CONSULTA ONLINE

 

 

 

Corte europea dei diritti dell’uomo

(Grande Camera)

 

17 gennaio 2017

 

 

 

AFFAIRE HUTCHINSON c. ROYAUME-UNI

 

(Requête no 57592/08)

 

 

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

 

 

En l’affaire Hutchinson c. Royaume-Uni,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

András Sajó, président,

Işıl Karakaş,

Josep Casadevall,

Luis López Guerra,

Mirjana Lazarova Trajkovska,

Angelika Nußberger,

Päivi Hirvelä,

Ganna Yudkivska

Paulo Pinto de Albuquerque,

Linos-Alexandre Sicilianos,

Erik Møse,

Helena Jäderblom

Paul Mahoney,

Faris Vehabović,

Ksenija Turković,

Branko Lubarda,

Yonko Grozev, juges,

et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 octobre 2015 et le 10 octobre 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 57592/08) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et dont un ressortissant de cet État, M. Arthur Hutchinson (« le requérant »), a saisi la Cour le 10 novembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par le cabinet Kyles Legal Practice, de North Shields. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. P. McKell, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth.

3. Le requérant alléguait en particulier que la peine de perpétuité réelle prononcée à son égard était incompatible avec l’article 3 de la Convention.

4. La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour – « le règlement »). Le 10 juillet 2013, le grief tiré de l’article 3 a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement. Par un arrêt du 3 février 2015, une chambre de la quatrième section composée des juges Raimondi, Nicolaou, Bianku, Tsotsoria, Kalaydjieva, Mahoney et Wojtyczek, ainsi que de F. Aracı, greffière adjointe de section, a déclaré recevable, à la majorité, le grief tiré de l’article 3 et a conclu, par six voix contre une, à la non-violation de cette disposition. À l’arrêt se trouvait joint l’exposé de l’opinion dissidente de la juge Kalaydjieva.

5. Le 1er juin 2015, faisant droit à la demande formée par le requérant le 5 mars 2015, le collège de la Grande Chambre a décidé de renvoyer l’affaire devant celle-ci en vertu de l’article 43 de la Convention.

6. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux dispositions des articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.

7. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement). Par ailleurs, des observations ont été reçues du European Prison Litigation Network (« EPLN »), que le président de la Grande Chambre avait autorisé à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement). Le Gouvernement y a répondu oralement lors de l’audience (article 44 § 6 du règlement).

8. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 21 octobre 2015 (article 59 § 3 du règlement).

 

Ont comparu :

– pour le Gouvernement

MM.P. MCKELL,agent,

J. WRIGHT, QC, Attorney General,

J. EADIE, QC,conseils ;

MmesA. FOULDS,

C. GASKELL,

M.J. GERARD,

MmeJ. EARL,conseillers ;

– pour le requérant

M.J. BENNATHAN, QC,

MmeK. THORNE,conseils,

M.J. TURNER, conseiller.

 

La Cour a entendu MM. Wright et Bennathan en leurs déclarations et en leurs réponses à des questions de juges.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9. Le requérant est né en 1941 et est actuellement détenu à la prison de Durham.

10. En octobre 1983, il s’introduisit au domicile d’une famille, tua à coups de poignard le père de famille, son épouse et leur fils adulte, et viola à plusieurs reprises leur fille de 18 ans après l’avoir traînée devant le corps de son père. Il fut arrêté quelques semaines plus tard et accusé de ces infractions. Au procès, il plaida non coupable, niant les meurtres et affirmant que les rapports sexuels étaient consentis. Le 14 septembre 1984, il fut reconnu coupable de trois chefs de meurtre, de viol et de vol aggravé.

11. Le juge du fond condamna le requérant à une peine d’emprisonnement à perpétuité et, conformément aux règles de fixation des peines qui étaient alors en vigueur, recommanda au ministre de l’Intérieur d’appliquer une période punitive (tariff) de dix-huit ans. Invité le 12 janvier 1988 à donner de nouveau son avis, le juge déclara par écrit qu’« aux fins des impératifs de rétribution et de dissuasion, il s’agi[ssai]t d’un cas où la perpétuité réelle s’impos[ait] ». Le 15 janvier 1988, leLord Chief Justice recommanda que la durée de la période punitive fût fixée pour la vie entière du requérant et s’exprima ainsi : « Je ne pense pas que cet homme doive jamais être libéré, indépendamment même du risque qu’entraînerait pareille mesure ». Le 16 décembre 1994, le ministre informa le requérant qu’il avait décidé de lui infliger une peine de perpétuité réelle.

12. À la suite de l’entrée en vigueur de la loi de 2003 sur la justice pénale (Criminal Justice Act 2003), le requérant saisit la High Court d’une demande de réexamen de sa peine, arguant qu’il aurait fallu lui appliquer la période punitive de dix-huit ans recommandée à son procès. Le 16 mai 2008, la High Court rendit son arrêt dans lequel elle concluait qu’il n’y avait aucune raison d’infirmer la décision du ministre. Selon la haute juridiction, la gravité des infractions était telle que la peine de référence ne pouvait être qu’une peine de perpétuité réelle, et l’affaire présentait en outre plusieurs facteurs aggravants très sérieux et aucune circonstance atténuante. Le 6 octobre 2008, la Cour d’appel débouta le requérant.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

13. Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la procédure de fixation d’une peine de perpétuité réelle en vertu de la loi de 2003 sur la justice pénale sont exposés aux paragraphes 12-13 et 35-41 de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Vinter et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, CEDH 2013 (extraits)). À l’audience tenue en l’espèce, le Gouvernement a indiqué que cinquante-six détenus purgeaient alors des peines de perpétuité réelle et qu’aucun détenu relevant de cette catégorie n’avait été libéré depuis le prononcé de l’arrêt Vinter.

A. La loi de 1998 sur les droits de l’homme (Human Rights Act 1998)

14. La loi sur les droits de l’homme, en ses passages pertinents, se lit ainsi :

« Article 2 – Interprétation des droits reconnus par la Convention

1. Les cours et tribunaux appelés à statuer sur une question se rapportant à un droit reconnu par la Convention sont tenus de prendre en compte :

a) les arrêts, décisions, déclarations ou avis consultatifs de la Cour européenne des droits de l’homme.

(...)

Article 3 – Interprétation de la législation

1. Dans toute la mesure du possible, la législation primaire et la législation déléguée doivent être interprétées et mises en œuvre d’une manière compatible avec les droits reconnus par la Convention.

(...)

Article 6 – Actes d’autorités publiques

1. Une autorité publique est dans l’illégalité lorsqu’elle agit d’une manière incompatible avec un droit reconnu par la Convention.

2. Le paragraphe 1 du présent article ne s’applique pas à un acte

a) si, en raison d’une ou de plusieurs dispositions de la législation primaire, l’autorité n’aurait pu agir différemment ;

b) ou si, compte tenu d’une ou de plusieurs dispositions de la législation primaire qui ne peuvent être interprétées ou mises en œuvre d’une manière compatible avec les droits reconnus par la Convention, l’autorité a agi de manière à donner effet ou application à ces dispositions.

3. Aux fins du présent article, l’expression « autorité publique » s’étend :

a) aux cours et tribunaux, et

b) à toute personne dont certaines des fonctions sont publiques par nature,

mais ne s’étend ni au Parlement ni aux personnes exerçant des fonctions liées à la procédure parlementaire.

(...)

Article 7 – Procédure

1. Toute personne alléguant qu’une autorité publique a agi (ou se propose d’agir) illégalement au regard de l’article 6 § 1 peut

a) assigner cette autorité en vertu de la présente loi devant la cour ou le tribunal compétent(e), ou

b) invoquer le ou les droits conventionnels en cause dans toute procédure judiciaire,

sous réserve qu’elle soit victime réelle ou potentielle de l’acte illégal.

(...)

