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agents,

République française, représentée par Mmes A.-L. Desjonquères et A.–C. Drouant ainsi que par M. E. Leclerc, en qualité d’agents,

Grand-Duché de Luxembourg, représenté initialement par MM. A. Germeaux et T. Uri, puis par M. A. Germeaux, en qualité d’agents,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme M. K. Bulterman et M. J. Langer, en qualité d’agents,

République de Finlande, représentée par Mme H. Leppo et M. S. Hartikainen, en qualité d’agents,

Royaume de Suède, représenté par MM. O. Simonsson et J. Lundberg ainsi que par Mmes C. Meyer-Seitz, A. Runeskjöld, H. Shev, M. Salborn Hodgson, H. Eklinder et R. Shahsavan Eriksson, en qualité d’agents,

Commission européenne, représentée par MM. D. Calleja Crespo, J.–P. Keppenne et J. Baquero Cruz ainsi que par Mme K. Herrmann, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LA COUR (assemblée plénière),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice‑président, M. A. Arabadjiev (rapporteur), Mmes A. Prechal, K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, E. Regan, S. Rodin, I. Jarukaitis, N. Jääskinen, Mme I. Ziemele et M. J. Passer, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, J.–C. Bonichot, M. Safjan, F. Biltgen, P. G. Xuereb, N. Piçarra, Mme L. S. Rossi, MM. A. Kumin, N. Wahl, D. Gratsias, Mme M. L. Arastey Sahún, MM. M. Gavalec et Z. Csehi, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffiers : M. M. Aleksejev, chef d’unité, et M. I. Illéssy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience des 11 et 12 octobre 2021,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 décembre 2021,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la République de Pologne demande à la Cour d’annuler le règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020, relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union (JO 2020, L 433I, p. 1, et rectificatif JO 2021, L 373, p. 94, ci-après le « règlement attaqué »).

I.      Le cadre juridique

A.      Le règlement (CE) no 1049/2001

2        L’article 2 du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), prévoit, à son paragraphe 1 :

« Tout citoyen de l’Union et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre a un droit d’accès aux documents des institutions, sous réserve des principes, conditions et limites définis par le présent règlement. »

3        Aux termes de l’article 4 de ce règlement :

« [...]

2.      Les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection :

[...]

–        des procédures juridictionnelles et des avis juridiques,

[...]

à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

3.      L’accès à un document établi par une institution pour son usage interne ou reçu par une institution et qui a trait à une question sur laquelle celle-ci n’a pas encore pris de décision est refusé dans le cas où sa divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

L’accès à un document contenant des avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires au sein de l’institution concernée est refusé même après que la décision a été prise, dans le cas où la divulgation du document porterait gravement atteinte au processus décisionnel de l’institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

[...]

5.      Un État membre peut demander à une institution de ne pas divulguer un document émanant de cet État sans l’accord préalable de celui-ci.

6.      Si une partie seulement du document demandé est concernée par une ou plusieurs des exceptions susvisées, les autres parties du document sont divulguées.

7.      Les exceptions visées aux paragraphes 1, 2 et 3 s’appliquent uniquement au cours de la période durant laquelle la protection se justifie eu égard au contenu du document. [...] »

4        L’article 5 dudit règlement dispose :

« Lorsqu’un État membre est saisi d’une demande relative à un document en sa possession, émanant d’une institution, à moins qu’il ne soit clair que le document doit ou ne doit pas être fourni, l’État membre consulte l’institution concernée afin de prendre une décision ne compromettant pas la réalisation des objectifs du présent règlement.

L’État membre peut, au lieu de cela, soumettre la demande à l’institution. »

B.      Le règlement intérieur du Conseil

5        Le 1er décembre 2009, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2009/937/UE, portant adoption de son règlement intérieur (JO 2009, L 325, p. 35). L’article 6 de ce règlement intérieur (ci-après le « règlement intérieur du Conseil »), intitulé « Secret professionnel et production en justice de documents », prévoit, à son paragraphe 2 :

« Le Conseil ou le [Comité des représentants permanents des gouvernements des États membres (Coreper)] peut autoriser la production en justice d’une copie ou d’un extrait des documents du Conseil qui n’ont pas déjà été rendus accessibles au public conformément aux dispositions relatives à l’accès du public aux documents. »

6        Aux termes de l’article 10 dudit règlement intérieur, intitulé « Accès du public aux documents du Conseil » :

« Les dispositions particulières concernant l’accès du public aux documents du Conseil figurent à l’annexe II. »

7        L’annexe II du même règlement intérieur, intitulée « Dispositions particulières concernant l’accès du public aux documents du Conseil », contient un article 5, relatif aux « [d]emandes soumises par les États membres », qui énonce :

« Lorsqu’un État membre soumet une demande au Conseil, elle est traitée conformément aux articles 7 et 8 du [règlement no 1049/2001] et aux dispositions pertinentes de la présente annexe. Lorsque l’accès est totalement ou partiellement refusé, le demandeur est informé de ce que toute demande confirmative doit être adressée directement au Conseil. »

C.      Les consignes relatives au traitement des documents internes du Conseil

8        Par la note 7695/18, du 10 avril 2018, le Conseil a adopté des consignes relatives au traitement des documents internes du Conseil. Les points 1, 2, 20 et 21 de ces consignes sont ainsi libellés :

« 1.      Le présent document contient des consignes relatives au traitement des documents non classifiés du Conseil dont la diffusion est interne au Conseil, à ses membres, à la Commission, au Service européen pour l’action extérieure (SEAE) et, en fonction de leur objet, à certaines autres institutions (par exemple, le Parlement européen, la Cour de justice et la Banque centrale européenne) et organes de l’[Union européenne] (par exemple, le Comité des régions et le Comité économique et social européen). La divulgation publique inopportune de ces documents pourrait avoir un effet préjudiciable sur les processus décisionnels au sein du Conseil.

2.      Les consignes ont une incidence directe sur le fonctionnement du Conseil et doivent par conséquent être respectées par les États membres en tant que membres du Conseil, conformément au principe de coopération loyale régissant les relations entre les institutions de l’[Union] et les États membres.

[...]

20.      Les documents “LIMITE” ne doivent pas être rendus publics à moins qu’une décision n’ait été prise à cet effet par des fonctionnaires du Conseil dûment habilités, par l’administration nationale d’un État membre (voir point 21) ou, le cas échéant, par le Conseil, conformément au [règlement no 1049/2001] et au règlement intérieur du Conseil.

21.      Les membres du personnel des institutions ou organes de l’[Union] autres que le Conseil ne peuvent décider de rendre publics des documents “LIMITE” sans avoir préalablement consulté le Secrétariat général du Conseil (SGC). Les membres du personnel de l’administration nationale d’un État membre consulteront le SGC avant de prendre une telle décision, sauf s’il est clair que le document peut être rendu public, conformément à l’article 5 du [règlement no 1049/2001]. »

D.      Le règlement (UE, Euratom) no 883/2013

9        L’article 2, point 1, du règlement (UE, Euratom) no 883/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 septembre 2013, relatif aux enquêtes effectuées par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) et abrogeant le règlement (CE) no 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil et le règlement (Euratom) no 1074/1999 du Conseil (JO 2013, L 248, p. 1), définit, aux fins de ce dernier, les « intérêts financiers de l’Union » comme étant « les recettes, dépenses et avoirs couverts par le budget de l’Union européenne, ainsi que ceux qui sont couverts par le budget des institutions, organes et organismes, et les budgets gérés et contrôlés par ceux-ci ».

E.      Le règlement financier

10      Aux termes de l’article 2 du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1, ci-après le « règlement financier »), intitulé « Définitions » :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

7.      “exécution budgétaire” : la réalisation des activités liées à la gestion, au suivi, au contrôle et à l’audit des crédits budgétaires conformément aux modes prévus à l’article 62 ;

[...]

19.      “contrôle” : toute mesure prise pour fournir des assurances raisonnables en ce qui concerne l’efficacité, l’efficience et l’économie des opérations, la fiabilité de l’information, la protection des actifs et de l’information, la prévention, la détection et la correction de la fraude et des irrégularités ainsi que leur suivi et la gestion appropriée des risques concernant la légalité et la régularité des transactions sous-jacentes, en tenant compte du caractère pluriannuel des programmes et de la nature des paiements concernés. Les contrôles peuvent donner lieu à différentes vérifications ainsi qu’à la mise en œuvre de toutes politiques et procédures destinées à réaliser les objectifs visés à la première phrase ;

[...]

42.      “organisation d’un État membre” : une entité établie dans un État membre sous la forme d’un établissement de droit public, ou d’une entité de droit privé investie d’une mission de service public et dotée de garanties financières suffisantes par l’État membre ;

[...]

59.      “bonne gestion financière” : l’exécution du budget conformément aux principes d’économie, d’efficience et d’efficacité ;

[...] »

11      L’article 56 de ce règlement, intitulé « Exécution budgétaire conformément au principe de bonne gestion financière », prévoit :

« 1.      La Commission exécute le budget en recettes et en dépenses conformément au présent règlement, sous sa propre responsabilité et dans la limite des crédits alloués.

2.      Les États membres coopèrent avec la Commission pour que les crédits soient utilisés conformément au principe de bonne gestion financière. »

12      L’article 62 dudit règlement, intitulé « Modes d’exécution budgétaire », dispose, à son paragraphe 1, premier alinéa :

« La Commission exécute le budget :

a)      en mode direct (ci-après dénommé “gestion directe”), comme prévu aux articles 125 à 153, dans ses services, y compris par l’intermédiaire de son personnel dans les délégations de l’Union, placé sous la responsabilité du chef de délégation concerné, conformément à l’article 60, paragraphe 2, ou par l’intermédiaire des agences exécutives visées à l’article 69 ;

b)      en gestion partagée avec les États membres (ci-après dénommée “gestion partagée”), comme prévu aux articles 63 et 125 à 129 ;

c)      en mode indirect (ci-après dénommé “gestion indirecte”), comme prévu aux articles 125 à 149 et 154 à 159, lorsque ce mode d’exécution est prévu dans l’acte de base ou dans les cas visés à l’article 58, paragraphe 2, points a) à d), en confiant des tâches d’exécution budgétaire :

[...] »

13      L’article 63 du même règlement, intitulé « Gestion partagée avec les États membres », énonce, à son paragraphe 2 :

« Lorsqu’ils effectuent des tâches liées à l’exécution budgétaire, les États membres prennent toutes les mesures législatives, réglementaires et administratives qui sont nécessaires à la protection des intérêts financiers de l’Union, à savoir :

a)      veiller à ce que les actions financées sur le budget soient correctement et effectivement exécutées, conformément à la réglementation sectorielle applicable ;

b)      désigner les organismes responsables de la gestion et du contrôle des fonds de l’Union, conformément au paragraphe 3, et superviser ces organismes ;

c)      prévenir, détecter et corriger les irrégularités et la fraude ;

d)      coopérer, conformément au présent règlement et à la réglementation sectorielle, avec la Commission, l’[Office européen de lutte antifraude (OLAF)], la [Cour des comptes européenne] et, dans le cas des États membres participant à une coopération renforcée en application du règlement (UE) 2017/1939 du Conseil[, du 12 octobre 2017, mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen (JO 2017, L 283, p. 1)], avec le Parquet européen.

Pour protéger les intérêts financiers de l’Union, les États membres procèdent, dans le respect du principe de proportionnalité et conformément au présent article et à la réglementation sectorielle concernée, à des contrôles ex ante et ex post, y compris, le cas échéant, des contrôles sur place sur des échantillons d’opérations représentatifs et/ou fondés sur le risque. Ils récupèrent également les fonds indûment versés et engagent des poursuites judiciaires si nécessaire à cet égard.

Les États membres imposent des sanctions effectives, dissuasives et proportionnées aux destinataires lorsque la réglementation sectorielle ou des dispositions spécifiques du droit national le prévoient.

Dans le cadre de son évaluation du risque et conformément à la réglementation sectorielle, la Commission assure la surveillance des systèmes de gestion et de contrôle établis dans les États membres. Dans le cadre de ses audits, la Commission respecte le principe de proportionnalité et tient compte du niveau de risque évalué conformément à la réglementation sectorielle. »

14      L’article 135 du règlement financier, intitulé « Protection des intérêts financiers de l’Union par la détection des risques, l’exclusion et l’imposition de sanctions financières », dispose :

« 1.      Afin de protéger les intérêts financiers de l’Union, la Commission met en place et exploite un système de détection rapide et d’exclusion.

L’objectif de ce système est de faciliter :

a)      la détection rapide des personnes ou entités visées au paragraphe 2, qui constituent un risque pour les intérêts financiers de l’Union ;

[...]

3.      La décision d’inscription d’informations concernant une détection rapide de risques visés au paragraphe 1, deuxième alinéa, point a), du présent article, d’exclusion de personnes ou d’entités visées au paragraphe 2 et/ou d’imposition d’une sanction financière à un destinataire est prise par l’ordonnateur compétent. Les informations relatives à ces décisions sont enregistrées dans la base de données visée à l’article 142, paragraphe 1. Lorsque de telles décisions sont prises sur la base de l’article 136, paragraphe 4, les informations enregistrées dans la base de données comprennent les informations relatives aux personnes visées audit paragraphe.

4.      La décision d’exclusion de personnes ou d’entités visées au paragraphe 2 du présent article ou d’imposition d’une sanction financière à un destinataire se fonde sur un jugement définitif ou, dans les situations d’exclusion visées à l’article 136, paragraphe 1, sur une décision administrative définitive, ou sur une qualification juridique préliminaire par l’instance visée à l’article 143 dans les situations visées à l’article 136, paragraphe 2, afin d’assurer une évaluation centralisée de ces situations. Dans les cas visés à l’article 141, paragraphe 1, l’ordonnateur compétent écarte un participant d’une procédure d’attribution déterminée.

Sans préjudice de l’article 136, paragraphe 5, l’ordonnateur compétent ne peut prendre une décision d’exclure un participant ou un destinataire et/ou d’imposer une sanction financière à un destinataire et de publier les informations correspondantes que sur la base d’une qualification préliminaire visée à l’article 136, paragraphe 2, après avoir obtenu une recommandation de l’instance visée à l’article 143. »

II.    Le règlement attaqué

15      Il ressort des visas du règlement attaqué que celui-ci a été adopté sur le fondement du « traité [FUE], et notamment [de] son article 322, paragraphe 1, point a), » ainsi que du « traité [CEEA], et notamment [de] son article 106 bis ».

16      Les considérants 2, 3, 5 à 10, 12 à 19 et 26 du règlement attaqué énoncent :

« (2)      Dans ses conclusions du 21 juillet 2020, le Conseil européen a déclaré que les intérêts financiers de l’Union doivent être protégés conformément aux principes généraux inscrits dans les traités, en particulier les valeurs énoncées à l’article 2 [TUE]. Il a également souligné l’importance que revêt la protection des intérêts financiers de l’Union et l’importance que revêt le respect de l’État de droit.

(3)      L’État de droit exige que toutes les autorités publiques agissent dans les limites fixées par la loi, conformément aux valeurs que sont la démocratie et le respect des droits fondamentaux, consacrées dans la [charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »] et d’autres instruments applicables, et sous le contrôle de juridictions indépendantes et impartiales. Il requiert, en particulier, que les principes de légalité ([arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, EU:C:2004:236, point 63]), supposant l’existence d’un processus législatif transparent, responsable, démocratique et pluraliste, de sécurité juridique ([arrêt du 12 novembre 1981, Meridionale Industria Salumi e.a., 212/80 à 217/80, EU:C:1981:270, point 10]), d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif ([arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, EU:C:1989:337, point 19]), d’une protection juridictionnelle effective, incluant l’accès à la justice, par des juridictions indépendantes et impartiales ([arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, points 31, 40 et 41, ainsi que du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, points 63 à 67]), et de séparation des pouvoirs ([arrêts du 22 décembre 2010, DEB, C‑279/09, EU:C:2010:811, point 58 ; du 10 novembre 2016, Poltorak, C‑452/16 PPU, EU:C:2016:858, point 35, et du 10 novembre 2016, Kovalkovas, C‑477/16 PPU, EU:C:2016:861, point 36]) soient respectés ([Communication de la Commission intitulée “Un nouveau cadre de l’[Union] pour renforcer l’[É]tat de droit”, COM(2014) 158 final, annexe I]).

[...]

(5)      Une fois qu’un pays candidat devient un État membre, il adhère à une construction juridique qui repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à l’article 2 [TUE]. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre ([avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 168]). Les droits et pratiques des États membres devraient continuer de respecter les valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée.

(6)      S’il n’existe pas de hiérarchie entre les valeurs de l’Union, le respect de l’État de droit est essentiel à la protection des autres valeurs fondamentales sur lesquelles l’Union est fondée, telles que la liberté, la démocratie, l’égalité et le respect des droits de l’homme. Le respect de l’État de droit est intrinsèquement lié au respect de la démocratie et des droits fondamentaux. Il ne peut y avoir de démocratie et de respect des droits fondamentaux sans respect de l’État de droit, et inversement.

(7)      Chaque fois que les États membres exécutent le budget de l’Union, y compris les ressources allouées par l’intermédiaire de l’instrument de l’Union européenne pour la relance établi par le règlement (UE) 2020/2094 [du Conseil, du 14 décembre 2020, établissant un instrument de l’Union européenne pour la relance en vue de soutenir la reprise à la suite de la crise liée à la COVID-19 (JO 2020, L 433I, p. 23)], et au moyen de prêts et d’autres instruments garantis par le budget de l’Union, et quelle que soit la méthode d’exécution utilisée, le respect de l’État de droit est une condition essentielle au respect des principes de la bonne gestion financière consacrés par l’article 317 [TFUE].

(8)      Les États membres ne peuvent garantir une bonne gestion financière que si les autorités publiques agissent en conformité avec le droit, si les cas de fraude, y compris la fraude fiscale, l’évasion fiscale, la corruption, les conflits d’intérêts ou d’autres violations du droit sont effectivement poursuivis par les services d’enquête et de poursuites judiciaires, et si les décisions arbitraires ou illégales des autorités publiques, y compris les autorités répressives, peuvent faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif par des juridictions indépendantes et par la Cour de justice de l’Union européenne.

(9)      L’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire devraient toujours être garanties et les services d’enquête et de poursuites judiciaires devraient être en mesure de remplir correctement leurs fonctions. Le pouvoir judiciaire et les services d’enquête et de poursuites judiciaires devraient être dotés des ressources humaines et financières suffisantes ainsi que de procédures leur permettant d’agir de manière efficace et dans le strict respect du droit d’accéder à un tribunal impartial, y compris le respect des droits de la défense. Les jugements définitifs devraient être effectivement exécutés. Ces conditions sont requises à titre de garantie minimale contre les décisions arbitraires et illégales d’autorités publiques susceptibles de léser les intérêts financiers de l’Union.

(10)      L’indépendance du pouvoir judiciaire présuppose, notamment, que l’instance judiciaire concernée soit en mesure d’exercer ses fonctions juridictionnelles, tant en vertu des règles applicables que dans la pratique, en toute autonomie, sans être soumise à aucun lien hiérarchique ou de subordination à l’égard de quiconque et sans recevoir d’ordres ou d’instructions de quelque origine que ce soit, et qu’elle soit ainsi protégée d’interventions ou de pressions extérieures susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de jugement de ses membres et d’influencer leurs décisions. Les garanties d’indépendance et d’impartialité postulent l’existence de règles, notamment en ce qui concerne la composition de l’instance et la nomination, la durée des fonctions ainsi que les causes de récusation et de révocation de ses membres, afin d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de ladite instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts en présence.

[...]

(12)      L’article 19 [TUE], qui concrétise la valeur de l’État de droit énoncée à l’article 2 [TUE], impose aux États membres de prévoir une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union, y compris ceux concernant l’exécution du budget de l’Union. L’existence même d’un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect du droit de l’Union est inhérente à l’État de droit et exige des juridictions indépendantes ([arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, points 32 à 36]). La préservation de l’indépendance des juridictions est primordiale, ainsi que le confirme l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte ([arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, points 40 et 41]). Cette exigence vaut, en particulier, pour le contrôle juridictionnel de la régularité des actes, contrats ou autres instruments générateurs de dépenses ou de dettes publiques, notamment dans le cadre des procédures de passation de marchés publics dont les juridictions peuvent être également saisies.

(13)      Il existe donc un lien manifeste entre le respect de l’État de droit et la bonne exécution du budget de l’Union, conformément aux principes de bonne gestion financière.

(14)      L’Union a mis au point un éventail d’instruments et de processus qui promeuvent l’État de droit et son application, y compris un soutien financier en faveur des organisations de la société civile, le mécanisme européen de protection de l’État de droit et le tableau de bord de la justice dans l’[Union], et qui permettent aux institutions de l’Union d’apporter une réponse efficace aux violations de l’État de droit, au moyen de procédures d’infraction et de la procédure prévue à l’article 7 [TUE]. Le mécanisme prévu dans le présent règlement complète ces instruments en protégeant le budget de l’Union contre les violations des principes de l’État de droit qui portent atteinte à sa bonne gestion financière ou à la protection des intérêts financiers de l’Union.

(15)      Les violations des principes de l’État de droit, en particulier celles qui portent atteinte au bon fonctionnement des autorités publiques et au caractère effectif du contrôle juridictionnel, peuvent nuire gravement aux intérêts financiers de l’Union. Tel est le cas des violations individuelles des principes de l’État de droit et encore plus des violations qui sont répandues ou résultent de pratiques ou d’omissions récurrentes des autorités publiques ou encore de mesures générales adoptées par ces autorités.

(16)      La détection de violations des principes de l’État de droit requiert que la Commission procède à une évaluation qualitative approfondie. Cette évaluation devrait être objective, impartiale et équitable et prendre en compte des informations pertinentes provenant de sources disponibles et d’institutions reconnues, parmi lesquelles les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne, les rapports de la Cour des comptes, le rapport annuel de la Commission sur l’État de droit et le tableau de bord de la justice dans l’[Union], les rapports de l’[OLAF] et du Parquet européen, le cas échéant, ainsi que les conclusions et recommandations formulées par les organisations et réseaux internationaux pertinents, y compris les organes du Conseil de l’Europe, tels que le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe et la [Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise)], en particulier sa liste des critères de l’État de droit, le réseau européen des présidents des cours suprêmes judiciaires et le réseau européen des conseils de la justice. La Commission pourrait, au besoin, consulter l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Commission de Venise afin de préparer une évaluation qualitative approfondie.

(17)      Des mesures au titre du présent règlement sont nécessaires en particulier dans les cas où d’autres procédures prévues par la législation de l’Union ne permettraient pas de protéger le budget de l’Union d’une manière plus efficace. La législation financière de l’Union et la réglementation sectorielle et financière applicable prévoient divers moyens de protéger le budget de l’Union, y compris des interruptions, des suspensions ou des corrections financières, en cas d’irrégularités ou d’insuffisances graves dans les systèmes de gestion et de contrôle. Il convient de définir les mesures à adopter en cas de violation des principes de l’État de droit ainsi que la procédure à suivre pour leur adoption. Parmi ces mesures devraient figurer la suspension des paiements et des engagements, la suspension du décaissement des tranches ou le remboursement anticipé de prêts, une réduction du financement au titre d’engagements existants et une interdiction de contracter de nouveaux engagements avec des destinataires ou de conclure de nouveaux accords relatifs à des prêts ou d’autres instruments garantis par le budget de l’Union.

(18)      Le principe de proportionnalité devrait s’appliquer lors de la détermination des mesures à adopter, notamment par la prise en considération de la gravité de la situation, du temps écoulé depuis le début du comportement en cause, de la durée et de l’éventuel caractère récurrent du comportement, de l’intention de l’État membre concerné de mettre un terme aux violations des principes de l’État de droit et de son degré de coopération en ce sens, ainsi que des effets sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou les intérêts financiers de l’Union.

(19)      Il est essentiel que les intérêts légitimes des destinataires finaux et des bénéficiaires soient dûment préservés lorsque des mesures sont adoptées en cas de violation des principes de l’État de droit. Lorsqu’il est envisagé d’adopter des mesures, la Commission devrait tenir compte de leur incidence potentielle sur les destinataires finaux et les bénéficiaires. Compte tenu du fait que, dans le cadre de la gestion partagée, les paiements de la Commission aux États membres sont juridiquement indépendants des paiements effectués par les autorités nationales aux bénéficiaires, les mesures appropriées adoptées au titre du présent règlement ne devraient pas être considérées comme affectant la disponibilité de fonds aux fins des paiements en faveur des bénéficiaires dans les délais de paiement fixés par la réglementation sectorielle et financière applicable. Les décisions adoptées en vertu du présent règlement et les obligations à l’égard des destinataires finaux ou des bénéficiaires énoncées dans le présent règlement font partie du droit de l’Union applicable en ce qui concerne l’exécution des financements en gestion partagée. Les États membres concernés par les mesures devraient régulièrement faire rapport à la Commission sur le respect de leurs obligations à l’égard des destinataires finaux ou des bénéficiaires. Les rapports sur le respect des obligations de paiement à l’égard des bénéficiaires énoncées dans la réglementation sectorielle et financière applicable devraient permettre à la Commission de vérifier que les décisions adoptées au titre du présent règlement n’ont aucune incidence, directement ou indirectement, sur les paiements à effectuer en vertu de la réglementation sectorielle et financière applicable.

Pour renforcer la protection des destinataires finaux ou des bénéficiaires, la Commission devrait fournir des informations et des orientations par l’intermédiaire d’un site Internet ou d’un portail Internet, ainsi que des outils adéquats permettant de l’informer de toute violation de l’obligation légale qui incombe aux entités publiques et aux États membres de continuer à effectuer les paiements après que des mesures ont été adoptées en vertu du présent règlement. La Commission devrait assurer le suivi de ces informations afin de vérifier si les règles applicables ont été respectées, en particulier l’article 69, l’article 74, paragraphe 1, point b), et l’article 104 du règlement (UE) 2021/1060 [du Parlement européen et du Conseil, du 24 juin 2021, portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen plus, au Fonds de cohésion, au Fonds pour une transition juste et au Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture, et établissant les règles financières applicables à ces Fonds et au Fonds “Asile, migration et intégration”, au Fonds pour la sécurité intérieure et à l’instrument de soutien financier à la gestion des frontières et à la politique des visas (JO 2021, L 231, p. 159)]. Si nécessaire, afin de veiller à ce que tout montant dû par des entités publiques ou des États membres soit effectivement versé aux destinataires finaux ou aux bénéficiaires, la Commission devrait recouvrer les paiements effectués ou, selon le cas, procéder à une correction financière en réduisant le soutien de l’Union à un programme conformément à la réglementation sectorielle et financière applicable.

