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Corte europea dei diritti dell’uomo

(GRANDE CAMERA)

 

 

27 agosto 2015

 

AFFAIRE PARRILLO c. ITALIE

 

(Requête no 46470/11)

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

STRASBOURG

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Parrillo c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

          Dean Spielmann, président,
          Josep Casadevall,
          Guido Raimondi,
          Mark Villiger,
          Isabelle Berro,
          Ineta Ziemele,
          George Nicolaou,
          András Sajó,
          Ann Power-Forde,
          Nebojša Vučinić,
          Ganna Yudkivska,
          Vincent A. De Gaetano,
          Julia Laffranque,
          Paulo Pinto de Albuquerque,
          Helen Keller,
          Faris Vehabović,
          Dmitry Dedov, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 juin 2014 et 22 avril 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 46470/11) dirigée contre la République italienne et dont une ressortissante de cet État, Mme Adelina Parrillo (« la requérante »), a saisi la Cour le 26 juillet 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La requérante a été représentée par Mes Nicolò Paoletti, Claudia Sartori et Natalia Paoletti, avocats à Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par ses co-agents, Mme Paola Accardo et M. Gianluca Mauro Pellegrini.

3.  La requérante alléguait en particulier que l’interdiction, édictée par l’article 13 de la loi no 40 du 19 février 2004, de donner à la recherche scientifique des embryons conçus par procréation médicalement assistée était incompatible avec son droit au respect de sa vie privée et son droit au respect de ses biens, protégés respectivement par l’article 8 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Elle se plaignait également d’une violation de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention, dont la recherche scientifique constitue à ses yeux un aspect fondamental.

4.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour).

5.  Le 28 mai 2013, les griefs tirés de l’article 8 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus.

6.  Le 28 janvier 2014, une chambre de la deuxième section composée de Işıl Karakaş, présidente, Guido Raimondi, Peer Lorenzen, Dragoljub Popović, András Sajó, Nebojša Vučinić et Paulo Pinto de Albuquerque, juges, ainsi que de Stanley Naismith, greffier de section, s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (article 30 de la Convention et article 72 du règlement).

7.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément à l’article 26 §§ 4 et 5 de la Convention et à l’article 24 du règlement.

8.  Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé un mémoire sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.

9.  Le Centre européen pour la justice et les droits de l’homme (l’« ECLJ »), les associations « Movimento per la vita », « Scienza e vita », « Forum delle associazioni familiari », « Luca Coscioni », « Amica Cicogna Onlus », « L’altra cicogna Onlus », « Cerco bimbo », « VOX – Osservatorio italiano sui Diritti », « SIFES – Society of Fertility, Sterility and Reproductive Medicine » et « Cittadinanzattiva » ainsi que quarante-six membres du Parlement italien se sont vu accorder l’autorisation d’intervenir dans la procédure écrite (article 36 § 2 de la Convention et article 44 § 3 du règlement).

10.  Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 18 juin 2014 (article 59 § 3 du règlement).

 

Ont comparu :

 

–  pour le Gouvernement

Mme   P. Accardo                                                                          co-agente,
M.     G. Mauro Pellegrini                                                         co-agent,

Mme   A. Morresi, membre du Comité national
                                pour la bioéthique et professeur de chimie
                                physique au Département de chimie,
                                biologie et biotechnologie de l’université
                                de Pérouse                                                        conseillère,
Mme   D. Fehily,    inspectrice et conseillère technique
                                auprès du Centre national de transplantation
                                de Rome                                                          conseillère ;

–  pour la requérante

M.      N. Paoletti ;

Mme   C. Sartori ;

Mme   N. Paoletti, avocats,                                                            conseils,
M.     M. De Luca, professeur de biochimie et
                                directeur du Centre pour la médecine
                                régénérative « Stefano Ferrari » de
                                l’université de Modène et Reggio Emilia,       conseiller.

 

La Cour a entendu en leurs déclarations Mme P. Accardo, Mme A. Morresi, M. N. Paoletti, M. M. De Luca et Mme C. Sartori, ainsi que Mme P. Accardo, M. G. Mauro Pellegrini, M. M. De Luca, Mme N. Paoletti et M. N. Paoletti en leurs réponses aux questions posées par les juges.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

11.  La requérante est née en 1954 et réside à Rome.

12.  En 2002, elle eut recours aux techniques de la procréation médicalement assistée, effectuant une fécondation in vitro avec son compagnon au Centre de médecine reproductive du European Hospital (« le centre ») de Rome. Les cinq embryons issus de cette fécondation furent cryoconservés.

13.  Avant qu’une implantation ne soit effectuée, le compagnon de la requérante décéda le 12 novembre 2003 lors d’un attentat à Nasiriya (Iraq), alors qu’il réalisait un reportage de guerre.

14.  Ayant renoncé à démarrer une grossesse, la requérante décida de donner ses embryons à la recherche scientifique pour contribuer au progrès du traitement des maladies difficilement curables.

15.  D’après les informations fournies lors de l’audience devant la Grande Chambre, la requérante formula oralement plusieurs demandes de mise à disposition de ses embryons auprès du centre dans lequel ceux-ci étaient conservés, en vain.

16.  Par une lettre du 14 décembre 2011, la requérante demanda au directeur du centre de mettre à sa disposition les cinq embryons cryoconservés afin que ceux-ci servent à la recherche sur les cellules souches. Le directeur rejeta cette demande, indiquant que ce genre de recherches était interdit et sanctionné pénalement en Italie, en application de l’article 13 de la loi no 40 du 19 février 2004 (« la loi no 40/2004 »).

17.  Les embryons en question sont actuellement conservés dans la banque cryogénique du centre où la fécondation in vitro a été effectuée.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  La loi no 40 du 19 février 2004, entrée en vigueur le 10 mars 2004 (« Normes en matière de fécondation médicalement assistée »)

Article 1 – Finalité

« 1.  Afin de remédier aux problèmes reproductifs découlant de la stérilité ou de l’infertilité humaines, il est permis de recourir à la procréation médicalement assistée dans les conditions et selon les modalités prévues par la présente loi, qui garantit les droits de toutes les personnes concernées, y compris ceux du sujet ainsi conçu. »

Article 5 – Conditions d’accès

« (...) [seuls] des couples [composés de personnes] majeur[e]s, de sexe différent, marié[e]s ou menant une vie commune, en âge de procréer et vivantes peuvent recourir aux techniques de la procréation médicalement assistée. »

Article 13 – Expérimentation sur l’embryon humain

« 1.  Toute expérimentation sur l’embryon humain est interdite.

2.  La recherche clinique et expérimentale sur l’embryon humain ne peut être autorisée que si elle poursuit exclusivement des finalités thérapeutiques et diagnostiques tendant à la protection de la santé ainsi qu’au développement de l’embryon et s’il n’existe pas d’autres méthodes.

(...)

4.  La violation de l’interdiction prévue à l’alinéa 1er est punie d’une peine de deux à six ans d’emprisonnement et d’une amende de 50 000 à 150 000 euros. (...)

5.  Tout professionnel de la santé condamné pour une infraction prévue au présent article fera l’objet d’une suspension d’exercice professionnel pour une durée de un à trois ans. »

Article 14 – Limites à l’application des techniques sur l’embryon

« 1.  La cryoconservation et la suppression d’embryons sont interdites, sans préjudice des dispositions de la loi no 194 du 22 mai 1978 [normes sur la protection sociale de la maternité et sur l’interruption volontaire de grossesse].

2.  Les techniques de production d’embryons ne peuvent conduire à la création d’un nombre d’embryons supérieur à celui strictement nécessaire à la réalisation d’une implantation unique et simultanée, ce nombre ne pouvant en aucun cas être supérieur à trois.

3.  Lorsque le transfert des embryons dans l’utérus est impossible pour des causes de force majeure grave et prouvée concernant l’état de santé de la femme qui n’étaient pas prévisibles au moment de la fécondation, la cryoconservation des embryons est autorisée jusqu’à la date du transfert, qui sera effectué aussitôt que possible. »

18.  Par un arrêt no 151 du 1er avril 2009 (voir les paragraphes 29-31 ci-dessous), la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnelle la disposition du deuxième alinéa de l’article 14 de la loi no 40/2004 selon laquelle les techniques de production d’embryons ne peuvent conduire à la création d’un nombre d’embryons supérieur à celui strictement nécessaire « à la réalisation d’une implantation unique et simultanée, ce nombre ne pouvant en aucun cas être supérieur à trois ». Elle jugea inconstitutionnel l’alinéa 3 du même article au motif qu’il ne prévoyait pas que le transfert des embryons devait être effectué sans porter préjudice à la santé de la femme.

B.  L’avis du Comité national pour la bioéthique concernant l’adoption pour la naissance (« ADP ») (18 novembre 2005)

19.  À la suite de l’adoption de la loi no 40/2004, le Comité national pour la bioéthique s’est penché sur la question du sort des embryons cryoconservés en état d’abandon, la loi ne prévoyant aucune disposition spécifique à ce sujet, se limitant à interdire implicitement l’utilisation des embryons surnuméraires à des fins de recherche scientifique.

20.  À cet égard, le Comité a émis un avis favorable à l’« adoption pour la naissance », pratique consistant pour un couple ou une femme à adopter des embryons surnuméraires à des fins d’implantation et permettant d’utiliser les embryons en question dans une perspective de vie et de réalisation d’un projet familial.

C.  Le décret du ministère de la Santé du 11 avril 2008 (« Notes explicatives en matière de procréation médicalement assistée »)

« (...) Cryoconservation des embryons : Deux catégories d’embryons sont susceptibles de faire l’objet d’une cryoconservation : la première est celle des embryons qui sont en attente d’une implantation, y compris ceux ayant fait l’objet d’une cryoconservation avant l’entrée en vigueur de la loi no 40 de 2004 ; la deuxième est celle des embryons dont l’état d’abandon a été certifié (...). »

D.  Le rapport final de la « Commission d’étude sur les embryons » du 8 janvier 2010

21.  Par un décret du 25 juin 2009, le ministère de la Santé institua une Commission d’étude sur les embryons cryoconservés dans les centres de procréation médicalement assistée. Le rapport final de cette commission, adopté à la majorité le 8 janvier 2010, expose ce qui suit :

« L’interdiction légale de supprimer les embryons doit être comprise comme signifiant que la cryoconservation ne peut être interrompue que dans deux cas : lorsqu’on peut implanter l’embryon décongelé dans l’utérus de la mère ou d’une femme disposée à l’accueillir, ou lorsqu’il est possible d’en certifier scientifiquement la mort naturelle ou la perte définitive de viabilité en tant qu’organisme. En l’état actuel des connaissances [scientifiques], on ne peut s’assurer de la viabilité d’un embryon qu’en le décongelant, situation paradoxale puisqu’un embryon décongelé ne peut être recongelé et qu’il mourra inévitablement s’il n’est pas immédiatement implanté in utero. D’où la perspective tutioriste d’une possible conservation sans limite de temps des embryons congelés. Quoiqu’il en soit, il y a lieu de noter que le progrès de la recherche scientifique permettra de connaître les critères et les méthodologies pour diagnostiquer la mort ou à tout le moins la perte de viabilité d’embryons cryoconservés : il sera ainsi possible de surmonter le paradoxe actuel, inévitable du point de vue légal, d’une cryoconservation qui pourrait ne jamais avoir de fin. Dans l’attente de ces résultats, [il convient de réaffirmer] que l’on ne peut ignorer que l’article 14 de la loi no 40 de 2004 interdit expressément la suppression d’embryons, y compris ceux qui sont cryoconservés. À cela s’ajoute que, pour ce qui est du sort des embryons surnuméraires, le législateur de la loi no 40 a choisi leur conservation et non pas leur destruction, faisait ainsi prévaloir l’objectif de leur maintien en vie, même lorsque leur sort est incertain. »

E.  La Constitution de la République italienne

22.  Les articles pertinents de la Constitution se lisent ainsi :

Article 9

« La République promeut le développement de la culture et de la recherche scientifique et technique. (...) »

Article 32

« La République protège la santé en tant que droit fondamental de l’individu et intérêt de la collectivité. (...) »

Article 117

« Le pouvoir législatif est exercé par l’État et les Régions dans le respect de la Constitution, aussi bien que des contraintes découlant de l’ordre juridique communautaire et des obligations internationales. (...) »

F.  Les arrêts de la Cour constitutionnelle nos 348 et 349 du 24  octobre 2007

23.  Ces arrêts répondent à des questions que la Cour de cassation et une cour territoriale avaient soulevées quant à la compatibilité du décret-loi no 333 du 11 juillet 1992 relatif aux critères de calcul des indemnités d’expropriation avec la Constitution et avec l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Ils tiennent compte de l’arrêt Scordino c. Italie (no 1) ([GC], no 36813/97, CEDH 2006‑V) rendu par la Grande Chambre de la Cour.

24.  Dans ces arrêts, après avoir rappelé l’obligation pour le législateur de respecter les obligations internationales (article 117 de la Constitution), la Cour constitutionnelle a défini la place accordée à la Convention des droits de l’homme dans les sources du droit interne, considérant que celle-ci était une norme de rang intermédiaire entre la loi ordinaire et la Constitution. En outre, elle a précisé qu’il appartenait au juge du fond d’interpréter la norme interne de manière conforme à la Convention des droits de l’homme et à la jurisprudence de la Cour (voir l’arrêt no 349, paragraphe 26, point 6.2, ci-dessous) et que, lorsqu’une telle interprétation se révélait impossible ou que celui-ci avait des doutes quant à la compatibilité de la norme interne avec la Convention, il était tenu de soulever une question de constitutionnalité devant elle.

25.  Les passages pertinents de l’arrêt no 348 du 24 octobre 2007 se lisent comme suit :

« 4.2.  (...) Il est nécessaire de définir le rang et le rôle des normes de la Convention européenne des droits de l’homme afin de déterminer, à la lumière de [l’article 117 de la Constitution], quelle est leur incidence sur l’ordre juridique italien. (...)

4.3.  [En effet], si d’un côté [ces normes] complètent la protection des droits fondamentaux et contribuent ainsi à la mise en œuvre des valeurs et des principes fondamentaux protégés aussi par la Constitution italienne, d’un autre côté, elles restent formellement de simples sources de rang primaire. (...)

Aujourd’hui, la Cour constitutionnelle est donc appelée à clarifier la question normative et institutionnelle [posée ci-dessus], qui a d’importantes conséquences pratiques pour le travail quotidien des opérateurs du droit. (...)

Le juge ordinaire ne saurait décider d’écarter une disposition de la loi ordinaire jugée par lui incompatible avec une norme de la Convention européenne des droits de l’homme, car cette incompatibilité présumée soulève une question de constitutionnalité portant sur la violation éventuelle du premier alinéa de l’article 117 de la Constitution et relevant [à ce titre] de la compétence exclusive du juge des lois. (...)

4.5.  (...) Le principe énoncé au premier alinéa de l’article 117 de la Constitution ne peut devenir concrètement opérationnel que si « les obligations internationales » contraignantes pour les pouvoirs législatifs de l’État et des Régions sont dûment définies. (...)

4.6.  [Or] par rapport aux autres traités internationaux, la Convention européenne des droits de l’homme présente la particularité d’avoir institué un organe juridictionnel, la Cour européenne des droits de l’homme, ayant compétence pour interpréter les normes de la Convention. En effet, l’article 32 § 1 [de la Convention] prévoit que « la compétence de la Cour s’étend à toutes les questions concernant l’interprétation et l’application de la Convention et de ses Protocoles qui lui seront soumises dans les conditions prévues par les articles 33, 34, 46 et 47. ».

Dès lors que les normes juridiques acquièrent leur sens (vivono) au travers de l’interprétation qui leur est donnée par les opérateurs du droit, au premier chef les juges, il découle naturellement de l’article 32 § 1 de la Convention que, en signant la Convention européenne des droits de l’homme et en la ratifiant, l’Italie s’est notamment engagée, au titre de ses obligations internationales, à adapter sa législation aux normes de la Convention selon la signification que leur attribue la Cour [européenne des droits de l’homme], laquelle a été instituée dans le but de les interpréter et de les appliquer. On ne saurait donc parler d’une compétence juridictionnelle qui s’ajouterait à celle des organes judiciaires de l’État, mais plutôt d’une fonction interprétative éminente que les États contractants ont reconnue à la Cour européenne, contribuant ainsi à préciser leurs obligations internationales en la matière.

4.7.  Il ne faut pas en déduire que les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, telles qu’interprétées par la Cour de Strasbourg, ont valeur de normes constitutionnelles et qu’elles échappent à ce titre au contrôle de constitutionnalité exercé par la Cour constitutionnelle. Il est d’autant plus nécessaire que les normes en question soient conformes à la Constitution qu’elles complètent des principes constitutionnels tout en restant des normes de rang infra-constitutionnel. (...)

Dès lors que, comme indiqué ci-dessus, les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme acquièrent leur sens au travers de l’interprétation qui leur est donnée par la Cour européenne, le contrôle de constitutionnalité doit porter sur les normes produites par cette interprétation, non sur ces dispositions considérées en elles-mêmes. Par ailleurs, les décisions de la Cour de Strasbourg ne sont pas inconditionnellement contraignantes aux fins du contrôle de constitutionnalité des lois nationales. Ledit contrôle doit toujours chercher à mettre en balance la contrainte découlant des obligations internationales imposée par le premier alinéa de l’article 117 de la Constitution d’une part, et la protection des intérêts bénéficiant d’une garantie constitutionnelle reconnue par d’autres articles de la Constitution d’autre part. (...)

5.  Il ressort des principes méthodologiques exposés ci-dessus que, pour procéder au contrôle de constitutionnalité demandé par la cour de renvoi, il convient de rechercher a) s’il y a une contradiction qui ne peut être surmontée par voie d’interprétation entre la disposition nationale en cause et les normes de la Convention européenne des droits de l’homme, telles qu’interprétées par la Cour européenne et considérées comme des sources complémentaires du principe constitutionnel énoncé au premier alinéa de l’article 117 de la Constitution, et b) si les normes de la Convention européenne des droits de l’homme supposées intégrer ce principe et comprises selon l’interprétation que leur attribue la Cour [européenne] sont compatibles avec l’ordre constitutionnel italien. (...) »

26.  Les parties pertinentes de l’arrêt no 349 du 24 octobre 2007 sont reproduites ci-après :

« 6.2  (...) [Le principe énoncé] au premier alinéa de l’article 117 de la Constitution [n’implique pas] que les normes issues d’accords internationaux doivent être considérées comme ayant valeur constitutionnelle car celles-ci font l’objet d’une loi ordinaire d’incorporation, comme c’est le cas pour les normes de la Convention européenne des droits de l’homme. Le principe constitutionnel sous examen obligeant le législateur ordinaire à respecter ces normes, une disposition nationale qui serait incompatible avec une norme de la Convention européenne des droits de l’homme – et donc avec les « obligations internationales » mentionnées au premier alinéa de l’article 117 de la Constitution – porterait en soi atteinte au principe constitutionnel en question. En définitive, le premier alinéa de l’article 117 de la Constitution opère un renvoi à la norme conventionnelle qui se trouve en cause dans tel ou tel cas, laquelle confère un sens (dà vita) et un contenu aux obligations internationales évoquées de manière générale ainsi qu’au principe [constitutionnel sous-jacent], au point d’être généralement qualifiée de « norme interposée », et qui fait à son tour l’objet d’un contrôle de compatibilité avec les normes de la Constitution, comme nous le préciserons ci-dessous.

Il s’ensuit qu’il appartient au juge ordinaire d’interpréter la norme interne conformément à la disposition internationale (...). Lorsque pareille interprétation est impossible ou que des doutes existent quant à la compatibilité de la norme interne avec la disposition conventionnelle « interposée », le juge est tenu de soulever devant la Cour constitutionnelle une question de constitutionnalité au regard du premier alinéa de l’article 117 de la Constitution (...).

Concernant la Convention européenne des droits de l’homme, il y a lieu de tenir compte du fait qu’elle présente une particularité par rapport aux autres accords internationaux en ce qu’elle dépasse le cadre d’une simple liste de droits et obligations réciproques des États contractants. Ces derniers ont institué un système de protection uniforme des droits fondamentaux. L’application et l’interprétation de ce système de normes incombent évidemment au premier chef aux juges des États membres, qui sont les juges de droit commun de la Convention. Cela étant, l’application uniforme des normes en question est garantie en dernier ressort par l’interprétation centralisée de la Convention européenne, tâche attribuée à la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg, qui a le dernier mot et dont la compétence « s’étend à toutes les questions concernant l’interprétation et l’application de la Convention et de ses Protocoles qui lui seront soumises dans les conditions prévues par [celle-ci] » (article 32 § 1 de la Convention). (...)

La Cour constitutionnelle et la Cour de Strasbourg ont en définitive des rôles différents, bien qu’elles visent l’une et l’autre à protéger au mieux les droits fondamentaux. L’interprétation de la Convention de Rome et de ses Protocoles relève de la compétence de la Cour de Strasbourg, ce qui garantit l’application d’un niveau uniforme de protection dans l’ensemble des États membres.

En revanche, lorsque la Cour constitutionnelle est saisie de la question de la constitutionnalité d’une norme nationale au regard du premier alinéa de l’article 117 de la Constitution, [et que cette question] porte sur une incompatibilité avec une ou plusieurs normes de la Convention européenne des droits de l’homme qui ne peut être résolue par voie d’interprétation, il lui appartient de rechercher si l’incompatibilité en question est avérée et, [dans l’affirmative], de vérifier si les normes mêmes de la Convention européenne des droits de l’homme, telles qu’interprétées par la Cour de Strasbourg, garantissent une protection des droits fondamentaux à tout le moins équivalente à celle offerte par la Constitution italienne.

Il ne s’agit pas en fait de juger de l’interprétation que la Cour de Strasbourg donne à telle ou telle norme de la Convention européenne des droits de l’homme (...) mais de vérifier si cette norme, telle qu’interprétée par la juridiction à laquelle les États membres ont expressément attribué cette compétence, est compatible avec les normes pertinentes de la Constitution. Ainsi le devoir de garantir le respect des obligations internationales imposé par la Constitution est-il correctement mis en balance avec la nécessité d’éviter que ce devoir ne porte atteinte à la Constitution elle-même. »

G.  La jurisprudence de la Cour constitutionnelle

1.  L’ordonnance de la Cour constitutionnelle no 396 du 24 octobre 2006

27.  Par cette ordonnance, la Cour constitutionnelle déclara irrecevable une question de constitutionnalité soulevée par le tribunal de Cagliari relativement à l’article 13 de loi no 40/2004, qui interdit le recours au diagnostic préimplantatoire.

28.  Pour se prononcer ainsi, la Cour constitutionnelle releva que le juge de renvoi s’était limité à soulever la question de la constitutionnalité du seul article 13 de la loi no 40/2004 alors que, selon le contenu du renvoi, l’interdiction du diagnostic préimplantatoire découlait aussi d’autres dispositions de la même loi, notamment de l’alinéa 3 de son article 14.

2.  L’arrêt de la Cour constitutionnelle no 151 du 1er avril 2009

29.  Cet arrêt porte sur la constitutionnalité des dispositions des alinéas 2 et 3 de l’article 14 de la loi no 40/2004 qui prévoient, d’une part, la création d’un nombre limité d’embryons (non supérieur à trois) et l’obligation de les implanter simultanément et, d’autre part, l’interdiction de cryoconserver les embryons surnuméraires.

30.  La Cour constitutionnelle jugea que les alinéas en question étaient inconstitutionnels parce qu’ils portaient préjudice à la santé des femmes en les obligeant, d’une part, à subir plusieurs cycles de stimulation ovarienne et, de l’autre part, à s’exposer aux risques liés aux grossesses multiples du fait de l’interdiction de l’interruption sélective de grossesse.

31.  Dans le texte de l’arrêt, aucune référence n’est faite à la Convention européenne des droits de l’homme, laquelle n’avait pas non plus été citée par les juridictions (tribunal administratif régional du Latium et tribunal de Florence) qui avaient soulevé la question.

3.  L’ordonnance de la Cour constitutionnelle no 97 du 8 mars 2010

32.  Par cette ordonnance, la Cour constitutionnelle déclara irrecevables les questions de constitutionnalité que le tribunal de Milan avait soulevées devant elle, celles-ci ayant déjà été traitées dans son arrêt no 151/2009.

4.  L’ordonnance de la Cour constitutionnelle no 150 du 22 mai 2012

33.  Par cette ordonnance, qui se référait à l’arrêt S.H. et autres c. Autriche ([GC], no 57813/00, CEDH 2011), la Cour constitutionnelle renvoya devant le juge du fond l’affaire qui avait été portée devant elle et qui concernait l’interdiction du recours à la fécondation hétérologue édictée par la loi no 40/2004.

5.  L’arrêt de la Cour constitutionnelle no 162 du 10 juin 2014

34.  Cet arrêt porte sur la constitutionnalité de l’interdiction absolue d’accéder à la fécondation hétérologue en cas de stérilité ou d’infertilité médicalement prouvée, telle que prévue par la loi no 40/2004.

35.  Trois juridictions de droit commun avaient saisi la Cour constitutionnelle de la question de savoir si la loi litigieuse était compatible avec les articles 2 (droits inviolables), 3 (principe d’égalité), 29 (droit de la famille), 31 (obligations de l’État pour la protection du droit de la famille) et 32 (droit à la santé) de la Constitution. L’une d’entre elles, le tribunal de Milan, avait aussi demandé à la Cour de se prononcer sur la compatibilité de la loi en question avec les articles 8 et 14 de la Convention.

36.  La Cour constitutionnelle jugea inconstitutionnelles les dispositions législatives pertinentes.

37.  Elle considéra notamment que le choix des demandeurs à l’instance de devenir parents et de fonder une famille avec des enfants relevait de leur liberté d’autodétermination concernant la sphère de leur vie privée et familiale et protégée en tant que telle par les articles 2, 3 et 31 de la Constitution. Elle précisa également que ceux qui étaient atteints d’infertilité ou de stérilité totale étaient titulaires d’un droit à la protection de leur santé (article 32 de la Constitution).

38.  Elle estima que si les droits en question pouvaient faire l’objet de limitations inspirées par des considérations d’ordre éthique, ces limitations ne pouvaient se traduire en une interdiction absolue, sauf s’il s’avérait impossible de protéger autrement d’autres libertés constitutionnellement garanties.

39.  Pour ce qui est de la compatibilité des dispositions législatives en cause avec les articles 8 et 14 de la Convention, la Cour constitutionnelle se borna à observer que les questions y relatives étaient couvertes par les conclusions auxquelles elle était parvenue sur la constitutionnalité des dispositions en question (voir ci-dessus).

H.  Les ordonnances des tribunaux nationaux en matière d’accès au diagnostic préimplantatoire

1.  L’ordonnance du tribunal de Cagliari du 22 septembre 2007

40.  Dans cette ordonnance, le tribunal de Cagliari rappela que les demandeurs avaient d’abord introduit une procédure en urgence, dans le cadre de laquelle une question de constitutionnalité avait été soulevée. Il ajouta que cette question avait ensuite été déclarée irrecevable par une ordonnance no 396 de la Cour constitutionnelle rendue le 24 octobre 2006 (voir les paragraphes 27-28 ci-dessus), et que cette ordonnance n’avait donc fourni aucune indication quant à l’interprétation qu’il convenait de donner au droit interne à la lumière de la Constitution.

41.  Quant à la procédure civile introduite devant lui, il releva qu’il n’existait pas, en droit interne, d’interdiction expresse d’accès au diagnostic préimplantatoire, et qu’une interprétation de la loi concluant à l’existence d’une telle interdiction aurait été contraire au droit des demandeurs d’être dûment informés du traitement médical qu’ils entendaient entreprendre.

42.  En outre, il nota que des interdictions de recourir au diagnostic préimplantatoire avait été introduites ultérieurement par une norme de rang secondaire, à savoir le décret du ministère de la Santé no 15165 du 21 juillet 2004 (notamment dans la partie où celui-ci dispose que « [les] examens de l’état de santé d’embryons créés in vitro, au sens de l’article 14, alinéa 5 [de la loi no 40 de 2004], ne peuvent viser qu’à l’observation de ceux-ci – « dovrà essere di tipo osservazionale » -). Il estima que cela était contraire au principe de légalité ainsi qu’à la « Convention d’Oviedo » du Conseil de l’Europe.

43.  Il releva enfin qu’une interprétation de la loi no 40/2004 permettant l’accès au diagnostic préimplantatoire était conforme au droit à la santé reconnu à la mère. En conséquence, il autorisa les demandeurs à accéder au diagnostic préimplantatoire.

2.  L’ordonnance du tribunal de Florence du 17 décembre 2007

44.  Dans cette ordonnance, le tribunal de Florence se référa à l’ordonnance du tribunal de Cagliari citée ci-dessus et déclara partager l’interprétation que celui-ci avait donnée du droit interne. En conséquence, il autorisa les demandeurs à accéder au diagnostic préimplantatoire.

3.  L’ordonnance du tribunal de Bologne du 29 juin 2009

45.  Par cette ordonnance, le tribunal de Bologne autorisa les demandeurs à accéder au diagnostic préimplantatoire, indiquant que cette pratique se conciliait avec la protection de la santé de la femme reconnue par l’interprétation que la Cour constitutionnelle avait donnée du droit interne dans son arrêt no 151 du 1er avril 2009 (voir les paragraphes 29-31 ci-dessus).

4.  L’ordonnance du tribunal de Salerne du 9 janvier 2010

46.  Dans cette ordonnance, rendue à l’issue d’une procédure en référé, le tribunal de Salerne rappela les nouveautés introduites par le décret du ministère de la Santé no 31639 du 11 avril 2008, à savoir le fait que les examens de l’état de santé d’embryons créés in vitro n’étaient plus limités à l’observation de ceux-ci et que l’accès à la procréation assistée était autorisé pour les couples dont l’homme était porteur de maladies virales sexuellement transmissibles.

47.  Il en déduisit que le diagnostic préimplantatoire ne pouvait être considéré que comme l’une des techniques de surveillance prénatale visant à connaître l’état de santé de l’embryon.

48.  En conséquence, il autorisa la réalisation d’un diagnostic préimplantatoire sur l’embryon in vitro des demandeurs.

5.  L’ordonnance du tribunal de Cagliari du 9 novembre 2012

49.  Dans cette ordonnance, le tribunal de Cagliari renvoya aux considérations développées dans les ordonnances citées ci-dessus. En outre, il indiqua qu’il ressortait des arrêts nos 348 et 349 rendus par la Cour constitutionnelle le 24 octobre 2007 qu’une interprétation de la loi visant à garantir l’accès au diagnostic préimplantatoire se conciliait avec la Convention européenne des droits de l’homme, compte tenu notamment de l’arrêt rendu par la Cour de Strasbourg dans l’affaire Costa et Pavan c. Italie (no 54270/10, 28 août 2012).