Article 8 – Recours juridictionnels

1. Si la juridiction compétente juge qu’une autorité publique a agi ou se proposait d’agir illégalement, elle peut ordonner toute mesure de réparation ou de redressement ou rendre toute décision qui lui semble juste et appropriée, dans la limite de ses compétences.

(...) »

B. La loi de 1997 sur les peines en matière criminelle (Crime (Sentences) Act 1997)

15. L’article 30 de cette loi, en ses passages pertinents, est ainsi libellé :

« Le ministre peut, à tout moment, mettre en liberté conditionnelle un détenu condamné à la réclusion à perpétuité s’il est convaincu que des circonstances exceptionnelles justifient pareille mesure pour des motifs d’humanité. »

C. L’ordonnance no 4700 de l’administration pénitentiaire (Prison Service Order 4700)

16. La politique du ministre de la Justice relative à l’exercice du pouvoir de libération pour motifs d’humanité est énoncée au chapitre 12 du manuel sur les peines de durée indéterminée (« Lifer Manual »), édicté par l’ordonnance no 4700 de l’administration pénitentiaire. Les critères, qui remontent à avril 2010, sont ainsi libellés :

« Le détenu est atteint d’une maladie mortelle et risque de mourir à très brève échéance (cette notion n’est pas autrement définie, mais une échéance de trois mois paraît raisonnable pour la saisine de la section chargée de la protection publique – Public Protection Casework Section), il est grabataire ou souffre d’une invalidité (paralysie ou graves problèmes cardiaques, par exemple) ;

et

– le risque de récidive (en particulier pour une infraction à caractère sexuel ou violent) est minime ;

et

– le maintien en détention réduirait l’espérance de vie du détenu ;

et

– des dispositions adéquates ont été prises pour soigner et traiter le détenu hors de la prison ;

et

– une libération anticipée serait grandement dans l’intérêt du détenu ou de sa famille. »

D. La décision de la Cour d’appel dans l’affaire R v. Newell ; R v. McLoughlin

17. Les recours formés dans ces affaires donnèrent lieu à la constitution d’une formation spéciale de la Cour d’appel, comprenant le Lord Chief Justiced’Angleterre et du pays de Galles, le président de la Queen’s Bench Division, le vice-président de la chambre criminelle de la Cour d’appel, un autre juge de la Cour d’appel et un juge expérimenté de la High Court. La Cour d’appel rendit sa décision (« décision McLoughlin ») le 18 février 2014, à la lumière de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Vinter.

18. L’appelant, M. Newell, estimait contraire à l’article 3 de la Convention la peine de perpétuité réelle qui lui avait été infligée pour un meurtre commis alors qu’il purgeait déjà une peine de réclusion à perpétuité pour un meurtre précédent. Dans l’affaire McLoughlin, c’est l’Attorney General qui avait interjeté appel en vertu de l’article 36 de la loi de 1986 sur la justice pénale (Criminal Justice Act 1986), soutenant que le juge de première instance s’était trompé en estimant que l’arrêt dans l’affaire Vinter interdisait l’imposition d’une peine de perpétuité réelle et en infligeant en lieu et place une peine de réclusion à perpétuité assortie d’une période punitive de quarante ans pour un meurtre commis par un homme qui avait déjà été condamné pour meurtre et homicide involontaire.

19. Dans sa décision, la Cour d’appel retraça l’évolution des peines de perpétuité réelle et du réexamen de ce type de peines. Au paragraphe 7 de sa décision, elle s’exprima ainsi (citations omises) :

i. Le 7 décembre 1994, le ministre de l’Intérieur d’alors présenta comme suit sa politique relative aux détenus condamnés à des peines de perpétuité réelle (...) :

« De plus, j’ai décidé que, s’agissant des détenus condamnés à des peines perpétuelles pour lesquels il a été jugé que les impératifs de rétribution et de dissuasion ne peuvent être satisfaits que si les intéressés demeurent en prison pour le restant de leurs jours, il y aura à l’avenir un réexamen ministériel supplémentaire à la vingt-cinquième année d’emprisonnement. Ce réexamen aura pour unique objet de déterminer s’il convient de substituer à la période punitive à perpétuité une période punitive de durée déterminée. Il se limitera à des considérations de rétribution et de dissuasion. Le cas échéant, d’autres réexamens ministériels auront normalement lieu par la suite tous les cinq ans. Les détenus qui relèvent actuellement de cette catégorie et qui ont déjà purgé vingt-cinq ans d’emprisonnement ou plus ne seront pas désavantagés. Leurs cas seront examinés par les ministres dès que possible, après qu’ils auront formulé les observations qu’ils souhaiteraient présenter. »

ii. Cette politique fut modifiée par un autre ministre de l’Intérieur le 10 novembre 1997 (Hansard (House of Commons Debates), 10 novembre 1997, vol. 300, colonnes. 419-420 : réponse écrite) :

« Quant à l’éventualité d’une réduction de la période punitive, je suis disposé à accepter que, dans des cas exceptionnels, notamment lorsque le détenu a accompli des progrès exceptionnels en prison, un réexamen et une réduction de la période punitive puissent passer pour appropriés. Je garderai cette possibilité à l’esprit lorsque je réexaminerai, au terme des vingt-cinq ans d’emprisonnement, les cas de détenus purgeant une peine de perpétuité réelle et, à cet égard, je ne me limiterai pas aux seuls impératifs de rétribution et de dissuasion évoqués dans la réponse écrite du 7 décembre 1994. »

iii. À l’occasion de la contestation par Myra Hindley de la période punitive à perpétuité qui lui avait été infligée, le Lord Chief Justice Bingham, siégeant au sein de la Divisional Court en l’affaire R v. Home Secretary ex parte Hindley (...) estima que si la politique restrictive fixée en 1994 était illégitime, cela avait été corrigé par la politique de 1997 qui permettait de tenir compte des progrès exceptionnels accomplis par le détenu en prison. Dans son recours devant la Chambre des lords, le représentant du ministre de l’Intérieur indiqua expressément que celui-ci était disposé à réexaminer toutes les peines de perpétuité réelle même en l’absence de circonstances exceptionnelles (...) Lord Steyn, entérinant la légitimité de la politique du ministre de l’Intérieur fixée en 1997, nota la façon dont cette politique avait été clarifiée (...) :

« (...) le représentant du ministre a déclaré que la politique consistant à imposer une période punitive à perpétuité ne fait qu’exprimer l’avis du ministre à ce moment-là, selon lequel il convient, eu égard aux impératifs de rétribution et de dissuasion, de ne jamais libérer le détenu concerné. Un réexamen n’est pas exclu pour autant. Le ministre étudie la possibilité de libérer le détenu lorsque celui-ci a accompli des progrès exceptionnels en prison ; et même en l’absence de tels progrès, le ministre est disposé à réexaminer à intervalles réguliers toute décision d’infliger une peine de perpétuité réelle. »

La Cour d’appel rappela ensuite les critères pertinents du manuel sur les peines de durée indéterminée (paragraphe 16 ci-dessus), observant qu’ils étaient « extrêmement restrictifs » (paragraphe 11 de la décision McLoughlin). Elle souleva la question de la compatibilité du système prévu par la loi avec l’article 3 de la Convention. Dans sa réponse, elle formula les considérations suivantes :

« b) Le régime prévoyant la compressibilité des peines doit-il être en place au moment où la peine de perpétuité réelle est prononcée ?

19. Il ressort à l’évidence des observations de la Grande Chambre que, pour elle, le fait qu’un détenu demeure en réalité en prison pour le restant de ses jours n’emporte pas violation de l’article 3. Il est par exemple des délinquants qui continuent d’être une menace pendant toute leur vie.