[...]

(26)      La procédure d’adoption et de levée des mesures devrait respecter les principes d’objectivité, de non-discrimination et d’égalité de traitement des États membres, et devrait être menée selon une approche non partisane et fondée sur des éléments concrets. Si, exceptionnellement, l’État membre concerné estime qu’il existe de graves violations de ces principes, il peut demander au président du Conseil européen de saisir le prochain Conseil européen de la question. Dans de telles circonstances exceptionnelles, aucune décision concernant les mesures ne devrait être prise jusqu’à ce que le Conseil européen ait débattu de la question. Ce processus ne devrait, en principe, pas durer plus de trois mois après que la Commission a présenté sa proposition au Conseil. »

17      L’article 1er du règlement attaqué dispose :

« Le présent règlement établit les règles nécessaires à la protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre. »

18      Aux termes de l’article 2 de ce règlement :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

a)      “État de droit” : la valeur de l’Union consacrée à l’article 2 [TUE]. Il recouvre le principe de légalité, qui suppose l’existence d’un processus législatif transparent, responsable, démocratique et pluraliste, ainsi que les principes de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de protection juridictionnelle effective, y compris l’accès à la justice, assurée par des juridictions indépendantes et impartiales, également en ce qui concerne les droits fondamentaux, de séparation des pouvoirs, de non-discrimination et d’égalité devant la loi. L’État de droit s’entend eu égard aux autres valeurs et principes de l’Union consacrés à l’article 2 [TUE] ;

b)      “entité publique” : une autorité publique à tout niveau de gouvernement, incluant les autorités nationales, régionales et locales, ainsi que les organisations d’un État membre au sens de l’article 2, point 42, du règlement [financier]. »

19      L’article 3 du règlement attaqué, intitulé « Violations des principes de l’État de droit », prévoit :

« Aux fins du présent règlement, peuvent être indicatifs de violations des principes de l’État de droit :

a)      la mise en péril de l’indépendance du pouvoir judiciaire ;

b)      le fait de ne pas prévenir, corriger ou sanctionner les décisions arbitraires ou illégales des autorités publiques, y compris des autorités répressives, la retenue de ressources financières et humaines affectant leur bon fonctionnement ou le fait de ne pas veiller à l’absence de conflits d’intérêts ;

c)      la limitation de la disponibilité et de l’effectivité des voies de recours, notamment sous l’effet de règles de procédure restrictives et l’inexécution des décisions de justice, ou la limitation de l’effectivité des enquêtes, des poursuites ou des sanctions relatives à des violations du droit. »

20      L’article 4 de ce règlement, intitulé « Conditions d’adoption des mesures », énonce :

« 1.      Des mesures appropriées sont prises lorsqu’il est établi, conformément à l’article 6, que des violations des principes de l’État de droit dans un État membre portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection des intérêts financiers de l’Union, d’une manière suffisamment directe.

2.      Aux fins du présent règlement, les violations des principes de l’État de droit concernent un ou plusieurs des points suivants :

a)      le bon fonctionnement des autorités exécutant le budget de l’Union, y compris des prêts et d’autres instruments garantis par le budget de l’Union, en particulier dans le contexte de procédures de passation de marchés publics ou d’octroi de subventions ;

b)      le bon fonctionnement des autorités chargées du contrôle, du suivi et de l’audit financiers, ainsi que le bon fonctionnement de systèmes efficaces et transparents de gestion et de responsabilité financières ;

c)      le bon fonctionnement des services d’enquête et de poursuites judiciaires dans le cadre des enquêtes et poursuites relatives à la fraude, y compris la fraude fiscale, à la corruption ou à d’autres violations du droit de l’Union concernant l’exécution du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union ;

d)      le contrôle juridictionnel effectif par des juridictions indépendantes d’actes ou d’omissions des autorités mentionnées aux points a), b) et c) ;

e)      la prévention et la sanction de la fraude, y compris la fraude fiscale, de la corruption ou d’autres violations du droit de l’Union concernant l’exécution du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union, ainsi que l’imposition de sanctions effectives et dissuasives aux destinataires par les juridictions nationales ou par les autorités administratives ;

f)      le recouvrement de fonds indûment versés ;

g)      la coopération effective et en temps utile avec l’OLAF et, sous réserve de la participation de l’État membre concerné, avec le Parquet européen à leurs enquêtes ou poursuites en vertu des actes de l’Union applicables conformément au principe de coopération loyale ;

h)      d’autres situations ou comportements des autorités qui sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union. »

21      L’article 5 dudit règlement, intitulé « Mesures de protection du budget de l’Union », prévoit, à ses paragraphes 1 à 4 :

« 1.      Pour autant que les conditions énoncées à l’article 4 du présent règlement soient remplies, une ou plusieurs des mesures appropriées suivantes peuvent être adoptées conformément à la procédure prévue à l’article 6 du présent règlement :

a)      lorsque la Commission exécute le budget de l’Union en gestion directe ou indirecte, en application de l’article 62, paragraphe 1, points a) et c), du règlement financier, et lorsqu’une entité publique est le destinataire :

i)      une suspension des paiements ou de l’exécution de l’engagement juridique ou une résiliation de l’engagement juridique, conformément à l’article 131, paragraphe 3, du règlement financier ;

ii)      une interdiction de contracter de nouveaux engagements juridiques ;

iii)      une suspension du décaissement des tranches, en tout ou partie, ou un remboursement anticipé de prêts garantis par le budget de l’Union ;

iv)      une suspension ou une réduction de l’avantage économique découlant d’un instrument garanti par le budget de l’Union ;

v)      une interdiction de conclure de nouveaux accords relatifs à des prêts ou d’autres instruments garantis par le budget de l’Union ;

b)      lorsque la Commission exécute le budget de l’Union en gestion partagée avec les États membres conformément à l’article 62, paragraphe 1, point b), du règlement financier :

i)      une suspension de l’approbation d’un ou de plusieurs programmes ou une modification de cette suspension ;

ii)      une suspension des engagements ;

iii)      une réduction des engagements, notamment au moyen de corrections financières ou de transferts vers d’autres programmes de dépenses ;

iv)      une réduction du préfinancement ;

v)      une interruption des délais de paiement ;

vi)      une suspension des paiements.

2.      Sauf disposition contraire de la décision portant adoption des mesures, l’imposition de mesures appropriées est sans incidence sur les obligations des entités publiques visées au paragraphe 1, point a), ou des États membres visés au paragraphe 1, point b), d’exécuter le programme ou le fonds touché par la mesure, et notamment les obligations qui leur incombent à l’égard des destinataires finaux ou des bénéficiaires, y compris l’obligation d’effectuer les paiements conformément au présent règlement et à la réglementation sectorielle ou financière applicable. Lorsqu’ils exécutent des fonds de l’Union européenne en gestion partagée, les États membres concernés par des mesures adoptées en vertu du présent règlement font rapport à la Commission, tous les trois mois à compter de l’adoption desdites mesures, sur la manière dont ils respectent ces obligations.

La Commission vérifie si le droit applicable a été respecté et, au besoin, prend toutes les mesures appropriées pour protéger le budget de l’Union, conformément à la réglementation sectorielle et financière.

3.      Les mesures prises sont proportionnées. Elles sont déterminées en fonction de l’incidence réelle ou potentielle des violations des principes de l’État de droit sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur les intérêts financiers de l’Union. La nature, la durée, la gravité et la portée des violations des principes de l’État de droit sont dûment prises en compte. Les mesures ciblent, dans la mesure du possible, les actions de l’Union auxquelles les violations portent atteinte.

4.      La Commission fournit des informations et des orientations à l’intention des destinataires finaux ou des bénéficiaires en ce qui concerne les obligations des États membres visées au paragraphe 2 par l’intermédiaire d’un site Internet ou d’un portail Internet. La Commission fournit également, sur le même site Internet ou portail Internet, des outils adéquats permettant aux destinataires finaux ou aux bénéficiaires de l’informer de toute violation de ces obligations qui, selon ces destinataires finaux ou bénéficiaires, leur porte directement atteinte. Le présent paragraphe s’applique de manière à assurer la protection des personnes signalant des violations du droit de l’Union, conformément aux principes énoncés dans la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil[, du 23 octobre 2019, sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union (JO 2019, L 305, p. 17)]. Les informations fournies par les destinataires finaux ou les bénéficiaires conformément au présent paragraphe sont accompagnées d’une preuve indiquant que le destinataire final ou le bénéficiaire a introduit une plainte formelle auprès de l’autorité compétente de l’État membre concerné. »

22      Aux termes de l’article 6 du même règlement, intitulé « Procédure » :

« 1.      Lorsque la Commission constate qu’il existe des motifs raisonnables de considérer que les conditions énoncées à l’article 4 sont remplies, à moins qu’elle ne considère que d’autres procédures prévues par la législation de l’Union lui permettraient de protéger le budget de l’Union d’une manière plus efficace, elle adresse une notification écrite à l’État membre concerné exposant les éléments factuels et les motifs précis sur lesquels reposent ses constatations. La Commission informe le Parlement européen et le Conseil sans tarder de cette notification et de son contenu.

2.      À la lumière des informations reçues en application du paragraphe 1, le Parlement européen peut inviter la Commission à prendre part à un dialogue structuré sur ses constatations.

3.      Lorsqu’elle évalue si les conditions énoncées à l’article 4 sont remplies, la Commission prend en compte des informations pertinentes provenant de sources disponibles, y compris les décisions, conclusions et recommandations des institutions de l’Union, d’autres organisations internationales pertinentes et d’autres institutions reconnues.

4.      La Commission peut demander toute information supplémentaire dont elle a besoin pour effectuer l’évaluation visée au paragraphe 3, tant avant qu’après avoir adressé la notification écrite visée au paragraphe 1.

5.      L’État membre concerné fournit les informations nécessaires et peut formuler des observations sur les constatations figurant dans la notification visée au paragraphe 1 dans un délai à fixer par la Commission, qui doit être d’au moins un mois et ne pas excéder trois mois à compter de la date de la notification des constatations. Dans ses observations, l’État membre peut proposer l’adoption de mesures correctives pour répondre aux constatations exposées dans la notification de la Commission.

6.      La Commission tient compte des informations reçues et des éventuelles observations formulées par l’État membre concerné, ainsi que du caractère adéquat des éventuelles mesures correctives proposées, lorsqu’elle décide de l’opportunité de présenter une proposition de décision d’exécution arrêtant des mesures appropriées. La Commission procède à son évaluation dans un délai indicatif d’un mois à compter de la réception de toute information de la part de l’État membre concerné ou de ses observations ou, à défaut d’information ou d’observations, à compter de l’expiration du délai fixé conformément au paragraphe 5 et, en tout état de cause, dans un délai raisonnable.

7.      Lorsque la Commission a l’intention de soumettre une proposition en vertu du paragraphe 9, elle donne préalablement à l’État membre concerné la possibilité de présenter ses observations, en particulier sur la proportionnalité des mesures envisagées, dans un délai d’un mois.

8.      Lorsqu’elle évalue la proportionnalité des mesures à imposer, la Commission tient compte des informations et orientations visées au paragraphe 3.

9.      Lorsque la Commission considère que les conditions énoncées à l’article 4 sont remplies et que les mesures correctives proposées, le cas échéant, par l’État membre au titre du paragraphe 5 ne répondent pas de manière satisfaisante aux constatations figurant dans la notification de la Commission, elle présente au Conseil, dans un délai d’un mois à compter de la réception des observations de l’État membre, une proposition de décision d’exécution arrêtant les mesures appropriées ou, dans le cas où aucune observation n’est présentée, sans retard injustifié et, en tout état de cause, dans un délai d’un mois à compter du délai fixé au paragraphe 7. La proposition indique les motifs précis et les éléments concrets sur lesquels la Commission a fondé ses constatations.

10.      Le Conseil adopte la décision d’exécution visée au paragraphe 9 du présent article dans un délai d’un mois à compter de la réception de la proposition de la Commission. En cas de circonstances exceptionnelles, le délai pour l’adoption de ladite décision d’exécution peut être prolongé de deux mois au maximum. Pour faire en sorte qu’une décision soit prise en temps utile, la Commission fait usage des droits qui lui sont conférés par l’article 237 [TFUE], lorsqu’elle le juge approprié.

11.      Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut modifier la proposition de la Commission et adopter le texte modifié au moyen d’une décision d’exécution. »

23      L’article 7 du règlement attaqué, intitulé « Levée des mesures », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      L’État membre concerné peut, à tout moment, adopter de nouvelles mesures correctives et présenter à la Commission une notification écrite comprenant des éléments visant à démontrer que les conditions énoncées à l’article 4 ne sont plus remplies.

2.      À la demande de l’État membre concerné ou de sa propre initiative et, au plus tard, après une période maximale d’un an suivant l’adoption des mesures par le Conseil, la Commission réévalue la situation dans l’État membre concerné, en tenant compte de tout élément présenté par celui-ci ainsi que de l’adéquation de toutes nouvelles mesures correctives adoptées par l’État membre concerné.

Lorsque la Commission considère que les conditions énoncées à l’article 4 ne sont plus remplies, elle présente au Conseil une proposition de décision d’exécution levant les mesures adoptées.

Lorsque la Commission considère qu’il a été remédié en partie à la situation ayant conduit à l’adoption des mesures, elle présente au Conseil une proposition de décision d’exécution adaptant les mesures adoptées.

Lorsque la Commission considère qu’il n’a pas été remédié à la situation ayant conduit à l’adoption des mesures, elle adresse une décision motivée à l’État membre concerné et en informe le Conseil.

Lorsque l’État membre concerné présente une notification écrite en vertu du paragraphe 1, la Commission présente sa proposition ou adopte sa décision d’exécution dans un délai d’un mois à compter de la réception de cette notification. Ce délai peut être prolongé dans des circonstances dûment justifiées, auquel cas la Commission informe sans tarder l’État membre concerné des motifs de cette prolongation.

La procédure prévue à l’article 6, paragraphes 3, 4, 5, 6, 9, 10 et 11, s’applique par analogie ainsi qu’il y a lieu. »

III. Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

24      La République de Pologne demande à la Cour d’annuler le règlement attaqué et de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

25      Le Parlement et le Conseil demandent à la Cour de rejeter le recours et de condamner la République de Pologne aux dépens.

26      Par requête du 12 mai 2021, le Parlement a demandé que la présente affaire soit soumise à la procédure accélérée prévue à l’article 133 du règlement de procédure de la Cour. À l’appui de cette demande, le Parlement a fait valoir que l’adoption du règlement attaqué était une condition politique essentielle à son approbation du règlement (UE, Euratom) 2020/2093 du Conseil, du 17 décembre 2020, fixant le cadre financier pluriannuel pour les années 2021 à 2027 (JO 2020, L 433I, p. 11, ci-après le « cadre financier pluriannuel 2021-2027 ») et que, au vu de l’urgence économique, les fonds disponibles au titre du plan de relance COVID-19 intitulé « Next Generation EU » devront être mis à la disposition des États membres dans des délais extrêmement brefs. Il a notamment précisé à cet égard que, conformément à l’article 3, paragraphe 4, du règlement 2020/2094, au moins 60 % des engagements juridiques devront être contractés au plus tard le 31 décembre 2022 et que la totalité des engagements juridiques devra l’être le 31 décembre 2023 au plus tard. Par ailleurs, le Parlement a souligné que, à la suite de l’entrée en vigueur de la décision (UE, Euratom) 2020/2053 du Conseil, du 14 décembre 2020, relative au système des ressources propres de l’Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE, Euratom (JO 2020, L 424, p. 1), la Commission lancera dès l’été 2022 ses emprunts sur les marchés de capitaux pour financer le plan de relance précité. Selon le Parlement, l’emprunt et la mise à disposition de fonds extrêmement importants, dans des délais très brefs, entraîneront inévitablement des risques pour le budget de l’Union que le règlement attaqué vise à protéger. Une telle protection serait importante, car une incapacité à protéger de manière effective ce budget risquerait d’entraîner des répercussions néfastes, notamment pour la solidarité au sein de l’Union à long terme.

27      L’article 133, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande soit de la partie requérante, soit de la partie défenderesse, le président de la Cour peut, l’autre partie, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, décider de soumettre une affaire à une procédure accélérée lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais.

28      En l’occurrence, le 9 juin 2021, le président de la Cour a décidé, les autres parties, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de faire droit à cette demande. Cette décision a été motivée par l’importance fondamentale de la présente affaire pour l’ordre juridique de l’Union, notamment dans la mesure où elle a trait aux compétences de l’Union pour défendre son budget et ses intérêts financiers contre des atteintes pouvant découler de violations des valeurs que contient l’article 2 TUE.

29      Par décision du président de la Cour du 25 juin 2021, le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil.

30      Par décision du président de la Cour du même jour, la Hongrie a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la République de Pologne.

31      Par requête du 11 mai 2021, le Conseil a demandé à la Cour de ne pas prendre en compte les passages de la requête de la République de Pologne et des annexes de celle-ci faisant référence à l’avis no 13593/18 de son service juridique, du 25 octobre 2018, concernant la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection du budget de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’État de droit dans un État membre [(COM/2018) 324 final), à l’origine du règlement attaqué (ci-après l’« avis juridique no 13593/18 ») ou reproduisant le contenu ou le raisonnement de cet avis juridique. Le 29 juin 2021, la Cour a décidé de joindre cette demande au fond.

32      Le 7 septembre 2021, estimant que la présente affaire revêt une importance exceptionnelle, la Cour a décidé, l’avocat général entendu, de renvoyer l’affaire devant l’assemblée plénière, conformément à l’article 16, dernier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

IV.    Sur la demande de ne pas prendre en compte certains passages de la requête de la République de Pologne

A.      Argumentation des parties

33      À l’appui de sa demande tendant à ce que ne soient pas pris en compte les points 53, 75, 126, 133 et 139 de la requête de la République de Pologne, en ce qu’ils font référence à l’avis juridique no 13593/18, en reproduisent le contenu ou en reflètent l’analyse, le Conseil fait valoir que cet avis juridique constitue un document interne non classifié portant le marquage « LIMITE ». Partant, il serait couvert par le secret professionnel et sa production en justice serait subordonnée aux conditions prévues notamment à l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil ainsi qu’aux points 20 et 21 des consignes relatives au traitement des documents internes du Conseil.

34      Selon l’article 6, paragraphe 2, de ce règlement intérieur, seuls le Conseil ou le Coreper peuvent autoriser la production en justice d’une copie ou d’un extrait des documents du Conseil qui n’ont pas déjà été rendus accessibles au public conformément aux dispositions du droit de l’Union relatives à l’accès du public aux documents. Par ailleurs, conformément aux points 20 et 21 de ces consignes, un document « LIMITE » ne doit pas être rendu public à moins qu’une décision ne soit prise à cet effet par un fonctionnaire du Conseil dûment habilité, par l’administration nationale d’un État membre, après consultation du SGC, ou, le cas échéant, par le Conseil, conformément au règlement no 1049/2001 et au règlement intérieur du Conseil.

35      Or, en l’espèce, à ce jour, le Conseil n’aurait rendu publics, au titre du règlement no 1049/2001, que les huit premiers points de l’avis juridique no 13593/18 et n’aurait pas non plus autorisé la République de Pologne à le produire dans le cadre de la présente procédure juridictionnelle.

36      Selon une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal, il serait contraire à l’intérêt public, selon lequel les institutions doivent pouvoir bénéficier des avis de leur service juridique, donnés en toute indépendance, d’admettre que la production de tels documents internes puisse avoir lieu dans le cadre d’un litige devant la Cour sans que ladite production ait été autorisée par l’institution concernée ou ordonnée par cette juridiction.

37      Le Conseil fait observer que, s’il n’a donné que partiellement accès à l’avis juridique no 13593/18 à la suite de demandes fondées sur le règlement no 1049/2001, c’est en raison, en particulier, du risque que, dans le cadre d’un litige portant sur la validité du règlement attaqué, une partie requérante puisse le confronter aux arguments exprimés par son propre service juridique dans ledit avis juridique, en violation des exigences d’un procès équitable et de l’égalité des armes entre les parties à une procédure juridictionnelle. Du reste, ces risques se seraient matérialisés avec l’introduction du présent recours.

38      D’ailleurs, selon le Conseil, la République de Pologne a toujours voté, sur la base de ces arguments, en faveur des décisions refusant l’accès du public à l’avis juridique no 13593/18. Si cet État membre avait souhaité que cet avis juridique soit rendu public, il aurait dû introduire une demande en ce sens au titre du règlement no 1049/2001 ou solliciter une autorisation conformément au règlement intérieur du Conseil et aux consignes relatives au traitement des documents internes du Conseil.

39      Le Conseil fait valoir que si la République de Pologne était autorisée à utiliser l’avis juridique no 13593/18 dans la présente affaire, alors qu’elle n’a pas suivi la procédure prévue à cet effet et que la question n’a pas été soumise à un contrôle juridictionnel effectif, les procédures prévues par le règlement no 1049/2001 et par le règlement intérieur du Conseil seraient contournées. Il rappelle à cet égard la jurisprudence constante de la Cour qui fait droit aux demandes des institutions visant à obtenir le retrait de leurs documents internes du dossier dont dispose la Cour lorsqu’elles n’en ont pas autorisé la production en justice et estime qu’il en découle que l’avis juridique no 13593/18 ne saurait être utilisé dans la présente affaire.

40      En outre, le Conseil fait valoir que, si la production de l’avis juridique no 13593/18 dans la présente procédure était admise, il se verrait contraint de porter des appréciations devant le juge de l’Union sur un avis destiné à un usage interne et rendu par son propre service juridique lors de l’élaboration du règlement attaqué, ce qui méconnaîtrait les exigences d’un procès équitable et affecterait la possibilité pour le Conseil de recevoir des avis francs, objectifs et complets.

41      Enfin, selon la jurisprudence de la Cour, le fait que l’avis juridique no 13593/18 a été divulgué sans autorisation du Conseil sur le site Internet d’un organe de presse et que son contenu a ainsi été révélé au public serait sans incidence sur ces considérations. De plus, le préjudice causé au Conseil et aux institutions de l’Union résultant de l’utilisation non autorisée de cet avis juridique dans le cadre de la présente procédure excéderait largement celui causé par la publication dudit avis juridique dans la presse. En effet, le fait de permettre à la République de Pologne de se fonder sur le même avis juridique menacerait l’intérêt public consistant à ce que les institutions puissent bénéficier des avis de leur service juridique en toute indépendance et réduirait à néant l’efficacité des procédures visant à la protection de cet intérêt.

42      La République de Pologne conteste l’argumentation du Conseil.

B.      Appréciation de la Cour

43      Par son argumentation, le Conseil soutient en substance que la République de Pologne, en ayant reproduit, aux points 53, 126, 133 et 139 de la requête, des passages de l’avis juridique no 13593/18 et en ayant reformulé, au point 75 de cette requête, le contenu de cet avis, premièrement, a violé l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil, deuxièmement, a méconnu l’intérêt public consistant à ce que le Conseil puisse bénéficier des avis de son service juridique, donnés en toute indépendance, troisièmement, a placé le Conseil dans une situation susceptible de le conduire à se prononcer dans la procédure principale sur les analyses de son propre service juridique, violant ainsi le principe de l’égalité des armes, quatrièmement, a enfreint les points 20 et 21 des consignes relatives au traitement des documents internes du Conseil et, cinquièmement, a méconnu le règlement no 1049/2001.

44      S’agissant de l’allégation d’une violation de l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil, il convient de rappeler que, aux termes de cette disposition, « [l]e Conseil ou le Coreper peut autoriser la production en justice d’une copie ou d’un extrait des documents du Conseil qui n’ont pas déjà été rendus accessibles au public ».

45      À cet égard, il convient de constater, tout d’abord, que la requête fait référence à des points de l’avis juridique no 13593/18 autres que les huit points que le Conseil a rendu publics en application du règlement no 1049/2001, ensuite, que la République de Pologne n’a pas demandé au Conseil l’autorisation de produire en justice une copie ou des extraits de cet avis juridique et, enfin, que cet État membre n’a pas joint à sa requête une copie dudit avis juridique.

46      Partant, il y a lieu de déterminer si, en ayant reproduit ou reformulé dans sa requête, en les citant, des passages de l’avis juridique no 13593/18, la République de Pologne doit être regardée comme ayant produit en justice des extraits de celui-ci, au sens de l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil.

47      À cet égard, il convient de relever que les points 53, 126 et 133 de la requête comportent des citations de cet avis, tandis que les points 75 et 139 de cette requête, mais également le point 126 de celle-ci, comportent une argumentation propre de la République de Pologne dont cet État membre allègue qu’elle reflète l’analyse effectuée dans ledit avis juridique. Or, de telles argumentations propres assorties de simples allégations de concordance avec l’avis juridique no 13593/18, dont le Conseil conteste d’ailleurs l’exactitude, ne sauraient être regardées comme constituant des extraits de cet avis juridique.

48      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que seuls les points 53, 126 et 133 de la requête peuvent être considérés comme comportant des « extraits » de l’avis juridique no 13593/18, au sens de l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil. Par ailleurs, la présentation de tels extraits dans une pièce de procédure constitue une « production en justice », au sens de cette disposition.

49      En conséquence, la République de Pologne était en principe tenu, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil, d’obtenir l’autorisation du Conseil aux fins de produire devant la Cour les extraits de l’avis juridique no 13593/18 figurant aux points 53, 126 et 133 de la requête.