6.  L’ordonnance du tribunal de Rome du 15 janvier 2014

50.  Par cette ordonnance, le tribunal souleva la question de la constitutionnalité des articles 1, alinéas 1 et 2, et 4, alinéa 1 de la loi no 40/2004, dispositions interdisant aux couples non stériles et non infertiles d’avoir recours aux techniques de la procréation médicalement assistée en vue de réaliser un diagnostic préimplantatoire. Il se plaça aussi sur le terrain des articles 8 et 14 de la Convention.

51.  Tout en tenant compte de l’arrêt Costa et Pavan c. Italie (précité), il estima qu’on ne pouvait procéder à une interprétation extensive de la loi, laquelle énonçait expressément que l’accès aux techniques de procréation médicalement assistée était réservé aux couples stériles ou infertiles.

I.  La question de la constitutionnalité de l’article 13 de la loi no 40/2004 soulevée par le tribunal de Florence

52.  Par une décision du 7 décembre 2012, le tribunal de Florence souleva la question de la constitutionnalité de l’interdiction du don d’embryons surnuméraires à la recherche scientifique découlant de l’article 13 de la loi no 40/2004 au regard des articles 9 et 32 de la Constitution, lesquels garantissent respectivement la liberté de la recherche scientifique et le droit à la santé.

53.  Le 19 mars 2014, le président de la Cour constitutionnelle a ajourné l’examen de cette affaire dans l’attente de la décision que la Grande Chambre prendra sur la requête Parrillo c. Italie no 46470/11.

III.  DOCUMENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE

A.  Recommandation 1046 (1986) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe relative à l’utilisation d’embryons et fœtus humains à des fins diagnostiques, thérapeutiques, scientifiques, industrielles et commerciales

«  (...) 6.  [L’Assemblée parlementaire] Consciente de ce que [le] progrès [de la science et de la technologie médicale] a rendu particulièrement précaire la condition juridique de l’embryon et du fœtus, et que leur statut juridique n’est actuellement pas déterminé par la loi ;

7.  Consciente de ce qu’il n’existe pas de dispositions adéquates réglant l’utilisation d’embryons et fœtus vivants ou morts ;

8.  Convaincue de ce que, face au progrès scientifique qui permet d’intervenir dès la fécondation sur la vie humaine en développement, il est urgent de déterminer le degré de sa protection juridique ;

9.  Tenant compte du pluralisme des opinions s’exprimant sur le plan éthique à propos de l’utilisation d’embryons ou de fœtus, ou de leurs tissus, et des conflits de valeurs qu’il provoque ;

10.  Considérant que l’embryon et le fœtus humains doivent bénéficier en toutes circonstances du respect dû à la dignité humaine, et que l’utilisation de leurs produits et tissus doit être limitée de manière stricte et réglementée (...) en vue de fins purement thérapeutiques et ne pouvant être atteintes par d’autres moyens ; (...)

13.  Soulignant la nécessité d’une coopération européenne,

14.  Recommande au Comité des Ministres :

A.  d’inviter les gouvernements des États membres :

(...)

ii.  à limiter l’utilisation industrielle des embryons et de fœtus humains, ainsi que de leurs produits et tissus, à des fins strictement thérapeutiques et ne pouvant être atteintes par d’autres moyens, selon les principes mentionnés en annexe, et à conformer leur droit à ceux-ci, ou à adopter des règles conformes, ces règles devant notamment préciser les conditions dans lesquelles le prélèvement et l’utilisation dans un but diagnostique ou thérapeutique peuvent être effectués ;

iii.  à interdire toute création d’embryons humains par fécondation in vitro à des fins de recherche de leur vivant ou après leur mort ;

iv.  à interdire tout ce qu’on pourrait définir comme des manipulations ou déviations non désirables de ces techniques, entre autres :

(...)

- la recherche sur des embryons humains viables ;

- l’expérimentation sur des embryons vivants, viables ou non (...) »

B.  Recommandation 1100 (1989) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur l’utilisation des embryons et fœtus humains dans la recherche scientifique

« (...) 7.  Considérant que l’embryon humain, bien qu’il se développe en phases successives indiquées par diverses dénominations (...), manifeste aussi une différenciation progressive de son organisme et maintient néanmoins en continuité son identité biologique et génétique,

8.  Rappelant la nécessité d’une coopération européenne et d’une réglementation aussi large que possible qui permettent de surmonter les contradictions, les risques et l’inefficacité prévisible de normes exclusivement nationales dans les domaines concernés,

(...)

21.  La création et/ou le maintien en vie intentionnels d’embryons ou fœtus, in vitro ou in utero, dans un but de recherche scientifique, par exemple pour en prélever du matériel génétique, des cellules, des tissus ou des organes, doivent être interdits. (...) »

54.  Les passages pertinents de l’annexe à cette recommandation se lisent ainsi :

« B.  Sur des embryons préimplantatoires vivants : (...)

4.  Conformément aux Recommandations 934 (1982) et 1046 (1986), les recherches in vitro sur des embryons viables ne doivent être autorisées que:

–  s’il s’agit de recherches appliquées de caractère diagnostique ou effectuées à des fins préventives ou thérapeutiques;

–  si elles n’interviennent pas sur leur patrimoine génétique non pathologique.

5.  (...) les recherches sur les embryons vivants doivent être interdites, notamment:

–  si l’embryon est viable;

–  s’il y a la possibilité d’utiliser un modèle animal;

–  si ce n’est pas prévu dans le cadre de projets dûment présentés et autorisés par les autorités sanitaires ou scientifiques compétentes ou, par délégation, par la commission nationale multidisciplinaire concernée;

–  si elles ne respectent pas les délais prescrits par les autorités susdites.

(...)

H.  Don d’éléments du matériel embryonnaire humain : (...)

20.  Le don d’éléments du matériel embryonnaire humain doit être autorisé uniquement s’il a pour but la recherche scientifique, à des fins diagnostiques, préventives ou thérapeutiques. Sa vente sera interdite.

21.  La création et/ou le maintien en vie intentionnels d’embryons ou fœtus, in vitro ou in utero, dans un but de recherche scientifique, par exemple pour en prélever du matériel génétique, des cellules, des tissus ou des organes, doivent être interdits.

22.  Le don et l’utilisation d’éléments du matériel embryonnaire humain ne doivent être permis que si les géniteurs ont donné librement et par écrit leur consentement préalable.

23.  Le don d’organes doit être dépourvu de tout caractère mercantile. L’achat et la vente d’embryons, de fœtus ou de leurs composants par les géniteurs ou des tiers, de même que leur importation ou leur exportation, doivent également être interdits.

24.  Le don et l’emploi de matériels embryonnaires humains dans la fabrication d’armes biologiques dangereuses et exterminatrices doivent être interdits.

25.  Pour l’ensemble de la présente recommandation, par « viables » on entend les embryons qui ne présentent pas de caractéristiques biologiques susceptibles d’empêcher leur développement; d’autre part, la non-viabilité des embryons et des fœtus humains devra être déterminée exclusivement par des critères biologiques objectifs, fondés sur les défectuosités intrinsèques de l’embryon. »

C.  La Convention du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme et la biomédecine (« Convention d’Oviedo ») du 4 avril 1997

Article 2 – Primauté de l’être humain

« L’intérêt et le bien de l’être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science. »

Article 18 – Recherche sur les embryons in vitro

« 1.  Lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l’embryon.

2.  La constitution d’embryons humains aux fins de recherche est interdite. »

Article 27 – Protection plus étendue

« Aucune des dispositions de la présente Convention ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte à la faculté pour chaque Partie d’accorder une protection plus étendue à l’égard des applications de la biologie et de la médecine que celle prévue par la présente Convention. »

D.  Protocole additionnel à la Convention d’Oviedo, relatif à la recherche biomédicale du 25 janvier 2005

Article 2 – Champ d’application

« 1.  Le présent Protocole s’applique à l’ensemble des activités de recherche dans le domaine de la santé impliquant une intervention sur l’être humain.

2.  Le Protocole ne s’applique pas à la recherche sur les embryons in vitro. Il s’applique à la recherche sur les fœtus et les embryons in vivo.

(...) »

E.  Le rapport du groupe de travail sur la protection de l’embryon et du fœtus humains du Comité directeur pour la bioéthique, rendu public le 19 juin 2003 – Conclusion

« Ce rapport a pour but de présenter une vue d’ensemble des positions actuelles en Europe sur la protection de l’embryon humain in vitro et des arguments qui les sous-tendent.

Il montre un large consensus sur la nécessité d’une protection de l’embryon in vitro. Néanmoins, la définition du statut de l’embryon reste un domaine où l’on rencontre des différences fondamentales reposant sur des arguments forts. Ces divergences sont, dans une large mesure, à l’origine de celles rencontrées sur les questions ayant trait à la protection de l’embryon in vitro.

Toutefois, même en l’absence d’accord sur le statut de l’embryon, la possibilité de réexaminer certaines questions à la lumière des récents développements dans le domaine biomédical et des avancées thérapeutiques potentielles, pourrait être envisagée. Dans ce contexte, tout en reconnaissant et respectant les choix fondamentaux des différents pays, il semble possible et souhaitable – au regard de la nécessité de protéger l’embryon in vitro reconnue par tous les pays – d’identifier des approches communes afin d’assurer des conditions adéquates d’application des procédures impliquant la constitution et l’utilisation d’embryons in vitro. Ce rapport se veut une aide à la réflexion vers cet objectif. »

F.  Résolution 1352 (2003) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe concernant la recherche sur les cellules souches humaines

« (...) 3.  Les cellules souches humaines peuvent provenir d’un nombre croissant de tissus et de fluides présents dans le corps d’êtres humains de tous âges, et pas seulement de sources embryonnaires.

(...)

5.  Le prélèvement de cellules souches embryonnaires implique pour le moment la destruction d’embryons humains.

(...)

7.  L’Assemblée fait observer que nombre de lignées de cellules souches embryonnaires humaines susceptibles de servir à la recherche scientifique sont déjà disponibles dans le monde.

(...)

10.  La destruction d’êtres humains à des fins de recherche est contraire au droit de tout être humain à la vie et à l’interdiction morale de toute instrumentalisation de l’être humain.

11.  En conséquence, l’Assemblée invite les États membres:

i. à favoriser la recherche sur les cellules souches à condition qu’elle respecte la vie des êtres humains à tous les stades de leur développement;

ii. à encourager les techniques scientifiques qui ne sont pas controversées des points de vue social et éthique afin de tirer un meilleur parti de la pluripotence cellulaire et de mettre au point de nouvelles méthodes de médecine régénérative;

iii. à signer et à ratifier la Convention d’Oviedo pour rendre effective l’interdiction de la constitution d’embryons humains aux fins de recherche;

iv. à promouvoir des programmes de recherche fondamentale européens communs portant sur les cellules souches adultes;

v. à garantir que, dans les pays où de telles recherches sont admises, toute recherche sur des cellules souches impliquant la destruction d’embryons humains est dûment autorisée et surveillée par les instances nationales appropriées;

vi. à respecter les décisions des pays lorsque ceux-ci choisissent de ne pas participer à des programmes internationaux de recherche contraires aux valeurs éthiques consacrées par leur législation nationale et à ne pas escompter que ces pays contribuent directement ou indirectement à ces recherches;

vii. à privilégier l’éthique de la recherche plutôt que les aspects purement utilitaires et financiers;

viii. à promouvoir la création de structures permettant à des scientifiques et à des représentants de la société civile d’examiner différents types de projets de recherche sur les cellules souches humaines, en vue d’augmenter la transparence et la responsabilité démocratique. »

G.  Recommandation du Comité des Ministres aux États membres sur la recherche utilisant du matériel biologique d’origine humaine (Rec (2006)4, adoptée par le Comité des Ministres le 15 mars 2006)

55.  Cette recommandation, qui ne s’applique pas aux matériels biologiques embryonnaires et fœtaux (article 2 § 3), a pour but de sauvegarder les droits fondamentaux des personnes dont le matériel biologique pourrait être inclus dans un projet de recherche après avoir été recueilli et stocké i) pour un projet de recherche spécifique antérieur à l’adoption de la recommandation, ii) pour des recherches futures non spécifiées ou iii) comme matériel résiduel initialement prélevé à des fins cliniques ou médico-légales. Cette recommandation vise, entre autres, à promouvoir la mise en place de codes de bonnes pratiques de la part des États membres et à réduire au minimum les risques liés aux activités de recherche concernant la vie privée des personnes. Elle fixe également des règles régissant l’obtention et les collections de matériel biologique.

H.  « L’éthique dans la science et la technologie », Résolution 1934 (2013) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

« 2.   ...) l’Assemblée estime qu’une réflexion éthique plus concertée devrait être menée aux niveaux national, suprarégional et mondial sur les objectifs et les usages de la science et de la technologie, sur les instruments et méthodes qu’elles emploient, sur leurs possibles conséquences et effets indirects, et sur le système global de règles et de comportements dans lequel elles s’inscrivent.

3.  L’Assemblée considère qu’une structure permanente de réflexion éthique au niveau mondial permettrait de traiter les questions éthiques comme une « cible mouvante», au lieu de fixer un « code éthique », et de remettre à plat, de manière périodique, les concepts en vigueur, même les plus fondamentaux, comme la définition de l’« identité humaine » ou de la « dignité humaine ».

4  L’Assemblée salue l’initiative de l’UNESCO qui a créé la Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies (COMEST) en vue d’engager une réflexion éthique permanente et d’étudier les possibilités de rédiger et de réviser périodiquement un ensemble de principes éthiques fondamentaux fondés sur la Déclaration universelle des droits de l’homme. Elle considère que le Conseil de l’Europe devrait contribuer à ce processus.

5.  À cet égard, l’Assemblée recommande au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe d’envisager la création d’une structure souple et informelle de réflexion éthique, par le biais d’une coopération entre les commissions compétentes de l’Assemblée et les membres des comités d’experts concernés, parmi lesquels le Comité de bioéthique (DH-BIO), en vue d’identifier les nouveaux enjeux éthiques et les principes éthiques fondamentaux susceptibles d’orienter l’action politique et juridique en Europe.

6.  Pour renforcer le cadre européen commun d’éthique dans la science et la technologie, l’Assemblée recommande aux États membres qui ne l’ont pas encore fait de signer et de ratifier la Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine : Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (STE no 164, « Convention d’Oviedo ») et ses protocoles, et de participer pleinement aux travaux du Comité de bioéthique.

(...)

10.  L’Assemblée invite l’Union européenne et l’UNESCO à coopérer avec le Conseil de l’Europe pour renforcer le cadre européen commun d’éthique dans la science et la technologie, et, à cette fin:

10.1.  à créer des plates-formes européennes et régionales permettant d’échanger régulièrement des expériences et des bonnes pratiques couvrant tous les domaines de la science et de la technologie, en utilisant l’expérience acquise dans le cadre de la Conférence européenne des comités nationaux d’éthique (COMETH) lancée par le Conseil de l’Europe et, plus récemment, du Forum des comités nationaux d’éthique (Forum des CNE) financé par la Commission européenne, et des réunions du Comité de bioéthique du Conseil de l’Europe;

10.2.  à rédiger et à réviser périodiquement un ensemble de principes éthiques fondamentaux à appliquer dans tous les domaines de la science et de la technologie;

10.3.  à proposer des orientations supplémentaires pour aider les États membres à harmoniser les règles éthiques et les procédures de suivi, en s’appuyant sur les effets positifs des exigences éthiques énoncées dans le septième programme-cadre de la Commission européenne pour des actions de recherche et de développement technologique (2007-2013) (7e PC). »

IV.  DROIT ET ÉLÉMENTS PERTINENTS DE L’UNION EUROPÉENNE

A.  Le Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies (GEE) auprès de la Commission européenne

56.  Mis en place en 1991 par la Commission européenne, le GEE est un organisme indépendant composé d’experts ayant pour mission de soumettre des avis à la Commission européenne sur les questions éthiques liées à la science et aux nouvelles technologies. Le GEE a rendu deux avis concernant l’utilisation d’embryons in vitro à fins de recherche.

1.  Avis no 12 : Les aspects éthiques de la recherche impliquant l’utilisation d’embryons humains dans le contexte du Vème programme-cadre de recherche, 14 novembre 1998

57.  Cet avis a été publié à la demande de la Commission européenne à la suite de la proposition du Parlement européen d’exclure des financements européens les projets de recherche impliquant la destruction d’embryons humains dans le cadre du cinquième programme-cadre. Ses passages pertinents se lisent comme suit :

« (...) 2.6. (...) Dans le cadre des programmes de recherche européens, la question de la recherche sur l’embryon humain doit être envisagée tant du point de vue du respect des principes éthiques fondamentaux communs à tous les États membres qu’en tenant compte de la diversité des conceptions philosophiques et éthiques exprimées à travers les différentes pratiques et réglementations nationales en vigueur en ce domaine. (...)

2.8.  à la lumière des principes et précisions précédemment évoqués, le Groupe estime qu’il est conforme à la dimension éthique du cinquième programme-cadre communautaire de ne pas exclure a priori des financements communautaires les recherches sur l’embryon humain qui font l’objet de choix éthiques divergents selon les pays. [...] »

2.  Avis no 15 : Aspects éthiques de la recherche sur les cellules souches humaines et leur utilisation, 14 novembre 2000

58.  Les passages pertinents de cet avis sont ainsi libellés :

« 2.3.  Pluralisme et éthique européenne

(...) Dans le contexte du pluralisme européen, il appartient à chaque État membre d’interdire ou d’autoriser les recherches sur l’embryon. Dans ce dernier cas, le respect de la dignité humaine implique que l’on règlemente les recherches sur l’embryon et que l’on prévoie des garanties contre le risque d’expérimentation arbitraire et d’instrumentalisation de l’embryon humain.

2.5.  Acceptabilité éthique du domaine de recherche concerné

Le Groupe note que, dans certains pays, la recherche sur l’embryon est interdite. En revanche, dans les pays où elle est autorisée afin d’améliorer le traitement de l’infertilité, on peut difficilement trouver un argument à invoquer pour une extension du champ de ces recherches visant à mettre au point de nouveaux traitements contre les maladies ou lésions graves. En effet, comme dans le cas de la recherche sur l’infertilité, la recherche sur les cellules souches vise à soulager la souffrance humaine. Dans tous les cas, les embryons qui ont servi pour des travaux de recherche sont destinés à être détruits. Par conséquent, il n’y a pas d’argument pour exclure le financement de ce type de recherches au titre du programme-cadre de recherche de l’Union européenne si elles satisfont aux exigences éthique et légales définies dans ce programme. »

B.  Règlement no 1394/2007 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les médicaments de thérapie innovante et modifiant la directive 2001/83/CE ainsi que le règlement (CE) no 726/2004

« (7) Il importe que la réglementation des médicaments de thérapie innovante au niveau communautaire ne porte pas atteinte aux décisions prises par les États membres concernant l’opportunité d’autoriser l’utilisation de tel ou tel type de cellules humaines, par exemple les cellules souches embryonnaires, ou de cellules animales. Il convient qu’elle n’influence pas non plus l’application des législations nationales interdisant ou limitant la vente, la distribution ou l’utilisation de médicaments contenant de telles cellules, consistant dans de telles cellules ou issus de celles-ci. »

C.  L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 18 octobre 2011 (C-34/10 Oliver Brüstle c. Greenpeace eV)

59.  Par cet arrêt, rendu sur renvoi préjudiciel de la Cour fédérale de justice (Bundesgerichtshof) allemande, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation à donner à la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.

60.  La partie de la directive en cause était celle qui, tempérant le principe selon lequel l’utilisation d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales n’est pas brevetable, précise que cette exclusion ne concerne pas « les inventions ayant un objectif thérapeutique ou diagnostique qui s’appliquent à l’embryon humain et lui sont utiles ».

61.  La Cour de justice a précisé que la directive litigieuse ne vise pas à réglementer l’utilisation d’embryons humains dans le cadre de recherches scientifiques : son objet se limite à la brevetabilité des inventions biotechnologiques. Elle a ensuite estimé que les inventions qui impliquent l’utilisation d’embryons humains restent exclues de toute brevetabilité même lorsqu’elles peuvent se revendiquer d’une finalité de recherche scientifique (une telle finalité ne pouvant pas, en matière de brevets, être distinguée des autres fins industrielles et commerciales). La Cour de justice a indiqué en même temps que les inventions impliquant une utilisation à des fins thérapeutiques ou de diagnostic applicable à l’embryon humain et utile à celui-ci ne sont pas concernées par cette exclusion.

D.  Les financements de l’Union européenne en matière de recherche et de développement technologique

62.  Depuis 1984, l’Union européenne déploie des fonds pour la recherche scientifique à travers des programmes-cadres couvrant des périodes qui s’étalent sur plusieurs années.

63.  Les parties pertinentes de la décision no 1982/2006/CE relative au septième programme-cadre de la Communauté européenne pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (2007-2013) se lisent comme suit :

Article 6 – Principes éthiques

« 1.  Toutes les actions de recherche menées au titre du septième programme-cadre sont réalisées dans le respect des principes éthiques fondamentaux.

2.  Les activités de recherche suivantes ne font pas l’objet d’un financement au titre du septième programme-cadre:

les activités de recherche visant au clonage humain à des fins reproductives;

les activités de recherche visant à modifier le patrimoine génétique d’êtres humains, qui pourraient rendre cette altération héréditaire,

les activités de recherche visant à créer des embryons humains uniquement à des fins de recherche ou pour l’approvisionnement en cellules souches, y compris par transfert de noyau de cellules somatiques.

3.  Les activités de recherche sur les cellules souches humaines, adultes ou embryonnaires, peuvent être financées en fonction à la fois du contenu de la proposition scientifique et du cadre juridique de(s) l’État(s) membre(s) intéressé(s). (...) »

64.  Les parties pertinentes du Règlement no 1291/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 portant établissement du programme-cadre pour la recherche et l’innovation « Horizon 2020 » (2014-2020) se lisent ainsi :

Article 19 – Principes éthiques

« 1.  Toutes les activités de recherche et d’innovation menées au titre d’Horizon 2020 respectent les principes éthiques et les législations nationales, européennes et internationales pertinentes, y compris la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que la Convention européenne des droits de l’homme et ses protocoles additionnels (...).

(...)

3.  Sont exclus de tout financement les domaines de recherche suivants:

a) les activités de recherche en vue du clonage humain à des fins de reproduction;

b) les activités de recherche visant à modifier le patrimoine génétique d’êtres humains, qui pourraient rendre cette altération héréditaire ;

c) les activités de recherche visant à créer des embryons humains uniquement à des fins de recherche ou pour l’approvisionnement en cellules souches, notamment par transfert nucléaire de cellules somatiques.

4.  Les activités de recherche sur les cellules souches humaines, adultes et embryonnaires, peuvent être financées en fonction à la fois du contenu de la proposition scientifique et du cadre juridique des États membres intéressés. Aucun financement n’est accordé aux activités de recherche interdites dans l’ensemble des États membres. Aucune activité n’est financée dans un État membre où ce type d’activités est interdit.

(...) »

E.  La Communication de la Commission européenne relative à l’initiative citoyenne européenne « Un de nous » COM(2014) 355 final (Bruxelles, 28 mai 2014)

65.  Le 10 avril 2014, l’initiative citoyenne « Un de nous » avait proposé des modifications législatives tendant à exclure des financements européens les projets scientifiques impliquant la destruction d’embryons humains.

66.  Dans sa communication du 28 mai 2014, la Commission européenne a considéré qu’elle ne pouvait pas faire droit à cette demande au motif que sa proposition de financement des projets en question tenait compte de considérations éthiques, des avantages potentiels pour la santé et du soutien de l’Union à la recherche sur les cellules souches.

V.  ELEMENTS DE DROIT INTERNATIONAL PERTINENTS

A.  Le rapport du Comité international de bioéthique de l’UNESCO (CIB) sur les aspects éthiques des recherches sur les cellules embryonnaires (6 avril 2001)

67.  Les parties pertinentes des conclusions de ce rapport se lisent comme suit:

« A.  Le CIB reconnaît que les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines sont une question sur laquelle il est souhaitable qu’un débat s’engage au niveau national pour déterminer quelle position doit être adoptée au sujet de ces recherches, même si cette position vise à ce qu’elles ne soient pas menées. Il préconise que des débats s’engagent dans les instances nationales appropriées, permettant l’expression d’une pluralité d’opinions, en vue, dans toute la mesure du possible, de parvenir à un consensus fixant les limites de ce qui est acceptable dans ce champ nouveau et important de la recherche thérapeutique.

Un processus permanent d’éducation et d’information dans ce domaine devrait s’instaurer. Les États devraient prendre les mesures appropriées pour amorcer un dialogue continu au sein de la société sur les questions éthiques soulevées par ces recherches, associant tous les acteurs concernés.

B.  Quel que soit le type de recherches autorisé concernant l’embryon, des mesures devraient être prises pour garantir que ces recherches sont menées dans un cadre législatif ou réglementaire qui accorderait le poids nécessaire aux considérations éthiques et fixerait des principes directeurs adéquats. Si l’on envisage d’autoriser que des dons d’embryons surnuméraires au stade préimplantatoire, provenant de traitements de FIV, soient consentis pour des recherches sur les cellules souches embryonnaires à des fins thérapeutiques, une attention particulière sera accordée à la dignité et aux droits des deux parents donneurs. Il est donc essentiel que le don n’ait lieu qu’après que les donneurs ont été pleinement informés des implications de ces recherches et ont donné leur consentement préalable, libre et éclairé. Les finalités de ce type de recherches et la manière dont elles sont conduites devraient faire l’objet d’une évaluation par les comités d’éthique appropriés, qui devraient être indépendants des chercheurs concernés. Dans ce processus, il faudrait prévoir une évaluation a posteriori de ces recherches. (...) »

B.  L’arrêt Murillo et autres c. Costa Rica de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (28 novembre 2012)

68.  Dans cette affaire, la Cour interaméricaine s’est prononcée sur l’interdiction d’effectuer des fécondations in vitro au Costa Rica. Elle a estimé, entre autres, que l’embryon ne pouvait pas être considéré comme une « personne » au sens de l’article 4 § 1 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme (qui protège le droit à la vie), la « conception » n’ayant lieu qu’à partir du moment où l’embryon est implanté dans l’utérus.

VI.  ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ

69.  D’après les informations dont la Cour dispose sur la législation de quarante États membres[1] en matière d’utilisation d’embryons humains à des fins de recherche scientifique, trois pays (la Belgique, la Suède et le Royaume-Uni) autorisent la recherche scientifique sur des embryons humains aussi bien que la création de tels embryons à des fins de recherche.

70.  La création d’embryons pour la recherche scientifique est interdite dans quatorze pays[2]. Toutefois, la recherche sur les embryons surnuméraires y est généralement permise, sous certaines conditions.

71.  À l’instar de l’Italie, trois États membres (la Slovaquie, l’Allemagne et l’Autriche) interdisent en principe les recherches scientifiques sur les embryons, ne les autorisant que dans des cas très restreints, notamment lorsqu’elles visent à la protection de la santé de l’embryon ou lorsqu’elles sont menées sur des lignées cellulaires provenant de l’étranger.

72.  En Slovaquie, les recherches sur des embryons sont strictement interdites, sauf celles à caractère thérapeutique qui visent à apporter un bénéfice en termes de santé aux personnes qui y participent directement.

73.  En Allemagne, l’importation et l’utilisation de cellules embryonnaires à des fins de recherche sont en principe interdites par la loi. Elles ne sont autorisées qu’à titre exceptionnel, sous de strictes conditions.

74.  Quant à l’Autriche, la loi dispose que les « cellules viables » ne peuvent être utilisées pour des fins autres que la fertilisation in vitro. Toutefois, la notion de « cellules viables » n’y est pas définie. D’après la pratique et la doctrine, l’interdiction prévue par la loi ne concernerait que les cellules embryonnaires dites « totipotentes »[3].

75.  Dans quatre pays (Andorre, Lettonie, Croatie et Malte), la loi interdit expressément toute recherche sur les cellules souches embryonnaires.

76.  Seize pays ne prévoient pas de réglementation en la matière. Il s’agit de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan, de la Bosnie-Herzégovine, de la Géorgie, de l’Irlande, du Liechtenstein, de la Lituanie, du Luxembourg, de la République de Moldova, de Monaco, de la Pologne, de la Roumanie, de la Russie, de Saint-Marin, de la Turquie et de l’Ukraine. Parmi ces États, certains ont une pratique plutôt restrictive (par exemple, la Turquie et l’Ukraine), d’autres une pratique plutôt permissive (par exemple, la Russie).

EN DROIT

77.  La Cour relève d’emblée que le Gouvernement oppose plusieurs exceptions à la recevabilité de la présente requête. Il avance notamment que la requérante n’a pas épuisé les voies de recours qui lui étaient ouvertes en droit interne, qu’elle n’a pas introduit sa requête dans le délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention, et qu’elle n’a pas la qualité de victime. La Cour examinera ces exceptions ci-dessous avant d’analyser les autres aspects de la requête.

I.  SUR LE NON-ÉPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES

A.  Position du Gouvernement

78.  Le Gouvernement avance qu’il était loisible à la requérante de se plaindre de l’interdiction de donner ses embryons à la recherche scientifique devant le juge du fond en soutenant que l’interdiction en cause était contraire tant à la Constitution italienne qu’à la Convention européenne des droits de l’homme. à cet égard, il cite plusieurs décisions internes dans lesquelles les tribunaux nationaux ont interprété la loi no 40/2004 à la lumière de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier en ce qui concerne l’accès au diagnostic préimplantatoire (les ordonnances rendues par le tribunal de Cagliari le 22 septembre 2007 et le 9 novembre 2012, ainsi que celles adoptées par les tribunaux de Florence, de Bologne et de Salerne le 17 décembre 2007, le 29 juin 2009 et le 9 janvier 2010 respectivement, voir les paragraphes 40-49 ci-dessus).

79.  Selon lui, le juge du fond aurait alors été tenu d’interpréter la loi dont découle l’interdiction litigieuse à la lumière de la Convention, comme l’exigent les arrêts de la Cour constitutionnelle nos 348 et 349 du 24 octobre 2007.

80.  Si le juge du fond avait constaté l’existence d’un conflit insurmontable entre son interprétation de la loi et les droits invoqués par la partie demanderesse, il aurait eu l’obligation de soulever une question de constitutionnalité. La Cour constitutionnelle aurait alors examiné au fond la compatibilité des faits litigieux avec les droits de l’homme, et elle aurait pu annuler les dispositions nationales avec effet rétroactif et erga omnes.