20. Cependant, la Grande Chambre a estimé que la justification de la détention pouvait évoluer au cours de l’exécution de la peine ; elle a expliqué qu’une sanction, bien que juste au départ, pouvait cesser de l’être après l’écoulement de nombreuses années. Elle a dit aux paragraphes 110 et 121 de son arrêt que, pour demeurer compatible avec l’article 3, une peine perpétuelle devait offrir à la fois une chance d’élargissement et une possibilité de réexamen. Elle a ajouté ce qui suit au paragraphe 122 :

« Un détenu condamné à la perpétuité réelle a le droit de savoir, dès le début de sa peine, ce qu’il doit faire pour que sa libération puisse être envisagée et ce que sont les conditions applicables. Il a le droit, notamment, de connaître le moment où le réexamen de sa peine aura lieu ou pourra être sollicité. Dès lors, dans le cas où le droit national ne prévoit aucun mécanisme ni aucune possibilité de réexamen des peines de perpétuité réelle, l’incompatibilité avec l’article 3 en résultant prend naissance dès la date d’imposition de la peine perpétuelle et non à un stade ultérieur de la détention. »

21. La Grande Chambre a ensuite précisé que cette exigence différait de la tâche du juge consistant à fixer la sentence, s’exprimant ainsi au paragraphe 124 :

« Or la nécessité de faire statuer par des juges indépendants sur l’opportunité d’ordonner la perpétuité réelle est tout à fait distincte de celle de faire réexaminer une telle peine à un stade ultérieur afin de vérifier qu’elle demeure justifiée par des motifs légitimes d’ordre pénologique. De plus, étant donné que le but déclaré de cet amendement législatif était d’exclure entièrement l’exécutif du processus décisionnel en matière de peines perpétuelles, il eût été plus logique, au lieu de le supprimer complètement, de prévoir que le réexamen au bout de vingt-cinq ans serait désormais conduit dans un cadre entièrement judiciaire plutôt que, comme auparavant, par l’exécutif sous le contrôle du juge. »

22. Ainsi, s’il est clair que la Grande Chambre a admis que l’imposition par un juge d’une peine de perpétuité réelle pouvait constituer une juste sanction, elle a conclu qu’un système légal permettant un réexamen au cours de la peine doit être en place à la date du prononcé de celle-ci.

23. Tout en souscrivant à la thèse défendue au nom de l’Attorney General selon laquelle la Cour de Strasbourg n’a pas dit que l’application d’une période punitive à perpétuité emportait en soi violation de l’article 3, nous souhaitons revenir brièvement sur les arguments qui ont été avancés à cet égard. À notre avis, l’article 3 de la loi sur les droits de l’homme ne saurait donner lieu à une interprétation restrictive de la législation dans le sens d’une interdiction de l’imposition de peines de perpétuité réelle. En effet, l’article 269 § 4 prévoit que si un tribunal est d’avis que la gravité de l’infraction, en elle-même ou combinée avec d’autres éléments, lui interdit d’envisager une libération anticipée du détenu, il doit ordonner que ces dispositions ne s’appliquent pas. Cela étant, l’article 6 § 2 de la loi sur les droits de l’homme permet au tribunal, en tant qu’autorité publique, de s’exonérer de son obligation d’agir d’une manière compatible avec la Convention.

24. Le seul recours disponible devant les juridictions internes dans cette hypothèse serait une déclaration d’incompatibilité, c’est-à-dire le recours discrétionnaire prévu par l’article 4 de la loi sur les droits de l’homme dans les cas où une législation primaire est jugée incompatible avec la Convention. Pareil recours n’est pas disponible devant la Crown Court et n’empêcherait pas, quoi qu’il en soit, le système prévu par la loi de continuer à opérer.

c) L’article 30 prévoit-il un régime de compressibilité des peines réellement conforme à l’article 3 de la Convention ?

25. Dès lors, la question se pose de savoir si les dispositions de l’article 30 prévoient un régime compatible avec l’article 3, selon l’interprétation donnée par la Grande Chambre et l’hypothèse selon laquelle nous devons suivre cette interprétation lorsqu’il s’agit de nous acquitter de notre obligation en vertu de l’article 2 de la loi sur les droits de l’homme de prendre en compte la décision de la Cour de Strasbourg.

26. Le Lord Chief Justice Phillips, en prononçant l’arrêt de notre cour dans l’affaire R. v. Bieber, a conclu que ce régime était compatible et que les peines de perpétuité réelle étaient compressibles, eu égard au pouvoir que l’article 30 de la loi de 1997 confère au ministre. Il s’est exprimé ainsi au paragraphe 48 de l’arrêt :

« Aujourd’hui, le ministre fait usage de ce pouvoir avec parcimonie, par exemple lorsque le détenu est atteint d’une maladie en phase terminale, lorsqu’il est grabataire ou lorsqu’il se trouve dans un état d’invalidité comparable. Toutefois, si la situation est telle que le maintien en détention d’un détenu est assimilable à un traitement inhumain ou dégradant, aucune raison ne s’oppose selon nous à ce que, compte tenu en particulier de l’obligation de respecter la Convention, le ministre libère l’intéressé comme la loi lui en donne le pouvoir. »

Ce principe a été réaffirmé dans l’arrêt rendu par cette cour en l’affaire R. v. Oakes (§ 15).

27. Tout en admettant que l’interprétation de l’article 30 de la loi de 1997, telle qu’exposée dans l’affaire R. v. Bieber, serait, en principe, conforme à l’arrêt Kafkaris, la Grande Chambre s’est dite préoccupée par le fait que la loi puisse ne pas présenter une certitude suffisante. Elle a ajouté aux paragraphes 126–127 de l’arrêt Vinter :

« (...) Or il demeure que, malgré l’arrêt rendu par la Cour d’appel dans l’affaire Bieber, le ministre n’a pas modifié la teneur de la politique restrictive expressément énoncée par lui quant aux situations où il entend exercer le pouvoir que lui confère l’article 30. Nonobstant la lecture donnée de cette disposition par la Cour d’appel, l’ordonnance de l’administration pénitentiaire reste en vigueur et elle prévoit que l’élargissement ne sera ordonné que dans certains cas, qui sont énumérés de manière exhaustive et non pas cités à titre d’exemples (...)

Ce sont là des conditions extrêmement restrictives. À supposer même qu’un détenu condamné à la perpétuité réelle puisse les remplir, la Cour estime que la chambre a eu raison de douter que la mise en liberté pour motifs d’humanité pouvant être accordée aux personnes atteintes d’une maladie mortelle en phase terminale ou d’un grave handicap physique puisse être considérée comme une véritable libération si elle se résume à permettre à l’intéressé de mourir chez lui ou dans un hospice plutôt qu’entre les murs d’une prison. De fait, aux yeux de la Cour, pareille mise en liberté pour motifs d’humanité ne correspond pas à ce que recouvre l’expression « perspective d’élargissement » employée dans l’arrêt Kafkaris (précité). En soi, les dispositions de l’ordonnance en question ne seraient pas conformes à cet arrêt et ne suffiraient donc pas à satisfaire aux exigences de l’article 3.»

28. La Grande Chambre en a déduit que, eu égard au manque de clarté du droit national, l’article 30 de la loi de 1997 ne constituait pas une voie de droit appropriée et adéquate pouvant être exercée par un délinquant qui chercherait à démontrer que son maintien en détention ne se justifie plus. Elle est parvenue à la conclusion suivante au paragraphe 129 de l’arrêt Vinter :

« Aujourd’hui, nul ne peut dire si, saisi d’une demande de libération formulée au titre de l’article 30 par un détenu purgeant une peine de perpétuité réelle, le ministre suivrait sa politique restrictive actuelle, telle qu’énoncée dans l’ordonnance de l’administration pénitentiaire, ou s’il s’affranchirait du libellé apparemment exhaustif de ce texte en appliquant le critère de respect de l’article 3 énoncé dans l’arrêt Bieber. Certes, tout refus de libération opposé par le ministre serait attaquable par la voie du contrôle juridictionnel et l’état du droit pourrait très bien être clarifié dans le cadre d’une telle procédure, par exemple par l’abrogation et le remplacement de l’ordonnance par le ministre ou par son annulation par le juge. Toujours est-il que ces éventualités ne suffisent pas à pallier le manque de clarté qui existe actuellement quant à l’état du droit national régissant les possibilités exceptionnelles d’élargissement des détenus condamnés à la perpétuité réelle. »

29. Nous ne pouvons souscrire à cette conclusion. À notre sens, le droit applicable en Angleterre et au pays de Galles est clair concernant les « possibilités exceptionnelles d’élargissement des détenus condamnés à la perpétuité réelle ». Ainsi qu’il ressort de l’affaire R. v. Bieber, le ministre est tenu d’exercer d’une manière compatible avec les principes du droit administratif national et avec l’article 3 le pouvoir que l’article 30 de la loi de 1997 lui confère.