50      À cet égard, il ressort certes, comme le relève le Conseil, de la jurisprudence constante de la Cour qu’il serait contraire à l’intérêt public qui veut que les institutions puissent bénéficier des avis de leur service juridique, donnés en toute indépendance, d’admettre que la production de tels documents internes puisse avoir lieu dans le cadre d’un litige devant la Cour sans que ladite production ait été autorisée par l’institution concernée ou ordonnée par cette juridiction (ordonnance du 14 mai 2019, Hongrie/Parlement, C‑650/18, non publiée, EU:C:2019:438, point 8 et jurisprudence citée, ainsi que arrêt du 31 janvier 2020, Slovénie/Croatie, C‑457/18, EU:C:2020:65, point 66).

51      En effet, par la production non autorisée d’un tel avis juridique, le requérant confronte l’institution concernée, dans la procédure portant sur la validité d’un acte attaqué, à un avis rendu par son propre service juridique lors de l’élaboration de cet acte. Or, en principe, le fait d’admettre que ce requérant puisse verser au dossier un avis juridique d’une institution dont la divulgation n’a pas été autorisée par cette dernière méconnaîtrait les exigences d’un procès équitable et reviendrait à contourner la procédure de demande d’accès à un tel document, mise en place par le règlement no 1049/2001 (voir, en ce sens, ordonnance du 14 mai 2019, Hongrie/Parlement, C‑650/18, non publiée, EU:C:2019:438, point 14 et jurisprudence citée, ainsi que arrêt du 31 janvier 2020, Slovénie/Croatie, C‑457/18, EU:C:2020:65, point 68).

52      Toutefois, il convient de tenir compte du principe de transparence, inscrit à l’article 1er, deuxième alinéa, et à l’article 10, paragraphe 3, TUE ainsi qu’à l’article 15, paragraphe 1, et à l’article 298, paragraphe 1, TFUE, qui permet, notamment, de garantir une plus grande légitimité, efficacité et responsabilité de l’administration à l’égard des citoyens dans un système démocratique (voir, en ce sens, ordonnance du 14 mai 2019, Hongrie/Parlement, C‑650/18, non publiée, EU:C:2019:438, point 13 et jurisprudence citée). En permettant que les divergences entre plusieurs points de vue soient ouvertement débattues, la transparence contribue, en outre, à augmenter la confiance de ces citoyens (arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 75 et jurisprudence citée).

53      Il est vrai que ce n’est qu’à titre exceptionnel que le principe de transparence est susceptible de justifier une divulgation dans le cadre d’une procédure juridictionnelle d’un document d’une institution qui n’a pas été rendu accessible au public et qui comporte un avis juridique. C’est pourquoi, la Cour a jugé que le maintien, dans le dossier d’une affaire, d’un document comportant un avis juridique d’une institution n’est justifié par aucun intérêt public supérieur lorsque, d’une part, cet avis juridique n’est pas relatif à une procédure législative pour laquelle s’impose une transparence accrue et, d’autre part, l’intérêt de ce maintien consiste seulement, pour l’État membre concerné, à être en mesure de se prévaloir dudit avis juridique dans le cadre d’un litige. En effet, selon la Cour, la production d’un tel avis juridique apparaît guidée par les propres intérêts du requérant à étayer son argumentation, et non par un quelconque intérêt public supérieur, tel que celui de rendre publique la procédure ayant abouti à l’acte attaqué (voir, en ce sens, ordonnance du 14 mai 2019, Hongrie/Parlement, C‑650/18, non publiée, EU:C:2019:438, point 18, et arrêt du 31 janvier 2020, Slovénie/Croatie, C‑457/18, EU:C:2020:65, point 71).

54      En l’espèce, il convient de constater que, à la différence des affaires ayant donné lieu à la jurisprudence citée au point précédent, l’avis juridique no 13593/18 se rapporte à une procédure législative.

55      À cet égard, la Cour a considéré que la divulgation des documents contenant un avis du service juridique d’une institution sur des questions juridiques surgissant lors du débat sur des initiatives législatives est de nature à accroître la transparence et l’ouverture du processus législatif et à renforcer le droit des citoyens européens de contrôler les informations qui ont constitué le fondement d’un acte législatif. Elle en a déduit qu’il n’existe pas de besoin général de confidentialité en ce qui concerne les avis du service juridique du Conseil relatifs à un processus législatif et que le règlement no 1049/2001 impose, en principe, une obligation de les divulguer (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, points 67 ainsi que 68).

56      En effet, c’est précisément la transparence à cet égard qui, en permettant que les divergences entre plusieurs points de vue soient ouvertement débattues, contribue à réduire les doutes dans l’esprit des citoyens non seulement quant à la légalité d’un acte législatif isolé mais également quant à la légitimité du processus législatif dans son entièreté (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 59), et contribue à renforcer les principes de la démocratie et le respect des droits fondamentaux tels qu’ils sont définis à l’article 6 TUE et dans la Charte, ainsi que le rappelle le considérant 2 du règlement no 1049/2001.

57      Cette transparence ne fait toutefois pas obstacle à ce que la divulgation d’un avis juridique spécifique, rendu dans le contexte d’un processus législatif déterminé mais ayant un caractère particulièrement sensible ou une portée particulièrement large allant au–delà du cadre de ce processus législatif, puisse être refusée au titre de la protection des avis juridiques, auquel cas il incombe à l’institution concernée de motiver le refus de façon circonstanciée (arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 69).

58      Or, en l’espèce, ainsi que l’a relevé l’avocat général Campos Sánchez-Bordona aux points 70 à 72 de ses conclusions dans l’affaire Hongrie/Parlement et Conseil (C‑156/21, EU:C:2021:974), le Conseil n’a pas démontré que l’avis juridique no 13593/18 a un caractère particulièrement sensible ou une portée particulièrement large allant au–delà du cadre du processus législatif y afférent.

59      Partant, ni l’article 6, paragraphe 2, du règlement intérieur du Conseil ni la jurisprudence rappelée au point 50 du présent arrêt ne faisait obstacle à ce que la République de Pologne divulgue cet avis juridique en tout ou en partie dans sa requête.

60      Cette constatation n’est pas infirmée par le fait que la République de Pologne a un intérêt propre à ce que les passages litigieux de sa requête soient pris en compte par la Cour. En effet, une telle prise en compte étant également de nature à contribuer à réduire les doutes dans l’esprit des citoyens non seulement quant à la légalité du règlement attaqué, mais également quant à la légitimité du processus législatif dans son entièreté, elle sert en tout état de cause l’intérêt public supérieur rappelé aux points 55 et 56 du présent arrêt.

61      En conséquence, et sans qu’il soit besoin de se prononcer séparément sur les moyens pris de la violation des points 20 et 21 des consignes relatives au traitement des documents internes du Conseil, du règlement no 1049/2001 et du principe de l’égalité des armes, ces moyens ne pouvant, en tout état de cause, prospérer, eu égard aux appréciations effectuées aux points 52 à 60 du présent arrêt, la demande du Conseil tendant à ce que ne soient pas pris en compte les passages de la requête de la République de Pologne, en ce qu’ils font référence à l’avis juridique no 13593/18, en reproduisent le contenu ou en reflètent l’analyse, doit être rejetée comme étant non fondée.

V.      Sur le recours

62      À l’appui de son recours, la République de Pologne soulève onze moyens. Il convient d’examiner, en premier lieu et de manière conjointe, les premier, deuxième, cinquième, sixième et onzième moyens, qui sont tirés, en substance, de l’incompétence de l’Union pour adopter le règlement attaqué.

A.      Sur les premier, deuxième, cinquième, sixième et onzième moyens, tirés de l’incompétence de l’Union pour adopter le règlement attaqué

1.      Argumentation des parties

63      Par le premier moyen, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir que la nature et l’étendue des compétences attribuées à l’Union par les traités ne permettent pas au Conseil d’instituer un mécanisme tel que celui prévu par le règlement attaqué, qui confère aux institutions de l’Union le contrôle du respect par les États membres des principes de l’État de droit et subordonne au respect de ces principes le versement des fonds provenant du budget de l’Union.

64      Certes, le législateur de l’Union pourrait légalement instituer, sur le fondement de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, un mécanisme subordonnant les versements provenant du budget de l’Union au respect par les États membres du principe de la bonne gestion financière. Toutefois, il découlerait de ce principe tel que défini à l’article 2, point 59, du règlement financier et des précisions figurant à l’article 56, paragraphe 2, de ce règlement que les obligations incombant aux États membres en vertu dudit principe doivent être concrètes et résulter de dispositions juridiques spécifiques démontrant le lien direct entre les exigences instaurées et le principe de la bonne gestion financière des fonds de l’Union ainsi que de la protection de ses intérêts financiers.

65      Or, par le règlement attaqué, le législateur de l’Union aurait, ainsi qu’il ressortirait de l’article 1er de celui-ci, créé un mécanisme qui subordonne les versements provenant du budget de l’Union non pas au respect par les États membres d’obligations concrètes prévues par le droit de l’Union, liées au respect du principe de la bonne gestion financière, mais au respect des principes de l’État de droit.

66      La République de Pologne estime que l’institution d’un tel mécanisme ne relève pas des pouvoirs conférés au législateur de l’Union par l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, même si l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué prévoit que la violation des principes de l’État de droit qui est constatée doit porter atteinte ou présenter un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers, d’une manière suffisamment directe.

67      En premier lieu, le législateur de l’Union ne pourrait, dans un règlement adopté en application de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, ni définir la notion d’« État de droit » ni déterminer les éléments permettant de constater une violation des principes constitutifs de cette notion.

68      Tout d’abord, les principes de l’État de droit seraient issus des traditions constitutionnelles ainsi que politiques des États membres et leur contenu serait précisé dans la jurisprudence des juridictions constitutionnelles. S’il est vrai que les organisations internationales, notamment le Conseil de l’Europe, ont élaboré certains critères d’appréciation quant au respect de ces principes, la concrétisation desdits principes se serait cantonnée, dans le droit de l’Union, à la mention des buts qu’ils poursuivent. Or, eu égard aux différences existant entre les États membres quant à leurs identités nationales, leurs systèmes constitutionnels et juridiques ainsi que leurs traditions juridiques, le législateur de l’Union ne pourrait préciser, pour l’ensemble des principes de l’État de droit, les moyens par lesquels les objectifs qu’ils poursuivent peuvent être atteints. Partant, l’obligation pour les États membres de respecter ces principes se limiterait à la nécessité d’en garantir le contenu essentiel.

69      Ensuite, bien que l’Union soit fondée sur les valeurs que contient l’article 2 TUE, les traités n’en préciseraient pas le contenu et ne conféreraient aucune compétence au législateur de l’Union pour en définir la portée dans des actes de droit dérivé, pas même au titre de l’article 19 TUE. Cette dernière disposition n’imposerait en effet aucune obligation concrète quant à l’organisation de la justice dans les États membres, laquelle relèverait de la compétence exclusive de ces derniers.

70      Enfin, outrepassant les compétences qui lui ont été conférées par l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, le législateur de l’Union aurait défini à l’article 2, sous a), du règlement attaqué la notion d’« État de droit », en élargissant sa portée à d’autres valeurs également que contient l’article 2 TUE. De même, outre le fait que l’article 3 de ce règlement énoncerait des critères pouvant être « indicatifs de violations des principes de l’État de droit », l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement dresserait une liste des situations ou des comportements des autorités qui doivent être concernés par une violation des principes de l’État de droit aux fins du même règlement, sans toutefois que le législateur de l’Union précise la relation existant entre ces dispositions et que cette liste soit exhaustive, eu égard au point h) de celle-ci.

71      Ce faisant, le législateur de l’Union aurait également conféré à la Commission et au Conseil le pouvoir de préciser davantage, lors de l’application du règlement attaqué, les exigences liées au respect de l’État de droit. De plus, un tel pouvoir s’exercerait ex post, par l’évaluation d’une situation existante dans un État membre, leur permettant ainsi d’adapter lesdites exigences à la violation reprochée à l’État membre concerné et de les appliquer avec effet rétroactif à la situation examinée.

72      En deuxième lieu, la République de Pologne considère que le législateur de l’Union ne pouvait pas, sur le fondement de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, établir une procédure alternative à celles prévues respectivement à l’article 7 TUE et à l’article 258 TFUE, en confiant à la Commission et au Conseil le pouvoir de constater des violations des principes de l’État de droit par les États membres.

73      En effet, une telle violation ne pourrait être constatée que par le Conseil européen, en application de l’article 7 TUE. Il ne pourrait être dérogé à ce pouvoir exclusif du Conseil européen qu’en application de l’article 19, paragraphe 1, TUE, et de l’obligation qu’il prévoit d’assurer, dans les domaines couverts par le droit de l’Union, une protection juridictionnelle effective, la violation de cette obligation pouvant alors être constatée par la Cour à l’occasion d’une procédure engagée au titre de l’article 258 TFUE.

74      Le pouvoir exclusif du Conseil européen de constater, en application de l’article 7 TUE, des violations des principes de l’État de droit serait justifié par le fait que le contrôle du respect de cette valeur a un caractère discrétionnaire et peut être tributaire de considérations politiques. Ainsi, selon les traités, il incomberait aux représentants des gouvernements des États membres d’effectuer de telles constatations et celles-ci seraient soustraites à tout contrôle juridictionnel sur le fond. En effet, en l’absence d’exigences claires, la Cour ne pourrait apprécier la conformité des constatations du Conseil européen aux exigences découlant de cette valeur. Pour cette raison, l’article 269 TFUE cantonnerait le contrôle juridictionnel effectué par la Cour au seul respect des « prescriptions de procédure » définies à l’article 7 TUE, ce contrôle ne pouvant porter sur la constatation par le Conseil européen d’« une violation grave et persistante » par un État membre de ladite valeur.

75      Se poserait ainsi la question de savoir si une décision d’exécution du Conseil constatant, conformément au règlement attaqué, la violation par un État membre des principes de l’État de droit pourrait faire l’objet d’un contrôle juridictionnel sur le fond sans qu’il soit porté atteinte à la compétence exclusive du Conseil européen, résultant de l’article 7 TUE et de l’article 269 TFUE, pour apprécier le respect par les États membres des valeurs que contient l’article 2 TUE.

76      En troisième lieu, la République de Pologne estime que, en instituant un mécanisme permettant d’imposer des sanctions financières aux États membres, le législateur de l’Union a outrepassé les compétences que lui confère l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE.

77      À cet égard, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, rappelle que, dans le système juridique de l’Union, un mécanisme horizontal et sectoriel de conditionnalité concernant le versement de fonds qui proviennent du budget de l’Union doit remplir trois exigences. Tout d’abord, il devrait définir précisément les conditions d’obtention des fonds de l’Union et les éléments d’appréciation du respect de ces conditions. Ensuite, les conditions d’obtention des versements fixées dans le cadre du mécanisme devraient présenter un « lien suffisamment direct » avec l’objectif du mécanisme, de sorte que le non–respect de la condition menace directement l’objectif du financement, la bonne gestion financière ou les intérêts financiers de l’Union. Enfin, l’existence d’un lien réel entre le non–respect de la condition et la perte du financement devrait être prouvée, en particulier aux fins de l’appréciation de la proportionnalité de la mesure de protection du budget de l’Union.

78      Il ressort de ces exigences qu’un mécanisme de conditionnalité ne pourrait servir à sanctionner des infractions au droit de l’Union dépourvues d’incidence directe sur la réalisation de l’objectif du financement ou sur la bonne utilisation des fonds.

79      Or, la première exigence ne serait pas satisfaite en l’espèce. En effet, les principes de l’État de droit ne sauraient relever d’un tel mécanisme de conditionnalité dès lors que ni les traités ni le droit dérivé ne précisent ces principes ou les obligations concrètes que les États membres doivent respecter à ce titre.

80      L’Union ne disposerait, au demeurant, d’aucune compétence à l’égard de nombreux aspects de l’État de droit tel qu’il est défini à l’article 2, sous a), du règlement attaqué, dont l’exigence d’un processus législatif transparent, responsable, démocratique et pluraliste. De plus, l’article 3 et l’article 4, paragraphe 2, de ce règlement étant formulés en des termes très généraux, la constatation de la violation par un État membre des principes de l’État de droit ne nécessiterait pas non plus de démontrer la violation d’obligations concrètes et relèverait d’une appréciation discrétionnaire. Partant, il ne pourrait être exclu que cette appréciation soit tributaire de considérations politiques, qu’elle soit arbitraire ou qu’elle soit effectuée en violation du principe d’égalité des États membres devant les traités.

81      La deuxième exigence ne serait pas non plus satisfaite. En effet, les cas de violation des principes de l’État de droit par un État membre, tels qu’ils sont énoncés à l’article 3 et à l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué, seraient formulés en termes généraux, figureraient dans une liste qui ne présente pas un caractère exhaustif et ne fixeraient aucune obligation juridique précise. Ces différentes caractéristiques rendraient sans objet l’obligation de démontrer « l’existence d’un lien suffisamment direct » entre la violation constatée et le risque pour la bonne gestion financière des fonds de l’Union. Ainsi, selon la République de Pologne, cette exigence qui sera, selon l’hypothèse retenue, soit automatiquement remplie, soit impossible à démontrer, fera nécessairement l’objet d’une appréciation politique et offrira toute latitude à la Commission et au Conseil pour restreindre l’accès des États membres aux financements de l’Union.

82      La troisième exigence d’un mécanisme de conditionnalité ferait tout autant défaut, dès lors qu’il serait impossible de démontrer, dans le contexte d’une appréciation exclusivement politique, l’existence d’un lien réel entre le non–respect de la condition d’obtention du financement, c’est-à-dire la violation des principes de l’État de droit, et la perte du financement provenant du budget de l’Union. La limitation du financement et la portée de cette limitation ne pouvant résulter que d’une appréciation politique, la décision du Conseil ne pourrait pas être proportionnée et méconnaîtrait les exigences de l’article 5, paragraphe 3, et du considérant 18 du règlement attaqué.

83      À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour considérerait que le législateur était compétent pour adopter le règlement attaqué, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, estime, par le deuxième moyen, que ce règlement aurait dû être fondé sur l’article 311, troisième alinéa, TFUE, relatif au système des ressources propres de l’Union, ou sur l’article 312, paragraphe 2, TFUE, relatif au cadre financier pluriannuel.

84      À cet égard, cet État membre relève que ledit règlement s’appliquera, notamment selon son considérant 7, non seulement à l’ensemble des engagements budgétaires pris au titre du cadre financier pluriannuel 2021-2027, mais également aux ressources allouées par le règlement 2020/2094, ainsi qu’aux prêts et aux autres instruments garantis par le budget de l’Union. Partant, ce règlement serait étroitement lié à la décision 2020/2053 et au cadre financier pluriannuel 2021-2027, et non pas aux différents budgets annuels de l’Union.

85      Le règlement attaqué ayant vocation à s’appliquer aux budgets annuels ultérieurs de l’Union, seuls l’article 311, troisième alinéa, TFUE ou l’article 312, paragraphe 2, TFUE, lequel serait la base juridique des cadres financiers pluriannuels, pourraient constituer une base juridique appropriée de ce règlement.

86      Partant, l’adoption du règlement attaqué sur la base de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE au moyen de la procédure législative ordinaire aurait permis de contourner les exigences procédurales découlant des articles 311 et 312 TFUE, ces dernières dispositions prévoyant en effet des procédures législatives spéciales.

87      Par le cinquième moyen, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir que le règlement attaqué établit un nouveau mécanisme de contrôle du respect des principes de l’État de droit par les États membres, non prévu par les traités et contournant la procédure prévue à l’article 7 TUE.

88      En effet, ce mécanisme, qui ne serait pas un mécanisme de conditionnalité, aurait un objet analogue à celui de la procédure prévue à l’article 7 TUE, cette dernière et la procédure prévue par le règlement attaqué visant toutes deux à contrôler le respect des principes de l’État de droit par les États membres et à imposer des sanctions en cas de non–respect de ces principes. Ces deux procédures seraient également indépendantes l’une de l’autre, le mécanisme institué par ce règlement n’étant pas subordonné à l’ouverture d’une procédure au titre de l’article 7 TUE.

89      Ainsi, tout d’abord, alors que le Conseil européen, statuant à l’unanimité, est compétent pour constater l’existence d’une violation des principes de l’État de droit en vertu de l’article 7, paragraphe 2, TUE, le règlement attaqué prévoirait qu’il appartient d’abord à la Commission de constater l’existence d’une telle violation, la décision du Conseil imposant les mesures étant adoptée à la majorité qualifiée et reflétant l’appréciation de la Commission.

90      Ensuite, alors que l’article 7 TUE requiert le constat d’une violation « grave et persistante » des principes de l’État de droit, le règlement attaqué se contenterait de l’existence d’une violation simple et isolée, ainsi qu’il ressortirait de son article 4, paragraphe 1, lu à la lumière de son considérant 15.

91      Enfin, la procédure de l’article 7 TUE comporterait deux décisions, la première, du Conseil européen, portant sur la constatation d’une violation et, la seconde, du Conseil, portant sur l’adoption des sanctions, de sorte que la constatation d’une violation ne conduirait pas nécessairement à l’infliction d’une sanction. À l’inverse, le règlement attaqué prévoirait l’adoption d’une seule décision, par le Conseil, portant tant sur l’existence d’une violation que sur les mesures de protection du budget de l’Union à adopter.

92      Or, le règlement attaqué, en fixant des exigences procédurales moins contraignantes que celles prévues à l’article 7 TUE, tout en permettant d’atteindre le même objectif que ce dernier, priverait celui-ci de tout effet utile.

93      La République de Pologne précise, dans ce contexte, que la procédure actuellement engagée à son égard au titre de l’article 7 TUE n’a pas encore donné lieu à la constatation, par le Conseil européen, d’une « violation grave et persistante [...] des valeurs visées à l’article 2 [TUE] », sur le fondement du paragraphe 2 de cet article, de sorte que le Conseil ne peut, en l’état, adopter une sanction en application du paragraphe 3 dudit article. Ainsi, l’institution du mécanisme prévu par le règlement attaqué aurait pour finalité de contourner la procédure prévue à l’article 7 TUE.

94      En l’absence d’une révision des traités en vertu de l’article 48 TUE, l’introduction d’un mécanisme de contrôle du respect des engagements internationaux, qui n’a pas de fondement dans les traités, constituerait un abus flagrant du droit et une violation des principes fondamentaux du droit international, notamment des principes de l’égalité souveraine des États et de la non–ingérence dans leurs affaires intérieures, codifiés dans la charte des Nations unies et dans la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale des Nations unies, du 24 octobre 1970, intitulée « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la [c]harte des Nations unies ». En vertu de ces principes, les procédures permettant d’engager la responsabilité des États pour des violations de leurs engagements internationaux ne pourraient découler que de normes du droit international librement acceptées par ceux-ci.

95      Par le sixième moyen, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, allègue que la Cour, en méconnaissance de l’article 7 TUE et de l’article 269 TFUE, pourrait être appelée à examiner sur le fond des violations des principes de l’État de droit alléguées par la Commission, lors d’un contrôle juridictionnel des décisions du Conseil adoptées au titre du règlement attaqué. En effet, afin de pouvoir procéder à un tel contrôle, la Cour serait amenée à élaborer des critères concernant la valeur de l’État de droit, sur le fondement d’une définition de cette valeur qui résulte d’un acte de droit dérivé, critères appelés à être ensuite appliqués dans le cadre d’une procédure engagée au titre de l’article 7 TUE, alors même que la Cour n’est pas compétente pour apprécier sur le fond des griefs soulevés contre un État membre au titre de cette procédure.

96      Or, l’article 7 TUE jouerait un rôle très spécifique dans le système des voies de recours prévu par les traités, car il autoriserait exceptionnellement les institutions de l’Union à contrôler le respect par les États membres des valeurs fondamentales de l’Union dans les domaines qui relèvent de la compétence exclusive des États membres.

97      Par le onzième moyen, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, allègue que le règlement attaqué est entaché d’un détournement de pouvoir. Il découlerait de la jurisprudence qu’un acte de l’Union est entaché de détournement de pouvoir ou de procédure lorsqu’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, qu’il a été pris dans le but exclusif ou, à tout le moins, déterminant d’atteindre des fins autres que celles qu’il énonce ou d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité.

98      En l’espèce, certes, le règlement attaqué aurait pour objectif déclaré, ainsi que cela ressort de l’intitulé de celui-ci, la protection du budget de l’Union et son considérant 7 énoncerait que, aux fins d’atteindre cet objectif, il est nécessaire de respecter le principe de la bonne gestion financière, ce qui présupposerait de respecter les valeurs de l’État de droit. De même, selon son article 1er, ledit règlement établirait les règles nécessaires à la protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre.

99      Toutefois, cet objectif déclaré ne correspondrait pas au but réel du règlement attaqué. La République de Pologne relève, à cet égard, que la proposition ayant conduit à l’adoption du règlement attaqué soulignait que « plusieurs événements récents » avaient mis au jour des « faiblesses généralisées dans l’équilibre des pouvoirs de certains États membres », avaient « montré en quoi le mépris de l’[É]tat de droit [pouvait] devenir un sujet commun de vive préoccupation au sein de l’Union européenne » et avaient incité des « institutions telles que le Parlement européen, ainsi que les citoyens [à s’exprimer] clairement [...] en faveur d’une intervention de l’[Union européenne] pour qu’elle protège l’[É]tat de droit ».

100    En outre, cet État membre soutient, à l’instar de ce qu’il a déjà allégué dans le cadre de son premier moyen, que le mécanisme institué par le règlement attaqué est non pas un mécanisme de conditionnalité visant à protéger le budget de l’Union, mais un mécanisme punitif visant à sanctionner les violations des principes de l’État de droit. Ce constat serait corroboré tant par le Biuro Analiz Sejmowych Kancelarii Sejmu RP (Bureau d’analyses parlementaires de la Chancellerie de la Diète de la République de Pologne) que par les rapports annuels de la Cour des comptes, selon lesquels l’exécution du budget de l’Union et la gestion des finances de l’Union seraient en voie d’amélioration. En effet, le pourcentage d’erreurs, qui s’établissait à 4,4 % au cours de l’année 2014, aurait diminué pour atteindre 3,8 % puis 3,1 % au cours des années 2015 et 2016. Ainsi, la nécessité de protéger le budget de l’Union n’aurait pas justifié l’adoption du règlement attaqué.