81.  D’ailleurs, la Cour constitutionnelle aurait déjà été saisie de plusieurs affaires concernant la constitutionnalité de la loi no 40/2004. Un certain nombre de décisions auraient été rendues à cet égard, notamment les ordonnances de la Cour constitutionnelle nos 369, 97 et 150 (prononcées le 24 octobre 2006, le 8 mars 2010 et le 22 mai 2012 respectivement), l’arrêt no 151 adopté par celle-ci le 1er avril 2009, ainsi que les ordonnances des tribunaux de Florence et de Rome prononcées le 7 décembre 2012 et le 15 janvier 2014 respectivement (voir les paragraphes 27-33 et 50-53 ci‑dessus).

82.  Par ailleurs, la requérante aurait aussi méconnu le principe de subsidiarité posé par le Protocole no 15 du 24 juin 2013 en se dispensant d’utiliser les voies de recours internes avant de soulever ses griefs devant la Cour.

83.  Enfin, une question de constitutionalité concernant une affaire identique à la présente affaire aurait été soulevée par le tribunal de Florence devant la Cour constitutionnelle (voir les paragraphes 52-53 ci-dessus). Pour le cas où la haute juridiction prendrait une décision défavorable à la partie demanderesse, il serait toujours loisible à celle-ci d’introduire une requête devant la Cour.

B.  Position de la requérante

84.  La requérante soutient que toute action devant le juge ordinaire aurait été vouée à l’échec, le droit interne interdisant de manière absolue le don d’embryons à des fins de recherche scientifique.

85.  En outre, elle avance que la voie constitutionnelle ne peut être considérée comme étant un recours à épuiser au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, le système juridique italien n’ouvrant pas de recours direct devant la Cour constitutionnelle.

86.  Enfin, elle indique que, le 19 mars 2014, le président de la Cour constitutionnelle a ajourné l’examen de la question soulevée par le tribunal de Florence à laquelle le Gouvernement se réfère dans l’attente de la décision que la Grande Chambre prendra sur la présente requête.

C.  Appréciation de la Cour

87.  La Cour rappelle tout d’abord qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. Tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que cette disposition a pour finalité de ménager en principe aux États contractants, à savoir éviter ou redresser les violations alléguées contre eux. Cette règle se fonde sur l’hypothèse que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. Les dispositions de l’article 35 § 1 ne prescrivent toutefois l’épuisement que des seuls recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’État défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi beaucoup d’autres, McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 107, 10 septembre 2010, Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 15, CEDH 2002‑VIII, Leandro Da Silva c. Luxembourg, no 30273/07, §§ 40 et 42, 11 février 2010 et Vučković et autres c. Serbie [GC], no 17153/11, §§ 69-77, 25 mars 2014).

88.  Dans la présente affaire, s’appuyant sur le système de contrôle de constitutionnalité institué par les arrêts de la Cour constitutionnelle nos 348 et 349 du 24 octobre 2007, le Gouvernement soutient que les voies de recours qui étaient ouvertes à la requérante en droit interne n’ont pas été épuisées. À cet égard, il cite des exemples de décisions statuant au fond et des décisions de la Cour constitutionnelle concernant la loi no 40/2004.

89.  La Cour observe d’emblée que, par les arrêts nos 348 et 349 susmentionnés, la Cour constitutionnelle a défini la place de la Convention des droits de l’homme dans les sources du droit interne, considérant que celle-ci était une norme de rang intermédiaire entre la loi ordinaire et la Constitution. En outre, elle a estimé qu’il incombait au juge du fond d’interpréter la norme interne de manière conforme à la Convention des droits de l’homme et à la jurisprudence de la Cour. Elle a précisé que, lorsqu’une telle interprétation se révélait impossible ou que le juge du fond avait des doutes quant à la compatibilité de la norme interne avec la Convention, celui-ci était tenu de soulever une question de constitutionnalité devant elle.

90.  La Cour rappelle aussi qu’en l’absence d’un recours interne spécifique à la violation alléguée, il appartient au Gouvernement de justifier, en s’appuyant sur la jurisprudence interne, de l’évolution, de la disponibilité, de la portée et du champ d’application du recours qu’il invoque (voir, mutatis mutandis, Melnītis c. Lettonie, no 30779/05, § 50, 28 février 2012, McFarlane précité, §§ 115-127, Costa et Pavan c. Italie, n54270/10, § 37, 28 août 2012 et Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, §§ 52-58, CEDH 2013 (extraits)).

91.  En l’espèce, la Cour constate que le Gouvernement s’est référé à plusieurs affaires portant sur la loi no 40/2004 mais qu’il n’a fourni aucun exemple de décision interne ayant tranché la question du don d’embryons surnuméraires à la recherche. La Cour ne saurait d’ailleurs reprocher valablement à la requérante de ne pas avoir introduit de demande visant à l’obtention d’une mesure interdite par la loi.

92.  Quant à l’argument du Gouvernement selon lequel, depuis l’adoption des arrêts nos 348 et 349, le juge du fond a l’obligation d’interpréter la loi dont découle l’interdiction litigieuse à la lumière de la Convention et de la jurisprudence de Strasbourg alors qu’il n’y était pas tenu auparavant, plusieurs considérations conduisent la Cour à conclure que cette assertion n’est pas suivie, dans les faits, par une pratique juridictionnelle établie, notamment dans le domaine de la procréation médicalement assistée.

93.  La Cour relève, premièrement, que dans une affaire similaire à celle de l’espèce et qui portait sur l’interdiction de donner des embryons surnuméraires à la recherche scientifique, le tribunal de Florence a décidé, le 7 décembre 2012, de soulever devant la Cour constitutionnelle la question de la constitutionnalité de l’article 13 de la loi no 40/2004 au regard des articles 9 et 32 de la Constitution, qui garantissent respectivement la liberté de la recherche scientifique et le droit à la santé (voir paragraphe 22 ci-dessus). La Cour constate toutefois qu’aucune question tenant à la compatibilité de l’interdiction en cause avec les droits garantis par la Convention n’a été soulevée par le juge du fond.

94.  Elle note, deuxièmement, que, à quelques exceptions près, les décisions des juges du fond et de la Cour constitutionnelle relatives à la loi no 40/2004 citées par le Gouvernement (voir les paragraphes 78 et 81 ci‑dessus) ne se réfèrent pas à la Convention des droits de l’homme. Tel est le cas des ordonnances nos 396/2006 et 97/2010 de la Cour constitutionnelle ainsi que de son arrêt no 151/2009, des ordonnances des tribunaux de Cagliari, de Florence, de Bologne et de Salerne adoptées le 22 septembre 2007, le 17 décembre 2007, le 29 juin 2009 et le 9 janvier 2010 respectivement, ainsi que de la décision du tribunal de Florence du 7 décembre 2012.

95.  Il est vrai que, dans l’ordonnance no 150 du 22 mai 2012 par laquelle elle a renvoyé au juge du fond une affaire qui portait sur l’interdiction de la fécondation hétérologue, la Cour constitutionnelle s’est référée, entre autres, aux articles 8 et 14 de la Convention. Force est de constater toutefois que, dans son arrêt no 162 du 10 juin 2014 concernant cette même affaire, la Cour constitutionnelle n’a analysé l’interdiction litigieuse qu’à la lumière des articles de la Constitution qui étaient en cause (à savoir les articles 2, 31 et 32). Quant aux articles 8 et 14 de la Convention, invoqués uniquement par un des trois tribunaux du fond (voir le paragraphe 35 ci-dessus), elle s’est bornée à observer que les questions soulevées sous l’angle de ces dispositions étaient couvertes par les conclusions auxquelles elle était parvenue sur le terrain de la Constitution (voir le paragraphe 39 ci-dessus).

96.  Dans ces conditions, les deux seules exceptions à l’absence de prise en compte de la Convention et de sa jurisprudence sont constituées par les ordonnances des tribunaux de Cagliari (du 9 novembre 2012) et de Rome (du 15 janvier 2014) qui, eu égard aux conclusions de la Cour dans l’affaire Costa et Pavan (précité), ont respectivement garanti l’accès des demandeurs au diagnostic préimplantatoire et soulevé une question de constitutionnalité sur ce point devant la Cour constitutionnelle. Il n’en demeure pas moins qu’il ne s’agit que de deux cas isolés sur les onze invoqués par le Gouvernement, qui concernent un domaine différent de celui ici en cause et sur lequel la Cour avait déjà statué.

97.  De surcroit, la compatibilité de l’article 13 de la loi no 40/2004 avec les droits garantis par la Convention étant une question nouvelle, la Cour n’est guère convaincue que la possibilité offerte à la requérante de porter ses griefs devant un juge ordinaire constitue un remède efficace.

98.  Les arrêts nos 348 et 349 eux-mêmes apportent des précisions sur la différence des rôles respectifs de la Cour de Strasbourg et de la Cour constitutionnelle en indiquant qu’il appartient à la première d’interpréter la Convention et qu’il revient à la seconde de rechercher s’il existe un conflit entre telle ou telle norme nationale et les droits garantis par la Convention, à la lumière notamment de l’interprétation fournie par la Cour européenne des droits de l’homme (voir le paragraphe 26 ci-dessus).

99.  D’ailleurs, la décision prise le 19 mars 2014 par le président de la Cour constitutionnelle d’ajourner l’examen de la question posée le 7 décembre 2012 par le tribunal de Florence en attendant que la Cour se prononce en l’espèce (voir le paragraphe 53 ci-dessus) s’inscrit dans cette logique.

100.  Dans ce contexte, la Cour relève que, dans un arrêt récent (no 49, déposé le 26 mars 2015) où elle a analysé entre autres la place de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour dans l’ordre juridique interne, la Cour constitutionnelle a indiqué que le juge du fond n’était tenu de se conformer à la jurisprudence de la Cour que dans le cas où celle-ci était « bien établie » ou était énoncée dans un « arrêt pilote ».

101.  En tout état de cause, la Cour a rappelé à maintes reprises que, dans l’ordre juridique italien, le justiciable ne jouit pas d’un accès direct à la Cour constitutionnelle : en effet, seule une juridiction qui connaît du fond d’une affaire a la faculté de la saisir, à la requête d’un plaideur ou d’office. Dès lors, pareille requête ne saurait s’analyser en un recours dont la Convention exige l’épuisement (voir, entre autres, Brozicek c. Italie no 10964/84, 19 décembre 1989, § 34, série A no 167, Immobiliare Saffi c. Italie [GC], n22774/93, § 42, CEDH 1999‑V, C.G.I.L. et Cofferati c. Italie, n46967/07, § 48, 24 février 2009, Scoppola c. Italie (n2) [GC], n10249/03, § 75, 17 septembre 2009 et M.C. et autres c. Italie, no 5376/11, § 47, 3 septembre 2013). En revanche, la Commission et la Cour ont jugé, en ce qui concerne d’autres États membres, que le recours direct devant la Cour constitutionnelle constituait une voie de recours interne à épuiser (voir, par exemple, W. c. Allemagne, no 10785/84, 18 juillet 1986, Décisions et rapports (DR) 48, p. 104, Union Alimentaria Sanders SA c. Espagne, no 11681/85, 11 décembre 1987 DR 54, pp. 101, 104, S.B. et autres c. Belgique (déc.), no 63403/00, 6 avril 2004 et Grišankova et Grišankovs c. Lettonie (déc.), no 36117/02, CEDH 2003‑II (extraits)).

102.  Au vu de ce qui précède, la Cour ne saurait considérer que le système d’interprétation obligatoire de la norme interne à la lumière de la Convention établi par les arrêts nos 348 et 349 constitue un tournant de nature à réfuter une telle conclusion (voir, a contrario, les récentes décisions de la Cour reconnaissant l’efficacité du recours devant la Cour constitutionnelle turque à la suite de la mise en place d’un recours individuel direct devant celle-ci : Hasan Uzun c. Turquie (déc.), n10755/13, §§ 25-27, 30 avril 2013 et Ali Koçintar c. Turquie (déc.), no 77429/12, 1er juillet 2014).

103.  Il convient de saluer les principes dégagés par les arrêts nos 348 et 349 du 24 octobre 2007, notamment quant à la place revenant à la Convention dans les sources du droit et à l’invitation faite aux autorités judiciaires nationales d’interpréter les normes internes et la Constitution à la lumière de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour. La Cour note aussi que, dans des matières autres que la procréation médicalement assistée, nombreuses ont été les décisions dans lesquelles la Cour constitutionnelle a conclu à l’inconstitutionnalité d’une norme interne sur la base, entre autres, de l’incompatibilité de celle-ci avec les droits garantis par la Convention et la jurisprudence de la Cour (tel est notamment le cas de l’arrêt no 39 du 5 mars 2008 relatif aux incapacités attachées à la faillite, de l’arrêt no 93 du 17 mars 2010 portant sur la publicité des audiences dans les procédures d’application des mesures provisoires, et de l’arrêt no 210 du 3 juillet 2013 ayant trait à la rétroactivité de la loi pénale).

104.  Toutefois, il y a lieu de relever tout d’abord que le système italien ne prévoit pour les particuliers qu’un recours indirect devant la Cour constitutionnelle. En outre, le Gouvernement n’a pas démontré, en s’appuyant sur une jurisprudence et une pratique établies, qu’en matière de donation d’embryons à la recherche, l’exercice par la requérante d’une action devant le juge du fond, combiné avec le devoir de ce dernier de soulever devant la Cour constitutionnelle une question de constitutionnalité à la lumière de la Convention, constituait, en l’espèce, une voie de recours effective que l’intéressée aurait dû épuiser.

105.  Eu égard à ce qui précède et au fait que la Cour constitutionnelle a décidé de suspendre l’examen d’une affaire similaire pendante devant elle en attendant que la Cour statue dans la présente affaire, il convient de rejeter l’exception soulevée par le gouvernement défendeur.

II.  SUR LE RESPECT DU DÉLAI DE SIX MOIS

A.  Position du Gouvernement

106.  Lors de l’audience, le Gouvernement a excipé de la tardivité de la requête, faisant valoir que la loi qui interdit le don d’embryons à la recherche scientifique est entrée en vigueur le 10 mars 2004 et que la requérante n’a sollicité la mise à disposition de ses embryons en vue d’un tel don que le 14 décembre 2011, par une lettre adressée à cette date au centre de médecine de la reproduction où ceux-ci étaient cryoconservés.

B.  Position de la requérante

107.  La requérante a répliqué à cette exception au cours de l’audience en indiquant que, si elle avait adressé une demande écrite de mise à disposition de ses embryons au centre de médecine de la reproduction le 14 décembre 2011, elle avait auparavant formulé oralement d’autres demandes ayant le même objet.

108.  En tout état de cause, l’intéressée soutient que toute demande adressée au centre de médecine de la reproduction était vouée à l’échec, rappelant que la loi applicable interdit catégoriquement le don d’embryons à la recherche scientifique.

C.  Appréciation de la Cour

109.  La Cour rappelle avoir reconnu que, lorsqu’une ingérence dans le droit invoqué par un requérant découle directement d’une loi, celle-ci, par son seul maintien en vigueur, peut représenter une ingérence permanente dans l’exercice du droit concerné (voir, par exemple, les affaires Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, § 41, série A no 45, et Norris c. Irlande, 26 octobre 1988, § 38, série A no 142, dans lesquelles les requérants, homosexuels, se plaignaient de ce que des lois réprimant les actes homosexuels par des sanctions pénales portaient atteinte à leur droit au respect de leur vie privée).

110.  La Cour s’est fondée sur cette approche dans l’affaire Vallianatos et autres c. Grèce ([GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 54, CEDH 2013 (extraits)), dans laquelle les requérants se plaignaient d’une violation continue des articles 14 et 8 de la Convention du fait de l’impossibilité pour eux, en tant que couples de même sexe, de conclure des « pactes de vie commune », tandis que cette possibilité était reconnue par la loi aux couples de sexe opposé. En outre, dans l’affaire S.A.S. c. France ([GC], no 43835/11, § 110, CEDH 2014 (extraits)), qui concernait l’interdiction légale de porter une tenue destinée à dissimuler le visage dans l’espace public, la Cour a relevé que la situation de la requérante était similaire à celle des requérants dans les affaires Dudgeon et Norris, où elle avait constaté une ingérence continue dans l’exercice des droits protégés par l’article 8 de la Convention.

111.  La Cour admet que, dans les affaires précitées, l’impact des mesures législatives incriminées sur la vie quotidienne des requérants était plus important et plus direct qu’en l’espèce. Néanmoins, on ne saurait nier que l’interdiction légale du don d’embryons à la recherche scientifique en cause dans la présente affaire a une incidence sur la vie privée de la requérante. Cette incidence, qui résulte du lien biologique existant entre l’intéressée et ses embryons ainsi que de l’objectif de réalisation d’un projet familial à l’origine de leur création, découle directement de l’entrée en vigueur de la loi no 40/2004 et s’analyse en une situation continue en ce qu’elle affecte la requérante de manière permanente depuis lors (voir le rapport final de la Commission d’étude sur les embryons du 8 janvier 2010, qui émet l’hypothèse d’une conservation sans limite de durée des embryons congelés, paragraphe 21 ci-dessus).

112.  En pareil cas, selon la jurisprudence de la Cour, le délai de six mois ne commence à courir qu’à partir du moment où la situation en cause a pris fin (voir parmi d’autres, Çınar c. Turquie, no 17864/91, décision de la Commission du 5 septembre 1994). En conséquence, la Cour ne souscrit pas à la thèse du Gouvernement selon laquelle ce délai court à partir du jour de l’entrée en vigueur de la loi litigieuse.

113.  Par ailleurs, la thèse du Gouvernement équivaut à considérer que la requérante désirait donner ses embryons dès l’entrée en vigueur de la loi litigieuse, circonstance sur laquelle la Cour ne saurait spéculer.

114.  L’exception de tardivité de la requête soulevée par le Gouvernement au titre de l’article 35 § 1 de la Convention ne saurait donc être retenue.

III.  SUR LA QUALITÉ DE VICTIME DE LA REQUÉRANTE

A.  Position du Gouvernement

115.  Le Gouvernement excipe également de l’absence de qualité de victime de la requérante, indiquant que, au cours de la période allant du 12 novembre 2003 – date du décès du compagnon de l’intéressée – au 10 mars 2004, date de l’entrée en vigueur de la loi no 40/2004, la requérante aurait pu donner ses embryons à la recherche puisqu’il n’existait alors aucune réglementation en la matière et qu’un tel don n’était donc pas interdit.

B.  Position de la requérante

116.  La requérante a souligné au cours de l’audience que le délai qui s’était écoulé entre la date du décès de son compagnon et l’entrée en vigueur de la loi litigieuse avait été très court – quatre mois environ – et qu’elle n’avait pu prendre dans ce laps de temps de décision précise quant au sort qu’elle voulait réserver aux embryons issus de la fécondation in vitro qu’elle avait effectuée.

C.  Appréciation de la Cour

117.  La Cour rappelle que, lorsqu’une ingérence dans la vie privée d’un requérant découle directement d’une loi, celle-ci, par son maintien en vigueur, représente une ingérence permanente dans l’exercice du droit en question. Dans la situation personnelle de l’intéressé, elle se répercute de manière constante et directe, par sa seule existence, sur la vie privée de celui-ci (Dudgeon, § 41, et Norris, § 34, précités).

118.  En l’espèce, la requérante se trouve dans l’impossibilité de donner ses embryons à la recherche depuis l’entrée en vigueur de la loi no 40/2004 (voir également le paragraphe 113 ci-dessus). La situation litigieuse étant restée inchangée depuis ce moment-là, le fait que la requérante souhaitait donner ses embryons à la recherche au moment de l’introduction de sa requête suffit à la Cour pour lui reconnaître la qualité de victime. En outre, quant à l’argument du Gouvernement selon lequel la requérante aurait pu donner ses embryons à la recherche scientifique dans la période qui s’est écoulée entre le décès de son compagnon et l’entrée en vigueur de la loi, la Cour prend acte des informations fournies par la requérante dont il ressort que, dans le court laps de temps indiqué ci-dessus, elle n’avait pas pu prendre une décision précise quant au sort de ses embryons.

119.  Il y a donc lieu de rejeter l’exception du gouvernement défendeur tirée de l’absence de qualité de victime de la requérante.

IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

120.  Invoquant l’article 8 de la Convention, la requérante allègue que l’interdiction du don d’embryons à des fins de recherche scientifique découlant de l’article 13 de la loi no 40/2004 emporte violation de son droit au respect de sa vie privée. L’article 8 est ainsi libellé dans ses parties pertinentes :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...).

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A.  Arguments des parties

1.  Arguments du Gouvernement

121.  Le Gouvernement soutient d’emblée que la question de savoir si des embryons humains peuvent être donnés à la recherche scientifique ne relève pas de la notion de « droit au respect de la vie privée ».

122.  Lors de l’audience, il a avancé que l’article 8 de la Convention n’aurait pu s’appliquer que « de manière indirecte » en l’espèce, c’est-à-dire seulement si la requérante avait souhaité réaliser un projet familial grâce à l’implantation de ses embryons et si elle en avait été empêchée en raison de l’application de la loi no 40/2004.

123.  En tout état de cause, il plaide que l’ingérence alléguée dans la vie privée de la requérante est prévue par la loi et qu’elle poursuit un but légitime consistant à protéger la potentialité de vie dont l’embryon est porteur.

124.  Quant à la proportionnalité de la mesure litigieuse, le Gouvernement s’est limité dans ses observations écrites à renvoyer aux considérations développées sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. En revanche, lors de l’audience, le Gouvernement a soutenu que la législation italienne n’était pas contradictoire, arguant que la requérante affirmait à tort que des embryons cryoconservés ne pouvaient aboutir à une vie humaine. À cet égard, il a avancé que, correctement réalisée, la cryoconservation n’était pas limitée dans le temps et qu’il n’existait encore aucun critère scientifique permettant de vérifier la viabilité d’un embryon cryoconservé sans procéder à sa décongélation.

125.  Par ailleurs, le Gouvernement estime que la loi italienne qui autorise l’avortement n’est pas incompatible avec l’interdiction de donner des embryons à la recherche, précisant qu’en cas d’interruption de grossesse, la protection de la vie du fœtus doit de toute évidence être mise en balance avec la situation et les intérêts de la mère.

126.  Au cours de l’audience, il a aussi souligné que l’embryon faisait assurément l’objet d’une protection en droit européen. À cet égard, il a avancé que la Convention du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme et la biomédecine (« Convention d’Oviedo ») du 4 avril 1997 n’imposait certainement pas aux États d’autoriser la recherche scientifique destructive sur les embryons, le choix de mettre en place une telle recherche relevant selon lui de l’ample marge d’appréciation accordée aux États dans ce domaine.

127.  En outre, il indique que les travaux préparatoires de la loi no 40/2004 montrent que celle-ci est le fruit d’un travail important qui a tenu compte de différentes opinions et des questions scientifiques et éthiques qui se posent en la matière. De plus, il précise que la loi en question a fait l’objet de plusieurs référendums, notamment en ce qui concerne le maintien de son article 13, lesquels ont échoué parce que le quorum de votants n’avait pas été atteint.

128.  De surcroît, s’il reconnaît que la recherche scientifique italienne utilise des lignées cellulaires embryonnaires importées de l’étranger et résultant de la destruction des embryons originaires, il précise que la production de ces lignées n’est pas effectuée à la demande des laboratoires italiens, indiquant qu’il existe dans le monde environ trois cent lignées cellulaires embryonnaires mises à la disposition de toute la communauté scientifique. À cet égard, il souligne que la destruction volontaire d’un embryon humain ne saurait être comparée à l’utilisation de lignées cellulaires issues d’embryons humains précédemment détruits.

129.  En ce qui concerne les financements que l’Union européenne accorde à la recherche scientifique, le Gouvernement expose que le VIIème programme-cadre de recherche et de développement technologiques et le programme-cadre pour la recherche et l’innovation « Horizon 2020 » (voir le paragraphe 64 ci-dessus) ne prévoient pas le financement de projets impliquant la destruction d’embryons, que ceux-ci aient été créés en Europe ou importés de pays tiers.

130.  Il souligne enfin que, dans son avis du 18 novembre 2005 relatif à l’« adoption pour la naissance – ADP » (voir les paragraphes 19-20 ci‑dessus), le Comité national pour la bioéthique s’était déjà préoccupé du sort des embryons surnuméraires afin de trouver des solutions qui respectent la vie de ceux-ci.

131.  Il estime que cette perspective pourrait aujourd’hui se concrétiser compte tenu de l’arrêt no 162 du 10 juin 2014 par lequel la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelle l’interdiction de la fécondation hétérologue, permettant ainsi l’utilisation des embryons surnuméraires d’une fécondation in vitro à des fins non destructives, conformément à l’objectif poursuivi par la législation italienne en cette matière.

2.  Arguments de la requérante

132.  La requérante affirme d’abord qu’au sens de la jurisprudence de la Cour, la notion de « vie privée » est large (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002‑III et Evans c. Royaume-Uni [GC], n6339/05, § 71, CEDH 2007‑I).

133.  Elle signale ensuite qu’elle a perdu son compagnon dans des circonstances tragiques, raison pour laquelle elle n’a pu réaliser son projet familial. À l’audience, elle a expliqué que quatre mois seulement s’étaient écoulés entre le décès de son compagnon et l’entrée en vigueur de la loi, qu’elle n’avait donc pas eu le temps nécessaire pour réfléchir à la mise en place d’un projet familial, et que la loi interdisait en tout état de cause l’implantation d’embryons post mortem.

134.  Dans ce contexte, elle considère que l’État lui impose de surcroît d’assister à la destruction de ses embryons sans lui permettre de les donner à la recherche alors qu’un tel don, qui poursuivrait une noble cause, représenterait pour elle une source de réconfort après les événements douloureux auxquels elle a été confrontée. Dans ces conditions, elle estime que son droit à la vie privée se trouve en cause.

135.  Elle considère en outre que l’interdiction litigieuse est dépourvue de toute logique, la seule voie offerte par le système étant celle de la mort des embryons. Au cours de l’audience, elle a notamment mis en exergue les contradictions existant dans l’ordre juridique italien, avançant que le droit de l’embryon à la vie invoqué par le Gouvernement ne se conciliait ni avec la possibilité pour les femmes d’avorter jusqu’au troisième mois de grossesse ni avec l’utilisation, par les laboratoires italiens, de lignées cellulaires embryonnaires issues de la destruction d’embryons créés à l’étranger.

136.  De plus, elle estime que la possibilité de donner des embryons non destinés à une implantation répondrait aussi à un intérêt public, car les recherches sur les cellules souches pluripotentes induites n’ont pas encore remplacé les recherches sur les cellules staminales, raison pour laquelle ces dernières continuent à figurer parmi les voies de recherche les plus prometteuses, notamment en ce qui concerne le traitement de certaines pathologies incurables.

137.  Elle soutient aussi que l’État ne dispose pas d’une large marge d’appréciation en l’espèce, compte tenu notamment du consensus européen existant sur la possibilité de donner à la recherche scientifique des embryons qui ne sont pas destinés à être implantés.

138.  Lors de l’audience, elle s’est référée à l’arrêt rendu le 18 octobre 2011 par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire Oliver Brüstle c. Greenpeace eV (voir les paragraphes 59 à 61 ci‑dessus). Observant que cet arrêt se borne à interdire la brevetabilité des inventions qui impliquent la destruction d’embryons humains, elle en déduit que les inventions elles-mêmes – et les recherches qui les précèdent – ne sont pas interdites sur le plan européen.

139.  Enfin, elle estime que la Communication de la Commission européenne relative à l’initiative citoyenne européenne « Un de nous » du 28 mai 2014 (voir les paragraphes 65-66 ci-dessus) confirme que le financement des recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines est autorisé.

3.  Observations des tiers intervenants

a)  Le Centre européen pour la justice et les droits de l’homme (l’« ECLJ »)

140.  L’ECLJ avance que, dans la présente affaire, les intérêts de la science – auxquels est sensible la requérante – ne prévalent pas sur le respect dû à l’embryon, cela en raison du principe de la « primauté de l’être humain » reconnu par l’article 2 de la Convention d’Oviedo.

141.  En outre, il fait observer que, dans toutes les affaires soulevant des questions liées à la procréation médicalement assistée portées devant la Cour, l’ingérence dans la vie privée et familiale des requérants découlait d’une loi qui faisait obstacle à la réalisation d’un projet parental du couple ou de la mère. Il estime qu’il n’en va pas de même en l’espèce, la requérante ayant décidé de renoncer à son projet familial, alors même qu’aucune loi n’interdisait la gestation post mortem à l’époque de la réalisation de la fécondation in vitro.

142.  Enfin, il rappelle que la marge d’appréciation des États membres dans ce domaine est ample, renvoyant à cet égard aux arrêts S.H. et autres c. Autriche et Evans, précités.

b)  Les associations « Movimento per la vita », « Scienza e vita » et « Forum delle associazioni familiari », représentées par Me Carlo Casini

143.  Ces associations soutiennent que les expérimentations destructives sur des embryons humains, qui ont la qualité de « sujet », sont interdites par la loi et que la Convention d’Oviedo n’impose aucune obligation d’autoriser de telles expérimentations.

144.  Elles rappellent en outre que les états membres jouissent dans ce domaine d’une large marge d’appréciation.

c)  Les associations « Luca Coscioni », « Amica Cicogna Onlus », « L’altra cicogna Onlus » et « Cerco bimbo » ainsi que quarante-six membres du Parlement italien, représentés par Me Filomena Gallo

145.  Ces tiers intervenants avancent que la notion de « vie privée » est évolutive, qu’elle ne se prête pas à une définition exhaustive, et que la requérant revendique notamment le droit au respect de son choix de donner à la recherche du matériel biologique qui lui appartient, à savoir des embryons qui ne sont plus destinés à un projet parental et qui sont en tout état de cause voués à la destruction.

146.  Ils ajoutent que l’ingérence en cause n’est pas justifiée par l’objectif invoqué, la loi italienne n’accordant pas de protection absolue à la vie de l’embryon.

d)  Les associations « VOX – Osservatorio italiano sui Diritti », « SIFES – Society of Fertility, Sterility and Reproductive Medicine » et « Cittadinanzattiva », représentées par Me Maria Elisa D’Amico, Mme Maria Paola Costantini, M. Massimo Clara, Mme Chiara Ragni et Mme Benedetta Liberali

147.  Ces associations soulignent que l’article 13 de la loi no 40/2004 entraîne une limitation de la liberté des individus de choisir le sort de leurs propres embryons, dont la cryoconservation doit être assurée pour une durée illimitée, ce qui entraîne des coûts importants.

148.  Selon elles, la cryoconservation ne présente aucune utilité pour des embryons destinés à la mort, ni pour les couples, qui sont en général peu désireux d’utiliser à des fins d’implantation des embryons cryoconservés depuis longtemps car la « qualité » de ceux-ci s’amenuise avec le temps. Elle serait tout aussi dénuée d’intérêt pour les centres médicaux où les embryons sont conservés.