30. Il nous semble que la Grande Chambre a attaché une grande importance au fait que la politique exposée dans le manuel sur les peines de durée indéterminée n’a pas été révisée. Or, cela est à notre avis sans conséquence du point de vue du droit. Il convient donc que nous précisions quel est l’état du droit positif en Angleterre et au pays de Galles.

31. Premièrement, le pouvoir de réexamen en vertu de l’article 30 entre en jeu en présence de circonstances exceptionnelles. Le délinquant condamné à une peine de perpétuité réelle doit donc démontrer au ministre que, si cette peine constituait une juste sanction au moment où elle a été infligée, des circonstances exceptionnelles sont survenues depuis lors. Il n’est pas nécessaire de préciser quelles sont ces circonstances ou les critères spécifiques ; l’expression « circonstances exceptionnelles » est en soi suffisamment certaine.

32. Deuxièmement, le ministre doit alors examiner si pareilles circonstances exceptionnelles justifient la libération du détenu pour des motifs d’humanité. La politique exposée dans le manuel sur les peines de durée indéterminée est extrêmement restrictive et elle indique explicitement qu’il s’agit de circonscrire les questions devant être examinées par le ministre. Or le manuel ne peut restreindre l’obligation pour le ministre de considérer toutes les circonstances pertinentes pour une libération pour motifs humanitaires. Le ministre ne peut limiter son pouvoir discrétionnaire en prenant en compte seulement les questions exposées dans le manuel sur les peines de durée indéterminée. Dans les passages de notre décision dans l’affaire Hindley, que nous avons évoqués au paragraphe 7, l’obligation pour le ministre a été précisée ; de même, les dispositions de l’article 30 de la loi de 1997 exigent que le ministre prenne en compte toutes les circonstances exceptionnelles pertinentes pour la libération du détenu pour motifs d’humanité.

33. Troisièmement, l’expression « motifs d’humanité » doit être interprétée, ainsi que cette cour l’a précisé dans l’affaire R. v. Bieber, d’une manière compatible avec l’article 3. Ces motifs ne se limitent pas à ceux qui sont exposés dans le manuel sur les peines de durée indéterminée. Cette expression a une acception large pouvant être précisée au cas par cas, comme cela se passe dans le cadre de la common law,

34. Quatrièmement, la décision du ministre doit être motivée au regard des circonstances de chaque affaire et elle est soumise à un examen par la voie d’un contrôle juridictionnel.

35. À notre sens, le droit anglais et gallois offre donc à tout délinquant « l’espoir » ou la « possibilité » d’une libération en cas de circonstances exceptionnelles qui enlèvent tout caractère justifiable à la juste sanction initialement imposée.

36. Il est parfaitement conforme à l’état de droit de considérer pareilles demandes sur une base individuelle à la lumière du critère selon lequel les circonstances ont évolué d’une manière si exceptionnelle que la sanction initiale, qui se justifiait au moment de son infliction, perd toute raison d’être. Il nous paraît difficile de préciser à l’avance ce que pareilles circonstances peuvent recouvrir, dès lors que l’atrocité du crime initial appelait justement une peine d’emprisonnement à vie. Mais les circonstances peuvent évoluer, et elles évoluent, dans des cas exceptionnels. L’interprétation de l’article 30 que nous avons exposée prévoit cette possibilité et donne donc à chaque détenu condamné à la perpétuité la possibilité d’une libération exceptionnelle.

Conclusion

37. Les juges doivent donc continuer à appliquer le régime prévu par la loi de 2003 [sur la justice pénale] et, dans des cas exceptionnels, probablement rares, prononcer des peines de perpétuité réelle conformément à l’annexe 21 à cette loi. Bien que Me Eadie QC, le représentant du ministre, nous ait fait observer que de nombreuses années pouvaient s’écouler avant qu’il soit possible de soumettre des demandes en vertu de l’article 30 et que les trois requérants dans l’affaire Vinter (MM. Vinter, Bamber et Moore) n’aient pas soutenu que leur maintien en détention ne se justifiait par aucun motif d’ordre pénologique, nous n’excluons pas la possibilité que pareilles demandes surviennent bien avant. Elles seront traitées conformément aux principes juridiques que nous avons définis. »

III. TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS

20. La Cour renvoie aux éléments mentionnés dans l’arrêt Vinter et autres (précité, §§ 59 81), en particulier à l’un des textes du Conseil de l’Europe qui y sont cités, à savoir la Recommandation Rec(2003)22 du Comité des Ministres aux États membres concernant la libération conditionnelle, dont les passages pertinents se lisent ainsi :

« Système de libération discrétionnaire

16. La période minimale que les détenus doivent purger avant de pouvoir prétendre à la libération conditionnelle devrait être définie en conformité avec la loi.

17. Les autorités compétentes devraient engager la procédure nécessaire pour que la décision concernant la libération conditionnelle puisse être rendue dès que le détenu a purgé la période minimale requise.

18. Les critères que les détenus doivent remplir pour pouvoir bénéficier de la libération conditionnelle devraient être clairs et explicites. Ils devraient également être réalistes en ce sens qu’ils devraient tenir compte de la personnalité des détenus, de leur situation socio-économique et de l’existence de programmes de réinsertion.

(...)

20. Les critères d’octroi de la libération conditionnelle devraient être appliqués de telle sorte que celle-ci puisse être accordée à tous les détenus dont on considère qu’ils remplissent le niveau minimal de garanties pour devenir des citoyens respectueux des lois. Il devrait incomber aux autorités de démontrer qu’un détenu n’a pas rempli les critères.

21. Si l’instance de décision rend une décision négative, elle devrait fixer une date en vue du réexamen de la question. En toute hypothèse, les détenus devraient pouvoir saisir une nouvelle fois l’instance de décision dès l’apparition d’une amélioration notable de leur situation.

(...)

VIII. Garanties procédurales

32. Les décisions relatives à l’octroi, au report ou à la révocation de la libération conditionnelle, ainsi qu’à l’imposition ou la modification des conditions et des mesures qui lui sont associées, devraient être prises par des autorités établies par disposition légale et selon des procédures entourées des garanties suivantes:

a) les condamnés devraient avoir le droit d’être entendus en personne et de se faire assister comme le prévoit la loi ;

b) l’instance de décision devrait accorder une attention soutenue à tout élément, y compris à toute déclaration, présenté par les condamnés à l’appui de leur demande ;

c) les condamnés devraient avoir un accès adéquat à leur dossier ;

d) les décisions devraient indiquer les motifs qui les sous-tendent et être notifiées par écrit.