101    Partant, la République de Pologne souscrit à l’opinion du service juridique du Conseil exprimé dans son avis juridique no 13593/18 selon laquelle le mécanisme prévu par la proposition ayant conduit à l’adoption du règlement attaqué « ne montre pas de quelle manière le respect de l’État de droit [...] est lié à une bonne exécution du budget de l’Union et à la protection des intérêts financiers de l’Union ». Si, dans certains considérants de ce règlement, l’existence d’un tel lien est évoquée, ce lien ne serait toutefois pas explicité et encore moins démontré.

102    La République de Pologne en déduit que l’objectif réel de cette proposition n’est pas tant de protéger le budget de l’Union que de protéger l’État de droit au moyen de mesures portant sur le budget de l’Union. Du reste, une opinion similaire aurait été exprimée par les parlements nationaux et par le Comité économique et social européen, celui-ci ayant indiqué qu’il considérait « davantage la proposition à l’examen comme un instrument possible pour protéger l’ensemble des valeurs visées à l’article 2 TUE par le truchement du budget de l’Union ». Cette opinion serait corroborée, en outre, par le considérant 14 du règlement attaqué, qui ferait figurer le mécanisme prévu par ce règlement parmi les instruments de protection de l’État de droit.

103    L’objectif de ce mécanisme devrait donc être considéré comme étant identique à celui de la « procédure de contrôle politique » prévue à l’article 7 TUE. À cet égard, ni l’article 7, paragraphe 3, TUE ni aucune autre disposition des traités ne comportant de limites matérielles quant aux droits d’un État membre qui peuvent être suspendus en cas de violation grave et persistante des valeurs que contient l’article 2 TUE, les mesures de protection du budget de l’Union susceptibles d’être imposées à un État membre en vertu de l’article 5, paragraphe 1, du règlement attaqué pourraient également correspondre à celles que le Conseil peut prendre en vertu de l’article 7, paragraphe 3, TUE lorsqu’il décide de suspendre « certains des droits découlant de l’application des traités ».

104    Dès lors que des mesures de la nature de celles prévues à l’article 5, paragraphe 1, du règlement attaqué pouvaient être prononcées avant même l’entrée en vigueur de ce règlement, en application de la procédure prévue à l’article 7 TUE, ce serait à tort que le considérant 14 dudit règlement affirme que le mécanisme qu’il institue complète les instruments juridiques existant destinés à lutter contre les violations des principes de l’État de droit.

105    Par ailleurs, l’article 7, paragraphe 4, TUE et l’article 7, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement attaqué, relatifs à la modification et à la levée des mesures adoptées, indiqueraient que l’objectif de ces mécanismes est d’inciter l’État membre concerné au respect de la valeur de l’État de droit. Or, en n’exigeant pas une décision unanime du Conseil européen, ledit règlement fixerait une procédure d’adoption des sanctions bien moins contraignante que celle prévue à l’article 7 TUE, privant ainsi cette dernière de son effet utile.

106    Dans un avis du 27 mai 2014, le service juridique du Conseil aurait indiqué, d’une part, que l’article 7 TUE définit à dessein un cadre de contrôle précis, structuré en différentes phases, un seuil théorique élevé pour engager les procédures, une majorité renforcée au sein du Conseil et du Conseil européen, ainsi qu’un ensemble de garanties procédurales pour l’État membre concerné, y compris la possibilité d’un contrôle juridictionnel limité par la Cour et, d’autre part, que cet article ne prévoit pas une base juridique permettant de développer ou de modifier cette procédure. Cette position aurait été explicitement réitérée dans l’avis juridique no 13593/18, celui-ci indiquant, en outre, que le droit dérivé ne peut modifier ou compléter ladite procédure, ni avoir pour conséquence de priver celle-ci de son effet utile.

107    Partant, du fait de l’identité de l’objectif, des principes et des mesures applicables, le mécanisme institué par le règlement attaqué constituerait un contournement manifeste et délibéré de la procédure prévue à l’article 7 TUE.

108    La République de Pologne fait valoir que la présente affaire présente des analogies avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 17 décembre 2020, Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission) (C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU, EU:C:2020:1033, points 57 à 60). Elle rappelle que, dans cet arrêt, la Cour, s’appuyant sur le considérant 10 de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24), a jugé que des défaillances systémiques ou généralisées en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire de l’État membre d’émission d’un mandat d’arrêt européen, aussi graves soient–elles, ne justifient pas une suspension dans les faits de la mise en œuvre du mécanisme du mandat d’arrêt européen à l’égard de cet État membre tant que le Conseil européen et le Conseil n’ont pas adopté les décisions envisagées à l’article 7 TUE.

109    Or, ce considérant 10 ne ferait que refléter les conséquences juridiques découlant de l’article 7 TUE. Il ressortirait dès lors de l’arrêt cité au point précédent que les droits découlant des traités ne peuvent être suspendus à l’égard d’un État membre, en raison de la violation par ce dernier des valeurs que contient l’article 2 TUE, que par le Conseil en application de l’article 7, paragraphe 3, TUE.

110    Le Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand–Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent le bien-fondé de cette argumentation.

2.      Appréciation de la Cour

111    Par ses premier, deuxième, cinquième, sixième et onzième moyens, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir, en substance, d’une part, que ni l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE ni aucune autre disposition du traité FUE ne pouvait constituer une base juridique appropriée pour l’adoption du règlement attaqué, en particulier de ses articles 2 à 4. Elle précise, à titre subsidiaire, que, si la Cour devait considérer que le législateur de l’Union était compétent pour adopter le règlement attaqué, celui-ci aurait dû être adopté sur le fondement de l’article 311, troisième alinéa, TFUE ou de l’article 312, paragraphe 2, TFUE. Elle ajoute, d’autre part, que la procédure instituée par ledit règlement contourne celle prévue à l’article 7 TUE, laquelle revêt pourtant un caractère exclusif pour la protection des valeurs que contient l’article 2 TUE, et porte atteinte à la limitation des compétences de la Cour prévue à l’article 269 TFUE.

a)      Sur la base juridique du règlement attaqué

112    À titre liminaire, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, le Parlement et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, et après consultation de la Cour des comptes, adoptent par voie de règlements « les règles financières qui fixent notamment les modalités relatives à l’établissement et à l’exécution du budget et à la reddition et à la vérification des comptes ».

113    Or, de telles règles ont vocation à régir l’ensemble des aspects liés à l’exécution du budget de l’Union couverts par le titre II, intitulé « Dispositions financières », de la sixième partie du traité FUE, relative aux « [d]ispositions institutionnelles et financières » et, partant, cette exécution au sens large.

114    En effet, outre le fait que l’article 322 TFUE figure au chapitre 5, intitulé « Dispositions communes », de ce titre II, il y a lieu de relever que font référence à cette disposition l’article 310, paragraphes 2 et 3, TFUE, qui figure dans la partie introductive dudit titre II, l’article 315, premier et deuxième alinéas, et l’article 316, premier et deuxième alinéas, TFUE, qui figurent au chapitre 3 du même titre II, intitulé « Le budget annuel de l’Union », ainsi que l’article 317 TFUE, qui figure au chapitre 4 de ce même titre, intitulé « L’exécution du budget et la décharge ».

115    Or, les articles 310 et 315 à 317 TFUE présentent tous des liens avec l’exécution du budget de l’Union.

116    En effet, l’article 310 TFUE énonce, à son paragraphe 1, que toutes les recettes et les dépenses de l’Union doivent faire l’objet de prévisions pour chaque exercice budgétaire et être inscrites au budget, et prévoit, à son paragraphe 3, que l’exécution de dépenses inscrites au budget requiert l’adoption préalable d’un acte juridiquement contraignant de l’Union qui donne un fondement juridique à son action et à l’exécution de la dépense correspondante en conformité avec le règlement visé à l’article 322 TFUE, sauf exceptions prévues à celui-ci. Enfin, cet article 310 requiert, à son paragraphe 5, que ledit budget soit exécuté conformément au principe de la bonne gestion financière, les États membres et l’Union devant coopérer pour que les crédits inscrits à celui-ci soient utilisés conformément à ce principe.

117    S’agissant de l’article 315 TFUE, celui-ci prévoit, à son premier alinéa, que, si, au début d’un exercice budgétaire, le budget n’a pas encore été définitivement adopté, des dépenses peuvent être effectuées mensuellement par chapitre, d’après les dispositions du règlement pris en exécution de l’article 322 TFUE, dans la limite du douzième des crédits ouverts au chapitre en question du budget de l’exercice précédent, sans pouvoir dépasser le douzième des crédits prévus au même chapitre dans le projet de budget. L’article 316 TFUE concerne, pour sa part, le report à l’exercice suivant de crédits inutilisés à la fin d’un exercice budgétaire.

118    Quant à l’article 317 TFUE, il énonce notamment que la Commission exécute le budget en coopération avec les États membres, conformément aux dispositions des règlements pris en exécution de l’article 322 TFUE, sous sa propre responsabilité et dans la limite des crédits alloués, conformément au principe de la bonne gestion financière. Il exige également que les États membres coopèrent avec la Commission pour faire en sorte que les crédits soient utilisés conformément à ce principe et précise qu’un règlement pris en exécution de l’article 322 TFUE prévoit les obligations de contrôle et d’audit des États membres dans l’exécution du budget ainsi que les responsabilités qui en découlent.

119    Il s’ensuit que les règles financières qui fixent « notamment les modalités relatives à » l’exécution du budget ainsi qu’à la reddition et à la vérification des comptes, au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, lu à la lumière des dispositions visées au point 115 du présent arrêt, couvrent non seulement les règles définissant la manière dont sont, en tant que telles, exécutées les dépenses inscrites à ce budget, mais également, notamment, les règles fixant les obligations de contrôle et d’audit incombant aux États membres lorsque la Commission exécute le budget en coopération avec eux, ainsi que les responsabilités qui en découlent. En particulier, il apparaît clairement que ces règles financières ont vocation, notamment, à assurer le respect, lors de l’exécution du budget de l’Union, du principe de la bonne gestion financière, y compris par les États membres.

120    C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’examiner, en l’espèce, si l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE pouvait constituer la base juridique appropriée pour l’adoption du règlement attaqué.

121    À cet égard, il est de jurisprudence constante que le choix de la base juridique d’un acte de l’Union doit être fondé sur des éléments objectifs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent la finalité et le contenu de cet acte (arrêts du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 31 ; du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 38, ainsi que du 8 décembre 2020, Pologne/Parlement et Conseil, C–626/18, EU:C:2020:1000, point 43).

122    En outre, peut être pris en compte, pour déterminer la base juridique appropriée, le contexte juridique dans lequel s’inscrit une nouvelle réglementation, notamment en ce qu’un tel contexte est susceptible de fournir un éclairage sur l’objectif poursuivi par cette réglementation (arrêts du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 32 ; du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 39, ainsi que du 8 décembre 2020, Pologne/Parlement et Conseil, C‑626/18, EU:C:2020:1000, point 44).

123    En l’espèce, s’agissant en premier lieu du point de savoir si le règlement attaqué est susceptible, eu égard à sa finalité, de relever de la base juridique de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir, en substance, que l’objectif réel de ce règlement consiste à permettre l’application, en cas de constatation de violations des principes de l’État de droit, de sanctions au moyen du budget de l’Union, objectif qui ressortirait, en particulier, de l’article 7, paragraphe 2, deuxième alinéa, dudit règlement, de son considérant 14, mais aussi de l’absence de démonstration d’un lien entre le respect de l’État de droit et la bonne gestion financière du budget de l’Union, de l’exposé des motifs accompagnant la proposition qui a conduit à l’adoption du règlement attaqué ainsi que de statistiques dont il découlerait que, lors de l’adoption de ce règlement, il n’existait aucun besoin de protéger le budget de l’Union.

124    À cet égard, premièrement, l’article 1er du règlement attaqué énonce que celui-ci établit « les règles nécessaires à la protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre ». Il ressort ainsi des termes de cette disposition que ledit règlement vise à protéger le budget de l’Union contre les atteintes à ce dernier susceptibles de découler de violations des principes de l’État de droit dans un État membre.

125    Deuxièmement, il résulte d’une lecture d’ensemble de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement attaqué que la procédure prévue aux fins de l’adoption de « mesures appropriées » de protection du budget de l’Union ne peut être engagée par la Commission que lorsque cette institution constate qu’il existe des motifs raisonnables de considérer non seulement que des violations des principes de l’État de droit ont lieu dans un État membre, mais surtout que ces violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers, d’une manière suffisamment directe.

126    De plus, il ressort de l’article 5, paragraphes 1 et 3, de ce règlement que ces mesures appropriées consistent, pour l’essentiel, en des suspensions des paiements, de l’exécution d’engagements juridiques, du décaissement de tranches, d’un avantage économique découlant d’un instrument garanti, de l’approbation de programmes ou d’engagements, en des résiliations d’engagements juridiques, en des interdictions de contracter de nouveaux engagements juridiques ou de conclure de nouveaux accords, en des remboursements anticipés de prêts garantis, en des réductions d’un avantage économique découlant d’un instrument garanti, d’engagements ou de préfinancements, et en des interruptions des délais de paiement, et qu’elles doivent être proportionnées, c’est-à-dire limitées à ce qui est strictement nécessaire au regard de l’incidence réelle ou potentielle de violations des principes de l’État de droit sur la gestion financière du budget de l’Union ou sur ses intérêts financiers.

127    En outre, selon l’article 7, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement attaqué, la Commission propose au Conseil la levée des mesures adoptées lorsque les conditions prévues à l’article 4 de ce règlement ne sont plus remplies et, partant, notamment lorsqu’il n’existe plus d’atteinte ou de risque sérieux d’atteinte à la bonne gestion du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers, de sorte que, ainsi que l’a relevé l’avocat général Campos Sánchez-Bordona au point 185 de ses conclusions dans l’affaire Hongrie/Parlement et Conseil (C‑156/21, EU:C:2021:974), ces mesures doivent être levées lorsque l’incidence sur l’exécution budgétaire cesse, alors même que les violations des principes de l’État de droit qui ont été constatées peuvent persister.

128    Or, les types de mesures susceptibles d’être adoptées, les critères relatifs au choix et à l’étendue de celles-ci ainsi que les conditions d’adoption et de levée desdites mesures, en ce qu’ils se rattachent tous à une atteinte ou à un risque sérieux d’atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection des intérêts financiers de l’Union, corroborent le constat selon lequel le règlement attaqué a pour finalité de protéger le budget de l’Union lors de son exécution.

129    Par ailleurs, il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe 2, du règlement attaqué, lu à la lumière du paragraphe 4 de cet article ainsi que du considérant 19 de ce règlement, que cette disposition vise non pas, comme le fait valoir la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, à sanctionner un État membre pour la violation d’un principe de l’État de droit, mais à préserver les intérêts légitimes des destinataires finaux et des bénéficiaires lorsque des mesures appropriées sont adoptées au titre dudit règlement à l’égard d’un État membre. Cette disposition fixe ainsi les conséquences de telles mesures à l’égard des tiers. Partant, ladite disposition n’est pas de nature à étayer l’allégation selon laquelle le règlement attaqué viserait, plutôt qu’à protéger le budget de l’Union, à sanctionner, en tant que telles, des violations de l’État de droit dans un État membre.

130    Troisièmement, ainsi que l’a relevé l’avocat général Campos Sánchez-Bordona au point 130 de ses conclusions dans l’affaire Hongrie/Parlement et Conseil (C‑156/21, EU:C:2021:974), les considérants du règlement attaqué corroborent la finalité poursuivie par ce règlement, telle qu’elle ressort de son article 1er, consistant à protéger le budget de l’Union. En effet, les considérants 2 et 7 à 9 dudit règlement énoncent, en particulier, que le Conseil européen a déclaré que les intérêts financiers de l’Union doivent être protégés conformément aux valeurs que contient l’article 2 TUE, que chaque fois que les États membres exécutent le budget de l’Union, le respect de l’État de droit est une condition essentielle au respect des principes de la bonne gestion financière consacrés à l’article 317 TFUE, que les États membres ne peuvent garantir une bonne gestion financière que si les autorités publiques agissent en conformité avec le droit, si les violations du droit sont effectivement poursuivies et si les décisions arbitraires ou illégales des autorités publiques peuvent faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif, et que l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire ainsi que des services d’enquête et de poursuites judiciaires sont requises à titre de garantie minimale contre les décisions arbitraires et illégales d’autorités publiques susceptibles de léser les intérêts financiers de l’Union. Le considérant 13 du même règlement expose que, dans ce contexte, il existe donc « un lien manifeste entre le respect de l’État de droit et la bonne exécution du budget de l’Union, conformément aux principes de bonne gestion financière », le considérant 15 de celui-ci précisant, quant à lui, que « [l]es violations des principes de l’État de droit, en particulier celles qui portent atteinte au bon fonctionnement des autorités publiques et au caractère effectif du contrôle juridictionnel, peuvent nuire gravement aux intérêts financiers de l’Union ».

131    Quant au considérant 14 du règlement attaqué, s’il énonce que le mécanisme prévu par celui-ci « complète » les instruments qui promeuvent l’État de droit et son application, il précise que ce mécanisme contribue à cette promotion « en protégeant le budget de l’Union contre les violations des principes de l’État de droit qui portent atteinte à sa bonne gestion financière ou à la protection des intérêts financiers de l’Union ».

132    Quatrièmement, dans la mesure où la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir que les considérants 7 à 9, 13 et 15 du règlement attaqué se réfèrent à l’existence d’un lien entre le respect de l’État de droit et la bonne gestion financière du budget de l’Union sans toutefois le démontrer, il convient de relever que le législateur de l’Union a pu déduire les constatations effectuées auxdits considérants d’expertises dont il a disposé au cours de la procédure législative, au nombre desquelles figure l’avis no 1/2018 de la Cour des comptes sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 2 mai 2018 relatif à la protection du budget de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’État de droit dans un État membre (JO 2018, C 291, p. 1), qui a abouti au règlement attaqué. Il ressort en effet des points 10 et 11 de cet avis que cette institution a approuvé « le point de vue de la Commission sur le fait que les décisions arbitraires et illégales d’autorités publiques responsables de la gestion des fonds sont susceptibles de léser les intérêts financiers de l’Union » et a reconnu que « l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire sont indispensables pour garantir la bonne gestion financière et la protection du budget de l’Union [...], notamment en ce qui concerne l’exercice des droits en justice, la lutte contre la fraude et les autres intérêts légitimes de l’Union ».

133    De même, aux points 1.3 et 1.4 de son avis du 18 octobre 2018 sur cette proposition de règlement (JO 2019, C 62, p. 173), le Comité économique et social européen a précisé que « le respect effectif de l’[É]tat de droit est une condition indispensable pour que les citoyens aient confiance en l’assurance que les dépenses de l’Union dans les États membres sont suffisamment protégées », que « la proposition [qui a conduit à l’adoption de ce règlement] renforcera [...] la protection des intérêts financiers de l’Union » et qu’« une menace sérieuse, persistante et systématique sur l’[É]tat de droit, [...] par sa nature même, pourrait constituer un risque immédiat pour les intérêts financiers de l’Union ».

134    Cinquièmement, dans l’exposé des motifs accompagnant sa proposition qui a conduit à l’adoption du règlement attaqué, la Commission a certes indiqué que des souhaits avaient été exprimés en faveur d’une intervention de l’Union pour qu’elle protège l’État de droit et, partant, adopte des mesures visant à garantir son respect. Toutefois, dans ce même exposé des motifs, la Commission a justifié sa proposition par la nécessité « de protéger les intérêts financiers de l’Union contre le risque de perte financière causé par des défaillances généralisées de l’État de droit dans un État membre ».

135    Sixièmement, s’agissant des statistiques démontrant qu’il n’aurait existé, lors de l’adoption du règlement attaqué, aucun besoin objectif de protéger le budget de l’Union, il y a lieu de relever que ces statistiques portent, selon la République de Pologne elle-même, sur le pourcentage d’erreurs constatées au cours des années 2014 à 2016. Or, ce règlement vise à pallier non pas les erreurs pouvant être commises lors de l’exécution du budget de l’Union, mais les atteintes et les risques sérieux d’atteintes à ce budget ou à la protection des intérêts financiers de l’Union pouvant résulter de violations des principes de l’État de droit.

136    En tout état de cause, l’argumentation de la République de Pologne visant à remettre en cause l’opportunité même du règlement attaqué, au motif que ce dernier ne répondrait pas à un besoin objectif, ne saurait suffire à démontrer que le législateur de l’Union a outrepassé les limites de ses compétences.

137    Au regard des considérations qui précèdent, il convient de constater que, contrairement à ce que fait valoir la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, la finalité du règlement attaqué consiste à protéger le budget de l’Union contre des atteintes à ce dernier découlant de manière suffisamment directe de violations des principes de l’État de droit dans un État membre, et non pas à sanctionner, en soi, de telles violations.

138    Or, cette finalité est cohérente avec l’exigence selon laquelle le budget de l’Union doit être exécuté conformément au principe de bonne gestion financière, posée en particulier à l’article 310, paragraphe 5, TFUE, cette exigence étant applicable à l’ensemble des dispositions du titre II de la sixième partie du traité FUE relatives à l’exécution du budget de l’Union et ainsi, notamment, à l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE.

139    En second lieu, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait, en substance, valoir que le règlement attaqué ne peut légalement, eu égard à son contenu, relever de la base juridique de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, en particulier en ce qui concerne ses articles 2 à 4. En effet, l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE ne permettrait ni de préciser les valeurs que contient l’article 2 TUE, ni, partant, de définir la notion d’« État de droit », d’élargir cette notion aux autres valeurs que contient l’article 2 TUE ou encore de constater des violations de l’État de droit, quel que soit leur lien avec le budget de l’Union. En outre, aucune compétence ne serait attribuée à l’Union pour régler certains aspects de la notion d’« État de droit », tels que les caractéristiques du processus législatif. La République de Pologne souligne que le mécanisme institué par le règlement attaqué subordonne les versements provenant du budget de l’Union au respect par les États membres non pas d’obligations concrètes, en rapport avec le principe de la bonne gestion financière, mais des principes de l’État de droit. Or, un mécanisme de conditionnalité devrait définir précisément les conditions d’obtention des fonds, lesquelles devraient présenter un lien suffisamment direct avec les objectifs du financement. Le lien entre la violation de l’une de ces conditions et la perte du financement devrait être prouvé et une sanction ne pourrait être prononcée que lorsqu’il est établi que la violation en cause a une incidence sur la réalisation des objectifs ou sur la bonne utilisation des fonds. L’article 3 et l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement seraient néanmoins formulés en des termes très généraux, ne fournissant pas de critères concrets d’appréciation du respect de l’État de droit. En particulier, l’article 4, paragraphe 2, sous h), de celui-ci permettrait d’appréhender des situations et des comportements non encore identifiés, ouvrant ainsi la voie à l’élaboration ex post des critères visant à apprécier des violations des principes de l’État de droit et, partant, à conférer au mécanisme institué par le règlement attaqué le caractère d’un mécanisme de sanction.

140    À cet égard, premièrement, les parties à la procédure s’accordent à considérer qu’un « mécanisme de conditionnalité », qui subordonne le bénéfice de financements issus du budget de l’Union au respect de certaines conditions, est susceptible de relever de la notion de « règles financières », au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE.

141    Toutefois, tandis que la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, considère qu’une telle condition doit être étroitement liée soit à l’un des objectifs d’un programme ou d’une action spécifique de l’Union, soit à la bonne gestion financière du budget de l’Union, le Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand–Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, estiment qu’un tel mécanisme peut également revêtir le caractère d’une « conditionnalité horizontale », en ce sens que la condition en cause peut être liée à la valeur de l’État de droit que contient l’article 2 TUE, qui doit être respectée dans tous les domaines d’action de l’Union.

142    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 2 TUE, l’Union est fondée sur des valeurs, dont l’État de droit, qui sont communes aux États membres et que, conformément à l’article 49 TUE, le respect de ces valeurs constitue une condition préalable à l’adhésion à l’Union de tout État européen demandant à devenir membre de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, points 160 et 161 ainsi que jurisprudence citée).

143    En effet, ainsi qu’il est relevé au considérant 5 du règlement attaqué, lorsqu’un État candidat devient un État membre, il adhère à une construction juridique qui repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, les valeurs communes que contient l’article 2 TUE, sur lesquelles l’Union est fondée. Cette prémisse relève des caractéristiques spécifiques et essentielles du droit de l’Union, tenant à sa nature propre, qui résultent de l’autonomie dont jouit ledit droit à l’égard des droits des États membres ainsi que du droit international. Elle implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre [voir, en ce sens, avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, points 166 à 168 ; arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, point 30, et du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, point 62]. Ce considérant précise également que les droits et les pratiques des États membres devraient continuer de respecter les valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée.

144    Il en découle que le respect par un État membre des valeurs que contient l’article 2 TUE constitue une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités à cet État membre (arrêts du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, point 63 ; du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 162, ainsi que du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 162). En effet, le respect de ces valeurs ne saurait être réduit à une obligation à laquelle un État candidat est tenu en vue d’adhérer à l’Union et dont il pourrait s’affranchir après son adhésion.

145    Les valeurs que contient l’article 2 TUE ont été identifiées et sont partagées par les États membres. Elles définissent l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun. Ainsi, l’Union doit être en mesure, dans les limites de ses attributions prévues par les traités, de défendre lesdites valeurs.

146    Il en découle que, conformément au principe d’attribution des compétences consacré à l’article 5, paragraphe 2, TUE, ainsi qu’au principe de cohérence des politiques de l’Union prévu à l’article 7 TFUE, la valeur commune à l’Union et aux États membres que constitue l’État de droit, laquelle relève des fondements mêmes de l’Union et de son ordre juridique, est susceptible de fonder un mécanisme de conditionnalité couvert par la notion de « règles financières », au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE.