B.  Appréciation de la Cour

1.  Sur l’applicabilité en l’espèce de l’article 8 de la Convention et sur la recevabilité du grief soulevé par la requérante

149.  Par la présente affaire, la Cour est appelée pour la première fois à se prononcer sur la question de savoir si le « droit au respect de la vie privée » garanti par l’article 8 de la Convention peut englober le droit que la requérante invoque devant elle, celui de disposer d’embryons issus d’une fécondation in vitro dans le but d’en faire don à la recherche scientifique.

150.  Le Gouvernement soutient que la disposition en cause n’aurait pu s’appliquer en l’espèce que de manière indirecte et uniquement dans son volet « vie familiale », c’est-à-dire seulement si la requérante avait souhaité réaliser un projet familial grâce à la cryoconservation et à l’implantation ultérieure de ses embryons, et qu’elle en avait été empêchée en raison de l’application de la loi no 40/2004.

151.  Toutefois, la requérante a indiqué dans le formulaire de requête (voir le paragraphe 14 ci-dessus) et réitéré à l’audience (voir le paragraphe 116 ci-dessus) que, depuis le décès de son compagnon, elle n’envisageait plus la réalisation d’un projet familial. D’ailleurs, elle n’a à aucun moment allégué devant la Cour qu’il avait été porté atteinte à son droit au respect de sa vie familiale au titre de l’article 8 de la Convention.

152.  En réalité, l’objet du litige dont la Cour se trouve saisie porte sur la limitation du droit revendiqué par la requérante de décider du sort de ses embryons, droit qui relève tout au plus de la « vie privée ».

153.  À l’instar de la requérante, la Cour rappelle d’emblée que, selon sa jurisprudence, la notion de « vie privée » au sens de l’article 8 de la Convention est une notion large qui ne se prête pas à une définition exhaustive et qui englobe notamment un droit à l’autodétermination (Pretty, précité, § 61). En outre, cette notion recouvre le droit au respect des décisions de devenir ou de ne pas devenir parent (Evans, précité, § 71, et A, B et C c. Irlande [GC], no 25579/05, § 212, CEDH 2010).

154.  Dans les affaires dont elle a eu à connaître où se posait la question particulière du sort à réserver aux embryons issus d’une procréation médicalement assistée, la Cour s’est référée à la liberté de choix des parties.

155.  Dans l’affaire Evans (précitée), en analysant l’équilibre à ménager entre les droits conflictuels que les parties à un traitement par fécondation in vitro peuvent puiser dans l’article 8 de la Convention, la Grande Chambre a estimé « qu’il n’y a[vait] pas lieu d’accorder davantage de poids au droit de la requérante au respect de son choix de devenir parent au sens génétique du terme qu’à celui de [son ex-compagnon] au respect de sa volonté de ne pas avoir un enfant biologique avec elle » (Evans, précité, § 90).

156.  En outre, dans l’affaire Knecht c. Roumanie (no 10048/10, 2 octobre 2012), où la requérante se plaignait notamment du refus des autorités nationales d’autoriser le transfert de ses embryons du centre médical où ils étaient conservés vers une clinique spécialisée de son choix, la Cour a jugé que l’article 8 n’était applicable que sous l’angle du droit au respect de la vie privée de l’intéressée (Knecht, précité, § 55) bien que celle-ci eût invoqué également une méconnaissance de son droit au respect de sa vie familiale (voir le paragraphe 51 de l’arrêt).

157.  Sur le plan du droit national, la Cour observe que, comme le Gouvernement l’a souligné à l’audience, l’arrêt no 162 du 10 juin 2014 par lequel la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelle l’interdiction de la fécondation hétérologue (voir les paragraphes 34 à 39 ci-dessus) devrait permettre l’« adoption pour la naissance », pratique qui consiste pour un couple ou une femme à adopter des embryons surnuméraires à des fins d’implantation et qui avait été envisagée par le Comité national pour la bioéthique en 2005. De plus, la Cour note que, dans l’arrêt en question, la Cour constitutionnelle a considéré que le choix des demandeurs de devenir parents et de fonder une famille avec des enfants relevait de « leur liberté d’autodétermination concernant la sphère de leur vie privée et familiale » (voir le paragraphe 37 ci-dessus). Il en résulte que l’ordre juridique italien accorde aussi du poids à la liberté de choix des parties à un traitement par fécondation in vitro en ce qui concerne le sort des embryons non destinés à l’implantation.

158.  En l’espèce, la Cour doit aussi avoir égard au lien existant entre la personne qui a eu recours à une fécondation in vitro et les embryons ainsi conçus, et qui tient au fait que ceux-ci renferment le patrimoine génétique de la personne en question et représentent à ce titre une partie constitutive de celle-ci et de son identité biologique.

159.  La Cour en conclut que la possibilité pour la requérante d’exercer un choix conscient et réfléchi quant au sort à réserver à ses embryons touche un aspect intime de sa vie personnelle et relève à ce titre de son droit à l’autodétermination. L’article 8 de la Convention, sous l’angle du droit au respect de la vie privée, trouve donc à s’appliquer en l’espèce.

160.  La Cour constate enfin que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

2.  Sur le fond du grief soulevé par la requérante

a)  Sur l’existence d’une « ingérence » « prévue par la loi »

161.  À l’instar des parties, la Cour estime que l’interdiction faite par l’article 13 de la loi no 40/2004 de donner à la recherche scientifique des embryons issus d’une fécondation in vitro non destinés à l’implantation constitue une ingérence dans le droit de la requérante au respect de sa vie privée. Elle rappelle à cet égard que, à l’époque où la requérante a eu recours à une fécondation in vitro, la question du don des embryons non implantés issus de cette technique n’était pas réglementée. Par conséquent, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi litigieuse, il n’était nullement interdit à la requérante de donner ses embryons à la recherche scientifique.

b)  Sur la légitimité du but poursuivi

162.  Au cours de l’audience, le Gouvernement a indiqué que l’objectif poursuivi par la mesure litigieuse consistait à protéger la « potentialité de vie dont l’embryon est porteur ».

163.  La Cour rappelle que l’énumération des exceptions au droit au respect de la vie privée qui figure dans le second paragraphe de l’article 8 est exhaustive et que la définition de ces exceptions est restrictive. Pour être compatible avec la Convention, une restriction à ce droit doit notamment être inspirée par un but susceptible d’être rattaché à l’un de ceux que cette disposition énumère (S.A.S. c. France précité, § 113).

164.  La Cour relève que, tant dans ses observations écrites que dans la réponse à la question qui lui a été posée à l’audience, le Gouvernement ne s’est pas référé aux clauses du deuxième paragraphe de l’article 8 de la Convention.

165.  Toutefois, dans ses observations écrites portant sur l’article 8 de la Convention, le Gouvernement a renvoyé aux considérations qu’il avait exposées sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir le paragraphe 124 ci-dessus) selon lesquelles, dans l’ordre juridique italien, l’embryon humain est considéré comme un sujet de droit devant bénéficier du respect dû à la dignité humaine (voir le paragraphe 205 ci-dessous).

166.  La Cour relève également que, dans le même ordre d’idées, deux tierces parties (l’« ECLJ » et les associations « Movimento per la vita », « Scienza e vita » et « Forum delle associazioni familiari ») soutiennent que l’embryon humain a la qualité de « sujet » (voir les paragraphes 140 et 143 ci-dessus).

167.  La Cour admet que la « protection de la potentialité de vie dont l’embryon est porteur » peut être rattachée au but de protection de la morale et des droits et libertés d’autrui, au sens où cette notion est entendue par le Gouvernement, (voir aussi Costa et Pavan, précité, §§ 45 et 59). Toutefois, cela n’implique aucun jugement de la Cour sur le point de savoir si le mot « autrui » englobe l’embryon humain (A, B et C c. Irlande, précité, § 228).

c)  Sur la nécessité de la mesure dans une société démocratique

i.  Les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour en matière de procréation médicalement assistée

168.  La Cour rappelle que pour apprécier la « nécessité » d’une mesure litigieuse « dans une société démocratique » il lui faut examiner, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoqués pour justifier la mesure en question sont pertinents et suffisants aux fins de l’article 8 § 2 (voir, parmi beaucoup d’autres, S.H. et autres c. Autriche, précité, § 91, Olsson c. Suède (no 1), 24 mars 1988, § 68, série A no 130, K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 154, CEDH 2001-VII, Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 65, CEDH 2002-I, et P., C. et S. c. Royaume‑Uni, no 56547/00, § 114, CEDH 2002-VI).

169.  En outre, pour se prononcer sur l’ampleur de la marge d’appréciation à accorder à l’État dans une affaire soulevant des questions au regard de l’article 8, il y a lieu de prendre en compte un certain nombre de facteurs. Lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l’État est d’ordinaire restreinte (Evans, précité, § 77, avec les références qui s’y trouvent citées, et Dickson c. Royaume-Uni [GC], no 44362/04, § 78, CEDH 2007‑V). Par contre, lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation est plus large (S.H. et autres c. Autriche, précité, § 94, Evans, précité, § 77, X, Y et Z c. Royaume-Uni, 22 avril 1997, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II, Fretté c. France, no 36515/97, § 41, CEDH 2002-I, Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 85, CEDH 2002‑VI, et A, B et C c. Irlande, précité, § 232).

170.  La Cour a également observé que, en tout état de cause, « les choix opérés par le législateur en la matière n’échappent pas [à son] contrôle. Il [lui] incombe d’examiner attentivement les arguments dont le législateur a tenu compte pour parvenir aux solutions qu’il a retenues et de rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts de l’État et ceux des individus directement touchés par les solutions en question » (S.H. et autres c. Autriche, précitée, § 97).

171.  Dans l’affaire précitée, la Cour a aussi relevé que le parlement autrichien n’avait pas encore « procédé à un réexamen approfondi des règles régissant la procréation artificielle à la lumière de l’évolution rapide que connaissent la science et la société à cet égard » et elle a rappelé que « le domaine en cause, qui paraît se trouver en perpétuelle évolution et connaît des évolutions scientifiques et juridiques particulièrement rapides, appelle un examen permanent de la part des États contractants » (S.H. et autres c. Autriche, précitée, §§ 117 et 118).

172.  Dans l’affaire Costa et Pavan (précité, § 64), la Cour a jugé que la législation italienne sur le diagnostic préimplantatoire manquait de cohérence en ce qu’elle interdisait de limiter l’implantation aux seuls embryons indemnes de la maladie dont les intéressés étaient porteurs sains alors qu’elle autorisait la requérante à avorter d’un fœtus qui aurait été atteint de la maladie en question.

173.  En outre, elle a estimé qu’elle n’avait pas pour tâche de se substituer aux autorités nationales dans le choix de la réglementation la plus appropriée en matière de procréation médicalement assistée, soulignant notamment que l’utilisation des techniques de fécondation in vitro soulève des questions délicates d’ordre moral et éthique, dans un domaine en évolution continue (Knecht, précité, § 59).

ii.  Application en l’espèce des principes susmentionnés

174.  La Cour rappelle d’emblée que la présente espèce ne concerne pas un projet parental, à la différence des affaires citées ci-dessus. Dans ces conditions, s’il n’est assurément pas dénué d’importance, le droit de donner des embryons à la recherche scientifique invoqué par la requérante ne fait pas partie du noyau dur des droits protégés par l’article 8 de la Convention en ce qu’il ne porte pas sur un aspect particulièrement important de l’existence et de l’identité de l’intéressée.

175.  En conséquence, et eu égard aux principes dégagés par sa jurisprudence, la Cour estime qu’il y a lieu d’accorder à l’État défendeur une ample marge d’appréciation en l’espèce.

176.  De plus, elle observe que la question du don d’embryons non destinés à l’implantation suscite de toute évidence « des interrogations délicates d’ordre moral et éthique » (voir Evans, précité, S.H. et autres c. Autriche, précité, et Knecht, précité) et que les éléments de droit comparé dont elle dispose (voir les paragraphes 69 à 76 ci-dessus) montrent qu’il n’existe en la matière aucun consensus européen, contrairement à ce qu’affirme la requérante (voir le paragraphe 137 ci-dessus).

177.  Certes, certains États membres ont adopté une approche permissive dans ce domaine : dix-sept des quarante États membres pour lesquels la Cour dispose d’informations en la matière autorisent la recherche sur les lignées cellulaires embryonnaires humaines. S’y ajoutent les états où ce domaine n’est pas règlementé, mais dont les pratiques sont permissives en la matière.

178.  Toutefois, certains états (Andorre, la Lettonie, la Croatie et Malte) se sont dotés d’une législation interdisant expressément toute recherche sur les cellules embryonnaires. D’autres n’autorisent les recherches de ce genre que sous certaines conditions strictes, exigeant par exemple qu’elles visent à protéger la santé de l’embryon ou qu’elles utilisent des lignées cellulaires importées de l’étranger (c’est le cas de la Slovaquie, de l’Allemagne et de l’Autriche, tout comme de l’Italie).

179.  L’Italie n’est donc pas le seul État membre du Conseil de l’Europe à proscrire le don d’embryons humains à des fins de recherche scientifique.

180.  De plus, les documents précités du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne confirment que les autorités nationales jouissent d’une ample marge de discrétion pour adopter des législations restrictives lorsque la destruction d’embryons humains est en jeu, compte tenu notamment des questions d’ordre éthique et moral que la notion de commencement de la vie humaine comporte et de la pluralité de vues existant à ce sujet parmi les différents États membres.

181.  Il en va notamment ainsi de la Convention d’Oviedo, dont l’article 27 prévoit qu’aucune de ses dispositions ne doit être interprétée comme limitant la faculté de chaque Partie d’accorder une protection plus étendue à l’égard des applications de la biologie et de la médecine. L’avis no 15 adopté le 14 novembre 2000 par le Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission européenne, la Résolution 1352 (2003) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe relative à la recherche sur les cellules souches et le Règlement no 1394/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les médicaments de thérapie innovante comportent des dispositions similaires (voir le paragraphe 58, le point III lettre F et le point IV lettre B ci-dessus).

182.  Les limites imposées au niveau européen visent plutôt à freiner les excès dans ce domaine. C’est le cas par exemple de l’interdiction de créer des embryons humains à des fins de recherche scientifique, prévue par l’article 18 de la Convention d’Oviedo, ou de l’interdiction de breveter des inventions scientifiques dont le processus d’élaboration implique la destruction d’embryons humains (voir l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne Oliver Brüstle c. Greenpeace eV du 18 octobre 2011).

183.  Cela étant, la marge d’appréciation de l’État n’est pas illimitée et il incombe à la Cour d’examiner les arguments dont le législateur a tenu compte pour parvenir aux solutions qu’il a retenues ainsi que de rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts de l’État et ceux des individus directement touchés par les solutions en question (Evans, précité, § 86 et S.H. et autres c. Autriche, précité, § 97).

184.  La Cour relève dans ce contexte que, s’appuyant sur des documents relatifs aux travaux préparatoires de la loi no 40/2004, le Gouvernement a indiqué à l’audience que l’élaboration de la loi avait donné lieu à un important débat qui avait tenu compte des différentes opinions et des questions scientifiques et éthiques existant en la matière (voir le paragraphe 127 ci-dessus).

185.  Il ressort en effet d’un rapport de la XIIe Commission permanente présenté au Parlement le 26 mars 2002 que le débat a été enrichi par les contributions de médecins, spécialistes et associations engagées dans le domaine de la procréation médicalement assistée et que les discussions les plus vives ont porté en général sur la sphère des libertés individuelles, opposant les partisans d’une conception laïque de l’État aux tenants d’une approche confessionnelle de celui-ci.

186.  De plus, lors des débats du 19 janvier 2004, la loi no 40/2004 avait également été critiquée entre autres parce que la reconnaissance de la qualité de sujet de droit à l’embryon opérée par son premier article entraînait selon certains une série d’interdictions, notamment celle de recourir à la fécondation hétérologue et d’utiliser à des fins la recherche scientifique des embryons cryoconservés non destinés à une implantation.

187.  Par ailleurs, à l’instar du Gouvernement, la Cour rappelle que la loi no 40/2004 a fait l’objet de plusieurs référendums, qui ont échoué faute de quorum. Afin de promouvoir le développement de la recherche scientifique en Italie dans le domaine des maladies difficilement curables, l’un de ceux-ci proposait notamment l’abrogation de la clause de l’article 13 qui subordonne l’autorisation de mener des recherches scientifiques sur des embryons à la condition de protéger leur santé et leur développement.

188.  La Cour constate donc que, lors du processus d’élaboration de la loi litigieuse, le législateur avait déjà tenu compte des différents intérêts ici en cause, notamment celui de l’État à protéger l’embryon et celui des personnes concernées à exercer leur droit à l’autodétermination individuelle sous la forme d’un don de leurs embryons à la recherche.

189.  La Cour relève ensuite que la requérante allègue que la législation italienne relative à la procréation médicalement assistée est incohérente, en vue de démontrer le caractère disproportionné de l’ingérence dont elle se plaint.

190.  Dans ses observations écrites et à l’audience, l’intéressée a notamment souligné qu’il était difficile de concilier la protection de l’embryon mise en avant par le Gouvernement avec, d’une part, la possibilité pour une femme de recourir légalement à un avortement thérapeutique jusqu’au troisième mois de grossesse et, d’autre part, l’utilisation par les chercheurs italiens de lignées cellulaires embryonnaires issues d’embryons ayant été détruits à l’étranger.

191.  La Cour n’a point pour tâche d’analyser in abstracto la cohérence de la législation italienne en la matière. Pour être pertinentes aux fins de son examen, les contradictions dénoncées par la requérante doivent se rapporter à l’objet du grief qu’elle soulève devant la Cour, à savoir la limitation de son droit à l’autodétermination quant au sort à réserver à ses embryons (voir, mutatis mutandis, Olsson (no 1) précité, § 54, et Knecht, précité, § 59).

192.  Quant aux recherches effectuées en Italie sur des lignées cellulaires embryonnaires importées issues d’embryons ayant été détruits à l’étranger, la Cour observe que, si le droit invoqué par la requérante de décider du sort de ses embryons est lié à son désir de contribuer à la recherche scientifique, il n’y a toutefois pas lieu d’y voir une circonstance affectant directement l’intéressée.

193.  De surcroît, la Cour prend acte de l’information fournie par le Gouvernement au cours de l’audience, selon laquelle les lignées de cellules embryonnaires utilisées dans les laboratoires italiens à des fins de recherche ne sont jamais produites à la demande des autorités italiennes.

194.  Elle partage l’opinion du Gouvernement selon laquelle la destruction volontaire et active d’un embryon humain ne saurait être assimilée à l’utilisation de lignées cellulaires issues d’embryons humains détruits à un stade antérieur.

195.  Elle en conclut que, même à les supposer avérées, les incohérences de la législation alléguées par la requérante ne sont pas de nature à affecter directement le droit qu’elle invoque en l’espèce.

196.  Enfin, la Cour constate que, dans la présente affaire, le choix de donner les embryons litigieux à la recherche scientifique résulte de la seule volonté de la requérante, son compagnon étant décédé. Or la Cour ne dispose d’aucun élément attestant que ce dernier, qui était concerné par les embryons en cause au même titre que la requérante à l’époque de la fécondation, aurait fait le même choix. Par ailleurs, cette situation ne fait pas non plus l’objet d’une réglementation sur le plan interne.

197.  Pour les raisons exposées ci-dessus, la Cour estime que le Gouvernement n’a pas excédé en l’espèce l’ample marge d’appréciation dont il jouit en la matière et que l’interdiction litigieuse était « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

198.  Il n’y a donc pas eu violation du droit de la requérante au respect de sa vie privée au titre de l’article 8 de la Convention.

V.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

199.  Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, la requérante se plaint de ne pouvoir donner ses embryons et d’être obligée de les maintenir en état de cryoconservation jusqu’à leur mort. L’article 1 du Protocole no 1 à la Convention dispose :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A.  Arguments des parties

1.  Arguments du Gouvernement

200.  Le Gouvernement avance d’abord que l’embryon humain ne saurait être considéré comme une « chose » et qu’il est en tout état de cause inacceptable de lui attribuer une valeur économique. Il souligne ensuite que, dans l’ordre juridique italien, l’embryon humain est considéré comme un sujet de droit devant bénéficier du respect dû à la dignité humaine.

201.  Par ailleurs, il soutient que la Cour reconnaît aux États membres une large marge d’appréciation en matière de détermination du début de la vie humaine (Evans, précité, § 56), tout particulièrement dans des domaines comme celui-ci, où sont en jeu des questions morales et éthiques complexes qui ne font pas l’objet d’un consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe.

202.  Il en conclut qu’aucune violation de l’article 1 du Protocole no 1 ne saurait être décelée en l’espèce.

2.  Arguments de la requérante

203.  La requérante soutient que les embryons conçus par fécondation in vitro ne sauraient être considérés comme des « individus » puisque, en l’absence d’implantation, ils ne sont pas destinés à se développer pour devenir des fœtus et naître. Elle en déduit que, du point de vue juridique, ils sont des « biens ».

204.  Dans ces conditions, elle estime disposer d’un droit de propriété sur ses embryons. Or elle considère que l’État y a apporté des limitations qu’aucun motif d’un intérêt général ne justifie, la protection de la potentialité de vie dont les embryons seraient porteurs ne pouvant être raisonnablement invoquée à cet égard dès lors qu’ils ont vocation à être éliminés.

3.  Observations des tiers intervenants

a)  Le Centre européen pour la justice et les droits de l’homme (l’« ECLJ »)

205.  L’ECLJ soutient que les embryons ne sauraient être considérés comme des « choses », et qu’ils ne peuvent donc pas être détruits volontairement. Par ailleurs, il avance que la notion de « bien » a en soi une connotation économique qui est à exclure dans le cas d’embryons humains.

206.  Enfin, il fait observer que la Cour autorise les États à déterminer dans leur ordre juridique interne « le point de départ du droit à la vie » (Vo c. France [GC], no 53924/00, § 82, CEDH 2004‑VIII) et que, dans ce domaine, elle leur accorde une ample marge d’appréciation (A, B et C c. Irlande, précité, § 237).

b)  Les associations « Movimento per la vita », « Scienza e vita » et « Forum delle associazioni familiari », représentées par Me Carlo Casini

207.  Ces tierces parties excluent que l’embryon humain puisse être vu comme une « chose ».

208.  En outre, elles avancent que la législation italienne en la matière est cohérente. Si elles reconnaissent que celle-ci autorise l’avortement thérapeutique, elles précisent que cette possibilité ne tient pas à l’attribution de la qualité de « chose » à l’embryon mais à la prise en compte des différents intérêts en cause, notamment celui de la mère.

c)  Les associations « Luca Coscioni », « Amica Cicogna Onlus », « L’altra cicogna Onlus » et « Cerco un bimbo » ainsi que quarante-six membres du Parlement italien, représentés par de Me Filomena Gallo

209.  Me Gallo réitère les considérations exposées par la requérante concernant le statut de l’embryon.

d)  Les associations « VOX – Osservatorio italiano sui Diritti », « SIFES – Society of Fertility, Sterility and Reproductive Medicine » et « Cittadinanzattiva », représentées par Me Maria Elisa D’Amico, Mme Maria Paola Costantini, M. Massimo Clara, Mme Chiara Ragni et Mme Benedetta Liberali

210.  Ces tiers intervenants n’ont pas présenté d’observations sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

B.  Appréciation de la Cour

1.  Les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour

211.  La Cour rappelle que la notion de « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens corporels et qui est indépendante des qualifications formelles du droit interne : certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits patrimoniaux » et donc des « biens » aux fins de cette disposition. Dans chaque affaire, il importe d’examiner si les circonstances, considérées dans leur ensemble, ont rendu le requérant titulaire d’un intérêt substantiel protégé par l’article 1 du Protocole no 1 (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 1999‑II, Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 100, CEDH 2000‑I, et Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 129, CEDH 2004-V).

212.  L’article 1 du Protocole no 1 ne vaut que pour les biens actuels. Un revenu futur ne peut ainsi être considéré comme un « bien » que s’il a déjà été gagné ou s’il fait l’objet d’une créance certaine. En outre, l’espoir de voir reconnaître un droit de propriété que l’on est dans l’impossibilité d’exercer effectivement ne peut non plus être considéré comme un « bien », ni une créance conditionnelle qui se trouve caduque par suite de la non-réalisation de la condition (Gratzinger et Gratzingerova c. République tchèque (déc.) [GC], no 39794/98, § 69, CEDH 2002-VII).

213.  Cependant, dans certaines circonstances, l’« espérance légitime » d’obtenir une valeur patrimoniale peut également bénéficier de la protection de l’article 1 du Protocole no 1. Ainsi, lorsque l’intérêt patrimonial est de l’ordre de la créance, l’on peut considérer que l’intéressé dispose d’une espérance légitime si un tel intérêt présente une base suffisante en droit interne, par exemple lorsqu’il est confirmé par une jurisprudence bien établie des tribunaux (Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 52, CEDH 2004-IX).

2.  Application en l’espèce des principes susmentionnés

214.  La Cour relève que la présente affaire soulève la question préalable de l’applicabilité de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention aux faits en cause. Elle prend acte de ce que les parties ont des positions diamétralement opposées sur cette question, tout particulièrement en ce qui concerne le statut de l’embryon humain in vitro.

215.  Elle estime toutefois qu’il n’est pas nécessaire de se pencher ici sur la question, délicate et controversée, du début de la vie humaine, l’article 2 de la Convention n’étant pas en cause en l’espèce. Quant à l’article 1 du Protocole no 1, la Cour est d’avis qu’il ne s’applique pas dans le cas présent. En effet, eu égard à la portée économique et patrimoniale qui s’attache à cet article, les embryons humains ne sauraient être réduits à des « biens » au sens de cette disposition.

216.  L’article 1 du Protocole no 1 à la Convention n’étant pas applicable en l’espèce, cette partie de la requête doit être rejetée comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de celle-ci.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Rejette, à l’unanimité, l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement ;

 

2.  Rejette, à la majorité, l’exception de tardiveté de la requête soulevée par le Gouvernement ;

 

3.  Rejette, à la majorité, l’exception soulevée par le Gouvernement tirée de l’absence de qualité de victime de la requérante ;

 

4.  Déclare, à la majorité, la requête recevable quant au grief tiré de l’article 8 de la Convention ;

 

5.  Déclare, à l’unanimité, la requête irrecevable quant au grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

 

6.  Dit, par seize voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg le 27 août 2015.

Johan Callewaert                                                                  Dean Spielmann
Adjoint au greffier                                                                     Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

–  opinion concordante du juge Pinto de Albuquerque ;

–  opinion concordante du juge Dedov ;

–  opinion en partie concordante commune des juges Casadevall, Raimondi, Berro, Nicolaou et Dedov ;

–  opinion en partie dissidente commune des juges Casadevall, Ziemele, Power-Forde, De Gaetano et Yudkivska ;

–  opinion en partie dissidente du juge Nicolaou ;

–  opinion dissidente du juge Sajó.

D.S.
J.C.


OPINION CONCORDANTE DU
JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

Table des matières

I.   Introduction (§ 1)

II.  La recherche sur l’embryon humain en droit international (§§ 2-26)

A.  Les normes des Nations unies (§§ 2-10)

i.    La Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme (§ 2)

ii.   Les Lignes directrices internationales d’éthique pour la recherche biomédicale impliquant des sujets humains (§ 3)

iii.  La Déclaration internationale sur les données génétiques humaines (§ 4)

iv.  La Déclaration des Nations Unies sur le clonage des êtres humains (§ 5)

v.   La Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme (§ 6)

vi.  Les avis du Comité international de bioéthique de l’UNESCO (§§ 710)

B.  Les normes professionnelles universelles (§§ 11-12)

i.    La Déclaration de l’Association médicale mondiale (AMM) sur les principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains (§ 11)

ii.   Les lignes directrices relatives à la conduite de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines (Guidelines for the Conduct of Human Embryonic Stem Cell Research) de la Société internationale pour la recherche sur les cellules souches (§ 12)

C.  Les normes interaméricaines (§ 13)

D.  Les normes africaines (§§ 14-15)

E.  Les normes européennes (§§ 16-26)

i.    Les normes de l’Union européenne (§§ 16-22)

ii.   Les normes du Conseil de l’Europe (§§ 23-26)

III.      La position des parties (§§ 27-30)

A.  Le caractère inutile de la restriction légale italienne (§§ 27-28)

B.  Le caractère contradictoire du cadre juridique italien applicable (§ 29)

C.  Le consensus européen non prohibitif (§ 30)

IV.      La position de la majorité (§§ 31-37)

V.  L’application des normes de la Cour (§§ 38-42)

VI.      Conclusion (§ 43)


 

I.  Introduction

1.  Je n’ai pas d’objection aux décisions sur la recevabilité et l’irrecevabilité formulées par la majorité de la Grande Chambre[4]. Je ne puis cependant souscrire au raisonnement de la majorité sur la question de fond qui est en jeu, à savoir l’utilisation d’embryons cryoconservés aux fins de la recherche sur les cellules souches. J’ai néanmoins voté, sans hésitation, comme la majorité en faveur d’un constat de non-violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention »).

II.  La recherche sur l’embryon humain en droit international

A.  Les normes des Nations unies

i.  La Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme

2.  Comme il ressort de l’article 6 § 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du neuvième alinéa du préambule de la Convention relative aux droits de l’enfant, le droit international n’est pas indifférent à la nécessité de protéger la vie humaine potentielle. Cependant, l’article 15 § 3 du Pacte international de 1966 sur les droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) engage aussi les États parties « à respecter la liberté indispensable à la recherche scientifique ». L’État peut toutefois limiter cette liberté scientifique aux fins de favoriser le « bien-être général dans une société démocratique ». La protection de la vie humaine à naître –valeur sociale indispensable dans une société démocratique qui concerne le bien-être non seulement des générations actuelles mais aussi des générations futures – relève assurément de la clause de restriction contenue à l’article 4 du PIDESC, lue à la lumière du développement du droit international survenu dans la seconde moitié du XXe siècle.