33. Les condamnés devraient pouvoir introduire un recours auprès d’une instance de décision supérieure indépendante et impartiale, établie par disposition légale contre le fond de la décision ou le non-respect des garanties procédurales. »

21. La Cour renvoie également aux Règles pénitentiaires européennes de 2006, en particulier à la règle 30.3, ainsi libellée :

« Tout détenu doit être informé des procédures judiciaires auxquelles il est partie et, en cas de condamnation, de la durée de sa peine et de ses possibilités de libération anticipée. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

22. Le requérant allègue que la peine de perpétuité réelle prononcée à son égard est contraire à l’article 3 de la Convention, qui se lit ainsi :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. L’arrêt de la chambre

23. La chambre a relevé que le Gouvernement avait initialement admis l’applicabilité en l’espèce des principes dégagés dans l’arrêt Vinter et en avait déduit qu’il n’était pas en mesure de soumettre des observations sur le fond de l’affaire. Le Gouvernement a changé de position à la suite de la décision McLoughlin, estimant qu’une peine de perpétuité réelle devait à présent être considérée comme compressible. Après examen de cette décision McLoughlin, la chambre a rappelé que c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe de résoudre les problèmes d’interprétation du droit interne. Elle a ensuite observé qu’il est solidement établi dans la tradition juridique du Royaume Uni que la jurisprudence, en tant que source de droit, contribue nécessairement à l’évolution progressive du droit. Selon la chambre, dès lors que la Cour d’appel avait spécifiquement répondu aux doutes, exprimés dans l’arrêt Vinter, concernant la clarté du droit interne applicable et énoncé sans aucune ambiguïté quel était l’état du droit, cette interprétation devait être admise par la Cour. La chambre a conclu que le pouvoir de libération conféré par l’article 30 de la loi de 1997, exercé de la manière définie dans la décision McLoughlin, suffisait à répondre aux exigences de l’article 3.

B. Thèses des parties

1. Le Gouvernement

24. Le Gouvernement souscrit à l’arrêt de la chambre. Il soutient que la Cour d’appel a exposé en des termes clairs et dénués d’ambiguïté, dans un arrêt qui fait autorité, le fonctionnement du droit interne. Il argue qu’en vertu des articles 3 et 6 de la loi sur les droits de l’homme l’article 30 de la loi de 1997 doit être interprété et appliqué de manière assez large pour être compatible avec l’article 3 de la Convention dans tous les cas. Il explique que le manuel sur les peines de durée indéterminée ne restreint pas et ne peut en aucun cas restreindre cette obligation et il en déduit que, comme la Cour d’appel l’a dit, l’absence de révision du manuel n’a aucune conséquence juridique. D’après lui, le manuel demeure applicable dans la mesure où il expose l’approche à adopter lorsque la demande de libération est motivée par une maladie en phase terminale ou une invalidité grave. La Cour d’appel aurait précisé dans la décision McLoughlin que le ministre était tenu en vertu du droit interne d’examiner l’ensemble des circonstances pertinentes de chaque affaire d’une manière compatible avec l’article 3 – aucun point de la loi ne resterait à éclaircir à cet égard. L’article 30 opérerait précisément d’une façon qui, selon l’arrêt Vinter, suffit à répondre aux exigences de l’article 3.

25. Quant à la base du réexamen de la peine par le ministre, le Gouvernement juge évident que l’expression « circonstances exceptionnelles » figurant à l’article 30 s’étend aux progrès exceptionnels accomplis par un détenu sur le chemin de l’amendement. Il explique que dans le cadre de ce réexamen, le ministre se fonderait sur le critère énoncé dans l’arrêt Vinter, c’est-à-dire qu’il lui faudrait rechercher si, au cours de l’exécution de sa peine, le détenu a tellement évolué et progressé sur le chemin de l’amendement qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne permet plus de justifier son maintien en détention. Il estime donc que les détenus condamnés à des peines de perpétuité réelle savent ce qu’ils ont à faire pour avoir une chance d’être libérés et quels sont les critères appliqués au réexamen de ce type de peines. Pour lui, il n’est pas besoin d’aller plus loin dans la précision, et il n’est ni nécessaire ni faisable de chercher à décrire plus en détail ce qu’un détenu doit démontrer pour pouvoir prétendre à être libéré ou à obtenir une remise de peine. La Cour européenne des droits de l’homme elle-même n’aurait pas identifié de critères spécifiques dans sa jurisprudence relative à l’article 3 mais elle se serait exprimée en des termes plus généraux. L’ensemble des circonstances pertinentes se rapportant au détenu concerné seraient donc prises en compte, ce qui apporterait la flexibilité nécessaire au réexamen et permettrait de l’adapter à chaque cas individuel.

26. Le droit interne ne poserait aux détenus aucun problème d’accessibilité ou de prévisibilité. Il leur suffirait de faire usage de leur possibilité de demander un avis juridique ou de s’adresser à l’administration pénitentiaire pour bénéficier d’une explication des dispositions juridiques applicables. Pour chaque demande, le ministre serait tenu de donner une réponse motivée et susceptible de contrôle juridictionnel. Ce contrôle ne se résumerait pas à une simple réaction aux décisions du ministre mais il porterait bien sur le fond de l’affaire. Il serait à même de définir progressivement dans la pratique les considérations pertinentes à cet égard, par exemple ce qui constitue un motif légitime d’ordre pénologique. Par ailleurs, une décision favorable au détenu à l’issue du contrôle juridictionnel n’entraînerait pas uniquement un renvoi au ministre pour que celui-ci prenne de nouveau la même décision. Les tribunaux auraient le pouvoir d’ordonner directement la libération d’un prisonnier si cela s’avérait justifié.

27. Quant au moment du réexamen, le Gouvernement rappelle que, dans l’arrêt Vinter, la Grande Chambre a estimé que cette question relevait de la marge d’appréciation des autorités nationales, qu’il faudrait selon lui éviter de réduire à présent. Il estime que l’arrêt Vinter ne prescrit pas un réexamen de la peine après vingt-cinq ans d’emprisonnement mais qu’il énonce simplement que les éléments de droit comparé et de droit international viennent clairement à l’appui de cette mesure particulière. Le Gouvernement considère quoi qu’il en soit que la fixation d’un tel délai serait plus indiquée dans un système ne prévoyant aucun réexamen pendant une très longue période, ce qui, d’après lui, n’est pas le cas du système britannique. La sécurité juridique n’appellerait pas la mise en place d’un calendrier spécifique pour le réexamen de la peine, celui-ci étant conditionné par la capacité du détenu concerné de démontrer que sa détention ne se justifie plus. Cette possibilité serait ouverte aux détenus à tout moment et ceux-ci ne seraient pas tenus d’attendre un nombre indéterminé d’années. Ces conditions pourraient être considérées comme plus avantageuses pour le détenu que l’exigence d’accomplir une longue période minimale d’emprisonnement avant d’être autorisé à demander un réexamen. Quant aux circonstances de l’espèce, le requérant n’aurait à aucun moment avancé qu’il n’existait pas de motifs légitimes d’ordre pénologique justifiant son maintien en détention. Rien n’empêcherait l’intéressé de s’adresser au ministre à n’importe quel moment dans le futur pour lui demander un réexamen de sa peine.

2. Le requérant

28. Le requérant est en désaccord avec l’arrêt de la chambre, qu’il estime être en contradiction avec l’arrêt Vinter et avec d’autres arrêts rendus postérieurement par la Cour. Il considère que la situation en droit interne demeure contraire à l’article 3, la décision McLoughlin n’ayant pas remédié, selon lui, aux lacunes pointées dans l’arrêt Vinter. Il soutient que la Cour d’appel est partie de l’idée, fausse d’après lui, que la Cour avait mal analysé le droit interne et qu’en conséquence elle s’est uniquement attachée, dans la décision McLoughlin, à corriger cette erreur perçue, sans chercher à toucher à la situation en droit. Il plaide que le réexamen des peines de perpétuité réelle demeure fondé sur un pouvoir discrétionnaire, mal défini selon lui, conféré à un ministre du gouvernement. Il invite la Cour à déclarer à présent que pareille fonction doit être confiée aux juges et non plus à des personnalités politiques, cette thèse trouvant selon lui clairement appui dans les éléments de droit comparé et de droit international évoqués dans l’arrêt Vinter, et transparaissant de manière implicite dans le raisonnement même suivi par la Cour dans cet arrêt. Le requérant établit à cet égard une analogie avec l’évolution que l’on observerait aussi bien dans la jurisprudence interne que dans celle issue de la Convention, et qui tendrait à la suppression de toute intervention de l’exécutif dans le processus de fixation des peines. Selon le requérant, même si l’on peut en principe toujours admettre un contrôle par le pouvoir exécutif, le système interne n’en est pas moins déficient, le contrôle étant conduit par une personnalité politique partisane, comme l’illustreraient les observations publiques formulées par le ministre d’alors à la suite de la décision McLoughlin. Le processus n’offrirait donc aucune perspective d’équité, d’équilibre et de sécurité.