147    À cet égard, il convient de relever, d’une part, que le budget de l’Union est l’un des principaux instruments permettant de concrétiser, dans les politiques et les actions de l’Union, le principe de solidarité, énoncé à l’article 2 TUE, lequel constitue lui–même l’un des principes fondamentaux du droit de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 15 juillet 2021, Allemagne/Pologne, C‑848/19 P, EU:C:2021:598, point 38), et, d’autre part, que la mise en œuvre de ce principe, au moyen de ce budget, repose sur la confiance mutuelle entre les États membres dans l’utilisation responsable des ressources communes inscrites audit budget. Or, cette confiance mutuelle repose elle-même, ainsi qu’il a été rappelé au point 143 du présent arrêt, sur l’engagement de chacun des États membres de se conformer aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union et de respecter de manière continue, comme le relève d’ailleurs le considérant 5 du règlement attaqué, les valeurs que contient l’article 2 TUE, parmi lesquelles figure la valeur de l’État de droit.

148    En outre, ainsi qu’il est relevé au considérant 13 du règlement attaqué, il existe un lien manifeste entre le respect de la valeur de l’État de droit, d’une part, et la bonne exécution du budget de l’Union, conformément aux principes de bonne gestion financière, ainsi que la protection des intérêts financiers de l’Union, d’autre part.

149    En effet, cette bonne gestion financière et ces intérêts financiers sont susceptibles d’être gravement compromis par des violations des principes de l’État de droit commises dans un État membre, dès lors que ces violations peuvent avoir pour conséquence, notamment, l’absence de garantie que des dépenses couvertes par le budget de l’Union satisfont à l’ensemble des conditions de financement prévues par le droit de l’Union et, partant, répondent aux objectifs poursuivis par l’Union lorsqu’elle finance de telles dépenses.

150    En particulier, le respect de ces conditions et de ces objectifs, en tant qu’éléments du droit de l’Union, ne saurait être pleinement garanti en l’absence d’un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect du droit de l’Union, étant précisé que l’existence d’un tel contrôle, tant dans les États membres qu’au niveau de l’Union, par des juridictions indépendantes, est inhérente à un État de droit (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, points 219 ainsi que 222).

151    Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce qu’allègue la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, un mécanisme de conditionnalité peut également relever de la notion de « règles financières » visée à l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE lorsqu’il institue, pour bénéficier de financements issus du budget de l’Union, une conditionnalité horizontale qui est liée au respect par un État membre de la valeur de l’État de droit, que contient l’article 2 TUE, et qui se rapporte à l’exécution du budget de l’Union.

152    Or, l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué institue un tel mécanisme de conditionnalité horizontale, dès lors qu’il prévoit que des mesures appropriées sont prises lorsqu’il est établi que des violations des principes de l’État de droit dans un État membre portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers, d’une manière suffisamment directe.

153    En effet, il résulte de l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement que cette disposition prévoit de manière exhaustive les « mesures appropriées » pouvant être adoptées, qui sont résumées au point 126 du présent arrêt et qui se rapportent effectivement toutes à l’exécution du budget de l’Union.

154    S’agissant de la condition prévue à l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué, tenant à l’existence de « violations des principes de l’État de droit », l’article 2, sous a), de celui-ci énonce que la notion d’« État de droit » s’entend, au sens de ce règlement, comme étant la « valeur de l’Union consacrée à l’article 2 [TUE] » et précise que cette notion recouvre les principes de légalité, de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de protection juridictionnelle effective, de séparation des pouvoirs ainsi que de non-discrimination et d’égalité devant la loi. La même disposition souligne, néanmoins, que la notion d’« État de droit », telle que définie pour les besoins de l’application dudit règlement, « s’entend eu égard aux autres valeurs et principes de l’Union consacrés à l’article 2 TUE ». Il s’ensuit que le respect de ces valeurs et de ces principes, en ce qu’ils participent à la définition même de la valeur de l’« État de droit » que contient l’article 2 TUE ou, ainsi qu’il ressort de la seconde phrase de cet article, sont intimement liés à une société respectueuse de l’État de droit, peut être exigé dans le cadre d’un mécanisme de conditionnalité horizontale, tel que celui institué par le règlement attaqué.

155    En outre, l’article 3 du règlement attaqué, qui cite des cas qui peuvent être indicatifs de violations de ces principes, au nombre desquels figure le fait de ne pas veiller à l’absence de conflits d’intérêts, vise, ainsi que l’a relevé l’avocat général Campos Sánchez-Bordona aux points 152 et 280 de ses conclusions dans l’affaire Hongrie/Parlement et Conseil (C‑156/21, EU:C:2021:974), à faciliter l’application de ce règlement.

156    Quant à l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué, il découle de celui-ci que, pour relever du mécanisme de conditionnalité horizontale institué au paragraphe 1 de cet article, les violations des principes de l’État de droit doivent concerner les situations ou les comportements des autorités qui sont énumérés aux points a) à h) de ce paragraphe 2, pour autant qu’ils sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou pour la protection des intérêts financiers de l’Union.

157    Il résulte de ce qui précède que l’article 2, sous a), l’article 3, l’article 4, paragraphe 2, et l’article 5, paragraphe 1, du règlement attaqué sont des éléments constitutifs du mécanisme de conditionnalité horizontale institué à l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, en énonçant les définitions nécessaires à sa mise en œuvre, en précisant son champ d’application et en prévoyant les mesures auxquelles il est susceptible d’aboutir. Ces dispositions font ainsi partie intégrante de ce mécanisme et relèvent, dès lors, de la notion de « règles financières », au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE.

158    Deuxièmement, cette constatation n’est pas infirmée par l’argumentation de la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, selon laquelle aucune compétence n’aurait été attribuée à l’Union pour adopter une réglementation concernant des aspects spécifiques de la notion d’« État de droit », tels qu’un processus législatif responsable, démocratique et transparent.

159    En effet, ainsi qu’il a été relevé au point 125 du présent arrêt, il résulte d’une lecture d’ensemble de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement attaqué que la procédure qu’il prévoit aux fins de l’adoption de « mesures appropriées » de protection du budget de l’Union ne peut être engagée par la Commission que lorsque cette institution constate qu’il existe des motifs raisonnables de considérer non seulement que des violations des principes de l’État de droit ont eu lieu dans un État membre, mais surtout que ces violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers, d’une manière suffisamment directe.

160    De plus, ainsi qu’il a été constaté au point 156 du présent arrêt, il découle de l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué que, pour relever du mécanisme de conditionnalité horizontale institué au paragraphe 1 de cet article, les violations des principes de l’État de droit doivent concerner les situations ou les comportements des autorités qui sont énumérés aux points a) à h) de ce paragraphe 2, pour autant qu’ils sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union.

161    Or, cette pertinence peut être présumée s’agissant de l’activité des autorités exécutant le budget de l’Union et chargées du contrôle, du suivi et de l’audit financier, visées aux points a) et b) dudit paragraphe 2. Quant aux services d’enquête et de poursuites judiciaires, leur bon fonctionnement n’est visé, au point c) de celui-ci, que pour autant qu’il concerne des violations du droit de l’Union portant sur l’exécution du budget de l’Union ou sur la protection des intérêts financiers de l’Union. Il en va de même s’agissant de la prévention et de la sanction, par les juridictions nationales ou les autorités administratives, des violations du droit de l’Union mentionnées au point e). S’agissant du contrôle juridictionnel énoncé au point d), il n’est visé que dans la mesure où il concerne le comportement des autorités mentionné auxdits points a) à c). Le recouvrement de fonds indûment versés, prévu au point f), ne vise que des fonds provenant du budget de l’Union, ce qui est également le cas de la coopération avec l’OLAF et le Parquet européen, mentionnée au point g). Enfin, le point h) vise expressément toute autre situation et tout autre comportement des autorités pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou pour la protection de ses intérêts financiers.

162    Il s’ensuit que, contrairement à ce que fait valoir la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, d’une part, le règlement attaqué ne permet aux institutions de l’Union de procéder à un examen de situations dans les États membres que pour autant que celles-ci sont pertinentes pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union et, d’autre part, des mesures appropriées ne peuvent être adoptées au titre de ce règlement que lorsqu’il est établi que de telles situations comportent une violation de l’un des principes de l’État de droit qui porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter atteinte, d’une manière suffisamment directe, à cette bonne gestion financière ou à la protection de ces intérêts financiers.

163    Or, ces situations, qui sont pertinentes pour l’exécution du budget de l’Union, non seulement entrent dans le champ d’application du droit de l’Union, mais peuvent également, ainsi qu’il a été constaté au point 151 du présent arrêt, relever d’une règle financière, au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, prenant la forme d’un mécanisme de conditionnalité horizontale lié au respect par un État membre de la valeur de l’État de droit.

164    Troisièmement, contrairement à ce qu’allègue la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, le fait qu’un mécanisme de conditionnalité horizontale répondant aux critères identifiés au point 151 du présent arrêt, tenant au respect par un État membre de la valeur de l’État de droit que contient l’article 2 TUE et se rapportant à l’exécution du budget de l’Union, peut relever de la notion de « règles financières qui fixent notamment les modalités relatives [...] à l’exécution du budget », au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, n’étend pas la portée de cette notion au-delà de ce qui est nécessaire pour la bonne exécution du budget de l’Union.

165    En effet, l’article 4 du règlement attaqué limite, à son paragraphe 2, le champ d’application du mécanisme de conditionnalité institué par ledit règlement aux situations et aux comportements d’autorités qui présentent un lien avec l’exécution du budget de l’Union et exige, à son paragraphe 1, que l’adoption de mesures appropriées soit subordonnée à l’existence de violations des principes de l’État de droit qui portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers d’une manière suffisamment directe. Cette dernière condition exige ainsi qu’un lien réel soit établi entre ces violations et une telle atteinte ou un tel risque sérieux d’atteinte.

166    Il y a lieu de souligner, à cet égard, que l’application de l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement attaqué est soumise aux exigences procédurales spécifiées à l’article 6, paragraphes 1 à 9, de ce règlement, lesquelles impliquent, ainsi que le relève le considérant 26 dudit règlement, l’obligation pour la Commission de se fonder, lorsqu’elle examine si l’adoption de mesures appropriées est justifiée, sur des éléments concrets et de respecter les principes d’objectivité, de non-discrimination et d’égalité des États membres devant les traités.

167    En ce qui concerne plus particulièrement la détection et l’évaluation de violations des principes de l’État de droit, le considérant 16 du règlement attaqué précise que cette évaluation doit être objective, impartiale et équitable. En outre, le respect de l’ensemble de ces obligations est soumis à un contrôle juridictionnel entier par la Cour.

168    Quatrièmement, en ce qui concerne les objections selon lesquelles le mécanisme de conditionnalité institué par le règlement attaqué ne subordonnerait pas les versements provenant du budget de l’Union au respect par les États membres d’obligations concrètes définies précisément, l’article 3 et l’article 4, paragraphe 2, de ce règlement emploieraient des termes généraux ne fixant pas des critères concrets d’appréciation du respect de l’État de droit et l’article 4, paragraphe 2, sous h), de celui-ci permettrait d’appréhender des situations et des comportements non encore identifiés, il convient de relever, tout d’abord, qu’il résulte de l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement que la condition relative à l’État de droit vise le respect des principes énoncés à l’article 2, sous a), du même règlement.

169    Or, le respect des principes de l’État de droit constitue une obligation de résultat pour les États membres, qui découle directement, ainsi qu’il a été rappelé aux points 142 à 145 du présent arrêt, de leur appartenance à l’Union. Le considérant 3 du règlement attaqué souligne que ces principes ont fait l’objet d’une jurisprudence abondante de la Cour, tandis que les considérants 8 à 10 et 12 de ce règlement énoncent les principales exigences découlant de ceux-ci. Lesdits principes sont encore précisés à l’article 3 dudit règlement, par l’exposé de cas qui peuvent être indicatifs de violations de ceux-ci, ainsi qu’à l’article 4, paragraphe 2, du même règlement, par l’identification de situations et de comportements des autorités susceptibles de donner lieu à l’adoption de mesures appropriées lorsque les conditions énoncées au paragraphe 1 de cet article 4 sont satisfaites.

170    Ensuite, le caractère général des termes employés à l’article 3 et à l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué n’est pas de nature à remettre en cause le choix de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE en tant que base juridique de ce règlement.

171    D’une part, en ce qui concerne l’article 3 du règlement attaqué, sans préjudice de la question de savoir si les éléments d’appréciation du respect des principes de l’État de droit fixés à cet article satisfont aux exigences du principe de sécurité juridique, ce qui fait l’objet du neuvième moyen, il ne saurait être exigé du législateur de l’Union qu’il précise, dans le cadre d’un tel mécanisme de conditionnalité, toutes les hypothèses de violation des principes constitutifs de l’État de droit, une telle violation se caractérisant par la méconnaissance d’exigences connues de manière suffisamment concrète et précise par les États membres. Dès lors que, ainsi qu’il a été relevé au point 155 du présent arrêt, ledit article 3 se borne à citer des cas qui peuvent être indicatifs de violations des principes constitutifs de l’État de droit, afin de faciliter l’application de ce mécanisme, ce même article se rattache, ainsi qu’il a été relevé au point 157 du présent arrêt, de manière indissociable audit mécanisme et n’est ainsi pas de nature à remettre en cause le choix de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE en tant que base juridique du règlement attaqué.

172    D’autre part, en ce qui concerne l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué, ainsi qu’il a été rappelé au point 156 du présent arrêt, cette disposition précise que, pour pouvoir relever du mécanisme de conditionnalité horizontale institué au paragraphe 1 de cet article, les violations des principes de l’État de droit doivent concerner des situations ou des comportements des autorités qui y sont visés, pour autant qu’ils sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou pour la protection des intérêts financiers de l’Union.

173    Or, contrairement à ce que fait valoir la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, cette disposition, en particulier le point h) de celle-ci, n’est ni de nature à rendre non exhaustifs les cas de figure appréhendés par le mécanisme de conditionnalité institué par le règlement attaqué ni insuffisamment précise pour faire partie de celui-ci.

174    En effet, il découle d’une lecture combinée de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement attaqué que des mesures appropriées sont prises lorsqu’il est établi qu’une violation de l’un des principes mentionnés à l’article 2, sous a), de ce règlement a été commise et concerne une situation imputable à une autorité d’un État membre ou un comportement d’une telle autorité, pour autant que cette situation ou ce comportement est pertinent pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection de ses intérêts financiers, et que ladite violation porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter atteinte, de manière suffisamment directe, à cette bonne gestion financière ou à ces intérêts financiers.

175    Par ailleurs, l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué, en ce qu’il vise, à ses points a) à g), certaines autorités, dont les « autorités exécutant le budget de l’Union », les « autorités chargées du contrôle, du suivi et de l’audit financiers » ou encore les « autorités administratives », fournit des indications sur les autorités auxquelles se réfère son point h).

176    De plus, il peut être déduit de la définition de la notion d’« entité publique » figurant à l’article 2, sous b), du règlement attaqué que sont visées les autorités publiques à tout niveau de gouvernement, incluant les autorités nationales, régionales et locales, ainsi que les établissements de droit public, voire les entités de droit privé investies d’une mission de service public et dotées de garanties financières suffisantes par l’État membre. Cette constatation est corroborée par les considérants 3, 8, 9, 15 et 19 de ce règlement ainsi que par l’article 3, sous b), de celui-ci qui visent exclusivement des « autorités publiques », des « autorités répressives » et des « autorités nationales ».

177    Ainsi, dès lors qu’il résulte sans équivoque des termes de l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué que sont visés exclusivement des situations ou des comportements imputables à une autorité d’un État membre pour autant que ces situations ou ces comportements sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou pour la protection des intérêts financiers de l’Union, l’argumentation de la République de Pologne tirée de ce qu’elle ne peut identifier, sur le fondement de ces critères, de manière suffisamment concrète et précise, les situations et les comportements visés et de ce que, partant, cette disposition ne saurait être un élément constitutif du mécanisme de conditionnalité institué par le règlement attaqué sur le fondement de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE doit être rejetée.

178    Cinquièmement, s’agissant des critiques dirigées contre la prétendue absence d’exigence de démontrer l’existence d’un lien suffisamment direct entre la violation d’un principe de l’État de droit et la protection du budget ou des intérêts financiers de l’Union, il convient de rappeler que l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué subordonne l’adoption de mesures appropriées au titre du paragraphe 1 de cet article à l’existence d’une violation des principes de l’État de droit qui concerne des situations ou des comportements des autorités qui sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union. De plus, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, seules des violations de ces principes qui portent atteinte « d’une manière suffisamment directe » à cette bonne gestion financière ou à ces intérêts financiers ou qui présentent un risque sérieux d’y porter atteinte « d’une manière suffisamment directe » peuvent justifier l’adoption de mesures au titre dudit règlement.

179    Partant, l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement attaqué exige que soit systématiquement établi un lien suffisamment direct entre une telle violation et une atteinte ou un risque sérieux d’atteinte à cette bonne gestion ou à ces intérêts financiers, ce lien devant, ainsi qu’il a été relevé au point 165 du présent arrêt, présenter un caractère réel. Il résulte par ailleurs des points 168 à 170 du présent arrêt que ce lien s’attache à la méconnaissance par un État membre de l’une des obligations de résultat qui relèvent de la valeur de l’État de droit que contient l’article 2 TUE et qu’il s’est engagé, par son adhésion à l’Union, à assumer pleinement.

180    Dès lors, et compte tenu également de ce qui a été exposé au point 166 du présent arrêt, c’est à tort que la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir qu’un tel lien pourrait être automatiquement constaté.

181    Sixièmement, en ce qui concerne l’allégation selon laquelle le pouvoir d’appréciation conféré par le règlement attaqué au Conseil et à la Commission permettrait à ces institutions d’utiliser le mécanisme de conditionnalité institué par ce règlement comme un mécanisme de sanction de violations des principes de l’État de droit, en se fondant sur des appréciations de nature politique, celle-ci ne saurait davantage prospérer.

182    En effet, à la lumière des exigences rappelées aux points 166 et 167 du présent arrêt, il ne saurait être présumé, comme le fait la République de Pologne, que le pouvoir d’appréciation conféré à la Commission et au Conseil permettrait à ces institutions d’appliquer le mécanisme de conditionnalité institué par le règlement attaqué comme un mécanisme de sanction de violations des principes de l’État de droit.

183    Septièmement, c’est à tort que la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir que le règlement attaqué aurait dû être fondé sur l’article 311, troisième alinéa, TFUE, relatif au système de ressources propres, ou sur l’article 312, paragraphe 2, TFUE, relatif au cadre financier pluriannuel.

184    En effet, d’une part, aux termes de l’article 311, troisième alinéa, TFUE, le Conseil « adopte une décision fixant les dispositions applicables au système des ressources propres de l’Union », étant précisé qu’il lui « est possible, dans ce cadre, d’établir de nouvelles catégories de ressources propres ou d’abroger une catégorie existante ».

185    Or, ainsi que l’a fait valoir à bon droit le Conseil, le règlement attaqué n’établit pas de nouvelle catégorie de ressources propres de l’Union et n’en abroge aucune. De plus, il ne régit pas l’interaction entre les différents types de ressources propres et n’établit pas de modalités d’application relatives à la perception desdites ressources propres.

186    S’il est vrai que ce règlement peut également porter sur des violations des principes de l’État de droit ayant une incidence sur la perception des ressources propres de l’Union, il n’en demeure pas moins qu’il a pour objet non pas de moduler ou d’adapter la perception de ces ressources en fonction des violations constatées, mais d’adopter des mesures appropriées concernant des dépenses à effectuer à partir du budget de l’Union lorsque lesdites violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection des intérêts financiers de l’Union. Il s’ensuit qu’il porte non pas sur la perception des ressources propres de l’Union mais sur l’exécution de son budget.

187    D’autre part, l’article 312, paragraphe 2, TFUE dispose que le Conseil « adopte un règlement fixant le cadre financier pluriannuel ».

188    Or, le règlement attaqué n’a nullement pour objet, ainsi que le Conseil l’a relevé à bon droit, de planifier les dépenses de l’Union sur une période donnée en fixant les montants des plafonds annuels des crédits d’engagement et des crédits de paiement. Ce règlement est, en outre, conçu comme un mécanisme permanent de conditionnalité s’appliquant au–delà des limites d’un cadre financier pluriannuel donné.

189    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, les allégations de la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, tirées d’un défaut de base juridique du règlement attaqué, en ce que ce dernier n’établirait pas de règles financières au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, doivent être écartées.

190    Cela étant, il convient encore de vérifier si, comme le fait valoir, en substance, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, des règles financières telles que celles prévues par le règlement attaqué ne sauraient être adoptées par le législateur de l’Union, du fait qu’elles contournent l’article 7 TUE et l’article 269 TFUE.

b)      Sur le contournement de l’article 7 TUE et de l’article 269 TFUE

191    En premier lieu, s’agissant du caractère exclusif de la procédure prévue à l’article 7 TUE pour la protection des valeurs que contient l’article 2 TUE, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir, en substance, qu’une violation des principes de l’État de droit ne peut être constatée que par le Conseil européen, en application de l’article 7, paragraphe 2, TUE. Seule cette institution pourrait, en raison de sa composition, assurer le contrôle du respect de la valeur de l’État de droit, lequel présenterait un caractère discrétionnaire et serait susceptible d’être tributaire de considérations politiques. La seule exception à ce pouvoir exclusif du Conseil européen résulterait de l’obligation pour les États membres, découlant de l’article 19, paragraphe 1, TUE, d’assurer un contrôle juridictionnel effectif. Ce pouvoir exclusif serait confirmé par l’arrêt du 17 décembre 2020, Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission) (C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU, EU:C:2020:1033, points 57 à 60), par lequel la Cour a jugé que, lorsque des défaillances systémiques sont constatées en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire d’un État membre, le mécanisme du mandat d’arrêt européen ne peut être suspendu que par le Conseil, en application de l’article 7, paragraphe 3, TUE.

192    À cet égard, premièrement, il convient de rappeler que les valeurs fondatrices de l’Union et communes aux États membres, que contient l’article 2 TUE, comprennent celles du respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, de l’État de droit et du respect des droits de l’homme, dans une société caractérisée notamment par la non-discrimination, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.

193    Le préambule de la Charte rappelle, notamment, que l’Union repose sur les principes de la démocratie et de l’État de droit et reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans ladite Charte. Les articles 6, 10 à 13, 15, 16, 20, 21 et 23 de celle-ci précisent la portée des valeurs de la dignité humaine, de la liberté, de l’égalité, du respect des droits de l’homme, de la non-discrimination et de l’égalité entre les femmes et les hommes, que contient l’article 2 TUE. L’article 47 de la Charte ainsi que l’article 19 TUE garantissent notamment le droit à un recours effectif et le droit d’accéder à un tribunal indépendant et impartial préalablement établi par la loi, s’agissant de la protection des droits et des libertés garantis par le droit de l’Union.

194    Par ailleurs, les articles 8 et 10, l’article 19, paragraphe 1, l’article 153, paragraphe 1, sous i), et l’article 157, paragraphe 1, TFUE précisent la portée des valeurs d’égalité, de non-discrimination et d’égalité entre les femmes et les hommes et permettent au législateur de l’Union d’adopter des normes de droit dérivé visant à mettre en œuvre ces valeurs.

195    Il résulte des deux points précédents que, contrairement à ce que fait valoir la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, outre la procédure prévue à l’article 7 TUE, de nombreuses dispositions des traités, fréquemment concrétisées par divers actes de droit dérivé, confèrent aux institutions de l’Union la compétence d’examiner, de constater et, le cas échéant, de faire sanctionner des violations des valeurs énoncées à l’article 2 TUE commises dans un État membre.

196    S’agissant en particulier de la valeur de l’État de droit, certains aspects de celle-ci sont protégés par l’article 19 TUE, comme le reconnaît d’ailleurs la République de Pologne. Il en va de même des articles 47 à 50 de la Charte, figurant au titre VI de celle-ci, intitulé « Justice », et qui garantissent, respectivement, le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, la présomption d’innocence et les droits de la défense, les principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines et le droit à ne pas être jugé ou puni deux fois pour une même infraction.

197    Plus spécifiquement, la Cour a dit pour droit que l’article 19 TUE, qui concrétise la valeur de l’État de droit que contient l’article 2 TUE, requiert des États membres, conformément au paragraphe 1, second alinéa, dudit article 19, qu’ils prévoient un système de voies de recours et de procédures assurant aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 108 et 109 ainsi que jurisprudence citée]. Or, le respect de cette exigence peut être contrôlé par la Cour, notamment lors d’un recours en manquement introduit par la Commission au titre de l’article 258 TFUE [voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, points 58 et 59, ainsi que du 5 novembre 2019, Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun), C‑192/18, EU:C:2019:924, points 106 et 107].

198    La Cour a en outre dit pour droit que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, interprété à la lumière de l’article 47 de la Charte, met à la charge des États membres une obligation de résultat claire et précise et qui n’est assortie d’aucune condition en ce qui concerne l’indépendance devant caractériser les juridictions appelées à interpréter et à appliquer le droit de l’Union, de sorte qu’il appartient à une juridiction nationale d’écarter toute disposition du droit national enfreignant l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, le cas échéant après avoir obtenu de la Cour une interprétation de cette dernière disposition dans le cadre d’une procédure de renvoi préjudiciel [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 142 à 146].

199    Il découle ainsi des considérations figurant aux points 195 à 198 du présent arrêt que l’argumentation de la République de Pologne selon laquelle la valeur de l’État de droit ne peut être protégée par l’Union que dans le seul cadre de la procédure prévue à l’article 7 TUE doit être écartée.

200    Deuxièmement, à supposer même que le contrôle, par les représentants des États membres au sein du Conseil européen et du Conseil, du respect de la valeur de l’État de droit dans le cadre d’une procédure au titre de l’article 7 TUE puisse être fondé sur des considérations politiques, en tout état de cause, il n’en découle pas pour autant que toute appréciation du respect de cette valeur au titre d’une autre disposition du droit de l’Union serait nécessairement de même nature, ce que la République de Pologne reconnaît, d’ailleurs, lorsqu’elle se réfère à l’article 19 TUE.