En fait, les Nations unies ont pris d’importantes mesures en vue de la reconnaissance de la dignité humaine des embryons, en les protégeant dans le cadre de la recherche scientifique et de l’expérimentation sur les êtres humains, à commencer par l’adoption de la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme adoptée à la Conférence générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) en 1997[5], confirmée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1998[6]. La déclaration énonce que le génome humain sous-tend la reconnaissance de la dignité intrinsèque et de la diversité de la famille humaine. Chaque individu a droit au respect de sa dignité et de ses droits, quelles que soient ses caractéristiques génétiques. Cette dignité impose de ne pas réduire les individus à leurs caractéristiques génétiques et de respecter le caractère unique de chacun et la diversité des individus. Le génome humain, par nature évolutif, est sujet à des mutations. Il renferme des potentialités qui s’expriment différemment selon l’environnement naturel et social de chaque individu. Le génome humain en son état naturel ne peut donner lieu à des gains pécuniaires. La déclaration ajoute qu’aucune recherche concernant le génome humain, ni aucune de ses applications, en particulier dans les domaines de la biologie, de la génétique et de la médecine, ne devrait prévaloir sur le respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de la dignité humaine des individus ou de groupes d’individus. Des pratiques qui sont contraires à la dignité humaine, telles que le clonage à des fins de reproduction d’êtres humains, ne sont pas permises.

ii.  Les Lignes directrices internationales d’éthique pour la recherche biomédicale impliquant des sujets humains

3.  En 2002, le Conseil des organisations internationales des sciences médicales (CIOMS), en collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a mis à jour les Lignes directrices internationales d’éthique pour la recherche biomédicale impliquant des sujets humains, qui portent sur l’application à la recherche impliquant des sujets humains de trois principes fondamentaux d’éthique : le respect de la personne, la bienfaisance et la justice[7]. Cet instrument dispose donc que la recherche biomédicale impliquant des sujets humains ne peut être éthiquement justifiable que si elle est conduite d’une manière qui respecte et protège les sujets de la recherche, qui soit équitable et qui soit moralement acceptable dans les communautés où la recherche est effectuée[8].

iii.  La Déclaration internationale sur les données génétiques humaines

4.  La Déclaration internationale sur les données génétiques humaines a été adoptée par la Conférence générale de l’UNESCO en octobre 2003[9]. Elle a pour objectifs d’assurer le respect de la dignité humaine et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la collecte, le traitement, l’utilisation et la conservation des données génétiques humaines, des données protéomiques humaines et des échantillons biologiques à partir desquels elles sont obtenues, conformément aux impératifs d’égalité et de justice. La déclaration énonce que chaque individu a une constitution génétique caractéristique. Toutefois, l’identité d’une personne ne saurait se réduire à ses caractéristiques génétiques. Les données génétiques humaines et les données protéomiques humaines peuvent être collectées, traitées, utilisées et conservées uniquement aux fins de recherche médicale et autre recherche scientifique, ou toute autre fin compatible avec la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme et avec le droit international des droits de l’homme.

iv.  La Déclaration des Nations Unies sur le clonage des êtres humains

5.  La Déclaration des Nations Unies sur le clonage des êtres humains a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en mars 2005[10]. Elle invite les États membres à adopter toutes les mesures voulues pour protéger comme il convient la vie humaine dans l’application des sciences de la vie, à interdire toutes les formes de clonage humain dans la mesure où elles seraient incompatibles avec la dignité humaine et la protection de la vie humaine et à adopter les mesures voulues pour interdire l’application des techniques de génie génétique qui pourrait aller à l’encontre de la dignité humaine.

v.  La Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme

6.  La Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme a été adoptée par acclamation par la Conférence générale de l’UNESCO en octobre 2005[11]. Elle traite des questions d’éthique posées par la médecine, les sciences de la vie et les technologies qui leur sont associées, appliquées aux êtres humains. Elle insiste sur la nécessité pour cette recherche scientifique de s’inscrire dans le cadre des principes éthiques et de respecter la dignité humaine, les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Les intérêts et le bien-être de l’individu devraient l’emporter sur le seul intérêt de la science ou de la société. Dans l’application et l’avancement des connaissances scientifiques, de la pratique médicale et des technologies qui leur sont associées, les effets bénéfiques directs et indirects pour les individus concernés devraient être maximisés et tout effet nocif susceptible d’affecter ces individus devrait être réduit au minimum. L’égalité fondamentale de tous les êtres humains en dignité et en droit doit être respectée de manière à ce qu’ils soient traités de façon juste et équitable. Aucun individu ou groupe ne devrait être soumis, en violation de la dignité humaine, des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à la discrimination ou à la stigmatisation. L’incidence des sciences de la vie sur les générations futures, y compris sur leur constitution génétique, devrait être dûment prise en considération.

vi.  Les avis du Comité international de bioéthique de l’UNESCO

7.  En 2001, le Comité international de bioéthique de l’UNESCO (CIB) a résumé sa position au sujet des cellules souches embryonnaires dans un rapport intitulé « L’utilisation des cellules souches embryonnaires pour la recherche thérapeutique : rapport du CIB sur les aspects éthiques des recherches sur les cellules embryonnaires »[12]. Aux fins du rapport, l’embryon humain a été examiné aux premiers stades de son développement, avant son implantation dans l’utérus. Si les recherches sur l’embryon humain pour obtenir des cellules souches embryonnaires sont autorisées, alors elles doivent être soumises à un strict contrôle et à des conditions restrictives rigoureuses, notamment l’obtention du consentement éclairé des donneurs et la justification en termes d’avantages pour l’humanité. Les recherches menées à des fins non médicales ne seraient évidemment pas éthiques, de même que des recherches qui porteraient sur des embryons ayant dépassé les tout premiers stades de développement. Les applications médicales des recherches doivent être sans équivoque des applications thérapeutiques et non correspondre à des souhaits cosmétiques ou à des caprices non médicaux ou, a fortiori, à des améliorations eugéniques. En aucun cas le don d’embryons humains ne doit être une transaction commerciale et des mesures devraient être prises pour décourager toute incitation financière.

Les recherches sur les cellules souches embryonnaires – et les recherches sur l’embryon en général – sont une question que chaque communauté doit elle-même trancher. Des mesures devraient être prises pour garantir que ces recherches sont menées dans un cadre législatif ou réglementaire qui accorderait le poids nécessaire aux considérations éthiques et fixerait des principes directeurs adéquats. Si l’on envisage d’autoriser que des dons d’embryons surnuméraires au stade préimplantatoire, provenant de traitements de FIV, soient consentis pour des recherches sur les cellules souches embryonnaires à des fins thérapeutiques, l’attention sera accordée à la dignité et aux droits des deux parents donneurs. Il est donc essentiel que le don n’ait lieu qu’après que les donneurs ont été pleinement informés des implications de ces recherches et ont donné leur consentement libre et éclairé. Il conviendrait d’examiner d’autres technologies permettant d’obtenir des lignées de cellules souches à partir de sources génétiquement compatibles pour la recherche thérapeutique dans le domaine des transplantations. Dans tous les aspects des recherches concernant l’embryon humain, une importance particulière devrait être accordée au respect de la dignité humaine et aux principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) et la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme (1997).

8.  En 2003, dans le « Rapport du CIB sur le diagnostic génétique pré‑implantatoire et les interventions sur la lignée germinale »[13], le CIB a déclaré que la destruction d’embryons pour des raisons non médicales ou l’interruption d’une grossesse à cause du sexe de l’enfant n’est pas « contrebalancée » par le désir d’éviter des souffrances futures dues à une maladie grave. L’intervention sur la lignée germinale vise à corriger une anomalie génétique particulière dans les cellules germinales ou dans l’embryon à ses premiers stades ou à introduire des gènes qui peuvent conférer à l’embryon des caractères additionnels. Le CIB a souligné qu’en ce qui concerne les interventions sur la lignée germinale, la distinction entre les « objectifs thérapeutiques » et « l’amélioration des caractéristiques normales » n’est pas claire. Le CIB a rappelé que « [les interventions sur la lignée germinale] pourraient être contraires à la dignité humaine ».

9.  Dans le « Rapport du CIB sur le clonage humain et la gouvernance internationale »[14], le CIB a relevé que les expressions « clonage reproductif » et « clonage thérapeutique » introduites dans le débat bioéthique ne décrivaient pas adéquatement les procédés techniques utilisés. Les nouvelles avancées scientifiques, comme les cellules souches pluripotentes induites, ouvraient de nouvelles possibilités pour la recherche et, à moyen terme, pour des applications thérapeutiques.

10.  Dans un rapport intitulé « Avis du CIB sur la brevetabilité du génome humain »[15], le CIB a admis qu’autoriser la brevetabilité du génome humain pourrait freiner la recherche et monopoliser les connaissances scientifiques, et a estimé qu’il existait de solides raisons éthiques pour exclure le génome humain de la brevetabilité.

B.  Les normes professionnelles universelles

i.  La Déclaration de l’Association médicale mondiale (AMM) sur les principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains

11.  L’Association médicale mondiale (AMM) a approuvé la Déclaration d’Helsinki comme énoncé de principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains, y compris la recherche sur du matériel biologique humain et sur des données identifiables. Adoptée en 1964 et amendée pour la dernière fois en 2013, la déclaration énonce que l’objectif premier de la recherche médicale impliquant des êtres humains est de comprendre les causes, le développement et les effets des maladies et d’améliorer les interventions préventives, diagnostiques et thérapeutiques. Même les meilleures interventions éprouvées doivent être évaluées en permanence par de nouvelles recherches portant sur leur sécurité, leur efficacité, leur pertinence, leur accessibilité et leur qualité. La recherche médicale est soumise à des normes éthiques qui promeuvent et assurent le respect de tous les êtres humains et qui protègent leur santé et leurs droits. Cet objectif ne doit jamais prévaloir sur les droits et les intérêts des personnes impliquées dans la recherche. Une recherche médicale impliquant des êtres humains ne peut être conduite que si l’importance de l’objectif dépasse les risques et inconvénients pour les personnes impliquées. Certains groupes ou personnes sont particulièrement vulnérables et peuvent avoir une plus forte probabilité d’être abusés ou de subir un préjudice additionnel. Ces groupes et personnes vulnérables devraient bénéficier d’une protection adaptée. La recherche médicale impliquant un groupe vulnérable se justifie uniquement si elle répond aux besoins ou aux priorités sanitaires de ce groupe et qu’elle ne peut être effectuée sur un groupe non vulnérable. En outre, ce groupe devrait bénéficier des connaissances, des pratiques ou interventions qui en résultent.

ii.  Les lignes directrices relatives à la conduite de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines (Guidelines for the Conduct of Human Embryonic Stem Cell Research) de la Société internationale pour la recherche sur les cellules souches

12.  Les lignes directrices de 2006 de la Société internationale pour la recherche sur les cellules souches visent à souligner la responsabilité des scientifiques s’agissant de veiller à ce que les recherches sur les cellules souches humaines soient menées dans le respect de rigoureuses normes d’éthique en matière de recherche, et d’encourager des pratiques uniformes de recherche qui devraient être suivies à l’échelle mondiale par tous les scientifiques travaillant sur les cellules souches humaines. Ces lignes directrices mettent l’accent sur des questions qui sont propres aux recherches sur les cellules souches concernant les stades préimplantatoires du développement humain, aux recherches sur la dérivation ou l’utilisation des lignées de cellules souches pluripotentes humaines, et sur l’éventail des expériences dans le cadre desquelles de telles cellules peuvent être incorporées dans des hôtes animaux.

Toutes les expériences pertinentes pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines qui concernent les stades préimplantatoires du développement humain, les embryons humains ou les cellules embryonnaires, ou qui impliquent l’incorporation de cellules totipotentes ou pluripotentes humaines dans des chimères animales, doivent être soumises à contrôle et approbation. En outre, toutes ces expériences doivent faire l’objet d’un suivi constant par un dispositif ou organe spécial de surveillance. Les chercheurs doivent demander une approbation au moyen d’un processus de surveillance (Stem Cell Research OversightSCRO).

Les types de recherches qui ne doivent pas être menées, en raison d’un large consensus international selon lequel de telles expériences sont dépourvues de justification scientifique impérieuse ou soulèvent de vives préoccupations d’ordre éthique, sont : la culture in vitro de tout embryon humain après fécondation ou de toutes structures cellulaires organisées pouvant manifester un potentiel d’organisme humain, indépendamment de la méthode de dérivation, pendant plus de quatorze jours ou jusqu’au début de la formation de la ligne primitive si celle-ci se produit avant ; la recherche dans le cadre de laquelle un produit obtenu à partir de recherches impliquant des cellules totipotentes ou pluripotentes humaines est implanté dans un utérus humain ou un utérus de primate non humain ; et la recherche dans le cadre de laquelle des chimères animales comportant des cellules humaines, potentiellement capables de former des gamètes, sont croisées les unes avec les autres.

C.  Les normes interaméricaines

13.  L’article 1 de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme (1948) énonce que « Tout être humain a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne ». Les rédacteurs de la déclaration américaine ont spécifiquement rejeté une proposition qui tendait à ce que le texte indiquât que le droit à la vie débutait dès la conception[16].

L’article 4 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme (1969) dispose que : « Toute personne a droit au respect de sa vie. Ce droit doit être protégé par la loi, et en général à partir de la conception ». La Commission interaméricaine des droits de l’homme a toutefois étudié les travaux préparatoires et établi que les termes de la Convention reconnaissant un droit à la vie « en général à partir de la conception » ne visaient pas à conférer un droit à la vie absolu avant la naissance[17]. Dans Gretel Artavia Murillo c. Costa Rica[18], la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) a constaté que l’État défendeur avait fondé son interdiction de la fécondation in vitro sur une protection absolue de l’embryon, ce qui, en négligeant la prise en compte d’autres droits concurrents, avait entraîné une ingérence arbitraire et excessive dans la vie privée et familiale. Au contraire, l’impact sur la protection de la vie prénatale était très faible, du fait que le risque de perte de l’embryon existait tant dans le cadre d’une FIV que d’une grossesse naturelle. De plus, l’ingérence avait un effet discriminatoire pour les personnes qui ne disposaient que de la fécondation in vitro pour le traitement de leur infertilité La Cour interaméricaine a également conclu que l’embryon humain avant implantation ne pouvait être tenu pour une personne aux fins de l’article 4 § 1 de la Convention américaine.

D.  Les normes africaines

14.  L’article 4 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (1981) déclare que « [l]a personne humaine est inviolable » et que « [t]out être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne (...) ». Les rédacteurs de la Charte africaine ont spécifiquement écarté toute formulation qui aurait protégé le droit à la vie dès le moment de la conception[19].

L’Organisation de l’unité africaine, aujourd’hui l’Union africaine, a adopté la Résolution sur la bioéthique en 1996[20]. L’Union africaine a souscrit aux principes de l’inviolabilité du corps humain, de l’intangibilité du patrimoine génétique de l’espèce humaine et de l’indisponibilité du corps humain, de ses éléments, notamment les gènes humains et leurs séquences, qui ne peuvent être soumis au commerce ou à un droit patrimonial. L’Union africaine s’est engagée à promouvoir l’encadrement des possibilités de recherche sur les embryons.

15.  En 2008, le bureau de l’UNESCO au Caire a organisé une réunion d’experts sur les questions éthiques et juridiques de la recherche sur l’embryon humain dans le but de traiter la question de la recherche sur les embryons, en partenariat avec l’OMS et l’Organisation islamique pour l’éducation, les sciences et la culture (ISESCO). Les recommandations figurant dans le rapport final de cette réunion « ont vocation à être adaptées aux différentes cultures et valeurs religieuses et sociales de la Méditerranée orientale et de la région arabe ». Le rapport recommande que, lorsqu’il est permis d’importer d’autres pays du matériel biologique et/ou issu de la recherche, on s’assure que leur obtention et leur création ne sont pas contraires aux valeurs ou traditions éthiques ou religieuses. Il faut définir l’objet d’une recherche éthiquement correcte et présentant un bon rapport coûts-bénéfices en tenant compte de buts tels que l’étude de la génétique humaine et du traitement de la stérilité. La recherche qu’un pays peut juger inacceptable doit inclure le clonage reproductif, la thérapie germinale, la manipulation génétique germinale. Les États doivent introduire ou procéder à la révision des dispositions sur les questions telles que l’utilisation pour la recherche d’embryons surnuméraire issus de FIV, le clonage aux fins de la recherche, et le typage (HLA) de cellules embryonnaires, fœtales ou autres pour le traitement de l’enfant d’un couple après la naissance. Les États doivent se pencher sur les types de recherche sur cellules souches embryonnaires qui requièrent une surveillance particulière, déterminer quelle instance doit assurer cette surveillance et quel organe doit assumer la responsabilité. Les pays doivent procéder au suivi et à l’échange des informations susceptibles de réduire ou d’éliminer le besoin de recherches sur les cellules souches embryonnaires, comme le développement de cellules souches pluripotentes induites et de lignées de cellules pouvant en toute sécurité être utilisées sur des êtres humains.

E.  Les normes européennes

i.  Les normes de l’Union européenne

16.  L’article 3 de la Charte des droits fondamentaux énonce :

« 1.  Toute personne a droit à son intégrité physique et mentale.

2.  Dans le cadre de la médecine et de la biologie, doivent notamment être respectés : le consentement libre et éclairé de la personne concernée, selon les modalités définies par la loi, l’interdiction des pratiques eugéniques, notamment celles qui ont pour but la sélection des personnes, l’interdiction de faire du corps humain et de ses parties, en tant que tels, une source de profit, l’interdiction du clonage reproductif des êtres humains. »[21]

17.  La Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques vise à renforcer la compétitivité de l’UE sur le marché mondial, protège la propriété intellectuelle des grandes industries et soutient la recherche technoscientifique innovante ; mais elle vise aussi à assurer le respect des principes fondamentaux protégeant la dignité et l’intégrité de la personne, en affirmant le principe selon lequel « le corps humain, dans toutes les phases de sa constitution et de son développement, cellules germinales comprises, ainsi que la simple découverte d’un de ses éléments ou d’un de ses produits, y compris la séquence ou séquence partielle d’un gène humain, ne sont pas brevetables ».

Bien qu’elle ne donne pas de définition juridique de l’« embryon humain », la directive pose des règles sur l’utilisation d’embryons humains à des fins scientifiques, en énonçant que « [l]es inventions dont l’exploitation commerciale serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs sont exclues de la brevetabilité, l’exploitation ne pouvant être considérée comme telle du seul fait qu’elle est interdite par une disposition légale ou réglementaire ». Plus spécifiquement, les procédés de clonage des êtres humains, les procédés de modification de l’identité génétique germinale de l’être humain et les utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales, entre autres, ne sont pas brevetables. Ainsi, l’Union européenne considère expressément l’utilisation d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales comme contraire à l’exigence minimum établie par le respect de l’ordre public ou de la moralité[22].

18.  En octobre 2011, dans l’affaire Oliver Brüstle c. Greenpeace eV (C‑34/10), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a fourni davantage de précisions sur l’utilisation d’embryons humains à des fins scientifiques. Concernant l’interprétation du terme « embryon humain », la Cour de Luxembourg a admis que celui-ci recouvrait une notion vaste qui « [devait] être comprise largement ». Sur ce fondement, la grande chambre de la CJUE a conclu que ce terme visait tout ovule humain dès le stade de sa fécondation, ce moment étant crucial pour le début du développement de l’être humain. Devaient également se voir reconnaître cette qualification l’ovule humain non fécondé, dans lequel le noyau d’une cellule humaine mature avait été implanté, et l’ovule humain non fécondé induit à se diviser et à se développer par voie de parthénogenèse. La grande chambre a dit que l’utilisation d’embryons à des fins de recherche scientifique n’était pas brevetable. Elle a toutefois reconnu la brevetabilité de l’utilisation d’embryons à des fins thérapeutiques ou diagnostiques lorsque cela s’appliquait à l’embryon humain et lui était utile. Enfin, la CJUE a établi que la brevetabilité était également exclue lorsque la mise en œuvre d’une invention requérait la destruction préalable de l’embryon humain ou son utilisation comme matériau de départ, quel que fût le stade auquel celles-ci intervenaient et même si la description de l’enseignement technique revendiqué ne mentionnait pas l’utilisation d’embryons humains. L’embryon jouissant de la dignité humaine dès le moment de la fécondation, il n’est pas possible, selon la CJUE, de distinguer à partir de la fécondation différentes phases de développement qui justifieraient une protection inférieure de l’embryon pendant une certaine période. Étant une « notion autonome du droit de l’Union », l’embryon humain bénéficie d’une protection juridique obligatoire fondée sur le respect de sa dignité humaine intrinsèque, ce qui écarte la possibilité pour les États membres de l’Union de priver l’embryon humain de sa protection ou de lui accorder un niveau de protection inférieur à celui qui est affirmé dans la limpide décision des juges de la Cour de Luxembourg.

19.  Le Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission européenne (GEE) a formulé son premier avis sur l’utilisation des cellules embryonnaires à des fins de recherche dans un rapport de 1998 intitulé « Les aspects éthiques de la recherche impliquant l’utilisation d’embryons humains »[23]. Le GEE a relevé qu’en dépit de divergences fondamentales, les valeurs et principes communs sur la question sont le respect de la vie humaine, la nécessité d’alléger la souffrance humaine, la nécessité de garantir la qualité et la sécurité des traitements médicaux, la liberté de la recherche et l’exigence du consentement informé des femmes ou des couples concernés. S’agissant de la FIV, l’avis reconnaît qu’elle implique généralement la création d’embryons surnuméraires et que, si la cryopréservation est impossible, les deux seules options possibles sont la recherche (impliquant leur destruction) et la destruction. Ainsi, le Groupe a conclu qu’il ne fallait « pas exclure, a priori, des financements communautaires, les recherches sur l’embryon humain [faisant] l’objet de choix éthiques divergents selon les pays, mais [qu’il fallait] n’en admettre néanmoins le financement éventuel que sous les strictes conditions définies aux paragraphes suivants ».

20.  En 2000, le GEE a rendu un second avis en complément du précédent, dans un rapport intitulé « Les aspects éthiques de la recherche sur les cellules souches humaines et leur utilisation »[24]. Celui-ci indique que, dans le contexte du pluralisme européen, il appartient à chaque État membre d’interdire ou d’autoriser les recherches sur l’embryon. Dans ce dernier cas, le respect de la dignité humaine implique que l’on réglemente les recherches sur l’embryon et que l’on prévoie des garanties contre les risques d’expérimentation arbitraire et d’instrumentalisation de l’embryon humain. Est éthiquement inacceptable la création d’embryons à partir de dons de gamètes afin de se procurer des cellules souches, étant donné que les embryons surnuméraires représentent une source alternative disponible. Les perspectives thérapeutiques éloignées doivent être mises en balance avec d’autres considérations liées au risque que l’utilisation des embryons soit banalisée, que des pressions soient exercées sur les femmes en tant que sources d’ovocytes et que les possibilités d’instrumentalisation de la femme s’accroissent. Le consentement libre et éclairé est nécessaire, et ce non seulement de la part du receveur. Il faut informer le donneur de l’utilisation possible des cellules embryonnaires pour la finalité considérée avant de lui demander son consentement. Les possibilités de pressions coercitives ne doivent pas être sous-estimées lorsque des intérêts financiers sont en jeu. Les embryons ne peuvent être ni achetés ni vendus, ni même proposés à la vente. Des mesures doivent être prises pour empêcher une telle commercialisation.

21.  En 2002, le GEE a rendu un avis sur la brevetabilité des cellules souches embryonnaires humaines[25]. Concernant l’applicabilité des brevets, le GEE a conclu que des cellules souches isolées, qui n’ont pas été modifiées, ne répondent pas, en tant que produits, aux exigences juridiques de la brevetabilité, notamment en ce qui concerne les critères d’applicabilité industrielle. De même, des lignées de cellules souches non modifiées peuvent difficilement être considérées comme un produit brevetable. Des brevets sur de telles lignées de cellules souches non modifiées auraient un champ d’application trop étendu. Seules les lignées de cellules souches, qui ont été modifiées par des traitements in vitro ou génétiquement pour acquérir les caractéristiques nécessaires en vue d’applications industrielles précises, remplissent les conditions juridiques de la brevetabilité. Enfin, il n’y a pas d’obstacle éthique particulier concernant les méthodes impliquant des cellules souches humaines, quelle que soit leur source, à condition que ces méthodes répondent aux trois critères de brevetabilité.

22.  En 2007, le GEE a formulé des recommandations sur la révision éthique du financement de projets de recherche concernant les cellules souches embryonnaires, en reconnaissant la nécessité de promouvoir la recherche, de servir l’intérêt général, de favoriser la coopération internationale, de respecter l’autonomie de l’État membre et d’intégrer l’éthique dans les initiatives en matière de recherche[26]. Le rapport indique que les lignées de cellules souches embryonnaires doivent provenir d’embryons issus d’une FIV et non implantés, et que, si des solutions autres que ces types de cellules souches sont trouvées, alors leur utilisation doit être optimisée. En outre, le rapport souligne que les droits des donneurs doivent être protégés et préservés en ce qui concerne la santé, le consentement éclairé, la protection des données et la gratuité du don. Le GEE a conclu que l’utilisation d’embryons humains pour générer des cellules souches devait « être réduite autant que possible au sein de l’UE ».

ii.  Les normes du Conseil de l’Europe

23.  Le Conseil de l’Europe a d’abord traité la question de l’utilisation des embryons humains à des fins scientifiques dans la Recommandation 1046 (1986) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe relative à l’utilisation d’embryons et fœtus humains à des fins diagnostiques, thérapeutiques, scientifiques, industrielles et commerciales. L’Assemblée a considéré que l’embryon et le fœtus humains doivent bénéficier en toutes circonstances du respect dû à la dignité humaine, et que l’utilisation de leurs produits et tissus doit être limitée de manière stricte et réglementée en vue de fins purement thérapeutiques et ne pouvant être atteintes par d’autres moyens. En conséquence, elle a invité les gouvernements des États membres à limiter l’utilisation industrielle des embryons et de fœtus humains, ainsi que de leurs produits et tissus, à des fins strictement thérapeutiques et ne pouvant être atteintes par d’autres moyens, à interdire toute création d’embryons humains par fécondation in vitro à des fins de recherche de leur vivant ou après leur mort et à interdire tout ce qu’on pourrait définir comme des manipulations ou déviations non désirables de ces techniques, entre autres la recherche sur des embryons humains viables et l’expérimentation sur des embryons vivants, viables ou non[27].

La Recommandation 1100 (1989) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur l’utilisation des embryons et fœtus humains dans la recherche scientifique souligne que l’embryon humain, bien qu’il se développe en phases successives, « maintient néanmoins en continuité son identité biologique et génétique ». Ainsi, elle prône l’interdiction de la création et/ou du maintien en vie intentionnels d’embryons ou fœtus, in vitro ou in utero, dans un but de recherche scientifique, par exemple pour en prélever du matériel génétique, des cellules, des tissus ou des organes.

La Résolution 1352 (2003) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe relative à la recherche sur les cellules souches humaines souligne que « [l]a destruction d’êtres humains à des fins de recherche est contraire au droit de tout être humain à la vie et à l’interdiction morale de toute instrumentalisation de l’être humain », et en conséquence invite les États membres à favoriser la recherche sur les cellules souches à condition qu’elle respecte la vie des êtres humains à tous les stades de leur développement[28].

24.  L’article 18 de la Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine énonce :

« 1.  Lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l’embryon.

2.  La constitution d’embryons humains aux fins de recherche est interdite. »[29]

Cette disposition affirme l’application du principe de subsidiarité en établissant que le paramètre juridique essentiel à prendre en compte est le droit interne de l’État membre concerné. Le paragraphe 1 dispose cependant qu’un statut juridique obligatoire doit être garanti à l’embryon, lequel doit bénéficier d’une « protection adéquate ». Ainsi, l’utilisation d’embryons à des fins scientifiques ne doit pas s’apprécier de manière casuistique mais doit faire l’objet d’une évaluation fondée sur le principe du caractère « adéquat » de la protection offerte à l’embryon, selon le paramètre juridique européen. Les rédacteurs de la Convention d’Oviedo ont donné une indication claire en ce sens, au paragraphe 2 de l’article 18, qui prohibe expressément la constitution d’embryons humains dans le but de les utiliser aux fins de la recherche, et à l’article 14, qui interdit la sélection du sexe[30]. De plus, cette évaluation fondée sur des principes est garantie par la Déclaration des Nations Unies sur le clonage des êtres humains, qui invite les États membres à adopter toutes les mesures voulues pour protéger « comme il convient » (« adequately ») la vie humaine dans l’application des sciences de la vie.

Complément de la Convention européenne des droits de l’homme dans le domaine de la biomédecine et de la science génétique, la Convention d’Oviedo vise à définir des normes européennes en la matière[31]. Deux conséquences en découlent. Premièrement, la Cour européenne des droits de l’homme (la Cour) est l’ultime interprète et garant des droits, libertés et obligations énoncés dans la Convention d’Oviedo (article 29 de celle-ci), et donc du caractère « adéquat » de la protection offerte à l’embryon, en particulier à l’égard des techniques de génie génétique contraires à la dignité humaine. Le problème susmentionné, à savoir que la distinction entre les techniques « thérapeutiques » et les techniques visant à l’« amélioration des caractéristiques normales » n’est pas toujours claire, ne fait qu’accroître la nécessité d’une surveillance attentive de la Cour.

Deuxièmement, le fait que la Convention d’Oviedo et ses Protocoles aient été ratifiés par un grand nombre d’États est un élément solide permettant de considérer qu’un consensus européen tend à se former autour des dispositions de cette Convention et de ses Protocoles. Ce consensus est renforcé par les résolutions et recommandations susmentionnées de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que le cadre législatif et jurisprudentiel complémentaire de l’UE, à savoir la Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 et l’important arrêt Oliver Brüstle, qui tous reflètent la tendance du droit international à reconnaître à travers le monde une protection juridique à l’embryon humain. À la lumière de tous ces instruments, si une marge d’appréciation doit être accordée aux États membres du Conseil de l’Europe sur des questions liées à l’existence et à l’identité d’un être humain, et particulièrement à la recherche scientifique sur l’embryon humain, cette marge doit être étroite[32].

Inspiré par une clause similaire contenue à l’article 53 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 27 de la Convention d’Oviedo prévoit la possibilité pour le droit interne d’accorder une protection plus étendue à la vie humaine. Il ne faut toutefois pas interpréter cela comme octroyant une « ample » marge d’appréciation. Il ne faut pas confondre les deux questions, comme la majorité semble le faire au paragraphe 181 de l’arrêt. C’est une chose de permettre au législateur national de protéger plus largement la vie humaine, les êtres, les fœtus et les embryons humains, comme le prévoit l’article 27 de la Convention d’Oviedo[33] ; c’en est une bien différente d’accepter en la matière une « ample » marge d’appréciation, qui pourrait en fin de compte être invoquée, ou plutôt détournée, aux fins de l’adoption d’une loi réduisant la protection des êtres, fœtus et embryons humains[34].

25.  En conséquence, une obligation positive pour l’État de protéger l’embryon et d’autres formes de vie humaine prénatale, tant in vitro qu’in utero, doit être tirée à la fois de l’article 2 et de l’article 8 de la Convention. Cette obligation positive inclut, tout d’abord, l’obligation de favoriser le développement naturel des embryons ; deuxièmement, l’obligation de promouvoir les recherches scientifiques au bénéfice de l’embryon donné qui en fait l’objet ; troisièmement, l’obligation de déterminer dans quels cas exceptionnels les embryons et les lignées souches embryonnaires peuvent être utilisés, et de quelle manière ; quatrièmement, l’obligation de sanctionner au pénal toute utilisation d’embryons en dehors du cadre des exceptions légales.