29. La décision McLoughlin indiquerait qu’il convient d’interpréter de manière large la terminologie employée dans la législation mais il ne faudrait pas considérer que cela suffit pour répondre aux exigences de l’article 3, telles qu’exposées dans l’arrêt Vinter et dans les arrêts postérieurs de la Cour. La signification à donner aux termes « circonstances exceptionnelles » et « motifs d’humanité » n’aurait pas été clarifiée. Une plus grande précision serait requise aux fins de la sécurité juridique, sans quoi les détenus ne trouveraient plus la motivation nécessaire pour tenter de s’amender. Le seul document détaillé auquel les détenus condamnés à une peine de perpétuité réelle pourraient se référer serait le manuel sur les peines de durée indéterminée, dont le libellé restrictif aurait été critiqué dans l’arrêtVinter.

30. Quant au moment du réexamen, le requérant estime que l’insécurité juridique subsiste à cet égard. Il indique que cette question n’est traitée ni dans une disposition légale ni dans la décision McLoughlin. Selon lui, un détenu condamné à une peine de perpétuité réelle n’a aucun moyen de savoir quand sa peine pourra être réexaminée. Le requérant rappelle qu’avant 2003 pareille peine était systématiquement réexaminée après vingt-cinq ans de détention, et qu’une proposition (formulée par la Commission mixte des droits de l’homme en 2013 et débattue à la Chambre des lords en 2014) a été présentée au Parlement en vue de la réintroduction de cette pratique dans la législation. La jurisprudence post-Vinter de la Cour confirmerait la nécessité de prévoir un calendrier précis dans le droit interne. Pour le requérant, un constat de non-violation de l’article 3 en l’espèce serait source de confusion dans la jurisprudence pertinente de la Convention.

31. Le requérant estime qu’il n’y a eu aucune amélioration de facto de la situation depuis l’arrêt Vinter. Il réprouve le refus du Gouvernement de réviser le manuel sur les peines de durée indéterminée malgré les critiques exprimées d’abord par la Cour, puis par la Cour d’appel. Il affirme qu’en réalité, aucun détenu condamné à une peine de perpétuité réelle n’a jamais été libéré selon les modalités évoquées dans l’arrêt Vinter. Selon lui, le fait de savoir qu’en définitive leur sort sera tranché par une personnalité politique, et non par un juge indépendant et impartial, ne peut que décourager les détenus de consentir l’énorme effort requis pour parvenir à s’amender.

32. Par ailleurs, le requérant soutient que le système de réexamen des peines ne doit pas être considéré comme relevant de la marge d’appréciation de l’État défendeur. Il invoque d’abord à cet égard le caractère absolu de l’article 3, et plaide ensuite qu’un constat de violation en l’espèce n’imposerait aucune solution particulière au Royaume-Uni. Il indique que le système interne prévoyait autrefois un réexamen au bout de vingt-cinq ans, qui, selon lui, pourrait tout à fait être réintroduit et confié à la commission de libération conditionnelle. Il n’y aurait là rien de compliqué, comme le démontrerait le projet de loi présenté au Parlement. Le requérant estime qu’un constat de violation ne signifierait pas que les condamnations à des peines de perpétuité réelle sont en soi contraires à la Convention, soutenant que, ce qu’il faut, c’est que la peine soit compressible. Il ajoute que pareil constat ne signifierait pas non plus qu’il devrait être libéré ; il s’agirait là d’une question tout à fait distincte, à examiner dans un autre cadre et à un autre moment.

3. Le tiers intervenant

33. EPLN soutient que le droit relatif à l’examen des demandes de libération présentées par les détenus condamnés à des peines de perpétuité réelle doit être clair, prévisible et accessible aux personnes concernées. Il plaide que l’article 3 exige que la peine soit compressible et que l’imposition d’une peine de perpétuité réelle incompressible ne peut donc plus être considérée comme relevant de la marge d’appréciation de l’État. Il ajoute que l’État ne peut revendiquer une marge d’appréciation que pour fixer certaines modalités du mécanisme de réexamen requis, mais que c’est à la Cour qu’il appartient en définitive d’apprécier si ce mécanisme est assorti des garanties procédurales nécessaires, eu égard au consensus international dans ce domaine et à l’importance primordiale de l’enjeu pour le détenu. EPLN estime que toute marge d’appréciation en la matière doit être étroite.

34. Se référant aux instruments internationaux pertinents cités dans l’arrêt Vinter, EPLN soutient qu’un mécanisme de fixation des peines axé uniquement sur le châtiment ou la répression n’est pas compatible avec les principes en matière de droits de l’homme. Il est d’avis que la réinsertion doit être au cœur de la fixation de la peine, ce qui impliquerait que les détenus condamnés à la perpétuité aient une perspective de libération. EPLN estime que, pour que cette perspective soit réaliste, il faut une planification de la peine, une possibilité pour les détenus de progresser au sein du système pénitentiaire, et un mécanisme de réexamen structuré. Il indique que les instruments internationaux pertinents fixent certaines normes procédurales fondamentales, exigeant selon lui clarté et prévisibilité quant au moment et aux critères du réexamen. Il ajoute que ces points ont été entérinés dans l’arrêt Vinter, et réaffirmés et développés dans la jurisprudence ultérieure. Pour EPLN, il ne s’agit pas simplement de l’amendement des détenus, mais également d’une question de sécurité des personnes. Le tiers intervenant explique qu’un détenu qui n’a aucune perspective réelle d’être libéré risque d’être détruit moralement et donc de représenter un réel danger pour lui-même et pour ceux qu’il est amené à côtoyer dans l’environnement pénitentiaire. Pour illustrer ce point, EPLN a soumis la déclaration d’un détenu condamné à la perpétuité.

35. Le tiers intervenant considère que l’arrêt Vinter, loin de dénoter une mauvaise compréhension du système interne, en recense précisément les lacunes, à savoir l’absence de calendrier et de critères clairs et accessibles au public. Il ajoute qu’aucune mesure n’a été prise au niveau interne pour que le processus ne continue pas de se résumer à une mise en liberté fondée uniquement sur des motifs d’humanité, déjà jugée insuffisante selon lui. Cela serait contradictoire par rapport au droit constitutionnel allemand cité dans l’arrêt Vinter, selon lequel les conditions préalables à la libération et les procédures à cet égard devraient être stipulées par la loi. La Cour d’appel n’aurait ni précisé ni intégré dans le droit interne les exigences procédurales essentielles de l’article 3.

36. De l’avis du tiers intervenant, il ne suffit pas d’invoquer l’obligation légale pour le ministre d’agir d’une manière compatible avec l’article 3, qui concernerait uniquement le moment du réexamen et qui serait indépendante de l’obligation de mettre en place de manière prospective des procédures et des modalités. Au niveau interne, il n’y aurait toujours ni critère clair et accessible au public ni calendrier précis, au mépris des principes de prévisibilité et de sécurité juridique ainsi que du consensus international émergent. De même, il n’existerait aucune garantie procédurale, telle que la divulgation, le droit de présenter des observations orales lors d’une audience de réexamen ou le droit de connaître la motivation d’une décision négative. Par ailleurs, il n’aurait pas été démontré que, malgré ses lacunes, le système fonctionne dans les faits d’une manière conforme à la Convention.