201    Or, s’agissant du règlement attaqué, ainsi qu’il a été relevé aux points 168, 169 et 179 du présent arrêt, l’obligation de respecter les principes énoncés à son article 2, sous a), constitue une obligation de résultat pour les États membres, qui découle directement, ainsi qu’il a été rappelé aux points 142 à 145 du présent arrêt, de leur appartenance à l’Union, en vertu de l’article 2 TUE. Par ailleurs, le considérant 3 du règlement attaqué rappelle que ces principes ont fait l’objet d’une jurisprudence abondante de la Cour, tandis que les considérants 8 à 10 et 12 de ce règlement énoncent les principales exigences découlant de ceux-ci et que lesdits principes sont encore précisés tant à l’article 3 dudit règlement, par l’exposé de cas qui peuvent être indicatifs de violations de ceux-ci qu’à l’article 4, paragraphe 2, du même règlement, par l’identification de situations et de comportements des autorités susceptibles de donner lieu à l’adoption de mesures appropriées lorsque les conditions énoncées au paragraphe 1 de cet article 4 sont satisfaites.

202    En outre, il a été relevé aux points 166 et 167 du présent arrêt que les appréciations de la Commission et du Conseil sont soumises aux exigences procédurales spécifiées à l’article 6, paragraphes 1 à 9, du règlement attaqué.

203    Or, dans ces conditions, c’est à tort que la République de Pologne allègue que les principes mentionnés à l’article 2, sous a), du règlement attaqué sont de nature uniquement politique et que le contrôle de leur respect n’est pas susceptible de faire l’objet d’une appréciation strictement juridique.

204    Troisièmement, contrairement à ce que soutient la République de Pologne, l’arrêt du 17 décembre 2020, Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission) (C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU, EU:C:2020:1033), n’a aucunement consacré le caractère exclusif de l’article 7 TUE, mais s’est borné à déterminer les cas dans lesquels des défaillances systémiques et généralisées concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire dans l’État membre d’émission d’un mandat d’arrêt européen peuvent justifier que ce mandat ne soit pas exécuté.

205    En second lieu, en ce qui concerne le prétendu contournement par le règlement attaqué tant de la procédure prévue à l’article 7 TUE que de la limitation des compétences de la Cour prévue à l’article 269 TFUE, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, allègue, en substance, que le mécanisme de conditionnalité institué par ce règlement et la procédure prévue à l’article 7 TUE coïncident en termes d’objectifs, de principes et de mesures auxquelles leur mise en œuvre est susceptible d’aboutir. Or, ledit règlement fixerait des règles procédurales plus souples que celles prévues à l’article 7 TUE et ledit mécanisme de conditionnalité aurait une portée plus étendue et pourrait être mis en œuvre plus rapidement que la procédure prévue à cet article, de sorte qu’il priverait de tout effet utile cette procédure, conduisant à un contournement manifeste de celle-ci. Seul l’article 7 TUE autoriserait en effet le Conseil européen et le Conseil à contrôler le respect de l’État de droit dans les domaines relevant de la compétence exclusive des États membres. En conséquence, la Cour ne disposerait pas de modèles de contrôle suffisants lui permettant d’apprécier, lors du contrôle juridictionnel d’une décision du Conseil adoptée au titre du règlement attaqué, la conformité de l’action d’un État membre aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union. La définition de l’État de droit figurant à l’article 2, sous a), de ce règlement deviendrait ainsi, de manière générale, contraignante, tant dans le cadre d’une procédure engagée au titre de l’article 7 TUE ayant pour objet une violation de cette valeur ou un risque sérieux de violation de celle-ci, que dans celui d’un contrôle juridictionnel effectué par la Cour sur une décision instituant des mesures appropriées au titre dudit règlement, en violation de l’article 269 TFUE.

206    À cet égard, premièrement, il y a lieu de relever que le législateur de l’Union ne saurait instaurer, sans violer l’article 7 TUE, une procédure parallèle à celle prévue à cette disposition, qui aurait, en substance, le même objet, poursuivrait le même objectif et permettrait l’adoption de mesures identiques, tout en prévoyant l’intervention d’autres institutions ou des conditions matérielles et procédurales différentes de celles prévues à ladite disposition.

207    Toutefois, il est loisible au législateur de l’Union, lorsqu’il dispose d’une base juridique à cette fin, d’instituer, dans un acte de droit dérivé, d’autres procédures portant sur les valeurs que contient l’article 2 TUE, au nombre desquelles figure l’État de droit, pour autant que ces procédures se distinguent tant par leur but que par leur objet de la procédure prévue à l’article 7 TUE (voir, par analogie, arrêt du 7 février 1979, France/Commission, 15/76 et 16/76, EU:C:1979:29, point 26 ; ordonnance du 11 juillet 1996, An Taisce et WWF UK/Commission, C‑325/94 P, EU:C:1996:293, point 25 , ainsi que arrêt du 11 janvier 2001, Grèce/Commission, C‑247/98, EU:C:2001:4, point 13).

208    En l’espèce, s’agissant des finalités respectives de la procédure visée à l’article 7 TUE et de celle prévue par le règlement attaqué, il résulte de l’article 7, paragraphes 2 à 4, TUE que la procédure prévue à cet article permet notamment au Conseil, lorsque le Conseil européen a constaté des violations graves et persistantes par un État membre des valeurs que contient l’article 2 TUE, de suspendre certains des droits découlant de l’application des traités à cet État membre, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au Conseil, et que le Conseil peut décider par la suite de modifier les mesures qu’il a prises ou d’y mettre fin pour répondre à des changements de la situation qui l’a conduit à imposer ces mesures.

209    La procédure prévue à l’article 7 TUE a ainsi pour finalité de permettre au Conseil de sanctionner des violations graves et persistantes des valeurs que contient l’article 2 TUE, en vue, notamment, d’enjoindre à l’État membre concerné de mettre un terme à ces violations.

210    En revanche, ainsi qu’il ressort des points 124 à 137 du présent arrêt, il résulte de la nature des mesures susceptibles d’être adoptées en vertu du règlement attaqué ainsi que des conditions d’adoption et de levée de ces mesures que la procédure instituée par ce règlement a pour finalité d’assurer, conformément au principe de bonne gestion financière énoncé à l’article 310, paragraphe 5, et à l’article 317, premier alinéa, TFUE, la protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre et non pas de sanctionner, au moyen du budget de l’Union, des violations des principes de l’État de droit.

211    Il s’ensuit que la procédure prévue par le règlement attaqué poursuit une finalité différente de celle de l’article 7 TUE.

212    En ce qui concerne l’objet de chacune de ces deux procédures, il y a lieu de relever que le champ d’application de la procédure prévue à l’article 7 TUE porte sur l’ensemble des valeurs que contient l’article 2 TUE, tandis que celui de la procédure instituée par le règlement attaqué ne porte que sur l’une de ces valeurs, à savoir l’État de droit.

213    De plus, l’article 7 TUE permet d’appréhender toute violation grave et persistante d’une valeur que contient l’article 2 TUE, tandis que le règlement attaqué n’autorise l’examen des violations des principes de l’État de droit mentionnés à son article 2, sous a), que pour autant qu’il existe des motifs raisonnables de considérer qu’elles ont une incidence budgétaire.

214    Quant aux conditions d’engagement des deux procédures, il convient de relever que la procédure prévue à l’article 7 TUE peut être engagée, aux termes de son paragraphe 1, lorsqu’il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs que contient l’article 2 TUE, le droit d’initiative appartenant à un tiers des États membres, au Parlement ou à la Commission, le seuil requis étant initialement celui d’un risque clair d’une violation grave de ces valeurs, puis, s’agissant de la suspension, en vertu de l’article 7, paragraphes 2 et 3, TUE, de certains des droits découlant de l’application des traités à l’État membre concerné, d’une violation grave et persistante par celui-ci de ces valeurs. En revanche, la procédure instituée par le règlement attaqué peut être engagée par la seule Commission, lorsqu’il existe des motifs raisonnables de considérer non seulement que des violations des principes de l’État de droit ont eu lieu dans un État membre, mais aussi et surtout que ces violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers, d’une manière suffisamment directe.

215    Par ailleurs, la seule condition matérielle requise pour l’adoption de mesures au titre de l’article 7 TUE réside dans la constatation, par le Conseil européen, de l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs que contient l’article 2 TUE. En revanche, ainsi qu’il a été relevé au point 165 du présent arrêt, selon l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement attaqué, des mesures au titre de ce règlement ne peuvent être prises que lorsque deux conditions sont réunies. D’une part, il doit être établi qu’une violation des principes de l’État de droit dans un État membre concerne au moins l’une des situations ou l’un des comportements des autorités visés à ce paragraphe 2, pour autant qu’ils sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union. D’autre part, il doit également être démontré que ces violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à cette bonne gestion financière ou à ces intérêts financiers, d’une manière suffisamment directe, cette condition impliquant ainsi d’établir l’existence d’un lien réel entre ces violations et une telle atteinte ou un tel risque sérieux d’atteinte.

216    Quant à la nature des mesures pouvant être adoptées sur le fondement de l’article 7, paragraphe 3, TUE, celles-ci consistent en la suspension de « certains des droits découlant de l’application des traités à l’État membre en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au Conseil » et peuvent, partant, porter sur tout droit découlant de l’application des traités à l’État membre en question. En revanche, les mesures pouvant être adoptées en vertu du règlement attaqué sont, pour leur part, limitées à celles énumérées à son article 5, paragraphe 1, et résumées au point 126 du présent arrêt, qui sont toutes de nature budgétaire.

217    Enfin, l’article 7 TUE n’envisage la modification et la levée des mesures adoptées que pour répondre à des changements de la situation ayant conduit à leur adoption. En revanche, l’article 7, paragraphe 2, deuxième et troisième alinéas, du règlement attaqué rattache la levée et la modification des mesures adoptées aux conditions d’adoption des mesures visées à l’article 4 de ce règlement. Partant, ces mesures peuvent être levées ou modifiées non seulement dans l’hypothèse où il est mis fin, au moins en partie, aux violations des principes de l’État de droit dans l’État membre concerné, mais surtout dans celle où ces violations, quoique perdurant, n’ont plus d’incidence sur le budget de l’Union. Tel peut notamment être le cas lorsqu’elles ne concernent plus au moins l’une des situations ou l’un des comportements des autorités visés au paragraphe 2 de cet article, lorsque ces situations ou ces comportements ne sont plus pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection des intérêts financiers de l’Union, lorsque la violation ne porte plus atteinte ou ne présente plus un risque sérieux de porter atteinte à cette bonne gestion ou à ces intérêts financiers, ou lorsque le lien entre la violation d’un principe de l’État de droit et une telle atteinte ou un tel risque sérieux ne présente plus un caractère suffisamment direct.

218    Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de constater que la procédure prévue à l’article 7 TUE et celle instituée par le règlement attaqué poursuivent des buts différents et ont chacune un objet nettement distinct.

219    Il s’ensuit que, contrairement à ce que fait valoir la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, le règlement attaqué ne saurait être regardé comme instituant une procédure parallèle contournant l’article 7 TUE.

220    Deuxièmement, s’agissant de l’argumentation selon laquelle seul l’article 7 TUE autoriserait les institutions de l’Union à contrôler le respect de l’État de droit dans les domaines relevant de la compétence exclusive des États membres, il a été constaté aux points 162 et 163 du présent arrêt, d’une part, que le règlement attaqué ne permet aux institutions de l’Union de procéder à un examen de situations dans les États membres que pour autant que celles-ci sont pertinentes pour l’exécution du budget de l’Union, conformément au principe de bonne gestion financière, ou la protection des intérêts financiers de l’Union et, d’autre part, que des mesures appropriées ne peuvent être adoptées au titre de ce règlement que lorsqu’il est établi que de telles situations comportent une violation de l’un des principes de l’État de droit qui porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter atteinte, d’une manière suffisamment directe, à cette bonne gestion financière ou à la protection de ces intérêts financiers.

221    Or, de telles situations se rapportant à l’exécution du budget de l’Union et relevant ainsi du champ d’application du droit de l’Union, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, ne saurait faire valoir que seul l’article 7 TUE permettrait leur examen par les institutions de l’Union.

222    Troisièmement, s’agissant de l’argumentation selon laquelle il n’existerait pas de modèles de contrôle suffisants permettant à la Cour d’apprécier, lors d’un contrôle juridictionnel portant sur une décision du Conseil, la conformité de l’action d’un État membre aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union, cette argumentation doit être écartée pour les motifs exposés aux points 201 et 203 du présent arrêt.

223    Quatrièmement, pour autant que la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir que la notion d’« État de droit » telle qu’elle est définie à l’article 2, sous a), du règlement attaqué, deviendrait, de manière générale, contraignante, tant dans le cadre d’une procédure engagée au titre de l’article 7 TUE que lors du contrôle juridictionnel effectué par la Cour sur une décision instituant des mesures appropriées au titre de ce règlement, en violation de l’article 269 TFUE, tout d’abord, il découle des points 144 et 154 du présent arrêt que, sans préjudice de la question de savoir si cette définition satisfait aux exigences du principe de sécurité juridique, ce qui fait l’objet du neuvième moyen, la notion d’« État de droit » visée à cet article 2, sous a), s’entend comme étant la valeur que contient l’article 2 TUE, que les principes qui y sont identifiés participent à la définition même de cette valeur ou sont intimement liés à une société respectueuse de l’État de droit et que, par leur adhésion à l’Union, les États membres se sont engagés à respecter et à promouvoir les valeurs que contient l’article 2 TUE, leur respect constituant une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités aux États membres.

224    Il en résulte que le respect des principes de l’État de droit mentionnés à l’article 2, sous a), du règlement attaqué s’impose déjà aux États membres, indépendamment dudit règlement.

225    Ensuite, il importe de relever que l’article 269 TFUE ne vise, selon son libellé, que le contrôle de légalité d’un acte adopté par le Conseil européen ou par le Conseil en vertu de l’article 7 TUE.

226    Dans ces conditions, et eu égard aux constatations effectuées aux points 218 et 219 du présent arrêt, le contrôle de légalité que la Cour peut être amenée à opérer, en particulier lors d’un recours en annulation introduit sur le fondement de l’article 263 TFUE, sur des décisions du Conseil prises au titre de l’article 6, paragraphe 10, du règlement attaqué ne relève pas du champ d’application de l’article 269 TFUE et n’est, dès lors, pas soumis aux règles spécifiques prévues à ce dernier.

227    Il s’ensuit que le règlement attaqué n’attribue aucune nouvelle compétence à la Cour.

228    Enfin, des arrêts de la Cour statuant sur des recours introduits contre des décisions du Conseil prises au titre de l’article 6, paragraphe 10, de ce règlement pourraient être pris en compte dans le cadre d’une procédure engagée au titre de l’article 7 TUE, sans toutefois qu’une telle prise en compte constitue un quelconque contournement de l’article 269 TFUE.

229    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient d’écarter comme étant non fondées les allégations de la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, tirées d’un contournement de l’article 7 TUE et de l’article 269 TFUE, de sorte que les premier, deuxième, cinquième, sixième et onzième moyens doivent être rejetés comme étant non fondés.

B.      Sur le troisième moyen, tiré de la violation du protocole no 2

1.      Argumentation des parties

230    À titre subsidiaire par rapport au premier moyen, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir que le règlement attaqué a été adopté en violation de l’obligation de consultation découlant du protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité (ci-après le « protocole no 2 »).

231    Le principe de subsidiarité, qui s’appliquerait dans les domaines qui ne relèvent pas de la compétence exclusive de l’Union, exigerait que l’Union n’intervienne que si, et dans la mesure où, les objectifs poursuivis ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par une action des États membres. Selon le protocole no 2, les parlements nationaux veilleraient au respect du principe de subsidiarité conformément à la procédure prévue audit protocole.

232    Toutefois, la protection du budget de l’Union relèverait non pas de la compétence exclusive de l’Union, mais des compétences partagées avec les États membres. En effet, d’une part, cette protection ne serait pas mentionnée à l’article 3, paragraphe 1, TFUE et, d’autre part, l’article 325, paragraphe 1, TFUE énoncerait une obligation commune pesant sur l’Union et sur les États membres de lutter contre la fraude et contre toute activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

233    Ce serait ainsi à tort que la Commission a estimé, dans sa proposition de règlement qui a abouti au règlement attaqué, que la protection du budget de l’Union fait partie des domaines relevant de la compétence exclusive de celle-ci, de sorte que cette institution n’aurait pas satisfait aux obligations qui lui incombent en vertu du protocole no 2. En particulier, ladite institution n’aurait pas transmis cette proposition aux parlements nationaux dans toutes les langues officielles de l’Union, contrairement aux prescriptions de l’article 6, premier alinéa, de ce protocole. Ce faisant, la Commission aurait également méconnu l’article 7, premier alinéa, dudit protocole, aux termes duquel cette institution tient compte des avis motivés adressés par les parlements nationaux.

234    La République de Pologne, soutenue par la Hongrie, considère que de telles violations doivent être traitées de manière analogue à celles des droits du Parlement dans les procédures législatives. À cet égard, la Cour aurait indiqué que la participation du Parlement au processus législatif est le reflet du principe démocratique fondamental selon lequel les peuples participent à l’exercice du pouvoir par l’intermédiaire d’une assemblée représentative, de sorte que la consultation régulière du Parlement dans les cas prévus par le traité FUE constituerait une formalité substantielle dont le non-respect entraîne la nullité de l’acte concerné. Le protocole no 2 visant, selon son préambule, à assurer que les décisions soient prises le plus près possible des citoyens, la violation de l’obligation de consultation des parlements nationaux qu’il prévoit devrait donc, en l’espèce, donner lieu à l’annulation du règlement attaqué.

235    Cette annulation serait également justifiée par la circonstance que la Commission ne s’est pas pleinement acquittée de son obligation énoncée à l’article 4, premier alinéa, du protocole no 2, selon laquelle elle doit transmettre ses projets d’actes législatifs ainsi que ses projets modifiés aux parlements nationaux. Certes, elle aurait transmis sa proposition initiale de règlement à ces parlements, mais celle-ci aurait été remaniée de manière significative aux stades ultérieurs de la procédure législative, sans que lesdits parlements aient été mis en mesure de procéder à un nouvel examen. Or, il découlerait de la jurisprudence de la Cour qu’une nouvelle consultation du Parlement est nécessaire à chaque fois que le texte finalement adopté, considéré dans son ensemble, s’écarte dans sa substance de celui sur lequel le Parlement a déjà été consulté, cette nouvelle consultation constituant une formalité substantielle prescrite à peine de nullité.

236    Le Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent cette argumentation.

2.      Appréciation de la Cour

237    Il résulte de l’article 5, paragraphe 3, TUE que les dispositions du protocole no 2 relatives au principe de subsidiarité ne s’appliquent que dans les « domaines qui ne relèvent pas de [la] compétence exclusive » de l’Union.

238    Or, en premier lieu, contrairement à ce que prétend la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, l’article 325, paragraphe 1, TFUE n’est pas pertinent en vue de déterminer si le règlement attaqué relève d’un tel domaine.

239    En effet, il découle des points 112 à 189 du présent arrêt que le règlement attaqué est, à juste titre, fondé sur une autre base juridique, à savoir l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, dès lors que ledit règlement vise à protéger le budget de l’Union contre des situations ou des comportements imputables aux autorités des États membres qui résultent de violations des principes de l’État de droit et qui portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers, d’une manière suffisamment directe.

240    En second lieu, c’est à bon droit que la proposition de règlement qui a conduit à l’adoption du règlement attaqué précise, sous le titre « Subsidiarité (en cas de compétence non exclusive) », que les « règles financières régissant le budget de l’Union visées à l’article 322 [TFUE] ne pourraient pas être adoptées au niveau des États membres ».

241    À cet égard, comme l’a relevé M. l’avocat général aux points 40 et 45 de ses conclusions, un règlement tel que le règlement attaqué, qui comporte des règles financières fixant les modalités relatives à l’établissement et à l’exécution du budget de l’Union, au sens de l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, relève de l’exercice d’une compétence de l’Union relative à son fonctionnement, qui ne peut, par sa nature, être exercée que par l’Union elle-même. Dès lors, le principe de subsidiarité ne saurait s’appliquer.

242    En conséquence, l’argumentation de la République de Pologne tirée d’une méconnaissance par la Commission des obligations procédurales lui incombant en vertu des dispositions du protocole no 2 n’est pas fondée, de sorte que le troisième moyen doit être écarté.

C.      Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE

1.      Argumentation des parties

243    La République de Pologne, soutenue par la Hongrie, allègue que la motivation du règlement attaqué, telle qu’elle figure dans la proposition qui a abouti à ce règlement, ne respecte pas les exigences prévues à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, qui imposerait que tous les actes de l’Union contiennent un exposé des raisons qui ont conduit à leur adoption.

244    En effet, les raisons pour lesquelles il aurait été nécessaire d’adopter le règlement attaqué ne ressortiraient pas des motifs figurant dans cette proposition.

245    En outre, si l’exposé des motifs de ladite proposition a visé l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE comme étant la base juridique du règlement attaqué, ce choix n’aurait été ni « expliqué ni justifié », contrairement aux exigences prévues au point 25, premier alinéa, de l’accord interinstitutionnel entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne « Mieux légiférer » (JO 2016, L 123, p. 1). Partant, il ne serait pas possible de vérifier si ce règlement a été adopté au titre d’une compétence exclusive de l’Union ou de ses compétences partagées avec les États membres, ce qui constituerait une violation des formes substantielles et justifierait l’annulation dudit règlement.

246    Le Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand–Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent cette argumentation.

2.      Appréciation de la Cour

247    La République de Pologne a confirmé, lors de l’audience, que le quatrième moyen vise la motivation de la proposition qui a abouti à l’adoption du règlement attaqué et non pas celle de ce règlement lui-même, telle que reflétée dans ses considérants.

248    Or, dès lors que le présent recours vise à l’annulation non pas de cette proposition, mais du règlement attaqué, l’argumentation avancée au soutien de ce moyen est dépourvue de pertinence, comme l’ont souligné à bon droit le Parlement et le Conseil et que l’a relevé M. l’avocat général au point 58 de ses conclusions.

249    En effet, la jurisprudence constante de la Cour, selon laquelle la motivation d’un acte de l’Union, exigée par l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte concerné de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d’exercer son contrôle (arrêt du 11 décembre 2018, Weiss e.a., C‑493/17, EU:C:2018:1000, point 31 ainsi que jurisprudence citée), vise la motivation de l’acte dont la légalité est examinée.

250    Si le respect de l’obligation de motivation doit, par ailleurs, être apprécié au regard non seulement du libellé de l’acte, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt du 11 décembre 2018, Weiss e.a., C‑493/17, EU:C:2018:1000, point 33 ainsi que jurisprudence citée), ce contexte, dont relève notamment la proposition de l’acte concerné, ne saurait justifier, à lui seul et indépendamment de la motivation figurant dans cet acte, l’annulation de ce dernier.

251    En tout état de cause, à supposer même qu’ils se rapportent à la motivation figurant dans le règlement attaqué, les griefs de la République de Pologne tels que résumés aux points 244 et 245 du présent arrêt devraient être rejetés au regard des considérations exposées notamment aux points 124, 130, 131, 134, 149, 159, 162, 163 et 165 du présent arrêt.

252    Il s’ensuit que le quatrième moyen doit être écarté comme étant inopérant.

D.      Sur le septième moyen, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 1, de l’article 4, paragraphe 2, deuxième phrase, et de l’article 5, paragraphe 2, TUE

1.      Argumentation des parties

253    La République de Pologne, soutenue par la Hongrie, estime qu’aucune disposition des traités ne conférait au législateur de l’Union de compétence pour adopter le règlement attaqué, de sorte que celui-ci aurait enfreint, en l’adoptant, le principe d’attribution énoncé à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 5, paragraphe 2, TUE. Ce faisant, il aurait également violé l’obligation, prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième phrase, TUE, de respecter les fonctions essentielles des États membres.

254    Les éléments sur la base desquels il conviendrait d’apprécier si les États membres ont violé des principes de l’État de droit visés à l’article 3 et à l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué concerneraient des domaines qui relèvent de la compétence exclusive des États membres et qui seraient fondamentaux pour l’exercice de leurs fonctions essentielles, notamment celles qui ont pour objet de sauvegarder l’intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et d’assurer la sécurité nationale. En effet, seraient visés non seulement le fonctionnement d’organes étatiques, tels que les juridictions nationales, les autorités chargées de l’octroi des marchés publics et de contrôle financier ainsi que les services d’enquête et de poursuites judiciaires, mais également leur organisation, dont la fourniture de ressources financières et humaines nécessaires au bon fonctionnement de ces autorités, et les règles de procédure qui leur sont applicables.

255    Contrairement à ce que suggère le considérant 7 du règlement attaqué, aucune compétence du législateur de l’Union à cet égard ne saurait être déduite du caractère important des principes de l’État de droit pour l’ordre juridique de l’Union, en particulier du principe de la bonne gestion financière relevant de celui-ci, établi à l’article 317 TFUE.

256    Le législateur de l’Union aurait ainsi adopté le règlement attaqué conformément à la logique d’un effet d’entraînement (« spillover effect »), à savoir un processus au terme duquel une action poursuivant un objectif précis aboutit à une situation dans laquelle l’objectif initial ne peut être atteint qu’au moyen de nouvelles actions. En l’espèce, cet effet d’entraînement impliquerait de déduire de l’objectif légitime de protection du budget de l’Union la nécessité de reconnaître la compétence de celle-ci en matière d’évaluation tant des procédures que des besoins financiers et en personnel des services d’enquête et de poursuites judiciaires des États membres, bien qu’une telle compétence n’ait pas de fondement dans les traités.

257    Or, la compétence des États membres pour organiser leurs services d’enquête et de poursuites judiciaires serait indissociablement liée aux fonctions essentielles de l’État, telles que le maintien de l’ordre public, que l’Union doit respecter, et à la sécurité nationale, laquelle relève, selon l’article 4, paragraphe 2, TUE, de la responsabilité exclusive de chacun des États membres.