26.  D’aucuns plaident qu’il s’agit là d’un domaine en constante évolution, et que la Cour ne devrait donc pas se compromettre en adoptant une position scientifique bien définie, qui pourrait changer à l’avenir. C’est un argument à double tranchant, qui peut servir à limiter l’ingérence de la Cour dans la marge d’appréciation de l’État, mais aussi être avancé pour étendre la surveillance par la Cour de l’ingérence de l’État au niveau de la vie à naître. C’est précisément parce que ce domaine peut évoluer d’une manière très dangereuse pour l’humanité, comme nous l’avons vu par le passé, qu’un contrôle attentif de l’étroite marge d’appréciation des États, et une intervention potentiellement préventive de notre Cour, est aujourd’hui une nécessité absolue. Autrement, la Cour abandonnerait la plus fondamentale de ses tâches, celle consistant à protéger les êtres humains contre toute forme d’instrumentalisation.

III.  La position des parties

A.  Le caractère inutile de la restriction légale italienne

27.  La requérante considère que faire don de « ses » cinq embryons cryoconservés et non destinés à être implantés relève de sa « vie privée » au sens de l’article 8 de la Convention et répond à un intérêt général, dès lors que cet acte permettrait de fournir aux chercheurs des cellules souches qui sont fort nécessaires pour la recherche sur les maladies incurables[35]. Sur la base de l’interprétation susmentionnée de l’article 8 de la Convention, combiné avec l’article 18 de la Convention d’Oviedo, on peut admettre l’argument du Gouvernement selon lequel l’article 13 de la loi no 40 du 19 février 2004 poursuit le but légitime consistant à protéger la potentialité de vie dont l’embryon est porteur. À cet égard, la recherche scientifique sur l’embryon humain, autorisée à des fins thérapeutiques et diagnostiques dans le but de protéger la santé et le développement de l’embryon en question lorsqu’aucune autre méthode n’existe, est une dérogation acceptable à l’interdiction de la recherche scientifique sur les embryons humains.

28.  À l’argument de la requérante selon lequel la mort des cinq embryons cryoconservés est inévitable au regard du cadre juridique italien actuel dès lors que l’implantation d’embryons post mortem est prohibée, tout comme l’acte d’en faire don pour la recherche scientifique, le Gouvernement répond à juste titre que la cryoconservation n’est pas limitée dans le temps. Les embryons congelés peuvent être conservés pendant une période indéfinie. En outre, l’utilisation d’embryons cryoconservés à des fins autres que la destruction, comme la fécondation hétérologue, est désormais permise par l’ordre juridique italien, eu égard à l’arrêt no 162 de 2014 de la Cour constitutionnelle italienne.

B.  Le caractère contradictoire du cadre juridique italien applicable

29.  À l’argument de la requérante consistant à déclarer incohérent le cadre juridique italien, lequel permet l’importation et l’utilisation de lignées de cellules souches issues d’embryons humains précédemment détruits, le Gouvernement répond de manière convaincante que la production de lignées de cellules embryonnaires à l’étranger n’est pas effectuée à la demande des laboratoires italiens et n’est pas incompatible avec l’interdiction qui en Italie frappe la destruction de ces lignées de cellules. Enfin, dans les cas d’avortement, l’intérêt de la mère doit être mis en balance avec celui du fœtus au regard du droit italien, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.

C.  Le consensus européen non prohibitif

30.  À l’argument de la requérante relatif à l’existence d’un consensus européen, le Gouvernement oppose son ample marge d’appréciation, réfutant l’existence d’un tel consensus en arguant que la Convention d’Oviedo n’exige pas des recherches scientifiques destructrices sur les embryons, que le programme de financement de l’Union européenne pour la recherche scientifique ne prévoit pas le financement de projets impliquant la destruction d’embryons et que l’arrêt Oliver Brüstle a interdit la brevetabilité des inventions impliquant la destruction d’embryons humains. Comme indiqué ci-dessus, les instruments internationaux invoqués par le Gouvernement étayent l’argument relatif à une étroite marge d’appréciation, aux fins précisément de la protection de l’embryon.

IV.  La position de la majorité

31.  Le raisonnement de la majorité est à la fois contradictoire sur le plan de la logique et irrecevable sur le plan scientifique. Il est illogique parce que la majorité admet, d’un côté, que l’embryon est « autrui » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention, dès lors que la protection de la potentialité de vie dont il est porteur peut être rattachée au but consistant à protéger les « droits et libertés d’autrui » (paragraphe 167)[36]. De l’autre côté, toutefois, la même majorité déclare que cette reconnaissance n’implique aucune appréciation par la Cour du point de savoir si le terme « autrui » s’étend à l’embryon humain. L’évidente contradiction entre ces deux déclarations est si flagrante qu’elle en est insoluble. La seule lecture possible de cette contradiction consiste à dire que la majorité était si partagée qu’elle n’a pu déterminer si la déclaration de principe contenue au paragraphe 59 de l’arrêt Costa et Pavan devait prévaloir sur la déclaration de principe en sens opposé figurant au paragraphe 228 de l’arrêt A, B et C c. Irlande ([GC], no 25579/05, CEDH 2010). Avec un peu d’effort interprétatif, on pourrait arguer que l’ordre des déclarations indique une certaine prédominance de la première sur la seconde.

Dans ce contexte, il est tout à fait notable que la Grande Chambre ne cite ni le paragraphe 56 de l’arrêt Evans c. Royaume-Uni (précité), dans lequel elle a dit que « les embryons créés par la requérante et J. ne [pouvaient] se prévaloir du droit à la vie protégé par l’article 2 de la Convention », ni l’arrêt rendu par la chambre le 7 mars 2006 dans la même affaire (§ 46), ni même la classique déclaration de principe qui figure dans Vo c. France ([GC], no 53924/00, § 82, CEDH 2004). Cette omission mérite d’être signalée. Non seulement elle traduit le malaise de la Grande Chambre face au principe « anti-vie » de l’arrêt Evans, mais de plus elle consolide le principe opposé, énoncé au paragraphe 59 de Costa et Pavan, selon lequel l’embryon est un « autrui », un sujet doté d’un statut juridique qui peut et doit être mis en balance avec le statut juridique des géniteurs, principe qui cadre parfaitement avec la position de la Cour constitutionnelle italienne sur le droit à la vie de l’embryon protégé par l’article 2 de la Constitution nationale[37].

32.  Pour la même raison, je ne peux pas davantage admettre que le droit à l’autodétermination s’agissant de fonder une famille, évoqué par la Cour constitutionnelle italienne dans l’arrêt no 162 de 2014, soit interprété comme incluant un « droit négatif » à disposer des embryons non implantés. Le raisonnement figurant au paragraphe 157 du présent arrêt repose donc sur un rhétorique « sophisme du milieu non distribué » (fallacy of the undistributed middle), qui permet à la majorité de partir du principe que, parce qu’elles partagent une propriété commune, deux catégories distinctes sont liées. Autrement dit, en interprétant l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 10 juin 2014, la majorité postule que, puisque le droit de devenir parent est un aspect de la vie privée d’un individu, de même que le droit de bénéficier d’une fécondation in vitro, ces deux droits ne sont soumis à aucune restriction dans la mesure où il s’agit de droits à l’ « autodétermination » ; elle oublie cependant que dans le second cas l’exercice par les géniteurs de leur droit à l’ « autodétermination » peut empiéter sur l’existence d’une autre vie humaine, celle de l’embryon non implanté. Comme l’a dit la Cour constitutionnelle italienne elle-même dans l’arrêt susvisé, « [l]a libertà e volontarietà dell’atto che consente di diventare genitori e di formare una famiglia nel senso sopra precisato, di sicuro non implica che la libertà in esame possa esplicarsi senza limiti » (la liberté et le caractère volontaire de l’acte permettant à un individu de devenir parent et de fonder une famille dans le sens défini ci-dessus ne signifie assurément pas que la liberté en question puisse passer pour illimitée). En bref, le raisonnement tenu par la Cour constitutionnelle dans l’arrêt no 162 de 2014 n’accrédite pas l’existence d’un droit illimité à l’« autodétermination » ou à la « liberté de choix des parties à un traitement par fécondation in vitro en ce qui concerne le sort des embryons non destinés à l’implantation ». Il est erroné d’interpréter le raisonnement de la Cour constitutionnelle en faveur de l’« adoption pour la naissance » – c’est-à-dire de la vie de l’embryon – comme autorisant les parties à un traitement par FIV à détruire les embryons qui en sont issus.

33.  Le raisonnement de la majorité est également irrecevable sur le plan scientifique, car il admet que « les embryons (...) renferment le patrimoine génétique de la personne en question et représentent à ce titre une partie constitutive de celle-ci et de son identité biologique » (paragraphe 158). De toute évidence, la majorité néglige le fait que l’embryon a une identité biologique distincte de celle de la personne ayant bénéficié de la FIV, même s’il contient le patrimoine génétique de cette personne. La déclaration figurant au paragraphe 158 de l’arrêt est inacceptable, sur le plan ontologique comme sur le plan biologique. La majorité a oublié que la dignité humaine impose de respecter « le caractère unique de chacun et la diversité » des êtres humains, comme le dit la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme. Autrement dit, tout être humain est bien plus qu’une combinaison unique d’informations génétiques transmises par ses géniteurs.

34.  Le manque de clarté du raisonnement de la majorité transparaît également dans la définition de la théorie sur la marge d’appréciation applicable. Au paragraphe 169 de l’arrêt, la majorité reconnaît que la marge laissée à l’État est « restreinte » pour les questions relatives à « l’existence ou [à] l’identité d’un individu », mais elle admet aussi que « lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates », la marge d’appréciation est plus large. Là encore, cela n’a aucun sens à mes yeux. Les questions touchant à l’existence ou à l’identité d’un individu, en l’occurrence au commencement et à la fin de la vie humaine, sont en soi lourdement influencées par des considérations éthiques et morales. J’irai même jusqu’à dire que la plupart des droits fondamentaux garantis par la Convention et ses protocoles sont indissociablement liés à des questions éthiques et morales débattues depuis de longues années. Ainsi, le caractère intrinsèquement moral ou éthique d’une question juridique soumise au contrôle de la Cour ne doit pas être un facteur qui restreint la compétence de celle-ci ou qui détermine la marge d’appréciation à laisser à l’État. L’argument relatif au caractère délicat, sur le plan éthique ou moral, de la question en jeu est donc dénué de pertinence lorsqu’il s’agit d’établir l’ampleur de la marge d’appréciation[38].

35.  À cela, la majorité ajoute, au paragraphe 174, que la relation entre la requérante et « ses » embryons « ne porte pas sur un aspect particulièrement important de l’existence et de l’identité de l’intéressée ». Là encore, la majorité se contredit. Alors que plus haut, au paragraphe 158, elle a déclaré que les embryons représentaient une « partie constitutive » du patrimoine génétique de la requérante et de son identité biologique, au paragraphe 174 elle dit le contraire et conclut que la protection d’une « partie constitutive » de l’identité biologique de l’intéressée ne fait pas partie du noyau dur des droits garantis par l’article 8. Cela dépasse mon entendement que la majorité puisse, selon sa propre logique, soutenir que le noyau dur des droits garantis par l’article 8 n’englobe pas la protection d’une « partie constitutive » de l’identité de la requérante.

36.  Ayant admis que la marge d’appréciation n’est pas illimitée, la majorité promet une analyse des « arguments dont le législateur a tenu compte pour parvenir aux solutions qu’il a retenues » (paragraphe 183). Hélas, aucune analyse de ce type n’a été faite. Dans les paragraphes qui suivent, la majorité évoque simplement – et superficiellement – le processus national au terme duquel la loi litigieuse a été approuvée, mentionnant le « débat qui avait tenu compte des différentes opinions et des questions scientifiques et éthiques existant en la matière » (paragraphe 184), un rapport parlementaire sur les différentes contributions de « médecins, spécialistes et associations engagées dans le domaine de la procréation médicalement assistée » (paragraphe 185), certaines critiques formulées lors des débats du 19 janvier 2004 (paragraphe 186), ainsi que plusieurs référendums dont la loi a fait l’objet (paragraphe 187). La conclusion selon laquelle « lors du processus d’élaboration de la loi litigieuse, le législateur avait déjà tenu compte des différents intérêts ici en cause » (paragraphe 188) est déconcertante. Elle n’ajoute rien à l’appréciation au fond de la question.

37.  Après avoir consacré neuf paragraphes à l’ampleur de la marge d’appréciation (paragraphes 174-182) et six paragraphes au processus national d’approbation de la loi (paragraphes 183-188), l’arrêt se penche enfin, aux paragraphes 189 à 195, sur le cœur des arguments de la requérante, à savoir les contradictions alléguées de l’ordre juridique italien. Ici, la majorité s’aligne clairement sur la position du Gouvernement. Si elles n’entrent guère dans les détails, les importantes déclarations contenues aux paragraphes 193 et 194 n’en signalent pas moins clairement aux Parties contractantes que la Cour ne s’oppose pas à la politique d’importation et d’utilisation de lignées de cellules souches issues d’embryons humains qui ont été détruits hors de l’espace juridique européen, tant qu’elles ne sont pas produites à la demande des Parties contractantes.

V.  L’application des normes de la Cour

38.  L’insuffisance du raisonnement de la majorité n’enlève rien à l’essentiel. Malgré les hésitations et contradictions que comporte son raisonnement, la majorité rappelle le principe issu de l’affaire Costa et Pavan selon lequel les embryons sont « autrui » aux fins de la Convention et, à la lumière de ce principe, admet que leur protection justifie l’interdiction de la recherche sur l’embryon humain et de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, et ce à deux exceptions près :

a)  La recherche scientifique sur l’embryon humain peut être autorisée si elle poursuit des finalités thérapeutiques et diagnostiques tendant à la protection de la santé ainsi qu’au développement de l’embryon et s’il n’existe pas d’autres méthodes ;

b)  La recherche sur les cellules souches embryonnaires est autorisée à condition d’être effectuée uniquement sur des lignées de cellules souches obtenues à partir d’embryons humains détruits hors de l’espace juridique européen sans intervention des Parties contractantes.

39.  Dès lors que l’embryon n’est pas une chose ou un « bien », comme la Cour le dit à juste titre au paragraphe 215 de l’arrêt, c’est un « autrui » avec lequel la personne ayant bénéficié de la FIV a une relation parentale potentielle. Dans la mesure où l’embryon possède une identité biologique unique mais partage le patrimoine génétique de ses géniteurs, le caractère privé de la relation entre ces êtres humains est incontestable. C’est pourquoi l’article 8 entre en jeu[39].

40.  Pour la majorité, la législation italienne n’outrepasse pas l’ample marge d’appréciation dont jouit l’État défendeur (paragraphe 197). À mon avis, la première exception ne va pas au-delà des limites étroites de la marge d’appréciation de l’État pour les questions liées à l’existence et à l’identité d’êtres humains. De plus, elle cadre avec le but de la Convention d’Oviedo, qui doit aujourd’hui être considérée comme le complément de la Convention européenne des droits de l’homme dans le domaine de la biomédecine et de la science génétique. Bien qu’il n’ait pas encore ratifié la Convention d’Oviedo, l’État italien s’est conformé à l’objet de cet instrument consistant à protéger la vie humaine, les êtres, fœtus et embryons humains, à la protection par la Convention de l’embryon en tant qu’ « autrui », sujet doté d’un statut juridique, à l’interdiction de la discrimination fondée sur les caractéristiques génétiques énoncée dans la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme, et au principe primordial de la Déclaration d’Helsinki selon lequel la recherche médicale sur un groupe vulnérable n’est justifiée que si elle correspond aux besoins ou priorités sanitaires de ce groupe, ce qui – au sens le plus profond – ne peut qu’englober les membres les plus vulnérables de toute l’humanité, à savoir les embryons.

41.  La situation est plus délicate en ce qui concerne la seconde exception. Eu égard à l’intention de la Grande Chambre de garantir le « droit » de l’embryon en tant qu’« autrui » dans tout l’espace juridique européen, et aux principes fondamentaux du raisonnement juridique, cette exception doit être interprétée de manière étroite. La seconde exception implique, en toute logique, trois conséquences. Premièrement, une Partie contractante à la Convention ne peut ni utiliser ni autoriser l’utilisation sur son territoire de lignées cellulaires issues d’embryons détruits hors de l’espace juridique européen à l’initiative de cette Partie. Deuxièmement, une Partie contractante ne peut ni utiliser ni autoriser l’utilisation sur son territoire de lignées cellulaires issues d’embryons détruits sur le territoire d’une autre Partie contractante. Troisièmement, une Partie contractante ne peut ni utiliser ni autoriser l’utilisation sur son territoire de lignées cellulaires issues d’embryons détruits hors de l’espace juridique européen à l’initiative d’une autre Partie contractante.

42.  Seule cette interprétation étroite de la seconde exception permet de garantir son application dans le contexte de l’article 8 § 2 de la Convention. À défaut, le fait d’utiliser ou d’autoriser l’utilisation sur le territoire d’une Partie contractante de lignées cellulaires issues d’embryons détruits hors de l’espace juridique européen à l’initiative de cette Partie ou de toute autre Partie à la Convention permettrait d’externaliser la violation de la Convention. De surcroît, le fait d’utiliser ou d’autoriser l’utilisation sur le territoire d’une Partie contractante de lignées cellulaires issues d’embryons détruits sur le territoire d’une autre Partie contractante rendrait la première Partie contractante complice de la violation de la Convention par la seconde. Aucune de ces situations n’est tolérable au regard des règles sur la responsabilité internationale des États, combinées avec les obligations incombant aux Parties contractantes en vertu de la Convention[40].

VI.  Conclusion

43.  La vie humaine à naître n’est en rien différente par essence de la vie postnatale. Les embryons humains doivent en toute circonstance être traités avec tout le respect qui est dû à la dignité humaine. Les applications de la recherche scientifique concernant le génome humain, en particulier dans le domaine de la génétique, ne prévalent pas sur le respect de la dignité humaine. Les progrès de la science ne doivent pas reposer sur le non-respect de la nature humaine ontologique. Le but scientifique consistant à sauver des vies humaines ne justifie pas l’emploi de moyens intrinsèquement destructeurs pour cette vie.

Le commencement et la fin de la vie humaine ne sont pas des questions de politique à laisser à la discrétion des États membres du Conseil de l’Europe. Le caractère « adéquat » de la protection offerte à l’embryon par les Parties contractantes à la Convention est soumis au contrôle attentif de la Cour, car les États n’ont qu’une étroite marge d’appréciation s’agissant des questions fondamentales liées à l’existence et à l’identité de l’être humain. En Europe, la Convention établit une insurmontable limite à la possibilité de faire des expérimentations sur la vie humaine. Ainsi, il est incompatible avec la Convention de produire ou d’utiliser des embryons humains vivants pour la préparation de cellules souches embryonnaires, ou de produire des embryons humains clonés puis de les détruire pour produire des cellules souches embryonnaires. Dans l’espace juridique européen, la recherche scientifique sur les embryons humains et les lignées de cellules souches embryonnaires n’est autorisée que dans les deux cas exceptionnels évoqués ci-dessus.


 

OPINION CONCORDANTE DU JUGE DEDOV

(Traduction)

 

1  La Cour a conclu à la non-violation de l’article 8 de la Convention. Tout en souscrivant à cette conclusion, je pense que cette affaire aurait pu apporter beaucoup plus à la jurisprudence de la Cour concernant le début de la vie.

2.  La Cour a relevé que la présente espèce, contrairement aux affaires précédentes, n’avait pas trait au choix de la requérante de devenir parent, et que cela affaiblissait sa position. Elle s’est livrée à une analyse des intérêts concurrents en jeu, à savoir l’ample marge d’appréciation dont dispose l’État en matière de protection des embryons et le droit de la requérante à l’autodétermination.

3.  Le Gouvernement invoque la « potentialité de vie dont l’embryon est porteur » pour démontrer la légitimité de la finalité de l’ingérence. Cet important objectif, qui ne peut se réduire à une question de marge d’appréciation, présuppose que l’embryon conditionne le développement d’un être humain. Le fait que le droit à la vie soit en jeu change complètement l’approche judiciaire, conformément au rôle de la Cour s’agissant d’interpréter la Convention, y compris l’obligation positive de l’État de préserver le début de la vie.

4.  Le principe du respect du droit à la vie de l’embryon signifie qu’on ne peut apporter des limites à la décision judiciaire en invoquant la marge d’appréciation. Sinon, la Cour devrait aussi conclure à la non-violation dans la situation opposée, c’est-à-dire dans le cas où un requérant s’opposerait au don de ses embryons à des fins de recherche scientifique, qu’un État peut autoriser ou ne pas interdire.

5.  À mon avis, le droit à la vie de l’embryon est un critère clé pour parvenir à la bonne décision. Je suis sûr que si ce critère avait été appliqué, de nombreuses affaires précédentes, telles que les affaires Evans, Vo et S.H. (citées dans l’arrêt), auraient été tranchées en faveur des requérantes, qui souhaitaient en réalité devenir parents et, en conséquence, sauver la vie de l’embryon.

6.  De nombreuses sources viennent étayer ce point de vue. Elles ont été présentées à la Cour par les tiers intervenants et les institutions européennes. Ces sources comprennent notamment l’initiative citoyenne européenne « One of us », l’affaire Brüstle et le règlement Horizon 2020. En particulier, la Recommandation 874 (1979) de l’APCE relative à la Charte européenne des droits de l’enfant affirme « les droits de chaque enfant à la vie dès le moment de sa conception ». Je regrette de ne pouvoir souscrire à la conclusion de la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Murillo (citée dans l’arrêt) selon laquelle la « conception » n’intervient qu’après l’implantation de l’embryon dans l’utérus. D’un point de vue humain, je préfère le point de vue du gouvernement italien selon lequel, aux fins de préserver la potentialité de l’embryon, il est vital de l’implanter dans l’utérus d’une autre femme souhaitant devenir mère en ayant recours à cette méthode.

7.  Il me faut également mentionner la Résolution 1352 (2003) de l’APCE relative à la recherche sur les cellules souches humaines, qui est encore plus explicite : « [l]a destruction d’êtres humains à des fins de recherche est contraire au droit de tout être humain à la vie (...) » (paragraphe 10 de la Résolution). De plus, grâce à l’initiative citoyenne européenne « One of us », le droit à la vie de l’embryon a été expressément reconnu par des millions de citoyens européens, et l’initiative a été soutenue par les instances dirigeantes de l’Union européenne. Cependant, la Cour est toujours silencieuse sur ce sujet. Cette ambiguïté, qui perdure d’affaire en affaire, a finalement affecté la requérante et ses représentants légaux, qui ne savaient pas avec certitude quel article de la Convention devrait être appliqué en l’espèce, ou quel droit devrait être protégé : le droit à la vie privée ou le droit de propriété.

8.  Je ne suis pas convaincu que la marge d’appréciation ou l’absence de consensus devrait interdire à la Cour de parvenir à une telle conclusion. Étant donné que le droit à la vie est absolu, et constitue l’un des droits les plus fondamentaux, ni la marge d’appréciation ni la souveraineté ni le consensus ne constituent des éléments pertinents en la matière. La marge d’appréciation n’intervient que s’agissant de déterminer quelles mesures sont nécessaires pour protéger une valeur fondamentale (par exemple les dépenses publiques ou un délai pour la cryoconservation d’embryons). La vie de l’embryon ne saurait être sacrifiée aux fins de la concurrence entre États en matière de biomédecine.

9.  Le droit à la vie est absolu, et ce précepte fondamental fait qu’il est inutile d’expliquer pourquoi un meurtrier, un handicapé, un enfant abandonné ou un embryon doivent être gardés en vie. Nous n’avons pas besoin d’évaluer leur utilité pour la société, mais nous plaçons de l’espoir en leur potentialité. Le droit à la vie de l’embryon ne saurait être remis en question par le fait que, jusqu’à son implantation, son potentiel de développement est quelque chose qui peut être maintenu artificiellement, parce que toute technologie de la sorte est un développement naturel créé par les êtres humains.

10.  Même si le droit à la vie est absolu, on pourrait réfléchir aux conséquences de cette approche et j’aimerais exprimer quelques pensées à ce sujet. Premièrement, le droit de la requérante à l’autodétermination ne serait en rien affecté si l’embryon était donné à une autre femme de manière anonyme. Deuxièmement, la recherche se tournerait (et se tourne déjà) vers une autre direction, celle consistant à reprogrammer des cellules adultes en cellules souches ou à recombiner l’ADN, si nécessaire, en particulier pour cultiver un nouvel organe destiné à une personne malade à partir des propres cellules souches de celle-ci.

11.  La décision litigieuse du gouvernement italien de maintenir la vie de l’embryon n’est pas une mesure extraordinaire. Pareille approche est adoptée dans toutes les sociétés qui dépensent déjà des fonds publics en vue de soutenir les personnes handicapées ou autres qui ne peuvent pas prendre soin d’elles-mêmes. De plus, étant donné que les banques de sperme et d’ovules existent, ce ne serait pas un problème de créer une banque d’embryons (gamètes). Finalement, un don – en l’espèce un don automatique que certains peuvent considérer comme une ingérence – est éthiquement acceptable s’il est nécessaire pour sauver la vie d’une personne.

12.  La nature absolue du droit à la vie permet de concilier toutes les opinions éthiques, morales, religieuses, scientifiques, sociales ou autres. L’unique question éthique que j’admettrais dans le développement de la biomédecine est la question de la paternité/maternité dans le contexte du don. Comme l’a expliqué le Gouvernement, le seul moyen de maintenir la potentialité de vie de l’embryon est de l’implanter dans l’utérus d’une autre femme (incapable de concevoir) qui souhaite avoir un enfant. En pareille situation, la situation de la requérante en tant que donneuse devrait être reconnue automatiquement. Le statut juridique de donneur permet de résoudre les problèmes éthiques puisque la maternité, en termes de relations familiales, diffère de la simple similarité du matériel génétique. Dans l’affaire S.H., la Cour a conclu à la non-violation des droits de la requérante par l’État défendeur à raison de l’interdiction du don de matériel reproductif de tierces personnes autres que les parents du futur enfant. Dans la situation opposée, comme en l’espèce, la Cour a de nouveau conclu à la non-violation. Tel est le cas parce que les principes pertinents (le droit à la vie) n’ont pas été appliqués par la Cour, et l’affaire S.H. était donc malheureuse. Le présent arrêt rend l’issue de futures affaires touchant à la biomédecine imprévisible.

13.  Le rôle de la Cour est de déterminer les valeurs fondamentales et les intérêts prédominants afin d’examiner chaque affaire particulière sur le fond. En conséquence, la Cour ne peut que conclure que le droit à la vie, en tant que l’un des droits et libertés fondamentaux, est en jeu en l’espèce.

14.  Étant donné que les nouvelles biotechnologies étendent objectivement notre perception des formes et conditions de l’existence humaine, je ne vois aucun obstacle objectif à la reconnaissance juridique, dès que possible, de cette évolution, dès lors que l’on sait bien que tout retard dans pareille reconnaissance au niveau national et international est potentiellement mortel et arbitraire.


 

OPINION EN PARTIE CONCORDANTE COMMUNE DES JUGES CASADEVALL, RAIMONDI, BERRO, NICOLAOU ET DEDOV

1.  Nous ne partageons pas entièrement le raisonnement de la Grande Chambre en ce qui concerne le rejet de l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le gouvernement italien.

2.  Nous avions été initialement convaincus par l’analyse du Gouvernement. Celui-ci a observé que, s’il est vrai que la question de constitutionnalité ne peut être soulevée que par le juge et non par les parties – dont le pouvoir se limite à solliciter qu’on fasse usage de cette faculté, et qu’il ne s’agit donc pas d’un recours à épuiser en principe au sens de l’article 35 de la Convention, il n’en va pas de même dans le cadre juridique établi par les célèbres arrêts dits « jumeaux » de la Cour constitutionnelle nos 348 et 349 de 2007, qui concernent l’hypothèse d’un conflit entre une loi italienne et la Convention telle qu’interprétée par la Cour.

3.  Le Gouvernement a souligné, à juste titre selon nous, que si le juge du fond avait constaté l’existence d’un conflit insurmontable entre son interprétation de la loi et les droits invoqués par la partie demanderesse, il aurait eu l’obligation de soulever une question de constitutionnalité. La Cour constitutionnelle aurait alors examiné au fond la compatibilité des faits litigieux avec les droits de l’homme, et elle aurait pu annuler les dispositions nationales avec effet rétroactif et erga omnes.

4.  En effet, le cadre juridique découlant de ces deux arrêts de 2007 place le juge du fond devant une alternative lorsque se pose la question de la compatibilité de la loi nationale avec la Convention : ou bien il parvient, avec tous les moyens techniques dont il dispose, à lire la loi nationale dans un sens conforme à la Convention telle qu’interprétée par la Cour de Strasbourg, ou bien il doit renvoyer la question à la Cour constitutionnelle, laquelle annulera la loi interne à moins qu’elle ne constate l’existence d’un conflit entre la Convention et la Constitution italienne. Il s’agit là d’une alternative au sens strict (tertium non datur).

5.  Dans ces conditions, la jurisprudence traditionnelle de la Cour évoquée au paragraphe 101 de l’arrêt ne devrait pas s’appliquer en l’espèce. D’après cette jurisprudence, fondée sur l’absence d’accès direct des particuliers à la Cour constitutionnelle italienne due à la règle voulant que seule une juridiction qui connaît du fond d’une affaire ait la faculté de la saisir, à la requête d’un plaideur ou d’office, pareille requête ne saurait s’analyser en un recours dont la Convention exige l’épuisement.

6.  Mais lorsqu’un requérant potentiel met en cause la compatibilité d’une loi nationale avec la Convention, nous ne sommes plus dans le cas de figure classique où le juge du fond est seul maître de la décision de saisir ou de ne pas saisir la Cour constitutionnelle. Dans cette hypothèse, qui est celle de l’espèce, la jurisprudence traditionnelle n’est plus pertinente : si le juge du fond est placé par le requérant potentiel dans la situation de devoir apprécier la compatibilité d’une loi nationale avec la Convention, il pourra bien entendu interpréter la loi nationale dans un sens conforme à la Convention. Toutefois, s’il n’y parvient pas, il n’aura pas le choix : il devra renvoyer la question – à condition bien sûr qu’elle soit pertinente pour la solution du litige – à la Cour constitutionnelle.

7.  Dans cette situation, un requérant potentiel qui n’a pas obtenu du juge du fond une interprétation de la loi nationale conforme à la Convention a le droit de voir la Cour constitutionnelle se prononcer sur la question, à une réserve près que nous examinerons ci-dessous et qui s’applique en l’espèce.