C. Appréciation de la Cour

37. Dans leurs observations, les parties se sont concentrées uniquement sur le point de savoir si, à la lumière de la décision McLoughlin, la situation du requérant quant à sa peine de perpétuité réelle répondait à présent aux exigences de l’article 3 telles qu’exposées dans l’arrêt Vinter (précité, §§ 123–131). À cet égard, la Cour recherchera tout d’abord si l’imprécision du droit interne a été corrigée et, dans l’affirmative, si les exigences en question sont maintenant respectées en l’espèce. Elle n’examinera pas séparément la question d’une éventuelle violation de l’article 3 dans la période de détention du requérant antérieure à la décisionMcLoughlin.

1. Sur la question de savoir si le droit interne a été clarifié

38. Dans l’arrêt Vinter, la Cour a estimé qu’à la lumière de l’article 6 de la loi sur les droits de l’homme (paragraphe 14 ci-dessus), on pouvait voir dans l’article 30 de la loi de 1997 (paragraphe 15 ci-dessus) une obligation pour le ministre de libérer tout détenu purgeant une peine de perpétuité réelle dont le maintien en détention se révélerait incompatible avec l’article 3, par exemple parce qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne permettrait plus de justifier cette mesure. Elle a relevé que c’était d’ailleurs la lecture de l’article 30 à laquelle la Cour d’appel s’était livrée dans ses arrêts Bieber et Oakes et qui serait, en principe, conforme aux exigences de l’article 3 telles que précisées dans l’affaire Kafkaris c. Chypre ([GC], no 21906/04, CEDH 2008). Cependant, outre la jurisprudence pertinente, la Cour a également eu égard aux ordonnances publiées et à l’application pratique de la législation aux détenus condamnés à la perpétuité réelle. Elle a estimé que la politique exposée par le ministre dans le manuel sur les peines de durée indéterminée (paragraphe 16 ci-dessus) était trop restrictive pour être conforme aux principes dégagés dans l’arrêt Kafkaris. Elle a ensuite souligné que le manuel sur les peines de durée indéterminée ne donnait aux détenus condamnés à la perpétuité réelle qu’une vue partielle des conditions dans lesquelles le pouvoir de libération pouvait être exercé. Elle a conclu que le contraste entre le libellé de l’article 30, interprété par les juridictions internes d’une manière conforme à la Convention, et les conditions restrictives figurant dans le manuel entraînait un tel manque de clarté du droit que les peines de perpétuité réelle ne pouvaient pas être qualifiées de compressibles aux fins de l’article 3 de la Convention.

39. Dans la décision McLoughlin, la Cour d’appel a répondu explicitement aux critiques exprimées dans l’arrêt Vinter. Elle a affirmé l’obligation légale pour le ministre d’exercer son pouvoir de libération d’une manière compatible avec l’article 3 de la Convention. Quant à la politique publiée, qu’elle a également considérée comme extrêmement restrictive (voir les paragraphes 11 et 32 de la décision McLoughlin, cités au paragraphe 19 ci-dessus), la Cour d’appel a précisé que le manuel sur les peines de durée indéterminée ne pouvait restreindre l’obligation pour le ministre d’examiner l’ensemble des circonstances pertinentes pour la libération au regard de l’article 30. Elle a ajouté que la politique publiée ne pouvait pas limiter le pouvoir discrétionnaire du ministre en prenant en compte uniquement les considérations évoquées dans le manuel sur les peines de durée indéterminée. Elle a ensuite expliqué que le fait que les autorités n’avaient pas révisé la politique officielle pour l’aligner sur les dispositions légales et la jurisprudence pertinentes n’avait aucune conséquence du point de vue du droit interne.

40. La Cour estime que la Cour d’appel a clarifié le contenu du droit interne pertinent, et a gommé l’incohérence constatée dans l’arrêt Vinter. Quant à la possibilité d’abroger ou d’annuler la politique dans le cadre d’une procédure de contrôle juridictionnel envisagée dans l’arrêt Vinter (Vinter et autres, précité, § 129), la Cour prend note de l’argument du Gouvernement selon lequel le manuel sur les peines de durée indéterminée garde toute sa validité en cas de libération pour des motifs d’humanité (au sens étroit de ce terme). Ce qui importe, c’est que – comme la Cour d’appel l’a confirmé dans la décision McLoughlin – pareille situation soit uniquement l’une des circonstances dans lesquelles la libération d’un détenu peut, ou plutôt doit, être ordonnée (voir les paragraphes 32–33 de la décisionMcLoughlin, cités au paragraphe 19 ci-dessus).

41. Estimant que le droit interne applicable a été clarifié, la Cour se propose à présent d’en poursuivre l’analyse.

2. Sur la question de savoir si le droit interne répond aux exigences de l’article 3

a) Principes généraux dégagés par la Cour dans sa jurisprudence sur les peines perpétuelles

42. Les principes pertinents, et les conclusions à en tirer, sont exposés en détail dans l’arrêt Vinter (précité, § 103–122 ; ces principes ont été récemment résumés dans l’arrêt Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, §§ 99-100, CEDH 2016). La Convention n’interdit pas d’infliger une peine d’emprisonnement à vie à une personne convaincue d’une infraction particulièrement grave, telle le meurtre. Cependant, pour être compatible avec l’article 3, pareille peine doit être compressiblede jure et de facto, c’est-à-dire qu’elle doit offrir une perspective d’élargissement et une possibilité de réexamen. Pareil réexamen doit notamment se fonder sur une évaluation du point de savoir si des motifs légitimes d’ordre pénologique justifient le maintien en détention du détenu. Les impératifs de châtiment, de dissuasion, de protection du public et de réinsertion figurent au nombre de ces motifs. L’équilibre entre eux n’est pas forcément immuable, et peut évoluer au cours de l’exécution de la peine, de sorte que ce qui était la justification première de la détention au début de la peine ne le sera peut être plus une fois accomplie une bonne partie de celle-ci. La Cour a souligné l’importance de l’objectif de réinsertion, relevant que c’est sur cet objectif que les politiques pénales européennes mettent désormais l’accent, ainsi qu’il ressort de la pratique des États contractants, des normes pertinentes adoptées par le Conseil de l’Europe et des instruments internationaux applicables (Vinter et autres, précité, §§ 59 81).

43. La Cour a récemment déclaré, dans le contexte de l’article 8 de la Convention, que « l’accent mis sur l’amendement et la réinsertion des détenus était à présent un élément que les États membres étaient tenus de prendre en compte dans l’élaboration de leurs politiques pénales ». (Khoroshenko c. Russie [GC], no41418/04, § 121, CEDH 2015 ; voir également les affaires citées dans l’arrêt Murray, précité, § 102). Des considérations similaires doivent s’appliquer dans le contexte de l’article 3, eu égard au fait que le respect de la dignité humaine oblige les autorités pénitentiaires à œuvrer à la réinsertion des condamnés à perpétuité (Murray, précité, §§ 103-104). Il s’ensuit que le réexamen requis doit prendre en compte les progrès du détenu sur le chemin de l’amendement et déterminer si le détenu a fait des progrès tels qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne justifie plus son maintien en détention (Vinter et autres, précité, §§ 113-116). Partant, un réexamen de la peine limité à des motifs d’humanité ne saurait suffire (ibidem, § 127).