258    Le service juridique du Conseil aurait d’ailleurs adopté une position similaire, en indiquant dans l’avis juridique no 13593/18, tout d’abord, que l’article 2 TUE ne confère pas de compétence matérielle à l’Union mais énumère des valeurs que les institutions de l’Union et ses États membres doivent respecter lorsqu’ils agissent dans les limites des attributions conférées à l’Union par les traités, ensuite, qu’une violation des valeurs de l’Union, y compris de l’État de droit, ne peut être invoquée à l’égard d’un État membre que lorsque celui–ci agit dans un domaine dans lequel l’Union est compétente et, enfin, que le respect de l’État de droit par les États membres ne saurait, selon les traités, faire l’objet d’une action ou d’un contrôle de la part des institutions de l’Union, indépendamment de l’existence d’une compétence matérielle spécifique dans laquelle s’inscrit cette action, sous la seule réserve de la procédure décrite à l’article 7 TUE.

259    Le Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand–Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent cette argumentation.

2.      Appréciation de la Cour

260    Par le septième moyen, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir que le législateur de l’Union, en adoptant le règlement attaqué et en instituant ainsi, sur le fondement du principe de la bonne gestion financière établi à l’article 317 TFUE, un contrôle du respect par les États membres des principes de l’État de droit dans des domaines de l’action souveraine desdits États membres, qui relèvent de leur compétence exclusive et sont fondamentaux pour leur permettre d’assumer leurs fonctions essentielles, a privé d’effet utile tant le principe d’attribution énoncé à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 5, paragraphe 2, TUE, que l’obligation, prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième phrase, TUE, de respecter les fonctions essentielles des États membres.

261    À cet égard, premièrement, ainsi qu’il a été constaté aux points 112 à 189 du présent arrêt, le législateur de l’Union a valablement pu fonder le règlement attaqué sur l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE, de sorte que l’argumentation de la République de Pologne selon laquelle, en adoptant ledit règlement, le législateur de l’Union a erronément déduit sa compétence du principe de bonne gestion financière établi à l’article 317 TFUE ne saurait prospérer.

262    Deuxièmement, ainsi qu’il a été précisé aux points 124 à 138, 152 à 157 et 208 à 219 du présent arrêt, il ressort de la finalité et du contenu du règlement attaqué que, contrairement à ce que soutient la République de Pologne, celui-ci autorise le Conseil à adopter non pas des sanctions mais seulement des mesures de protection du budget de l’Union et de ses intérêts financiers.

263    Troisièmement, ainsi qu’il a été relevé aux points 142 à 145, 168, 169 et 179 du présent arrêt, l’obligation de respecter les principes mentionnés à l’article 2, sous a), du règlement attaqué constitue une obligation de résultat pour les États membres, qui découle directement des engagements pris par ceux-ci les uns vis-à-vis des autres ainsi qu’à l’égard de l’Union, et que ce règlement se borne à mettre en œuvre s’agissant de l’action des autorités nationales relative à des dépenses couvertes par le budget de l’Union.

264    À cet égard, il importe de rappeler que l’article 2 TUE ne constitue pas une simple énonciation d’orientations ou d’intentions de nature politique, mais contient des valeurs qui relèvent, ainsi qu’il a été exposé au point 145 du présent arrêt, de l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun, valeurs qui sont concrétisées dans des principes comportant des obligations juridiquement contraignantes pour les États membres.

265    Or, même si, ainsi qu’il ressort de l’article 4, paragraphe 2, TUE, l’Union respecte l’identité nationale des États membres, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, de sorte que ces États disposent d’une certaine marge d’appréciation pour assurer la mise en œuvre des principes de l’État de droit, il n’en découle nullement que cette obligation de résultat peut varier d’un État membre à l’autre.

266    En effet, tout en disposant d’identités nationales distinctes, inhérentes à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, que l’Union respecte, les États membres adhèrent à une notion d’« État de droit » qu’ils partagent, en tant que valeur commune à leurs traditions constitutionnelles propres, et qu’ils se sont engagés à respecter de manière continue.

267    Quatrièmement, l’argumentation de la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, selon laquelle l’appréciation de la violation par les États membres des principes de l’État de droit concerne des domaines qui relèvent de la compétence exclusive des États membres, a déjà été écartée aux points 162, 163, 220 et 221 du présent arrêt, au motif que ce règlement ne permet d’apprécier que des situations et des comportements d’autorités qui se rapportent à l’exécution du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers.

268    Certes, il n’est pas exclu que de tels situations ou comportements soient imputables à une autorité dont un État membre considère qu’elle participe à son action souveraine dans des domaines fondamentaux pour l’exercice de ses fonctions essentielles. Il n’en demeure pas moins que, lorsqu’une telle situation ou un tel comportement porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers, il ne saurait être reproché à l’Union de mettre en œuvre, au titre de la défense de son identité, dont relèvent les valeurs que contient l’article 2 TUE, les moyens nécessaires à la protection de cette bonne gestion financière ou de ces intérêts financiers par l’adoption de mesures appropriées qui, conformément à l’article 5, paragraphe 1, du règlement attaqué, portent exclusivement sur l’exécution du budget de l’Union.

269    Il importe de rappeler à cet égard que, selon une jurisprudence constante, si les États membres sont libres d’exercer leurs compétences dans tous les domaines qui leur sont réservés, il n’en demeure pas moins qu’ils sont tenus de les exercer dans le respect du droit de l’Union, dès lors qu’ils ne peuvent s’affranchir des obligations qui découlent, pour eux, de ce droit [voir, en ce sens, arrêts du 27 novembre 2012, Pringle, C‑370/12, EU:C:2012:756, point 69 et jurisprudence citée ; du 19 septembre 2017, Commission/Irlande (Taxe d’immatriculation), C‑552/15, EU:C:2017:698, points 71 et 86 ; du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, point 48 et jurisprudence citée, ainsi que du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 56 et jurisprudence citée].

270    En outre, en exigeant des États membres qu’ils respectent ainsi les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union, l’Union ne prétend aucunement exercer elle-même ces compétences ni, partant s’arroger celles-ci [voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 52].

271    Au regard de ces considérations, il convient de constater que sont dénuées de tout fondement les allégations de la République de Pologne tirées d’une violation du principe d’attribution ainsi que de l’obligation de respecter les fonctions essentielles des États membres.

272    Par conséquent, le septième moyen doit être écarté comme étant non fondé.

E.      Sur le huitième moyen, tiré de la violation du principe d’égalité des États membres devant les traités et du non-respect de leur identité nationale, prévus à l’article 4, paragraphe 2, première phrase, TUE

1.      Argumentation des parties

273    La République de Pologne, soutenue par la Hongrie, considère que l’application du règlement attaqué sera à l’origine de violations de l’article 4, paragraphe 2, première phrase, TUE, selon lequel l’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles.

274    En premier lieu, aux termes du considérant 16 du règlement attaqué, la détection de violations des principes de l’État de droit requiert que la Commission procède à une évaluation qualitative approfondie en s’appuyant sur des informations pertinentes provenant de sources disponibles et d’institutions reconnues, parmi lesquelles figurent les conclusions et les recommandations de la Commission de Venise. Or, cette dernière aurait indiqué, dans son rapport sur les nominations judiciaires, adopté lors de sa 70e session plénière, qu’il convenait de distinguer les États qui font partie d’« anciennes démocraties » de ceux qui constituent des « nouvelles démocraties », cette distinction pouvant générer un risque sérieux que la Commission traite de manière différenciée les États membres en application de ce règlement.

275    La République de Pologne, soutenue par la Hongrie, souligne d’ailleurs que la Cour des comptes a, dans son avis no 1/2018 sur la proposition de règlement qui a abouti au règlement attaqué, critiqué le fait que cette proposition ne fixait aucun critère précis en ce qui concerne, notamment, les conditions d’engagement de la procédure ainsi que le choix et la portée des mesures à adopter, ce qui ne permettrait pas d’assurer une application cohérente des dispositions pertinentes de ce règlement et, partant, de garantir l’égalité des États membres devant les traités.

276    En second lieu, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir que l’instauration, dans le règlement attaqué, d’un mécanisme de sanction a contraint le législateur de l’Union à choisir une procédure d’adoption des mesures de protection du budget de l’Union qui enfreint directement le principe d’égalité des États membres devant les traités. Il ressort, en effet, de l’article 6, paragraphes 10 et 11, de ce règlement que les décisions concernant ces mesures sont adoptées par le Conseil à la majorité qualifiée définie à l’article 16, paragraphe 4, TUE, laquelle implique la participation de l’État membre mis en cause.

277    Or, l’adoption de telles mesures punitives à la majorité qualifiée, avec la participation de l’État membre mis en cause, conduirait à une discrimination directe des petits et des moyens États membres, dès lors que cette majorité requiert le vote d’au moins quinze États membres qui représentent au moins 65 % de la population de l’Union. Les grands États membres, représentant un plus grand pourcentage de la population de l’Union, seraient ainsi favorisés lors des votes portant sur l’adoption des mesures de protection du budget de l’Union, et notamment de celles qui les concernent directement, par rapport aux petits et aux moyens États membres, représentant un pourcentage de population plus faible. Si une telle corrélation ne saurait être contestée s’agissant de l’adoption d’actes normatifs produisant des effets dans l’ensemble des États membres, la situation serait différente s’agissant de mesures de sanction destinées à produire des effets à l’égard d’un seul État membre, à l’instar de celles pouvant être prises au titre du règlement attaqué.

278    Par ailleurs, les dispositions des traités qui autorisent les institutions de l’Union à imposer des sanctions aux États membres excluraient systématiquement du vote les États membres qui sont visés par la proposition d’acte imposant des sanctions. En particulier, tel serait le cas de l’article 126 TFUE, relatif au déficit public excessif, ainsi que de l’article 7 TUE et de l’article 354 TFUE, s’agissant de la procédure visée audit article 7.

279    Le Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent cette argumentation.

2.      Appréciation de la Cour

280    Par le huitième moyen, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, allègue que l’application du règlement attaqué sera à l’origine de violations du principe d’égalité des États membres devant les traités et de leur identité nationale, que l’Union est tenue de respecter en vertu de l’article 4, paragraphe 2, première phrase, TUE. Ces violations résulteraient, tout d’abord, de la prise en compte par la Commission d’avis et d’études provenant de la Commission de Venise, ensuite, du manque de précision des critères relatifs, notamment, aux conditions d’engagement de la procédure prévue par ce règlement ainsi qu’au choix et à la portée des mesures à adopter, et enfin, de la règle de vote prévue à l’article 6, paragraphe 11, dudit règlement s’agissant des décisions à prendre par le Conseil au titre de l’article 6, paragraphe 10, du même règlement.

281    À cet égard, en premier lieu, s’agissant de la prise en compte par la Commission des informations pertinentes provenant de la Commission de Venise, il y a lieu de rappeler que la valeur de l’État de droit qui est au cœur du mécanisme de conditionnalité horizontale institué à l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué vise au respect des principes mentionnés à l’article 2, sous a), de ce règlement.

282    Ainsi qu’il a été rappelé en dernier lieu au point 263 du présent arrêt, cette obligation de respecter ces principes constitue une obligation de résultat pour les États membres, qui découle directement de leur appartenance à l’Union, en vertu de l’article 2 TUE, qu’aucun État membre ne saurait ignorer et que le règlement attaqué se borne à mettre en œuvre s’agissant de l’action des autorités nationales relative à des dépenses couvertes par le budget de l’Union.

283    Or, il découle des points 265 et 266 du présent arrêt que, bien que la Commission et le Conseil doivent effectuer leurs appréciations en tenant dûment compte des circonstances et des contextes spécifiques à chaque procédure menée au titre du règlement attaqué et, en particulier, en prenant en considération les particularités du système juridique de l’État membre en cause et la marge d’appréciation dont cet État membre dispose pour assurer la mise en œuvre des principes de l’État de droit, cette exigence n’est aucunement incompatible avec l’application de critères d’appréciation uniformes.

284    En particulier, l’Union respectant l’identité nationale des États membres, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, il incombe à ses institutions de tenir compte, lorsqu’elles vérifient si les États membres satisfont aux obligations de résultat qui résultent directement de leur appartenance à l’Union, en vertu de l’article 2 TUE, des caractéristiques des systèmes constitutionnels et juridiques de ces États membres.

285    À cet égard, la Commission doit veiller à la pertinence des informations qu’elle utilise et à la fiabilité de ses sources, sous le contrôle du juge de l’Union. En particulier, l’article 6, paragraphe 3, du règlement attaqué ne confère pas de valeur probante spécifique ou absolue et n’attache pas d’effets juridiques déterminés aux sources d’information qu’il mentionne, ni à celles qui sont indiquées au considérant 16 de ce règlement, de sorte que cette disposition ne dispense pas la Commission de son obligation de procéder à une appréciation diligente des faits.

286    En outre, ainsi qu’il a été rappelé au point 202 du présent arrêt, les appréciations de la Commission et du Conseil sont soumises aux exigences procédurales spécifiées à l’article 6, paragraphes 1 à 9, du règlement attaqué. Ces exigences impliquent en particulier, ainsi que le relève le considérant 26 de ce règlement, l’obligation pour la Commission de se fonder sur des éléments concrets et de respecter les principes d’objectivité, de non-discrimination et d’égalité des États membres devant les traités lorsqu’elle mène des procédures au titre de cette disposition. S’agissant de la détection et de l’évaluation des violations des principes de l’État de droit, lesdites exigences doivent être comprises à la lumière du considérant 16 dudit règlement, selon lequel cette évaluation doit être objective, impartiale et équitable, le respect de l’ensemble de ces obligations étant soumis à un contrôle juridictionnel entier par la Cour.

287    La Commission demeure ainsi responsable des informations qu’elle utilise et de la fiabilité de ses sources. Par ailleurs, l’État membre concerné dispose de la faculté, au cours de la procédure prévue à l’article 6, paragraphes 1 à 9, du règlement attaqué, de présenter des observations sur les informations que la Commission entend utiliser en vue de proposer l’adoption de mesures appropriées. Partant, il peut contester la valeur probante de chacun des éléments retenus, le bien-fondé des appréciations de la Commission pouvant, en tout état de cause, être soumis au contrôle du juge de l’Union dans le cadre d’un recours introduit contre une décision du Conseil prise au titre de ce règlement.

288    En deuxième lieu, s’agissant du prétendu manque de précision des critères applicables aux conditions d’engagement de la procédure ainsi qu’au choix et à la portée des mesures à adopter, il résulte d’une lecture d’ensemble de l’article 4 et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement attaqué que, ainsi qu’il a été relevé au point 125 du présent arrêt, la Commission ne peut engager cette procédure que lorsqu’elle constate qu’il existe des motifs raisonnables de considérer que l’un au moins des principes de l’État de droit mentionnés à l’article 2, sous a), de ce règlement a été violé dans un État membre, que cette violation concerne l’une au moins des situations imputables à une autorité d’un État membre ou l’un au moins des comportements de telles autorités visés à l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement, pour autant que ces situations ou ces comportements sont pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou pour la protection de ses intérêts financiers, et que cette violation porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter atteinte à cette bonne gestion ou à ces intérêts financiers, d’une manière suffisamment directe, par un lien réel entre ces violations et cette atteinte ou ce risque sérieux d’atteinte.

289    S’agissant de ces principes, il découle des constatations effectuées au point 169 du présent arrêt que la République de Pologne ne saurait alléguer qu’elle n’a pas une connaissance concrète et précise des obligations de résultat auxquelles elle est tenue du fait de son adhésion à l’Union, s’agissant du respect de la valeur de l’État de droit.

290    À cet égard, s’il est vrai que l’article 2, sous a), du règlement attaqué ne détaille pas les principes de l’État de droit qu’il mentionne, il n’en demeure pas moins que le considérant 3 de ce règlement rappelle que les principes de légalité, de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de protection juridictionnelle effective et de séparation des pouvoirs, visés à cette disposition, ont fait l’objet d’une jurisprudence abondante de la Cour. Il en va de même des principes d’égalité devant la loi et de non-discrimination, également mentionnés, ainsi qu’il ressort notamment des points 94 et 98 de l’arrêt du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement (C‑650/18, EU:C:2021:426), ainsi que des points 57 et 58 de l’arrêt du 2 septembre 2021, État belge (Droit de séjour en cas de violence domestique) (C‑930/19, EU:C:2021:657).

291    Ces principes de l’État de droit, tels que développés sur le fondement des traités de l’Union dans la jurisprudence de la Cour, sont ainsi reconnus et précisés dans l’ordre juridique de l’Union et trouvent leur source dans des valeurs communes reconnues et appliquées également par les États membres dans leurs propres ordres juridiques.

292    En outre, les considérants 8 à 10 et 12 du règlement attaqué mentionnent les principales exigences découlant de ces principes. En particulier, ils fournissent un éclairage sur les cas qui peuvent être indicatifs de violations des principes de l’État de droit, figurant à l’article 3 de ce règlement, ainsi que sur les situations et les comportements que doivent concerner ces violations, décrits à l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement, pour être susceptibles de justifier l’adoption de mesures appropriées, au sens de l’article 4, paragraphe 1, du même règlement.

293    Enfin, les appréciations de la Commission et du Conseil sont soumises aux exigences procédurales rappelées au point 286 du présent arrêt.

294    Quant aux situations et aux comportements des autorités visés à l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué et à leur pertinence pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou pour ses intérêts financiers, il a été relevé aux points 171 à 177 du présent arrêt qu’ils sont suffisamment précis pour que la République de Pologne puisse identifier de manière suffisamment concrète et prévisible les situations et les comportements visés à cette disposition.

295    S’agissant des notions de « bonne gestion financière » et de « protection des intérêts financiers de l’Union », la première est également visée, notamment, à l’article 310, paragraphe 5, TFUE ainsi qu’à l’article 317, premier alinéa, TFUE et est définie à l’article 2, point 59, du règlement financier comme étant l’exécution du budget conformément aux principes d’économie, d’efficience et d’efficacité, tandis que la seconde relève de l’article 325 TFUE et vise, selon l’article 63, paragraphe 2, du règlement financier, toutes les mesures législatives, réglementaires et administratives tendant, notamment, à prévenir, à détecter et à corriger les irrégularités et la fraude lors de l’exécution du budget.

296    À cet égard, l’article 2, point 1, du règlement no 883/2013 définit les « intérêts financiers de l’Union » comme étant « les recettes, dépenses et avoirs couverts par le budget de l’Union, ainsi que ceux qui sont couverts par le budget des institutions, organes et organismes, et les budgets gérés et contrôlés par ceux-ci ». L’article 135, paragraphes 1, 3 et 4, du règlement financier prévoit quant à lui que, afin de protéger les intérêts financiers de l’Union, la Commission met en place et exploite un système de détection rapide et d’exclusion.

297    La Cour a, par ailleurs, jugé que la notion d’« intérêts financiers » de l’Union, au sens de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, englobe non seulement les recettes mises à la disposition du budget de l’Union mais également les dépenses couvertes par ce budget (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 183). Cette notion est donc pertinente non seulement dans le contexte des mesures de lutte contre les irrégularités et la fraude visées à cette disposition, mais également pour la bonne gestion financière de ce budget, dès lors que la protection de ces intérêts financiers contribue également à cette bonne gestion.

298    La prévention d’atteintes telles que celles visées à l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué est, dès lors, un complément à la correction de telles atteintes, qui est inhérent tant à la notion de « bonne gestion financière » qu’à celle de « protection des intérêts financiers de l’Union » et doit, partant, être considérée comme étant une exigence constante et horizontale de la réglementation financière de l’Union.

299    De plus, cette disposition exige que les violations des principes de l’État de droit qui sont constatées présentent un risque « sérieux » d’atteintes à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à ses intérêts financiers et requiert, par conséquent, de démontrer que la réalisation de ce risque présente une probabilité élevée, en rapport avec les situations ou avec les comportements des autorités visés à l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué, des mesures appropriées ne pouvant du reste être adoptées qu’à la condition qu’un lien suffisamment direct, à savoir un lien réel, soit établi entre une violation de l’un des principes de l’État de droit et ce risque sérieux. En outre, lors de l’adoption de ces mesures, il convient également de respecter les exigences procédurales rappelées en dernier lieu au point 286 du présent arrêt.

300    S’agissant du lien suffisamment direct entre une violation constatée d’un principe de l’État de droit et la protection du budget ou des intérêts financiers de l’Union, il suffit de renvoyer aux points 178 à 180 du présent arrêt.

301    Enfin, le choix et la portée des mesures pouvant être adoptées au titre du règlement attaqué sont limités, dans la mesure où, ainsi qu’il a été relevé au point 153 du présent arrêt, l’article 5, paragraphe 1, du règlement attaqué énumère de manière exhaustive les différentes mesures de protection susceptibles d’être adoptées.

302    Conformément à l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement, de telles mesures doivent être proportionnées et déterminées en fonction de l’incidence réelle ou potentielle des violations des principes de l’État de droit sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur les intérêts financiers de l’Union. La nature, la durée, la gravité et la portée des violations des principes de l’État de droit doivent être dûment prises en compte et cibler, dans la mesure du possible, les actions de l’Union auxquelles ces violations portent atteinte. Il en résulte que les mesures prises doivent être strictement proportionnées à l’incidence des violations constatées des principes de l’État de droit sur le budget de l’Union ou sur ses intérêts financiers.

303    Au regard des considérations qui précèdent ainsi que des exigences procédurales rappelées en dernier lieu au point 286 du présent arrêt, l’argumentation de la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, tirée d’un manque de précision des critères relatifs, notamment, aux conditions d’engagement de la procédure ainsi qu’au choix et à la portée des mesures à adopter est dépourvue de tout fondement.

304    En troisième lieu, en ce qui concerne l’allégation tirée de la prétendue incompatibilité avec le principe d’égalité des États membres devant les traités de la règle de vote prévue à l’article 6, paragraphe 11, du règlement attaqué pour l’adoption des décisions par le Conseil au titre de l’article 6, paragraphe 10, de ce règlement, il importe de relever, d’une part, que cette allégation repose, en partie, sur l’argumentation selon laquelle les mesures pouvant être adoptées au titre de cet article 6, paragraphe 10, présentent le caractère de sanctions, pour l’adoption desquelles les traités excluraient du vote l’État membre mis en cause.

305    Or, ainsi qu’il a été précisé aux points 112 à 229 du présent arrêt, les mesures pouvant être adoptées en application du règlement attaqué visent non pas à sanctionner un État membre en raison de violations des principes de l’État de droit, mais exclusivement à protéger la bonne gestion financière du budget de l’Union ou ses intérêts financiers.

306    Au demeurant, un État membre ne saurait être exclu de la procédure de vote à la majorité qualifiée que dans les hypothèses dans lesquelles les traités le prévoient expressément et dans lesquelles, partant, la majorité qualifiée est fixée conformément à l’article 238, paragraphe 3, TFUE.

307    D’autre part, s’il est vrai que le législateur de l’Union dispose de la faculté de faire arrêter les dispositions d’exécution des règlements de base selon une procédure différente de celle suivie pour l’adoption du règlement de base (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 1996, Parlement/Conseil, C‑303/94, EU:C:1996:238, point 23 et jurisprudence citée), il n’en demeure pas moins que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 96 de ses conclusions, la règle de vote prévue à l’article 6, paragraphe 11, du règlement attaqué, à savoir celle de la majorité qualifiée avec participation de l’ensemble des États membres, est celle dont l’article 16, paragraphe 3, TUE prévoit l’application par défaut lors des délibérations du Conseil, sauf dans les cas où les traités en disposent autrement.

308    Il convient d’ajouter que cette règle de vote est non seulement prévue par les traités eux-mêmes, mais également qu’elle ne viole pas le principe d’égalité des États membres devant les traités.

309    En particulier, le fait que les intérêts des États membres peuvent diverger et que, selon que tous les États membres ou seulement certains d’entre eux participent au vote au sein du Conseil, une minorité de blocage est plus ou moins facile à atteindre à l’issue dudit vote, au sens de l’article 16, paragraphe 4, TUE, n’est nullement spécifique à la procédure instituée par le règlement attaqué et est pleinement compatible avec les choix posés par les auteurs des traités. En effet, conformément à la valeur de démocratie que contient l’article 2 TUE, cette disposition vise à assurer que les décisions du Conseil sont fondées sur une représentativité suffisante tant des États membres que de la population de l’Union.

310    Eu égard aux considérations qui précèdent, le huitième moyen doit être écarté comme étant non fondé.

F.      Sur le neuvième moyen, tiré d’une violation du principe de sécurité juridique

1.      Argumentation des parties

311    La République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir que les dispositions du règlement attaqué ne respectent pas les exigences de clarté et de précision qui découlent du principe de sécurité juridique, dès lors que ce règlement ne précise pas clairement les exigences devant être respectées par les États membres pour pouvoir conserver les financements provenant du budget de l’Union qui leur ont été accordés et qu’il confère à la Commission et au Conseil un pouvoir d’appréciation trop étendu.

312    Poserait difficulté à ce titre, premièrement, la notion d’« État de droit », telle qu’elle est définie à l’article 2, sous a), du règlement attaqué. Cette notion ne pourrait, par principe, faire l’objet d’une définition universelle car elle comporterait un nombre non exhaustif de principes dont le sens peut différer d’un État à l’autre, selon ses caractéristiques constitutionnelles ou ses traditions juridiques propres. En outre, cette définition élargirait indûment la portée de ladite notion en tant que valeur de l’Union, laquelle ne serait que l’une des valeurs que contient l’article 2 TUE, aux autres valeurs que contient cette disposition.

313    Deuxièmement, les éléments d’appréciation du respect des principes de l’État de droit, fixés aux articles 3 et 4 du règlement attaqué, ne satisferaient pas aux exigences de clarté et de précision car l’application de ces principes supposerait qu’ils soient concrétisés au préalable. Or, en l’absence de définition universelle desdits principes et eu égard aux compétences très limitées de l’Union pour les concrétiser, ces derniers n’auraient pas de contenu matériel concret en droit de l’Union. S’il est vrai que la Cour et la Cour européenne des droits de l’homme ont clarifié certains aspects de la valeur de l’État de droit, elles n’auraient toutefois pas encore précisé le contenu des autres valeurs que contient l’article 2 TUE ni leur relation avec le principe du respect de l’identité nationale des États membres figurant à l’article 4, paragraphe 2, TUE.