8.  La seule raison qui nous conduit à nous rallier en définitive à la décision de la majorité concluant au rejet de cette exception dans la présente affaire tient à l’évolution de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne qui s’est fait jour dans un arrêt no 49 déposé le 26 mars 2015. Dans cet arrêt, la haute juridiction a analysé, entre autres, la place de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour dans l’ordre juridique interne, indiquant à cet égard que le juge du fond n’était tenu de se conformer à la jurisprudence de la Cour que dans le cas où celle-ci était « bien établie » ou énoncée dans un « arrêt pilote ». Or lorsque se pose une question nouvelle, comme c’est indéniablement le cas en l’espèce, la position adoptée par la Cour constitutionnelle exclut que l’on puisse considérer que le requérant potentiel doit saisir le juge interne avant de s’adresser à la Cour.

9.  Cela dit, nous constatons que la motivation de l’arrêt, de laquelle nous devons nous démarquer en partie pour les raisons susmentionnées, renvoie à l’arrêt no 49/2015 de la Cour constitutionnelle italienne (paragraphe 100 du présent arrêt), et que ce renvoi lui confère un caractère éclectique. Nous y voyons une ouverture par rapport à la jurisprudence traditionnelle.

10.  Le poids accordé à cette décision dans la motivation du présent arrêt ouvre à notre avis la voie à une remise en cause de la jurisprudence traditionnelle de la Cour – dans les limites permises par la nouvelle jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne, bien entendu – qui pourrait l’amener à considérer que, même lorsqu’une loi est directement à l’origine de la violation alléguée, le requérant potentiel doit en principe saisir d’abord le juge interne, pour autant que le cadre juridique tracé par les arrêts nos 348 et 349 de 2007 de la Cour constitutionnelle italienne puis atténué par l’arrêt no 49/2015 rendu par cette même cour ne soit pas remis en cause dans sa substance même.


OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE DES JUGES CASADEVALL, ZIEMELE, POWER-FORDE, DE GAETANO ET YUDKIVSKA

(Traduction)

 

1.  Dans sa requête, la requérante alléguait que l’interdiction, édictée par le droit italien, de donner à la recherche scientifique des embryons conçus par procréation médicalement assistée était incompatible avec son droit au respect de sa vie privée. Dans le présent arrêt, la Cour juge que la possibilité pour l’intéressée d’exercer un choix conscient et réfléchi quant au « sort à réserver à ses embryons » touche un aspect intime de la vie personnelle de celle-ci et relève à ce titre de son droit à l’autodétermination (§ 159 du présent arrêt). La Cour en déduit que l’article 8 de la Convention trouve à s’appliquer en l’espèce et conclut à la non-violation de cette disposition, au motif notamment que l’interdiction litigieuse est « nécessaire dans une société démocratique » à la protection des droits et libertés d’autrui au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

2.  Bien que nous ayons voté pour la non-violation de l’article 8 de la Convention, les motifs qui nous ont conduits à cette conclusion diffèrent grandement de ceux qui ont été retenus dans le présent arrêt. Nous nous dissocions de la majorité bien avant l’appréciation de la proportionnalité de l’interdiction incriminée à laquelle celle-ci s’est livrée. Nous estimons en effet que le grief de la requérante est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de ce texte.

3.  L’ancienne Commission et la Cour ont déjà eu à connaître de nombreuses affaires sensibles dans lesquelles se posaient des questions fondamentales touchant à la potentialité de la vie humaine, au début de la vie humaine, et à la vie humaine embryonnaire ou fœtale, en rapport ou non avec les droits de la personnalité d’autrui[41]. Bien que la Cour ait jugé que les questions ayant trait à la procréation – et, en particulier, à la décision de devenir ou de ne pas devenir parent – constituent un aspect de la vie privée des personnes[42], elle s’est abstenue de statuer sur le point fondamental de savoir à quel moment débute la « vie protégée » par la Convention. En conséquence, elle s’est gardée de se prononcer sur le statut de l’embryon humain en tant que tel.

4.  Comme la Cour le reconnaît dans le présent arrêt, la requérante revendiquait en réalité le droit de « disposer d’embryons » (§ 149) ou, en d’autres termes, le droit de « décider du sort » d’embryons issus d’une fécondation in vitro (§ 152). Or la Cour juge ici, pour la première fois, que le fait de « décider du sort » d’embryons ou d’en « disposer » relève du droit des personnes au respect de leur vie privée (§ 152). Le présent arrêt marque donc un tournant décisif dans la jurisprudence de la Cour. Il s’agit là d’une décision d’une portée considérable – et à nos yeux inacceptable – sur le statut de l’embryon humain.

5.  La conclusion à laquelle parvient la majorité est déconcertante non seulement en raison de la connotation utilitaire des termes employés par celle-ci pour parler de l’embryon humain, mais aussi de la logique déroutante sur laquelle repose la décision adoptée. La raison pour laquelle la majorité considère qu’un choix concernant « le destin de l’embryon » relève de la sphère de la vie privée de la requérante tient « au lien existant entre la personne qui a eu recours à une fécondation in vitro et les embryons ainsi conçus ». Selon la majorité, ce lien découle du fait que « [ces embryons] renferment le patrimoine génétique de la personne en question et représentent à ce titre une partie constitutive de celle-ci et de son identité biologique » (§ 158) (gras ajouté).

6.  La conclusion selon laquelle l’embryon est une « partie constitutive » de l’identité de la requérante revêt une portée considérable. Contrairement à la majorité, nous estimons que l’embryon ne saurait être considéré comme une simple partie constitutive de l’identité de telle ou telle personne, que cette identité soit biologique ou d’une autre nature. S’il hérite du patrimoine génétique de ses « parents » biologiques, l’embryon humain n’en est pas moins une entité séparée et distincte dès les tout premiers stades de son développement. S’il n’était qu’une partie constitutive de l’identité de telle ou telle personne, pourquoi tant de rapports, de recommandations, de conventions et de protocoles internationaux seraient-ils consacrés à sa protection ? Ces instruments reflètent l’existence, au sein de la communauté humaine, d’un large consensus sur le fait que l’embryon n’est pas une simple « chose ». Comme l’a déclaré l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, l’embryon est une entité qui « doi[t] bénéficier en toutes circonstances du respect dû à la dignité humaine » (§ 53).

7.  L’approche adoptée par la Cour dans la présente affaire consacre une conception positiviste et réductrice de l’embryon humain. Ayant qualifié l’embryon de « partie constitutive » du matériel génétique et de l’identité biologique de telle ou telle personne, la Cour décide que la question du sort de l’embryon et de l’ « usage » qui peut en être fait relève du droit de cette personne au respect de sa vie privée. L’ADN de l’embryon humain, comme celui de toutes les autres entités humaines, provient nécessairement de celui de ses « parents » biologiques. Mais il est hasardeux et arbitraire de se fonder sur une simple parenté génétique pour décider que le sort d’une entité humaine relève du droit de telle ou telle personne à l’autodétermination.

8.  La confusion qui caractérise le raisonnement de la majorité et qui est manifeste dans la partie consacrée à la recevabilité de la requête s’étend malheureusement à la motivation de l’arrêt (§ 167). Pour apprécier la proportionnalité de l’interdiction litigieuse, la majorité considère que celle-ci peut être rattachée au but de protection « des droits et libertés d’autrui », mais elle se hâte d’ajouter que cela n’implique aucun jugement sur le point de savoir si le mot « autrui » englobe l’embryon humain !

9.  Nous considérons pour notre part, conformément à la jurisprudence de la Cour en vigueur jusqu’à présent, qu’il eût été préférable de conclure que le droit de la requérante à l’ « autodétermination » en tant qu’aspect de sa vie privée n’était tout simplement pas en cause puisque la question d’une possible maternité ne se posait pas en l’espèce. Nous observons que l’intéressée a déclaré que le don de ses embryons susciterait chez elle un « noble sentiment ». Toutefois, il va sans dire que la Convention a pour vocation exclusive de protéger les droits fondamentaux de l’homme, non de promouvoir des sentiments, quelle qu’en soit la nature. Le droit revendiqué par la requérante de « disposer de ses embryons » à des fins de recherche scientifique n’entre pas dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention. En conséquence, nous estimons que la requête aurait dû être rejetée comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de ce texte.


 

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE NICOLAOU

(Traduction)

 

1.  À mon avis, la requête aurait dû être rejetée car elle n’a pas été introduite dans le délai requis.

2.  Selon l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour ne peut être saisie que dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive. Cependant, le point de départ de ce délai n’est pas toujours apparent. Il se peut qu’il ne soit pas matérialisé par une décision ou qu’il soit peu distinct pour une autre raison. Pour certaines situations continues dans lesquelles des droits issus de la Convention sont violés, il peut être particulièrement difficile de définir quand le délai a commencé à courir. Notre jurisprudence fournit des indications sur la façon d’aborder ce type d’affaires. Dans l’affaire Varnava et autres c. Turquie ([GC], nos 16064/90, 16065/90, 16066/90, 16068/90, 16069/90, 16070/90, 16071/90, 16072/90 et 16073/90, §§ 159 et 161, CEDH 2009), la Cour a déclaré en termes généraux que le délai ne s’appliquait pas aux situations continues. Ce n’est pas tout à fait exact puisque, comme l’explique ensuite l’arrêt, en pareil cas la violation continue signifie simplement que le délai recommence en fait à courir chaque jour, de sorte que le délai s’applique bien en principe. À la cessation de la situation continue, le délai commence à courir sans interruption pendant la période de six mois. La difficulté, dans certaines affaires, tient à la détermination du moment exact où la situation est arrivée à son terme. Comme il a été souligné dans l’affaire Varnava (précitée, § 161), toutes les situations continues ne sont pas identiques : en fonction de leur nature, les enjeux peuvent changer au fil du temps. Il peut donc être nécessaire d’examiner comment une situation a évolué afin d’apprécier la signification des événements ou les perspectives de parvenir à une solution et de juger ce qui serait raisonnable de prendre comme point de départ dans les circonstances particulières de l’espèce. La Cour peut adopter un point de vue général et pratique quant à de telles questions.

3.  La majorité est d’avis que la présente affaire porte sur une situation continue de durée illimitée, coïncidant avec l’existence de la loi no 40 du 19 février 2004, entrée en vigueur le 10 mars 2004. À mon avis, la requérante n’était pas en droit d’attendre indéfiniment avant de demander réparation.

4.  Les faits, très sommairement présentés par la requérante, sont les suivants. Quelque part en 2002, cinq embryons, obtenus dans le cadre d’un processus de fécondation in vitro par la requérante et son partenaire, furent placés en cryoconservation aux fins d’une implantation future. Avant la fin de l’année suivante, le partenaire de la requérante fut tué en Irak où il réalisait un reportage de guerre. Par la suite, à une date non précisée, la requérante décida de ne pas implanter les embryons. Elle formula alors oralement, en vain, plusieurs demandes de mise à disposition de ses embryons en vue d’une utilisation par la recherche scientifique. Le nombre de demandes et les périodes où elles ont été présentées n’ont pas été précisés. On peut supposer qu’elles sont toutes intervenues après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, puisqu’auparavant il n’y aurait pas eu d’obstacles à donner les embryons, pour quelque objectif que ce soit. De plus, nul n’a expliqué pourquoi la requérante n’a pas porté l’affaire plus tôt devant la juridiction de Strasbourg, c’est-à-dire peu après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, au lieu d’attendre plus de sept ans avant de le faire.

5.  Il doit avoir été clair pour la requérante que ses demandes ne pouvaient pas être accordées au titre de la nouvelle loi. Celle-ci, en ses passages pertinents, se lit ainsi :

Article 13 – Expérimentation sur l’embryon humain

«  1.  Toute expérimentation sur l’embryon humain est interdite.

2.  La recherche clinique et expérimentale sur l’embryon humain ne peut être autorisée que si elle poursuit exclusivement des finalités thérapeutiques et diagnostiques tendant à la protection de la santé ainsi qu’au développement de l’embryon et s’il n’existe pas d’autres méthodes. »

6.  Aux termes de l’article 13 § 5 de cette loi, toute violation de cette interdiction est passible de sanctions sévères, y compris d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à six ans.

7.  Il y a bien sûr des exemples dans lesquels les dispositions législatives donnent bien lieu à une ingérence continue dans l’exercice de droits issus de la Convention au titre soit de l’article 8 soit de l’article 14 combiné avec l’article 8, ingérence dont les effets ne peuvent s’atténuer ou cesser au fil du temps à moins d’en supprimer la cause. La majorité cite les affaires Dudgeon c. Royaume-Uni (22 octobre 1981, § 41, série A no 45), Norris c. Irlande (26 octobre 1988, § 38, série A no 142), Vallianatos et autres c. Grèce ([GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 54, CEDH 2013 (extraits)) et S.A.S. c. France [GC], no 43835/11, § 110, CEDH 2014 (extraits)), et ce ne sont pas les seules affaires sur le sujet. La majorité reconnaît que dans ces affaires l’impact des mesures législatives incriminées sur la vie quotidienne des requérants « était plus important et plus direct qu’en l’espèce ». Toutefois, elle n’attache aucune importance à une différence que, pour ma part, je considère comme cruciale. Dans ces affaires, les dispositions législatives litigieuses avaient, d’une manière ou d’une autre, un impact pratique majeur sur le quotidien des requérants, avec des effets décisifs et lourds de conséquences sur leur conduite et l’organisation de leurs affaires. Rien de tel en l’espèce : la majorité se contente de reconnaître l’existence d’un « lien biologique existant entre l’intéressée et ses embryons ainsi que de l’objectif de réalisation d’un projet familial à l’origine de leur création » (paragraphe 111 de l’arrêt), bien que, en ce qui concerne la deuxième proposition, le projet de fonder une famille en ayant recours aux embryons ait été abandonné à une phase précoce et ne fût plus d’actualité en l’espèce. Elle conclut que l’interdiction en question « a une incidence sur la vie privée de la requérante » (ibidem).

8.  Dans la décision sur la recevabilité sur le délai de six mois, la majorité ne va pas au-delà que ce que j’ai déjà rapporté. La recevabilité est admise sur la base du point de vue, que je ne partage pas, que la nouvelle loi a un impact incessant sur la vie de la requérante. Par la suite, toutefois, dans la partie de l’arrêt sur le fond, la majorité explique ce qu’elle voit comme la nature particulière de cet impact, et donc qui expliquerait sa force. Les paragraphes 158 et 159 de l’arrêt se lisent ainsi :

« 158.  En l’espèce, la Cour doit aussi avoir égard au lien existant entre la personne qui a eu recours à une fécondation in vitro et les embryons ainsi conçus, et qui tient au fait que ceux-ci renferment le patrimoine génétique de la personne en question et représentent à ce titre une partie constitutive de celle-ci et de son identité biologique.

159.  La Cour en conclut que la possibilité pour la requérante d’exercer un choix conscient et réfléchi quant au sort à réserver à ses embryons touche un aspect intime de sa vie personnelle et relève à ce titre de son droit à l’autodétermination. L’article 8 de la Convention, sous l’angle du droit au respect de la vie privée, trouve donc à s’appliquer en l’espèce. »

9.  Ma position est très éloignée de celle de la majorité selon laquelle la question en jeu tient au droit à l’autodétermination de la requérante. En fait, avec tout le respect que je dois à la majorité, il me semble que par la suite, celle-ci prend également ses distances par rapport à cette position initiale. Il est intéressant de noter à cet égard que, lorsqu’elle examine les circonstances spécifiques de la présente affaire, la majorité déclare, au paragraphe 174 de l’arrêt que :

« (...) la présente espèce ne concerne pas un projet parental (...). Dans ces conditions, s’il n’est assurément pas dénué d’importance, le droit de donner des embryons à la recherche scientifique invoqué par la requérante ne fait pas partie du noyau dur des droits protégés par l’article 8 de la Convention en ce qu’il ne porte pas sur un aspect particulièrement important de l’existence et de l’identité de l’intéressée. »

10.  J’en suis tout à fait d’accord. Un peu plus loin, au paragraphe 192, la majorité observe que :

« (...) si le droit invoqué par la requérante de décider du sort de ses embryons est lié à son désir de contribuer à la recherche scientifique, il n’y a toutefois pas lieu d’y voir une circonstance affectant directement l’intéressée. »

11.  Encore une fois, je suis bien d’accord. Contrairement aux affaires pertinentes susmentionnées, où l’on a souligné que les requérants avaient été directement touchés par la législation litigieuse, en l’espèce la requérante n’était pas directement concernée. Ce qu’elle envisageait de faire – à savoir faire don de ses embryons à la recherche – n’a pas affecté directement sa vie privée. Je ne comprends pas pourquoi la majorité, lorsqu’elle examine les arguments de la requérante à la lumière des divers aspects de la nouvelle loi, ne pouvait pas conclure dès la départ, ainsi qu’elle le fait au paragraphe 195, que, quelles que soient les incohérences figurant ou non dans la nouvelle législation, elles

« (...) ne sont pas de nature à affecter directement le droit qu’elle invoque en l’espèce. »

12.  Cette conclusion est dans la droite ligne de ce que j’ai déjà présenté comme une différence déterminante entre la présente espèce et les affaires Dudgeon, Norris, Vallianatos et S.A.S. précitées.

13.  Mon opinion selon laquelle la requête aurait dû être déclarée irrecevable pour non-respect du délai requis se fonde sur la nature très ténue, à mon sens, du lien entre la requérante et les embryons congelés. S’il existe bien un lien significatif puisque les embryons sont issus du matériel génétique de la requérante et de son partenaire, et qu’en conséquence de ce lien la question relève du champ de l’article 8, il me semble que ce n’est qu’à la périphérie, et que cela ne tient qu’à la possibilité, pour la requérante, d’exprimer un souhait concernant le sort de ces embryons. À la réception d’une réponse négative, étant donné qu’il n’y avait pas de recours interne adéquat à épuiser, le délai de prescription aurait dû alors commencer à courir aux fins de soumettre la restriction législative en question à un examen au titre de la Convention.

14.  Eu égard au point de vue décrit ci-dessus, on ne saurait dire que cet aspect de l’article 8 donne à la requérante un droit pendant une période indéfinie. La nouvelle loi est entrée en vigueur quatre mois environ après le drame qui a changé sa vie et, si le délai de six mois est ajouté à cela, on serait tenté de croire qu’elle disposait d’assez de temps pour décider si elle souhaitait avoir son mot à dire dans cette affaire. Il est également possible, cependant, d’aborder la question de manière plus large et, sur la base d’une situation continue créée par la nouvelle loi, d’examiner ce qui pouvait être un cadre temporel raisonnable permettant à une personne dans la situation de la requérante, dans les tristes circonstances dans lesquelles elle s’est trouvée, de suffisamment réfléchir et agir. Ce que je ne peux certainement pas admettre, c’est l’idée que la requérante n’était soumise à aucune limite temporelle pour mettre en branle le dispositif strasbourgeois de protection des droits de l’homme.


OPINION DISSIDENTE DU JUGE SAJÓ

(Traduction)

 

À mon grand regret, je ne peux souscrire aux points de vue exprimés par la majorité. Je me vois donc dans l’obligation de m’en écarter, pour les raisons exposées ci-dessous.

Applicabilité de l’article 8 de la Convention en l’espèce

1.  En l’espèce, la Cour conclut que « que la possibilité pour la requérante d’exercer un choix conscient et réfléchi quant au sort à réserver à ses embryons touche un aspect intime de sa vie personnelle et relève à ce titre de son droit à l’autodétermination «  (paragraphe 159 de l’arrêt). Je ne peux que souscrire à cette conclusion, sauf à ajouter que cela non seulement « relève » du droit de l’intéressée à l’autodétermination mais qu’il s’agit là de l’exercice de ce droit, qui se trouve au cœur du droit à la vie privée. Le droit de la requérante à l’autodétermination reflète son droit à l’autonomie personnelle et à sa liberté de choix (S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 80, CEDH 2011 ; McDonald c. Royaume-Uni, no 4241/12, §§ 46-47, 20 mai 2014 ; et Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002‑III). Ici, le choix (un droit) de la requérante était de donner ses embryons pour faire avancer la science en vue de sauver des vies plutôt que de laisser leur viabilité s’éteindre avec le temps[43]. La nature du droit en jeu en l’espèce est la liberté de choix de la requérante. Il ne s’agit pas d’une affaire touchant aux droits de la parentalité ni même aux droits éventuels d’un fœtus ; le droit de la requérante dont il est ici question est celui d’agir comme un individu libre et autonome en ce qui concerne son empreinte génétique.

2.  Selon la jurisprudence de la Cour, « il n’incombe pas à la Cour d’examiner in abstracto la législation et la pratique pertinentes, mais de rechercher si la manière dont elles ont touché le requérant a enfreint la Convention » (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 56, CEDH 2002‑X). Il ne s’agit pas ici d’examiner l’utilisation des embryons par la recherche telle que réglementée par le droit italien, mais de considérer la manière dont la mesure générale a affecté des embryons qui avaient été créés et cryoconservés avant que la restriction n’entre en vigueur. Cette affaire porte sur une situation très spécifique : que passe-t-il lorsqu’une législation intervient et entrave l’exercice de ce droit préexistant concernant des embryons préexistants ? L’embryon peut potentiellement devenir un être humain, mais cela reste une simple potentialité puisque cette évolution ne peut se produire sans le consentement du ou des donneurs, comme il en a été discuté dans l’affaire Evans c. Royaume-Uni ([GC], no 6339/05, CEDH 2007‑I).

La requérante a décidé de ne pas donner son consentement. Certainement, une loi qui exigerait de la requérante d’utiliser les embryons elle-même contreviendrait à son droit à décider de devenir ou non parent. De même, une loi qui l’obligerait à autoriser « l’adoption » de ses embryons par un tiers violerait son droit fondamental à ne pas être contrainte à la parentalité[44]. Le droit italien ne laisse donc qu’une option : la cryoconservation pour une période illimitée des embryons non implantés[45].

3.  Pour moi, le « droit de choisir » de la requérante (en tant qu’aspect relevant de l’autodétermination) ne représente pas « un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’une personne ». Si le point mérite débat, j’admets qu’il n’existe pas de consensus européen[46] concernant le sort des embryons cryoconservés et je ne discuterai pas de la question de savoir si l’expérience de sept ou quatre pays est suffisante pour tirer cette conclusion (bien que les données comparatives fournies par la Cour ne reflètent pas la pratique des pays en ce qui concerne les embryons qui ont été créés à des fins reproductrices avant l’imposition d’une interdiction sur la recherche, et que seuls quelques pays interdisent toute recherche sur les cellules souches embryonnaires). Il s’ensuit que l’État dispose d’une ample marge d’appréciation s’agissant de restreindre ce droit.

Sur le point de savoir s’il y a eu une « ingérence » « prévue par la loi »

4.  La Cour reconnaît qu’il y a eu une ingérence dans le droit de la requérante au respect de la vie privée au titre de l’article 8. Toutefois, il importe de souligner qu’au moment où la requérante a choisi la voie de la fécondation in vitro, il n’y avait pas de loi en vigueur en Italie concernant le sort à réserver aux embryons surnuméraires. Ainsi que la Grande Chambre l’a déjà dit, l’expression « prévue par la loi » implique que « la législation interne doit user de termes assez clairs pour indiquer à tous de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à recourir à des mesures affectant leurs droits protégés par la Convention » (Fernández Martínez c. Espagne [GC], no 56030/07, § 117, CEDH 2014 (extraits)). La requérante était face à une situation dans laquelle elle n’avait pas de choix réel à part celui d’accepter que l’État conserve ses embryons en les congelant pour une durée indéterminée. Cela n’était pas prévisible lorsqu’elle a choisi de subir une FIV. Elle n’avait aucune possibilité de savoir qu’elle aurait seulement quatre mois après le décès de son partenaire pour décider ce qu’il fallait faire des embryons, avant que la nouvelle législation ne lui enlève le contrôle de cette décision. Il importe de relever que la loi ne contient pas de règles spécifiques quant au sort des embryons qui étaient déjà cryoconservés avant l’entrée en vigueur de cette loi.

Légitimité du but poursuivi

5.  En l’espèce, le Gouvernement n’a pas donné de raison claire justifiant l’ingérence. Ces buts ont été reconstitués (non sans effort) par la Cour, puis admis par elle. En l’absence de toute justification par le Gouvernement du but de l’ingérence, la majorité en propose deux : la protection de la morale et la protection des droits d’autrui. Quant à la protection de la morale, la Cour ne donne aucune information sur la morale publique en Italie, où la pratique litigieuse est légale depuis de nombreuses années[47]. Le Gouvernement n’a pas invoqué la protection de la morale et la Cour n’explique pas où l’intérêt moral se trouve ; elle ne prend pas davantage en compte un intérêt moral spécifique dans l’analyse sur la proportionnalité.

6.  En ce qui concerne les droits d’autrui, « [l]a Cour admet que la « protection de la potentialité de vie dont l’embryon est porteur » peut être rattachée au but de protection de la morale et des droits et libertés d’autrui » (paragraphe 167 de l’arrêt)[48]. Mais qui est « autrui » ? L’embryon est-il « autrui », c’est-à-dire une personne ? Il n’y a pas de réponse, sauf que l’embryon est décrit dans la loi de 2004 comme un « sujet » ayant des droits. Le fait qu’il ne tombe pas dans la catégorie des biens ne fait pas de l’embryon un être humain ou un titulaire de droits[49]. Le fait que l’État ait intérêt à protéger une vie potentielle ne saurait se mesurer au droit d’une personne.

7.  La Cour estime que les droits d’autrui sont présents parce que « la potentialité de vie » peut être liée à ce droit allégué. J’espère me tromper, mais je crains qu’il n’y ait ici un risque de distendre la norme applicable à la liste des buts admissibles pour une restriction des droits. Jusqu’ici, la Cour a constamment affirmé que la liste d’exceptions aux droits individuels reconnus par la Convention était exhaustive et que leur définition était restrictive (voir, parmi d’autres, Sviato-Mykhaïlivska Parafiya c. Ukraine, no 77703/01, § 132, 14 juin 2007; et Nolan et K. c. Russie, no 2512/04, § 73, 12 février 2009). Cela est essentiel à toute protection sérieuse de droits. Malheureusement, dans l’affaire S.A.S. c. France ([GC], no 43835/11, § 113, CEDH 2014 (extraits)), la Cour a dit que « [p]our être compatible avec la Convention, une restriction à cette liberté doit notamment être inspirée par un but susceptible d’être rattaché à l’un de ceux que cette disposition énumère. La même approche s’impose sur le terrain de l’article 8 de la Convention ». D’une position selon laquelle le but « est susceptible d’être rattaché » à ces exceptions énumérées de manière exhaustive, nous passons à présent à un point de vue selon lequel un lien peut exister si cela n’est pas exclu comme étant abusivement spéculatif (« peut être susceptible » au lieu de « est susceptible »).

Le fait de ne pas examiner sérieusement un but supposé d’un État saperait le potentiel de protection des droits de toute analyse de proportionnalité. L’examen de la finalité d’une mesure relève du rôle de supervision de la Cour (Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, § 49, série A no 24). Si nous souhaitons appliquer la doctrine de la marge d’appréciation, nous pourrions dire qu’en matière de politique économique il y a peu de place pour une telle analyse, eu égard à l’avantage cognitif dont bénéficient la législation nationale ou les autorités nationales, ou considérant que « [g]râce à une connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est « d’utilité publique » (James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 46, série A no 98). Ce raisonnement ne peut pas être appliqué sans raisons additionnelles et convaincantes à des domaines où la question n’est pas d’« utilité publique » en matière de politiques économiques et sociales mais tient à la morale, la politique de santé ou la science[50].

8.  L’arrêt accepte sans autre réflexion la force de l’intérêt de l’État à interdire toutes les utilisations des embryons issus des FIV, sauf l’implantation. Toutefois, dans l’affaire S.A.S., la Cour a relevé que « [l]a pratique de la Cour est d’être plutôt succincte lorsqu’elle vérifie l’existence d’un but légitime, au sens des seconds paragraphes des articles 8 à 11 de la Convention » (ibidem). Cependant, la Grande Chambre a ensuite expliqué dans la même affaire que, particulièrement lorsque les objectifs du Gouvernement sont controversés (comme dans le contexte de la présente affaire, voir les paragraphes 135-137 de l’arrêt), la Cour se livre à un examen approfondi du lien entre la mesure et l’objectif. En l’espèce, ce lien a été tenu pour acquis sans autre demande ou justification adressée au Gouvernement.

Nécessaire, dans une société démocratique

9.  La Cour a affirmé que, même lorsqu’il existe une ample marge d’appréciation au titre de l’article 8, le Gouvernement doit toujours présenter des « motifs pertinents et suffisants » pour justifier l’ingérence (Zaieţ c. Roumanie, no 44958/05, § 50, 24 mars 2015 ; Hanzelkovi c  République tchèque, no 43643/10, § 72, 11 décembre 2014 ; Winterstein et autres c. France, no 27013/07, §§ 75-76, 17 octobre 2013 ; et S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 101, CEDH 2008)[51]. S’agissant de mesures générales portant atteinte à un droit au titre de l’article 8, la Cour a formulé les considérations suivantes : « Premièrement, [la Cour] peut apprécier le contenu matériel de la décision du gouvernement, en vue de s’assurer qu’elle est compatible avec l’article 8. Deuxièmement, elle peut se pencher sur le processus décisionnel, afin de vérifier si les intérêts de l’individu ont été dûment pris en compte » (Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, § 99, CEDH 2003‑VIII).

10.  Une mesure d’ingérence qui sert le but susmentionné est une mesure générale. Selon la Cour, « pour déterminer la proportionnalité d’une mesure générale, la Cour doit commencer par étudier les choix législatifs à l’origine de la mesure (James et autres, précité, § 36). La qualité de l’examen parlementaire et judiciaire de la nécessité de la mesure réalisé au niveau national revêt une importance particulière à cet égard, y compris pour ce qui est de l’application de la marge d’appréciation pertinente (Animal Defenders International c. Royaume-Uni [GC], no 48876/08, § 108, CEDH 2013 (extraits)).

11.  Il ressort de l’histoire législative de la loi de 2004 que, pendant des décennies, la question n’a pas été réglementée en Italie en raison de divergences de vues persistantes au sein de la société et parmi les professionnels. Les divisions ont continué pendant des années de débats parlementaires. Les opposants au projet d’interdiction[52] soutenaient qu’il reflétait une conviction idéologique spécifique, tandis que ses partisans estimaient qu’il servait la protection de la vie et de la famille, et constituait une solution conforme au droit naturel, et non aux diktats de la religion catholique. Les divisions se sont poursuivies jusqu’au débat final[53].

12.  Le Gouvernement n’a fourni aucun élément démontrant qu’il y ait eu une discussion parlementaire approfondie sur le sort des embryons déjà cryoconservés au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi[54]. De plus, la loi a été adoptée à la majorité, dans un climat très polémique[55]. Le débat parlementaire italien a donc été différent de celui examiné dans l’affaire Animal Defenders International précitée, dans laquelle, notamment, il y avait un soutien transversal de tous les partis représentés au Parlement. Par ailleurs, rien ne prouve que les droits ou la situation personnelle de la requérante aient été pris en compte ; la loi comporte une interdiction globale qui prive la requérante de son droit à la liberté de choix. Contrairement à la situation dans l’affaire Animal Defenders International, précitée, il ne pouvait pas y avoir d’analyse de proportionnalité interne dans son affaire. Non seulement cette interdiction générale ignore le droit à l’autodétermination de la requérante concernant une décision privée importante, mais elle le fait de manière absolue et imprévisible. La loi ne contient aucune règle transitoire qui aurait pu permettre à l’autorité compétente de prendre en considération la situation spécifique de la requérante, dont les embryons obtenus à partir d’une FIV ont été placés en cryoconservation en 2002 et dont le mari est décédé en 2003, trois mois avant l’entrée en vigueur de la loi.

13.  Contrairement à l’intérêt moral clairement exprimé par la requérante, et au fort intérêt social dans la recherche scientifique en jeu, qui a prêté un poids considérable au droit par ailleurs pas « particulièrement important » de la requérante, la majorité observe simplement que le législateur italien s’est livré à un examen approfondi de cette question avant d’élaborer la loi de 2004 (paragraphe 184). Comme mentionné ci-dessus, les conditions requises à cet égard dégagées dans les affaires Hatton et autres et Animal Defenders International (précité) ne sont pas remplies. En l’absence de raison claire ressortant du débat parlementaire, ce n’est que lorsque le gouvernement offre des explications suffisamment précises que la Cour peut examiner de manière adéquate pourquoi l’interdiction globale sur les dons était nécessaire lorsqu’on la met en balance avec le choix personnel de la requérante. Le passage des travaux préparatoires cité par la Cour n’explique pas pourquoi il est indispensable d’interdire les dons pour respecter la préférence morale supposée des Italiens pour les embryons dans les circonstances de l’espèce. Étant donné que le Gouvernement ne peut contraindre une personne à utiliser ses embryons pour créer un être humain sans son consentement, une interdiction globale de toutes les autres utilisations visant à promouvoir la vie (telles que la recherche médicale) non seulement constitue une restriction excessive au droit individuel à l’autodétermination, mais elle ignore également les valeurs consacrées par l’article 33 de la Constitution italienne[56] ainsi que le système de valeurs de la Convention, qui reconnaît l’intérêt de l’article 10 dans la recherche scientifique (Mustafa Erdoğan et autres c. Turquie, nos 346/04 et 39779/04, §§ 40-41, 27 mai 2014). Plus important, la protection de la vie ne peut pas être invoquée, non seulement parce que la signification et le poids de cet argument demeurent contestés en ce qui concerne les embryons de la requérante mais également parce que ces embryons, malgré leur potentialité de vie, n’ont aucune chance de devenir des êtres humains. Quant aux embryons en général en Italie, le devoir de protéger le potentiel d’un embryon non viable ne peut exister de manière absolue en droit italien étant donné que même un fœtus viable peut faire l’objet d’un avortement[57].

14.  La requérante en l’espèce était face à un choix impossible et imprévisible. Au mieux, les choix qui lui étaient ouverts étaient d’utiliser les embryons elle-même, de laisser un autre couple les utiliser, ou de laisser son matériel génétique dépérir indéfiniment jusqu’au moment (inconnu et impossible à connaître) où les embryons ne seront plus viables ou seront susceptibles d’être utilisés à des fins de procréation, contrairement à son souhait clairement exprimé.

15.  Vu l’âge de la requérante, il ne lui serait pas possible d’utiliser les cinq embryons elle-même. De plus, selon un témoignage d’expert présenté à l’audience devant la Cour et non contesté par le Gouvernement, ses embryons ne pourraient pas, en pratique, être utilisés par un autre couple en raison de leur âge et parce qu’ils n’ont pas été soumis à des tests adéquats au moment de leur création. Dès lors, en réalité, ces embryons ne seront pas utilisés pour créer une vie humaine car ils ne seront jamais implantés dans un utérus[58]. Cette réalité médicale n’est pas contestée par le Gouvernement.

16.  Plus important, la requérante a fait clairement le choix de ne pas autoriser l’utilisation de ses embryons à des fins de procréation.

17.  L’intérêt de la requérante à donner ses embryons à la recherche scientifique, plutôt que de les laisser sans utilisation, est une décision profondément personnelle et morale. Ce choix se fonde sur le souhait d’honorer la mémoire de son partenaire décédé et de soutenir une recherche médicale précieuse pouvant potentiellement sauver des vies[59]. Selon le témoignage d’expert présenté à l’audience (et beaucoup d’autres sources internationales médicales et scientifiques), les recherches provenant des cellules souches des embryons sont actuellement utilisées dans le cadre d’essais cliniques pour les blessures médullaires, la maladie de Parkinson et d’autres maladies qui sont actuellement incurables ou difficiles à soigner. Les pays qui autorisent de telles recherches ont développé des formes sophistiquées de consentement éclairé pour assurer que les embryons sont utilisés de manière éthique[60]. Pareilles recherches utilisent les cellules pluripotentes (indifférenciées) créées dans le cadre des procédures de FIV pour mieux comprendre le développement humain et découvrir de nouvelles modalités de traitement de maladies qui sont dévastatrices et incurables pour de nombreuses personnes dans le monde entier[61]. Les cellules créées dans le cadre de procédures de FIV constituent un matériel biologique unique et précieux, que la requérante souhaitait mettre à disposition pour qu’il soit utilisé plutôt que de le voir perdre sa viabilité en demeurant congelé indéfiniment.

18.  Que le souhait du Gouvernement de protéger la potentialité de vie des embryons pèse ou non plus lourd que l’intérêt de la requérante à utiliser son propre matériel génétique pour contribuer à la science qui sauve des vies est une question qui ne peut être écartée sans réflexion. Le présent arrêt est dénué de toute analyse sur la proportionnalité, et ne prend pas en compte l’intérêt important des tiers à profiter des bénéfices en matière de santé découlant des découvertes scientifiques. En disant simplement qu’il n’existe pas de consensus européen sur la question de savoir si les embryons surnuméraires produits dans le cadre de FIV peuvent être utilisés par la recherche scientifique, la Cour s’écarte des normes bien établies dans sa jurisprudence. Bien entendu, il existe une marge d’appréciation quant à cette question, mais cela ne signifie pas que la loi peut intervenir selon toute modalité que le Gouvernement estime adéquate. La mesure doit toujours être proportionnée à l’ingérence dans les droits du requérant.

19.  Afin que l’ingérence soit proportionnée, le Gouvernement doit fournir des motifs légitimes (pertinents et suffisants). À supposer même, eu égard à l’arrêt en l’affaire Evans (précité, § 81) qu’il existe une ample marge d’appréciation dans les cas de FIV « dès lors que le recours au traitement par FIV suscite de délicates interrogations d’ordre moral et éthique, qui s’inscrivent dans un contexte d’évolution rapide de la science et de la médecine »[62], il reste que l’ingérence ne peut pas être arbitraire. En Italie, tant l’avortement que la recherche sur les lignées de cellules souches étrangères sont autorisés. La loi ignore l’intérêt à prévenir la souffrance humaine réelle par la recherche scientifique au nom de la protection d’une potentialité de vie, qui, de plus, ne pourra jamais se matérialiser dans les circonstances de l’espèce. Je ne vois pas pourquoi on attache une importance prépondérante à une potentialité de vie alors que le droit italien autorise bien l’avortement d’un fœtus viable et que, dans les circonstances particulières de l’espèce, cette potentialité ne peut pas se matérialiser en l’absence du consentement de la requérante. Cette attitude et l’explication y relative sont non seulement incohérentes, mais tout simplement – irrationnelles et, en soi, ne sauraient représenter une justification suffisante pour la proportionnalité de la mesure.

 



[1].  Andorre, Arménie, Autriche, Azerbaïdjan, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, République Tchèque, Estonie, Finlande, France, Géorgie, Allemagne, Grèce, Hongrie, Irlande, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, « ex-République yougoslave de Macédoine », Malte, République de Moldova, Monaco, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Russie, Saint-Marin, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Espagne, Suède, Suisse, Turquie, Royaume-Uni et Ukraine.

[2].  Bulgarie, République Tchèque, Estonie, Finlande, « ex-République yougoslave de Macédoine », France, Grèce, Hongrie, Pays-Bas, Portugal, Serbie, Slovénie, Espagne et Suisse.

[3]  Cellules embryonnaires non encore différenciées et dont chacune, isolée, est capable de se développer en un organisme entier (Larousse dictionnaire médical).

[4].  À mon avis, le non-épuisement des voies de recours internes est la seule question problématique, mais cette objection a été écartée comme il se devait au vu de la position expresse de la Cour constitutionnelle italienne, laquelle a ajourné l’examen d’une affaire qui soulevait la même question juridique, dans l’attente de la décision de la Grande Chambre en l’espèce (paragraphe 53 de l’arrêt).

[5].  Résolution 29 C/17 de la Conférence générale de l’UNESCO, UNESCO GC, 29e session (11 novembre 1997), adoptée à l’unanimité et par acclamation. Voir aussi les Orientations pour la mise en œuvre de la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme, annexées à la Résolution 30 C/23 (16 novembre 1999). Ces résolutions avaient déjà été anticipées par la Déclaration de l’Association médicale mondiale sur les principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains, évoquée ci-dessous dans la présente opinion.

[6].  Résolution de l’Assemblée générale des Nations unies A/RES/53/152, 9 décembre 1998, adoptée sans vote.

[7].  Le Conseil des organisations internationales des sciences médicales (CIOMS) est une organisation internationale non gouvernementale et à but non lucratif établie conjointement par l’OMS et l’UNESCO en 1949. Comme celles de 1982 et de 1993, les Lignes directrices du CIOMS de 2002 visent à aider les États à définir leurs politiques nationales en matière d’éthique de la recherche biomédicale impliquant des sujets humains.

[8].  Voir aussi la publication de l’OMS « Standards and Operational Guidance for Ethics Review of Health-related Research with Human Participants », 2011. En 2003, l’OMS avait déjà adopté la Guideline for Obtaining Informed Consent for the Procurement and Use of Human Tissues, Cells and Fluids in Research, qui vise à aider les chercheurs à gérer les questions éthiques liées aux modes d’obtention, d’utilisation et enfin d’élimination du matériel de recherche clinique, ainsi que la question du consentement éclairé. Cette recommandation s’applique aussi au matériel biologique humain auparavant recueilli et conservé dans un dépôt. Elle indique que le versement d’une somme d’argent ou toute autre incitation à donner du tissu embryonnaire est expressément prohibée.

[9].  Résolution 32 C/15 de la Conférence générale de l’UNESCO, UNESCO GC, 32e session (2003).

[10].  Résolution 280 de l’Assemblée générale des Nations unies, cinquante-neuvième session (23 mars 2005), ONU, document A/RES/59/280.  La déclaration a été adoptée à l’issue d’un vote où 84 États se sont prononcés pour, 34 pays contre, et 37 pays se sont abstenus.

[11].  Conférence générale de l’UNESCO, 33e session (2005).

[12].  Comité international de bioéthique de l’UNESCO, « L’utilisation des cellules souches embryonnaires pour la recherche thérapeutique : rapport du CIB sur les aspects éthiques des recherches sur les cellules embryonnaires », BIO-7/00/GT-1/2(Rev.3), 6 avril 2001. Créé en 1993, le CIB se compose de 36 experts indépendants qui suivent les avancées dans les sciences de la vie.

[13].  Comité international de bioéthique de l’UNESCO, Rapport du CIB sur le diagnostic génétique pré-implantatoire et les interventions sur la lignée germinale, SHS-EST/02/CIB-9/2(Rev.3), 24 avril 2003.

[14].  Comité international de bioéthique de l’UNESCO, Rapport du CIB sur le clonage humain et la gouvernance internationale, SHS/EST/CIB-16/09/CONF.503/2 Rev.2, juin 2009.

[15].  Comité international de bioéthique de l’UNESCO, Avis du CIB sur la brevetabilité du génome humain, huitième session de l’UNESCO (CIB), Paris, 12-14 septembre 2001.

[16].  Résolution no 23/81, OEA/Ser. L/V/II.54, doc.9 rev.1. § 18 b) (6 mars 1981).

[17].  Affaire « Baby Boy » c. États-Unis, CIDH 2141/1981, 6 mars 1981.

[18].  CIDH, Affaire Artavia Murillo et autres (fécondation in vitro) c. Costa Rica. Exceptions préliminaires, fond, réparation et frais, arrêt du 28 novembre 2012, série C no 257,  §§ 315-317.

[19].  Draft African Charter on Human and Peoples’ Rights, art. 17, OUA. doc. CAB/LEG/67/1 (1979).

[20].  Résolution de l’Organisation de l’unité africaine AHG/Res.254 (XXXII).

 

[21].  Le Commentary of the Charter, établi par le Réseau UE d’experts indépendants en matière de droits fondamentaux, explique que l’article 3 (paragraphe 2) a été rédigé dans le but de limiter certaines pratiques en matière de médecine et de biologie. Il indique par ailleurs que les quatre principes qui s’y trouvent consacrés ne sont pas exhaustifs et doivent être lus dans le sens des dispositions de la Convention d’Oviedo.

[22].  Voir aussi les règles de l’Union européenne sur le financement en matière de recherche et de développement technologique, évoquées aux paragraphes 62 à 64 de l’arrêt. Il est d’usage d’exclure les projets qui prévoient des activités de recherche impliquant la destruction d’embryons humains, notamment pour l’obtention de cellules souches.

[23].  Avis du GEE no 12, Les aspects éthiques de la recherche impliquant l’utilisation d’embryons humains dans le contexte du 5e programme-cadre de recherche, 23 novembre 1998. Le GEE est un organe indépendant qui conseille la Commission européenne sur les questions éthiques dans la science et les nouvelles technologies, dans le contexte de la législation et de la politique.

[24].  Avis du GEE no 15, Les aspects éthiques de la recherche sur les cellules souches humaines et leur utilisation, 14 novembre 2000.

[25].  Avis du GEE no 16, Les aspects éthiques de la brevetabilité des inventions impliquant des cellules souches humaines, 7 mai 2002.

[26].  Avis du GEE no 22, Recommendations on the ethical review of hESC FP7 research projects, 20 juin 2007.

[27].  Le point de départ de l’Assemblée était que « dès la fécondation de l’ovule, la vie humaine se développe de manière continue, si bien que l’on ne peut faire de distinction au cours des premières phases (embryonnaires) de son développement ». Dans sa Recommandation 874 (1979) sur une Charte européenne des droits de l’enfant, l’Assemblée avait déjà affirmé « [l]es droits de chaque enfant à la vie dès le moment de sa conception ».

[28].  Voir aussi la Résolution 1934 (2013) sur l’éthique dans la science et la technologie.

[29].  La Convention (STE no 164) a été adoptée le 4 avril 1997 à Oviedo, en Espagne, et est entrée en vigueur le 1er décembre 1999. À ce jour, elle a été ratifiée par 29 États. Le Protocole additionnel portant interdiction du clonage d’êtres humains (STE no 168) a été adopté le 12 janvier 1998 et est entré en vigueur le 1er mars 2001. Le Protocole additionnel relatif à la recherche biomédicale (STE no 195), adopté le 25 janvier 2005 et entré en vigueur le 1er septembre 2007, couvre tout l’éventail des activités de recherche en matière de santé impliquant des interventions sur les êtres humains, y compris sur les fœtus et les embryons in vivo.

[30].  Soulignons que l’article 14 est l’une des dispositions absolues de la Convention d’Oviedo, comme il ressort de l’article 26 § 2.

[31].  Voir les paragraphes 8-20 et 165 du rapport explicatif de la Convention d’Oviedo.

[32].  En cela, je souscris sans réserve à la conclusion de la Grande Chambre selon laquelle la Convention d’Oviedo témoigne d’un rétrécissement de la marge d’appréciation laissée aux États membres du Conseil de l’Europe (paragraphe 182 de l’arrêt). Dans Evans c. Royaume-Uni ([GC], no 6339/05, CEDH 2007‑I), affaire qui portait également sur le sort d’embryons humains congelés, les parties et la Cour s’étaient accordées à dire que l’article 8 était applicable et que l’affaire concernait le droit de la requérante au respect de sa vie privée. Dans leur convaincante opinion dissidente commune, les juges Türmen, Tsatsa-Nikolovska, Spielmann et Ziemele avaient déclaré : « [u]ne affaire aussi sensible que celle‑ci ne peut être tranchée sur une base simpliste et mécanique consistant à dire qu’il n’y a aucun consensus en Europe et que, dès lors, l’État défendeur bénéficie d’une ample marge d’appréciation, qui s’étend aux règles adoptées (...) La marge d’appréciation ne doit (...) pas empêcher la Cour d’exercer son contrôle, en particulier relativement à la question de savoir si un juste équilibre a été ménagé entre tous les intérêts conflictuels en jeu au niveau interne. La Cour ne devrait pas utiliser le principe de la marge d’appréciation comme un simple substitut pragmatique à une approche réfléchie du problème de la portée adéquate de son contrôle. » Un commentaire identique pourrait s’appliquer à l’affaire Parrillo.

[33].  Voir les paragraphes 161 et 162 du rapport explicatif de la Convention d’Oviedo. En cas de conflit entre la liberté de la recherche et la protection à offrir aux embryons, les États parties peuvent aller au-delà de l’obligatoire protection « adéquate » qui est due à ceux-ci et adopter des politiques prohibitives.

[34].  Rappelons que la Recommandation 934 (1982) de l’APCE relative à l’ingénierie génétique avait déjà appelé les États à « prévoir la reconnaissance expresse, dans la Convention européenne des Droits de l’Homme, du droit à un patrimoine génétique n’ayant subi aucune manipulation, sauf en application de certains principes reconnus comme pleinement compatibles avec le respect des droits de l’homme (par exemple dans le domaine des applications thérapeutiques) ». En fait, la Convention n’est pas indifférente à la création et à l’instrumentalisation des embryons aux fins de l’expérimentation scientifique, à la création d’hybrides ou au clonage d’êtres humains. Ce sont des questions essentielles relevant de la protection de ce que l’on peut sur le plan ontologique définir comme une forme de vie humaine, questions qui entrent assurément dans le champ d’application de la Convention. Je ne vois pas comment on peut au regard de la Convention accepter une ample marge d’appréciation si une partie contractante veut, par exemple, mettre en œuvre une politique prénatale eugénique ou raciste.

[35].  En fait, la requérante a une position contradictoire, car elle affirme également avoir un droit de propriété sur ses embryons. Il n’est pas acceptable d’invoquer à la fois un droit de propriété et un droit au respect de la vie privée à l’égard d’embryons humains « possédés ». Sauf si cela implique que le fait d’utiliser des êtres humains – en l’espèce des embryons humains – et d’en disposer est une manière de maintenir une relation avec eux.

[36].  Ce n’est pas une nouvelle déclaration de principe de la Cour, comme le montre le  paragraphe 59 de l’arrêt Costa et Pavan c. Italie. Compte tenu des circonstances fort exceptionnelles de l’espèce sur le plan humain, j’ai voté dans le sens des conclusions contenues dans Costa et Pavan et je souscris naturellement au principe énoncé au paragraphe 59 de cet arrêt. Toutefois, je dois également préciser aujourd’hui que la deuxième section n’avait pas l’intention de créer un droit nouveau découlant de la Convention de devenir parent d’un enfant en bonne santé, donc un « droit » négatif et illimité à l’« autodétermination » consistant à disposer d’embryons non implantés. Pareil droit n’a été établi ni explicitement ni implicitement par l’arrêt en question. C’est le principe de nécessité qui a été déterminant dans l’arrêt, dans la mesure où le critère de la mesure moins intrusive envisage une atteinte minimale aux intérêts concurrents en posant la question de savoir s’il existe un moyen aussi efficace mais moins intrusif de répondre au même besoin social. La Cour a ainsi reconnu la pertinence du principe de précaution dans l’appréciation des interventions en milieu médical, qui vise à éviter à tous les stades de la vie humaine les interventions lourdes au profit de celles qui le sont moins (sur le principe de précaution dans l’ordre juridique italien, voir l’avis du Comitato Nazionale per la Bioetica intitulé « Principe de précaution : aspects bioéthiques, philosophiques et juridiques », du 8 juin 2004). Bien que le paragraphe 65 de l’arrêt Costa et Pavan emploie le terme « droit », cette fâcheuse maladresse de plume ne doit pas être prise littéralement, car le même arrêt parle également, au paragraphe 57, du « désir » des parents d’avoir un enfant en bonne santé. Les circonstances propres à l’affaire Costa et Pavan ne sont en rien semblables à la présente espèce, et ne peuvent assurément pas être utilisées pour justifier un « droit négatif » et illimité de décider du sort d’embryons non implantés.

[37].  Voir le raisonnement clair qui est tenu dans l’arrêt no 27 du 18 février 1975 (Ritiene la Corte che la tutela del concepito – che già viene in rilievo nel diritto civile (artt. 320, 339, 687 c.c.) – abbia fondamento costituzionale. L’art. 31, secondo comma, della Costituzione impone espressamente la « protezione della maternità » e, più in generale, l’art. 2 Cost. riconosce e garantisce i diritti inviolabili dell’uomo, fra i quali non può non collocarsi, sia pure con le particolari caratteristiche sue proprie, la situazione giuridica del concepito) et dans l’arrêt no 35 du 30 janvier 1997 (il diritto alla vita, inteso nella sua estensione più lata, sia da iscriversi tra i diritti inviolabili, e cioè tra quei diritti che occupano nell’ordinamento una posizione, per dir così, privilegiata, in quanto appartengono – per usare l’espressione della sentenza n. 1146 del 1988 – « all’essenza dei valori supremi sui quali si fonda la Costituzione italiana »). Voir aussi les avis du Comitato Nazionale per la Bioetica (Comité national italien pour la bioéthique) des 22 juin 1996 (identité et statut de l’embryon humain), 27 octobre 2000 (utilisation thérapeutique de cellules souches), 11 avril 2003 (recherches utilisant des embryons et des cellules souches humains), 16 juillet 2004 (utilisation à des fins de recherche de lignées de cellules h1 et h9 issues d’embryons humains), 15 juillet 2005 (considérations bioéthiques concernant l’ « ootide »), 18 novembre 2005 (adoption pour la naissance d’embryons cryoconservés issus de la procréation médicalement assistée (PMA), 26 octobre 2007 (le sort d’embryons issus de la PMA et ne répondant pas aux conditions de l’implantation) et 26 juin 2009 (chimères et hybrides, avec une attention particulière pour les hybrides cytoplasmiques).

[38].  Je ne puis dès lors souscrire au raisonnement tenu aux paragraphes 176 et 180, dans lesquels la Cour, tout en évoquant les arrêts Evans, S.H. et autres et Knecht, conclut que les « questions d’ordre éthique et moral que la notion de commencement de la vie humaine comporte » appellent une « ample marge de discrétion ».

 

[39].  La même conclusion peut être tirée de S.H. et autres c. Autriche (GC), no 57813/00, § 82, 3 novembre 2011.

[40].  L’article 16 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (2001) pourrait ici être invoqué.

[41].  Voir, par exemple, Vo c. France ([GC], n° 53924/00, § 75 et 80, CEDH 2004‑VIII), Evans c. Royaume-Uni ([GC], n° 6339/05, CEDH 2007‑I), Dickson c. Royaume-Uni ([GC], n° 44362/04, CEDH 2007‑V), Brüggemann et Scheuten c. Allemagne (n° 6959/75, rapport de la Commission du 12 juillet 1977, Décisions et rapports (DR) 10, p. 100), et H. c. Norvège (n° 17004/90, décision de la Commission du 19 mai 1992, DR 73, p. 155).

[42].  Voir, par exemple, Dickson, précité, Evans, précité, et S.H. et autres c. Autriche ([GC], n° 57813/00, CEDH 2011).

[43].  Cela n’implique pas que les cellules en question font partie intégrante de l’« identité biologique » de la requérante, comme le décrit l’arrêt, mais plutôt que l’intéressée a le droit de contrôle principal sur son empreinte génétique.

[44].  Evans, précité. Bien entendu, l’affaire Evans n’est qu’en partie pertinente pour la présente espèce, puisque les droits de la requérante en cause en l’espèce ne touchent pas à la parentalité.

[45].  Bien que la requérante ne paie rien, actuellement, pour le stockage de ses embryons, il n’existe selon elle aucune disposition juridique qui empêcherait le service de stockage médical de mettre ces frais à sa charge. Le Gouvernement n’a pas contesté cette observation.

[46].  Une question reste un mystère à mes yeux : pourquoi l’absence de consensus européen sur l’existence d’un droit est si souvent interprétée contre l’existence de ce droit, alors même que l’existence d’un tel droit peut être déduite de la notion autonome d’un droit fondé sur la Convention, aussi, par exemple, à la lumière des évolutions du droit international et des réalités sociales. Si l’exercice d’une liberté a été autorisé au moins dans certains pays, cela devrait alors créer une présomption en faveur de ce droit fondé sur la Convention dès lors que celui-ci est par ailleurs compatible avec une interprétation raisonnable de la signification et de la portée du droit en question. Cela n’exclut pas la possibilité qu’il peut y avoir de bonnes raisons dans un autre pays pour restreindre ce doit. Ou disons-nous que la reconnaissance de la portée plus large d’un droit dans plusieurs pays est arbitraire et dénuée de pertinence ?

Avec la théorie controversée sur la marge d’appréciation, telle qu’interprétée par la Cour, l’État est exonéré de l’obligation de fournir une justification matérielle de l’existence d’un besoin impérieux d’opérer une ingérence. Invoquer l’absence de consensus européen comme indicateur déterminant de l’absence d’une certaine signification ou portée d’un droit fondé sur la Convention ignore le préambule de celle-ci, qui évoque « le développement des droits de l’homme » comme l’un des moyens d’atteindre le but de la Convention.

[47].  Bien entendu, cela n’incombe pas à la Cour. C’est au Gouvernement de savoir et d’expliquer ce qu’est le but de la législation en cause. Au moins pendant le dernier stade du débat, les partisans de la loi ont expressément nié que celle-ci avait une quelconque finalité morale. Le député Giuseppe Fioroni a déclaré que la loi ne servait pas la morale catholique mais le droit naturel (19 janvier 2004).

http://legxiv.camera.it/_dati/leg14/lavori/stenografici/framedinam.asp?sedpag=sed408/s000r.htm

[48].  La Cour s’inspire des observations écrites formulées par le Gouvernement au titre de l’article 1 du Protocole n° 1, dont l’applicabilité en l’espèce a été rejetée. Ce n’est que dans la plaidoirie orale que le Gouvernement a soutenu que la loi servait la protection de « la potentialité de vie de l’embryon », mais pas dans le contexte de l’article 8 § 2.

[49].  Les organes, par exemple, ne sont pas traités purement comme des biens mais cela ne leur confère pas la qualité « d’êtres humains ». Le statut juridique du matériel biologique n’est pas évident et doit être précisé avant que des hypothèses ne puissent être formulées sur des droits en la matière.

En théorie juridique italienne, un « sujet » est un point de référence pour les relations juridiques, pas une personne. Toutes les personnes sont des sujets, mais tous les sujets ne sont pas des personnes (“Ogni persona è soggetto, non ogni soggetto è persona”) Cass., 24 juillet 1989, n° 3498, dans Foro it., 1990, I, c. 1617.

[50].  Dans l’affaire James et autres (ibidem), la Cour n’a accordé qu’une « certaine marge d’appréciation » qui au fil des ans s’est transformé en « ample » marge d’appréciation.

[51].  Voir également la jurisprudence citée au paragraphe 167 du présent arrêt.

[52].  Des dispositions clés de la loi ont déjà été jugées contraires à la Constitution ou à la Convention (paragraphes 27-39 du présent arrêt, et Costa et Pavan c. Italie, no 54270/10, 28 août 2012).

[53].  “Tutti (sia il rapporto Warnock sia gli scienziati che hanno partecipato alle varie audizioni di Camera e Senato) hanno dichiarato: sì, è vita, però...” « Tous (le rapport Wamock et les scientifiques qui ont participé aux différentes audiences de la Chambre et du Sénat) ont déclaré : oui, la vie, mais… » (La députée Maria Burani Procaccini, défendant le projet de loi (19 janvier 2004)).

[54].  La loi ne prévoyait en aucune façon le sort à réserver aux embryons surnuméraires. C’est uniquement le Comité national de bioéthique qui a décidé ultérieurement (le 18 novembre 2005), sur des fondements juridiques incertains, que l’adoption en vue d’une naissance était autorisée (paragraphes 19-20 du présent arrêt).

[55].  Un pourcentage de 25% des électeurs inscrits ont participé au référendum non valable sur la loi en 2005, 88% des votants s’étant prononcés en faveur d’une abrogation partielle.

[56].  « La République garantit la liberté des arts et des sciences, qui peuvent être enseignés librement ». Le Gouvernement n’a pas démontré que les valeurs constitutionnelles de la science ont été mises en balance par le Parlement, et a formulé des observations uniquement sur l’utilisation des cellules pluripotentes par la recherche.

[57].  Les commentateurs ont été prompts à souligner les incohérences internes de la loi. Voir Carlo Casonato, Legge 40 e principio di non contraddizione: una valutazione d’impatto normativo. Collana Quaderni del Dipartimento di Scienze Giuridiche dell'Università di Trento, vol. n° 47, Università di Trento, 2005.

[58].  Le Gouvernement s’attend peut-être à ce que l’humanité développe la faculté scientifique de faire pousser un être humain à partir d’un embryon in vitro en se passant d’un utérus ?

[59].  Un choix qui est au moins étroitement lié à la préservation et à la protection de la vie comme celui de la législation actuelle.

[60].  Voir le rapport de la Stanford Medical School à l’adresse suivante : http://med.stanford.edu/news/all-news/2011/04/new-approach-to-ivf-embryo-donations-lets-people-weigh-decision.html.

[61].  Voir, par exemple, le témoignage du professeur de Luca; Patient Handbook on Stem Cell Therapies publié par la International Society of Stem Cell

Recherche:http://www.closerlookatstemcells.org/docs/default-source/patient-resources/patient-handbook---english.pdf; National Institutes of Health: http://stemcells.nih.gov/Pages/Default.aspx.

[62].  Je ne pense pas que les évolutions rapides de la science et de la technologie soient pertinentes ici, à moins que la science ne permette un jour la production de bébés en dehors de l’utérus et en dehors du corps humain ; et dans ce cas, il y aura un consensus moral que l’embryon a le droit de devenir un homuncule (ectogénèse), quel que soit les souhaits des donneurs. Je ne peux imaginer que pareilles considérations soient applicables en l’espèce, nonobstant les efforts consentis en vue de créer un ventre artificiel.