314    Certes, dans son arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117, point 32), la Cour aurait fait référence à la valeur de l’État de droit que contient l’article 2 TUE, mais elle aurait précisé que cette valeur était concrétisée dans l’article 19 TUE. Partant, pour devenir applicables, les valeurs que contient l’article 2 TUE devraient être concrétisées dans d’autres dispositions des traités. Toutefois, dès lors que les valeurs autres que l’État de droit, indûment incorporées dans cette dernière notion par le règlement attaqué, ne seraient pas clairement définies, la Cour serait appelée à préciser, notamment, les notions de « pluralisme », de « non–discrimination », de « tolérance », de « justice » et de « solidarité ». L’interprétation contraignante de ces notions par la Cour, lors du contrôle juridictionnel de décisions prises au titre de ce règlement, excéderait ainsi les compétences attribuées à l’Union.

315    Le manque de précision de l’article 3 et de l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué, en ce qu’ils ont recours à des expressions telles que « le bon fonctionnement » des « autorités » ou des « services » et « le bon fonctionnement de systèmes efficaces et transparents de gestion et de responsabilité financières », ainsi que le caractère non exhaustif des énumérations figurant à ces dispositions vont donc permettre à la Commission et au Conseil de les préciser lors de l’application de ce règlement, ce qui aura pour effet, en substance, de rendre possible l’application rétroactive des normes ainsi précisées.

316    Troisièmement, parmi les sources d’information que la Commission est tenue d’utiliser en vertu de l’article 6, paragraphe 3, du règlement attaqué, lors de la constatation d’une violation des principes de l’État de droit, figurent les « conclusions et recommandations » des institutions de l’Union, d’autres organisations internationales pertinentes et d’autres institutions reconnues, alors que, en vertu du droit de l’Union, ces sources ne lieraient pas les États membres. Ce règlement ne saurait donc leur conférer de caractère contraignant. Même la liste indicative figurant au considérant 16 dudit règlement ne préciserait pas suffisamment les « décisions, conclusions et recommandations » qui y sont visées.

317    Le Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent cette argumentation.

2.      Appréciation de la Cour

318    Par le neuvième moyen, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir que le règlement attaqué viole le principe de sécurité juridique et accorde une marge d’appréciation trop étendue à la Commission et au Conseil en raison du manque de précision, tout d’abord, de la notion d’« État de droit », telle qu’elle est définie à l’article 2, sous a), de ce règlement, ensuite, des critères énoncés à l’article 3 et à l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement et, enfin, des sources d’information sur lesquelles la Commission est appelée à fonder ses appréciations conformément à l’article 6, paragraphe 3, du même règlement.

319    Selon une jurisprudence constante de la Cour, le principe de sécurité juridique exige, d’une part, que les règles de droit soient claires et précises et, d’autre part, que leur application soit prévisible pour les justiciables, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir des conséquences défavorables. Ledit principe exige notamment qu’une réglementation permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose et que ces derniers puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (arrêt du 29 avril 2021, Banco de Portugal e.a., C‑504/19, EU:C:2021:335, point 51 ainsi que jurisprudence citée).

320    Pour autant, ces exigences ne sauraient être comprises comme s’opposant à ce que le législateur de l’Union, dans le cadre d’une norme qu’il adopte, emploie une notion juridique abstraite, ni comme imposant qu’une telle norme abstraite mentionne les différentes hypothèses concrètes dans lesquelles elle est susceptible de s’appliquer, dans la mesure où toutes ces hypothèses ne peuvent pas être déterminées à l’avance par le législateur (voir, par analogie, arrêt du 20 juillet 2017, Marco Tronchetti Provera e.a., C‑206/16, EU:C:2017:572, points 39 ainsi que 40).

321    En conséquence, le fait qu’un acte législatif confère un pouvoir d’appréciation aux autorités chargées de sa mise en œuvre ne méconnaît pas en soi l’exigence de prévisibilité, à la condition que l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir soient définies avec une netteté suffisante, eu égard au but légitime en jeu, pour fournir une protection adéquate contre l’arbitraire (voir, en ce sens, arrêts du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, C‑413/08 P, EU:C:2010:346, point 94, ainsi que du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission, C‑501/11 P, EU:C:2013:522, point 57).

322    C’est au regard de ces considérations qu’il convient d’apprécier, en premier lieu, l’argumentation tirée du caractère imprécis et trop large de la notion d’« État de droit » définie à l’article 2, sous a), du règlement attaqué.

323    À cet égard, premièrement, cette disposition ne vise pas à définir de manière exhaustive cette notion, mais se borne à spécifier, aux seules fins de ce règlement, plusieurs des principes que celle-ci recouvre et qui sont, selon le législateur de l’Union, les plus pertinents au regard de l’objet dudit règlement, qui consiste à assurer la protection du budget de l’Union.

324    Deuxièmement, contrairement à ce que fait valoir la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, les principes mentionnés à l’article 2, sous a), du règlement attaqué n’excèdent pas les limites de la notion d’« État de droit ». En particulier, la référence à la protection des droits fondamentaux n’est effectuée qu’à titre d’illustration des exigences du principe de protection juridictionnelle effective, également garantie à l’article 19 TUE et dont la République de Pologne reconnaît elle-même qu’elle fait partie de cette notion. Il en va de même des références aux principes de non-discrimination et d’égalité. En effet, si l’article 2 TUE mentionne de manière distincte l’État de droit en tant que valeur commune aux États membres et les principes d’égalité et de non-discrimination, force est de constater qu’un État membre dont la société est caractérisée par la discrimination ne saurait être considéré comme assurant le respect de l’État de droit, au sens de cette valeur commune.

325    Cette constatation est corroborée par le fait que, dans son étude no 711/2013, du 18 mars 2016, établissant une « liste des critères de l’État de droit », à laquelle fait référence le considérant 16 du règlement attaqué, la Commission de Venise a indiqué notamment que la notion d’« État de droit » repose sur un droit sûr et prévisible, dans lequel toute personne a le droit d’être traitée par les décideurs de manière digne, égale et rationnelle, dans le respect du droit existant, et de disposer de voies de recours pour contester les décisions devant des juridictions indépendantes et impartiales, selon une procédure équitable. Or, ces caractéristiques sont précisément reflétées à l’article 2, sous a), de ce règlement.

326    Troisièmement, au regard de ce qui a été exposé aux points 289 à 293 du présent arrêt, doit être écartée comme étant dénuée de tout fondement l’argumentation de la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, selon laquelle les principes de l’État de droit mentionnés à l’article 2, sous a), du règlement attaqué n’auraient pas de contenu matériel concret en droit de l’Union.

327    Quatrièmement, s’agissant du rapport de ces mêmes principes de l’État de droit avec celui du respect de l’identité nationale des États membres figurant à l’article 4, paragraphe 2, TUE, il suffit de renvoyer aux points 282 à 286 du présent arrêt.

328    Cinquièmement, en ce qui concerne l’argumentation selon laquelle, pour devenir applicables, les valeurs que contient l’article 2 TUE doivent être concrétisées dans d’autres dispositions des traités, d’une part, il a été relevé aux points 192 à 199 du présent arrêt que les traités comportent de nombreuses dispositions, fréquemment concrétisées par divers actes de droit dérivé, qui confèrent aux institutions de l’Union la compétence d’examiner, de constater et, le cas échéant, de sanctionner des violations des valeurs que contient l’article 2 TUE commises dans un État membre. D’autre part, il a été constaté aux points 112 à 189 du présent arrêt que l’article 322, paragraphe 1, sous a), TFUE constitue une base juridique permettant au législateur de l’Union d’adopter des dispositions portant sur la constatation de violations de la valeur de l’État de droit et sur les conséquences juridiques de ces violations, en vue de protéger le budget de l’Union et les intérêts financiers de celle-ci lorsque de telles violations portent atteinte ou présentent un risque sérieux de porter atteinte à ce budget et à ces intérêts.

329    Sixièmement, à supposer que la Cour soit appelée à interpréter, dans le cadre d’un recours en annulation dirigé contre une décision adoptée au titre du règlement attaqué, les notions de « pluralisme », de « non–discrimination », de « tolérance », de « justice » ou de « solidarité », que contient l’article 2 TUE, elle n’exercerait, ce faisant, contrairement à ce que prétend la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, que les compétences qui lui ont été attribuées par les traités, en particulier par l’article 263 TFUE.

330    En deuxième lieu, quant au prétendu manque de précision des critères employés à l’article 3 et à l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué, il résulte, premièrement, du point 155 du présent arrêt que cet article 3 n’énonce pas d’obligations pour les États membres, mais se borne à citer des cas qui peuvent être indicatifs de violations des principes de l’État de droit et vise ainsi à faciliter l’application de ce règlement, en explicitant les exigences inhérentes à ces principes.

331    Deuxièmement, s’agissant des notions prétendument imprécises figurant à l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que celle « d’autorité » a été examinée aux points 175 et 176 du présent arrêt et que celle de « services » recouvre les seuls « services d’enquête et de poursuites judiciaires ».

332    Ensuite, s’agissant du « bon fonctionnement » des autorités publiques, y compris répressives, exécutant le budget de l’Union et chargées du contrôle, du suivi et de l’audit financiers ainsi que des services d’enquête et de poursuites judiciaires, visées à l’article 3, sous b), et à l’article 4, paragraphe 2, sous a) à c), du règlement attaqué, il découle des considérants 8 et 9 de ce règlement que cette expression vise la capacité de ces autorités à remplir correctement ainsi que de manière effective et efficace leurs fonctions pertinentes pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou la protection de ses intérêts financiers.

333    Enfin, l’expression « systèmes efficaces et transparents de gestion et de responsabilité financières », employée à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement attaqué, renvoie à la notion de « gestion financière », laquelle relève de celle de « bonne gestion financière », figurant dans les traités eux-mêmes, en particulier à l’article 310, paragraphe 5, et à l’article 317, premier alinéa, TFUE, et définie à l’article 2, point 59, du règlement financier comme étant l’exécution du budget conformément aux principes d’économie, d’efficience et d’efficacité. L’expression « responsabilité financière » reflète, quant à elle, notamment les obligations de contrôle, de suivi et de l’audit financiers mentionnées audit article 4, paragraphe 2, sous b), tandis que l’expression « systèmes efficaces et transparents » implique la mise en place d’un ensemble ordonné de règles qui assurent de manière efficace et transparente lesdites gestion et responsabilité financières.

334    Troisièmement, l’argumentation fondée sur le caractère non exhaustif de l’énumération des situations ou des comportements figurant à l’article 4, paragraphe 2, du règlement attaqué a été écartée aux points 171 à 177 du présent arrêt et, en ce qui concerne les cas qui peuvent être indicatifs de violations, cités à l’article 3 de ce règlement, il a été relevé au point 171 du présent arrêt qu’une définition particulière de la notion de « violation » ne s’impose nullement pour les besoins d’un mécanisme de conditionnalité horizontale tel que celui institué par ledit règlement.

335    Quatrièmement, s’agissant de la marge d’appréciation accordée par ces dispositions à la Commission et au Conseil, il résulte des considérations qui précèdent que les expressions critiquées par la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, satisfont, en tant que telles, aux exigences du principe de sécurité juridique rappelés aux points 319 à 321 du présent arrêt. En outre, aux fins de justifier l’adoption de mesures appropriées au titre du règlement attaqué, ces institutions doivent établir de manière concrète l’ensemble des conditions relevées en dernier lieu aux points 286 et 288 du présent arrêt.

336    En troisième lieu, en ce qui concerne l’argumentation selon laquelle l’article 6, paragraphes 3 et 8, du règlement attaqué ne définit pas de manière suffisamment précise les sources d’information sur lesquelles la Commission peut se fonder, dont certaines d’entre elles ne lieraient pas les États membres et auxquelles ce règlement ne saurait conférer de caractère contraignant, il convient de rappeler que, aux termes de ladite disposition, lorsque la Commission examine si les conditions énoncées à l’article 4 de ce règlement sont remplies et évalue la proportionnalité des mesures à imposer, elle prend en compte les informations pertinentes provenant de sources disponibles, y compris les décisions, les conclusions et les recommandations des institutions de l’Union, d’autres organisations internationales pertinentes et d’autres institutions reconnues.

337    À cet égard, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement attaqué, il incombe à la Commission d’établir que les conditions énoncées à l’article 4 de ce règlement sont remplies.

338    En outre, selon l’article 6, paragraphe 1, dudit règlement, la Commission est tenue d’exposer, dans une notification écrite à l’État membre concerné, les éléments factuels et les motifs précis sur lesquels reposent ses constatations selon lesquelles il existe des motifs raisonnables de considérer que ces conditions sont remplies.

339    Il en résulte que la Commission est tenue de procéder à une appréciation diligente des faits à la lumière des conditions fixées à l’article 4 du règlement attaqué. Il en va de même, conformément à l’article 6, paragraphes 7 à 9, de ce règlement, en ce qui concerne l’exigence de proportionnalité des mesures, énoncée à l’article 5, paragraphe 3, de celui-ci.

340    Les considérants 16 et 26 dudit règlement énoncent d’ailleurs que la Commission doit procéder à une évaluation qualitative approfondie, qui doit être objective, impartiale et équitable, qui doit respecter les principes d’objectivité, de non-discrimination et d’égalité des États membres devant les traités et doit être menée selon une approche non partisane et fondée sur des éléments concrets.

341    Il en découle que la Commission est tenue de s’assurer, sous le contrôle du juge de l’Union, de la pertinence des informations qu’elle utilise et de la fiabilité de ses sources. En particulier, ces dispositions ne confèrent pas de valeur probante spécifique ou absolue et n’attachent pas d’effets juridiques déterminés aux sources d’information qu’elles mentionnent, ni à celles qui sont indiquées au considérant 16 du règlement attaqué, de sorte qu’elles ne dispensent pas la Commission de son obligation de procéder à une appréciation diligente des faits qui satisfait pleinement aux exigences rappelées au point précédent.

342    À cet égard, le considérant 16 du règlement attaqué explicite le fait que les informations pertinentes provenant de sources disponibles et d’institutions reconnues comprennent, notamment, les arrêts de la Cour, les rapports de la Cour des comptes, le rapport annuel de la Commission sur l’État de droit et le tableau de bord de la justice dans l’Union, les rapports de l’OLAF, du Parquet européen et de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que les conclusions et les recommandations formulées par les organisations et les réseaux internationaux pertinents, y compris les organes du Conseil de l’Europe, tels que le GRECO et la Commission de Venise, en particulier sa liste des critères de l’État de droit, le réseau européen des présidents des cours suprêmes judiciaires et le réseau européen des conseils de la justice.

343    La Commission demeure ainsi responsable des informations qu’elle utilise et de la fiabilité de ses sources. Par ailleurs, l’État membre concerné dispose de la faculté, au cours de la procédure prévue à l’article 6, paragraphes 1 à 9, du règlement attaqué, de présenter des observations sur les informations que la Commission entend utiliser en vue de proposer l’adoption de mesures appropriées. Partant, il lui est possible de contester la valeur probante de chacun des éléments retenus, le bien-fondé des appréciations de la Commission pouvant, en tout état de cause, être soumis au contrôle du juge de l’Union dans le cadre d’un recours introduit contre une décision du Conseil prise au titre de ce règlement.

344    En particulier, la Commission doit communiquer, de manière précise, à l’État membre concerné, dès l’engagement de la procédure au titre de l’article 6, paragraphe 1, du règlement attaqué et, périodiquement, tout au long de cette procédure, les informations pertinentes provenant de sources disponibles sur lesquelles elle entend fonder la proposition de décision d’exécution arrêtant des mesures appropriées qu’elle présentera au Conseil. Du reste, contrairement à ce qu’allègue la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, aucun caractère contraignant n’est conféré aux recommandations qui peuvent être prises en compte par la Commission, conformément à l’article 6, paragraphes 3 et 8, de ce règlement.

345    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le neuvième moyen doit être écarté comme étant non fondé.

G.      Sur le dixième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité

1.      Argumentation des parties

346    La République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir que le législateur de l’Union a, par le mécanisme de conditionnalité institué par le règlement attaqué, violé le principe de proportionnalité, dès lors qu’il existerait d’autres dispositions du droit de l’Union destinées à protéger le budget de l’Union. Elle relève que, selon l’article 6, paragraphe 1, de ce règlement, la Commission applique ce mécanisme à moins qu’elle ne considère que d’autres procédures prévues par la législation de l’Union lui permettent de protéger le budget de l’Union d’une manière plus efficace. Elle ajoute que le considérant 17 dudit règlement précise que la législation financière de l’Union prévoit déjà divers moyens de protéger le budget de l’Union. Or, le législateur de l’Union n’aurait pas exposé les raisons pour lesquelles ces moyens seraient inefficaces ni la manière dont le même règlement comblerait de prétendues insuffisances.

347    En particulier, la raison pour laquelle la protection du budget de l’Union a été subordonnée à la constatation de violations des principes de l’État de droit et n’a pas été directement liée au respect du principe de la bonne gestion financière, celle-ci étant déjà définie à l’article 2, point 59, du règlement financier, précisé au chapitre 7 de ce règlement et érigé, à l’article 56, paragraphe 2, de celui-ci, en obligation pour les États membres, n’apparaîtrait pas clairement. Le législateur de l’Union aurait ainsi pu préciser dans le règlement financier les obligations des États membres concernant le respect du principe de la bonne gestion financière des fonds de l’Union.

348    La raison sous–tendant l’approche retenue par le règlement attaqué apparaîtrait donc être la volonté du Parlement, du Conseil et de la Commission de contourner les restrictions figurant dans les traités concernant leur compétence pour examiner le respect des principes de l’État de droit par les États membres. Par l’adoption de ce règlement, le législateur de l’Union aurait conféré au Conseil et à la Commission un droit illimité pour apprécier, sous l’angle politique, le respect des principes de l’État de droit et pour rattacher toute violation constatée de ces principes, de manière générale, au principe de la bonne gestion financière des fonds de l’Union.

349    En omettant de démontrer la valeur ajoutée du mécanisme institué par le règlement attaqué et de son lien avec les autres dispositions destinées à protéger le budget de l’Union, le législateur de l’Union aurait donc violé le principe de proportionnalité.

350    Par ailleurs, la constatation des violations des principes de l’État de droit sur la base d’éléments politiques et en l’absence de dispositions spécifiques empêcherait le respect de l’exigence de proportionnalité des mesures prises en vertu du règlement attaqué, prévue à l’article 5, paragraphe 3, de celui-ci. Il en irait de même de l’examen de la nature, de la durée, de la gravité et de la portée de ces violations. Le principe de proportionnalité serait ainsi impossible à respecter, ce qui serait d’autant plus grave que les violations des principes de l’État de droit à appréhender selon l’article 3 et l’article 4, paragraphe 2, de ce règlement seraient systématiques dans leur nature. Il serait, en effet, difficile d’admettre en pratique que le « bon fonctionnement des autorités » n’est pertinent que pour les dépenses au titre d’un fonds ou d’un programme spécifique. Or, le caractère systématique des violations constatées et l’absence de tout critère guidant le choix et la portée des mesures à adopter permettraient à la Commission et au Conseil de justifier aisément l’adoption de mesures étendues aux conséquences financières lourdes.

351    Le Parlement et le Conseil, soutenus par le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand–Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission, contestent cette argumentation.

2.      Appréciation de la Cour

352    Par le dixième moyen, la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir que le règlement attaqué viole le principe de proportionnalité aux motifs, tout d’abord, que le législateur de l’Union n’aurait pas démontré, eu égard aux moyens de protection du budget de l’Union préexistant, la nécessité de son adoption, ensuite, que cette adoption ferait apparaître la volonté de ce législateur de contourner les limites posées par les traités à la compétence des institutions de l’Union pour examiner le respect des principes de l’État de droit par les États membres et, enfin, de l’imprécision des critères figurant, notamment, à l’article 3, à l’article 4, paragraphe 2, et à l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement.

353    À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêt du 6 septembre 2017, Slovaquie et Hongrie/Conseil, C‑643/15 et C‑647/15, EU:C:2017:631, point 206 ainsi que jurisprudence citée).

354    En premier lieu, s’agissant de l’opportunité d’adopter le règlement attaqué, la Cour a reconnu au législateur de l’Union un large pouvoir d’appréciation qui s’applique non pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre dans les domaines où son action implique des choix de nature tant politique qu’économique ou sociale, et où il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes, mais aussi, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base, de sorte qu’il ne s’agit pas de savoir si une mesure arrêtée dans un tel domaine était la seule ou la meilleure possible, seul le caractère manifestement inapproprié de celle-ci par rapport à l’objectif que les institutions compétentes entendent poursuivre pouvant affecter la légalité de cette mesure (arrêts du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, points 77 et 78, ainsi que du 8 décembre 2020, Pologne/Parlement et Conseil, C‑626/18, EU:C:2020:1000, points 95 et 97).

355    En l’occurrence, ainsi que l’a relevé la République de Pologne elle-même dans son argumentation relative aux quatrième et onzième moyens, l’exposé des motifs accompagnant la proposition qui a abouti au règlement attaqué relevait que « plusieurs événements récents ont mis au jour des faiblesses généralisées dans l’équilibre des pouvoirs de certains États membres et ont montré en quoi le mépris de l’[É]tat de droit peut devenir un sujet commun de vive préoccupation au sein de l’Union », notamment pour des « institutions telles que le Parlement ».

356    En outre, il résulte notamment des considérants 7, 8 et 17 du règlement attaqué que le législateur de l’Union a estimé qu’il pouvait exister des situations résultant de violations des principes de l’État de droit mentionnés à l’article 2, sous a), de ce règlement, que la législation existante visant à protéger la bonne gestion financière du budget de l’Union ou de ses intérêts financiers ne pouvait pas appréhender de manière adéquate.

357    Or, la République de Pologne n’a invoqué aucun élément susceptible de démontrer que le législateur de l’Union aurait outrepassé le large pouvoir d’appréciation dont il dispose à cet égard, lorsqu’il a ainsi estimé nécessaire de pallier, au moyen du règlement attaqué, des atteintes ou des risques sérieux d’atteintes à cette bonne gestion ou à la protection de ces intérêts financiers pouvant résulter de violations des principes de l’État de droit.

358    En deuxième lieu, s’agissant du prétendu contournement des compétences des institutions de l’Union pour examiner le respect des principes de l’État de droit par les États membres, il convient de constater que le législateur de l’Union n’a nullement conféré au Conseil et à la Commission un droit illimité pour apprécier, au regard de considérations politiques, le respect des principes de l’État de droit ou pour rattacher toute violation constatée de ces principes, de manière générale, au principe de la bonne gestion financière des fonds de l’Union. En effet, il a soumis l’engagement de la procédure à l’ensemble des critères exposés au point 288 du présent arrêt, lesquels assurent, comme il a été relevé aux points 112 à 189 et 200 à 203 du présent arrêt, que les appréciations de ces institutions relèvent du champ d’application du droit de l’Union et sont de nature juridique et non politique.

359    En troisième lieu, en ce qui concerne le prétendu défaut de précision des critères déterminant le choix et la portée des mesures à adopter, prévus notamment à l’article 5, paragraphe 3, du règlement attaqué, il a été relevé aux points 301 à 303 du présent arrêt que ces critères sont suffisamment précis et que, en particulier, il résulte des première à troisième phrases de ce paragraphe que les mesures prises doivent être strictement proportionnées à l’incidence des violations constatées des principes de l’État de droit sur le budget de l’Union ou sur ses intérêts financiers.

360    En effet, cette disposition précise, à sa première phrase, que les mesures prises sont « proportionnées », à sa deuxième phrase, qu’elles sont « déterminées en fonction de l’incidence réelle ou potentielle » des violations des principes de l’État de droit sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur les intérêts financiers de celle-ci et, à sa troisième phrase, que la nature, la durée, la gravité et la portée des violations des principes de l’État de droit sont « dûment prises en compte ».

361    Ainsi que l’a relevé l’avocat général Campos Sánchez-Bordona, aux points 177 et 178 de ses conclusions dans l’affaire Hongrie/Parlement et Conseil (C‑156/21, EU:C:2021:974), il découle de l’ordre de ces phrases ainsi que des termes employés que la proportionnalité des mesures à adopter est assurée, de manière déterminante, par le critère de « l’incidence » des violations des principes de l’État de droit sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur les intérêts financiers de celle-ci. Quant aux critères de la nature, de la durée, de la gravité et de la portée de ces violations, ils ne peuvent être « dûment pris en compte » qu’aux fins de déterminer l’ampleur de cette incidence, celle-ci pouvant varier en fonction des caractéristiques des violations constatées telles que mises en lumière par l’application de ces critères.

362    En dernier lieu, dans la mesure où la République de Pologne, soutenue par la Hongrie, fait valoir que des violations constatées des principes de l’État de droit sont susceptibles d’être systématiques dans leur nature, de sorte qu’elles affectent également des domaines autres que ceux pertinents pour la bonne gestion financière du budget de l’Union ou pour la protection de ses intérêts financiers, il a été relevé aux points 267 à 270 du présent arrêt que, lorsqu’une telle violation est également de nature à porter atteinte ou à présenter un risque sérieux de porter atteinte à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers, il ne saurait être reproché à l’Union de mettre en œuvre les moyens nécessaires à la protection de cette bonne gestion et de ces intérêts financiers.

363    Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient d’écarter le dixième moyen et, partant, de rejeter le recours dans son ensemble.

VI.    Sur les dépens

364    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

365    Le Parlement et le Conseil ayant conclu à la condamnation de la République de Pologne aux dépens et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il convient de la condamner au paiement de ceux-ci.

366    Conformément à l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement, le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand–Duché de Luxembourg, la Hongrie, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission supporteront leurs propres dépens en tant que parties intervenantes au litige.

Par ces motifs, la Cour (assemblée plénière) déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La République de Pologne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Parlement européen et par le Conseil de l’Union européenne.

3)      Le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand–Duché de Luxembourg, la Hongrie, le Royaume des Pays-Bas, la République de Finlande, le Royaume de Suède et la Commission européenne supportent leurs propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.