44. Les critères et conditions énoncés dans le droit interne concernant le réexamen doivent avoir un degré suffisant de clarté et de certitude, et doivent aussi refléter la jurisprudence pertinente de la Cour. La certitude en la matière constitue non seulement une exigence générale de l’état de droit mais sous tend également le processus d’amendement qui risque d’être entravé si les modalités de réexamen des peines et les perspectives d’élargissement sont floues ou incertaines. Un détenu condamné à la perpétuité réelle a donc le droit de savoir, dès le début de sa peine, ce qu’il doit faire pour que sa libération puisse être envisagée et ce que sont les conditions applicables. Il a le droit, notamment, de connaître le moment où le réexamen de sa peine aura lieu ou pourra être sollicité (Vinter et autres, précité, § 122). À cet égard, la Cour a constaté qu’il se dégage des éléments de droit comparé et de droit international une nette tendance en faveur de l’instauration d’un premier réexamen dans un délai de vingt-cinq ans au plus après le prononcé de la peine perpétuelle, puis de réexamens périodiques par la suite (ibidem, §§ 68, 118, 119 et 120). Elle a cependant également indiqué qu’il s’agit là d’une question relevant de la marge d’appréciation à accorder aux États en matière de justice criminelle et de détermination des peines (ibidem, §§ 104, 105 et 120).

45. Quant à la nature du réexamen, la Cour a souligné qu’elle n’a pas pour tâche de dicter la forme (administrative ou judiciaire) qu’il doit prendre, eu égard à la marge d’appréciation qu’il convient d’accorder aux États contractants en la matière (Vinter et autres, précité, § 120). Il appartient donc à chaque État de décider si le réexamen des peines doit être conduit par le pouvoir exécutif ou par le pouvoir judiciaire.

b) Application de ces principes

i. Nature du réexamen

46. En Angleterre et au pays de Galles, le réexamen des peines est confié au ministre, ce que le requérant juge par principe injustifié, arguant que ce réexamen devrait être de nature juridictionnelle. Il ajoute qu’il y a lieu de distinguer les mécanismes de grâce présidentielle du système interne, les présidents pouvant être considérés, de par la nature même de leurs fonctions, comme des personnalités non partisanes détachées du combat politique et donc moins exposées aux pressions de l’opinion publique. Pour le requérant, confier le réexamen des peines à un membre du gouvernement ne permet guère d’opérer une appréciation équitable, approfondie et cohérente des motifs de libération d’un détenu condamné à la perpétuité réelle.

47. La Cour observe qu’une procédure judiciaire s’accompagne de garanties importantes : l’indépendance et l’impartialité du décideur, des garanties procédurales et la protection contre l’arbitraire. Dans deux affaires, la Cour a jugé le droit interne conforme à l’article 3 de la Convention en raison de l’existence d’une procédure judiciaire de réexamen de la peine (Čačko c. Slovaquie, no 49905/08, 22 juillet 2014 et Bodein c. France, no 40014/10, 13 novembre 2014).

48. Dans l’arrêt Bodein (précité, § 59), la Cour a exclu de son examen le pouvoir de grâce présidentielle. De même, elle a estimé que des systèmes similaires en Hongrie et en Bulgarie ne répondaient pas à la norme requise (László Magyar c. Hongrie, no 73593/10, 20 mai 2014, et Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, nos15018/11 et 61199/12, CEDH 2014 (extraits), où il était question du système de grâce présidentielle en vigueur jusqu’en janvier 2012). Cependant, c’est en raison de diverses lacunes dans les procédures et non en raison de la nature exécutive du réexamen en tant que tel que les États en question se sont vu reprocher une violation de l’article 3. De plus, dans l’affaire László Magyar, la Cour a formulé des suggestions concernant les mesures à prendre aux fins de l’exécution de l’arrêt mais n’a pas donné à entendre qu’un mécanisme judiciaire était requis (paragraphe 71 de cet arrêt ; voir, dans le même sens, Öcalan c. Turquie (no 2), nos 24069/03,197/04, 6201/06 et 10464/07, § 207, 18 mars 2014).

49. L’appréciation par la Cour des systèmes chypriote et bulgare montre qu’un réexamen par l’exécutif peut satisfaire aux exigences de l’article 3. En ce qui concerne la situation à Chypre, le pouvoir du président chypriote a été jugé suffisant à la lumière de la pratique suivie (Kafkaris, précité, §§ 102–103). Quant au système bulgare, la Cour a estimé qu’à la suite d’une réforme intervenue en 2012 le pouvoir conféré au président bulgare était en conformité avec l’article 3 (Harakchiev et Tolumov, précité, §§ 257–261). La Cour relève à cet égard que les normes européennes pertinentes n’excluent pas un réexamen par l’exécutif mais indiquent que les décisions de libération conditionnelle devraient être prises par des « autorités établies par disposition légale » (paragraphe 32 de de la Recommandation Rec(2003)22, cité au paragraphe 20 ci-dessus).

50. Il ressort donc clairement de la jurisprudence que la nature exécutive d’un réexamen n’est pas en soi contraire aux exigences de l’article 3. La Cour ne voit aucune raison de conclure autrement.

51. Quant aux critiques formulées par le requérant à l’égard du système interne, la Cour estime qu’elles sont neutralisées par l’effet de la loi sur les droits de l’homme. Comme il a été rappelé au paragraphe 29 de la décision McLoughlin (paragraphe 19 ci-dessus), le ministre est tenu par l’article 6 de cette loi d’exercer son pouvoir d’élargissement d’une manière compatible avec les droits reconnus par la Convention. Il doit avoir égard à la jurisprudence pertinente de la Cour et motiver chacune de ses décisions en la matière. Le pouvoir ou, selon les circonstances, le devoir du ministre de libérer un détenu pour des motifs d’humanité ne saurait être assimilé aux larges prérogatives discrétionnaires conférées au chef d’État dans d’autres ordres juridiques et qui a été jugé insuffisant aux fins de l’article 3 dans les affaires évoquées ci-dessus.

52. De plus, les décisions du ministre concernant les demandes de libération sont soumises au contrôle des juridictions internes, qui sont elles mêmes tenues par la même obligation d’agir d’une manière compatible avec les droits consacrés par la Convention. La Cour prend note à cet égard de la déclaration du Gouvernement selon laquelle le contrôle juridictionnel d’un refus du ministre de libérer un détenu ne se limiterait pas à des motifs formels ou procéduraux mais impliquerait également un examen au fond. Ainsi, la High Court aurait le pouvoir d’ordonner directement la libération du détenu si elle le jugeait nécessaire pour se conformer à l’article 3 (paragraphe 26 ci-dessus).

53. Si la Cour ne dispose d’aucun exemple de contrôle juridictionnel relatif à une décision du ministre refusant de libérer un détenu condamné à perpétuité, elle estime néanmoins qu’une garantie judiciaire importante a été mise en place (E. c. Norvège, 29 août 1990, § 60, série A no 181 A). L’absence de pratique à ce jour, qui n’est pas surprenante eu égard à la période relativement brève qui s’est écoulée depuis la décision McLoughlin, ne joue pas nécessairement contre le système interne, de même qu’elle n’a pas joué contre les systèmes slovaque et français, qui ont tous deux été jugés conformes à l’article 3 sans qu’il fût fait référence à une quelconque pratique judiciaire (voir, en particulier, Bodein, § 60).

ii. Portée du réexamen

54. Dans la décision McLoughlin, la Cour d’appel, à l’instar de la Cour dans son arrêt Vinter, a jugé que la politique énoncée dans le manuel sur les peines de durée indéterminée était extrêmement restrictive. Elle a réitéré la position qu’elle avait exprimée dans l’arrêt Bieber, à savoir que le ministre devait exercer son pouvoir de libération de manière compatible avec les principes du droit administratif interne et avec l’article 3 de la Convention (voir, respectivement, les paragraphes 32 et 29 de la décision McLoughlin, cités au paragraphe 19 ci-dessus).

55. Ensuite, et surtout, elle a précisé, eu égard à l’arrêt de la Cour dans l’affaire Vinter, que les « circonstances exceptionnelles » visées à l’article 30 ne pouvaient être juridiquement limitées aux situations de fin de vie prévues par le manuel sur les peines de durée indéterminée (paragraphe 16 ci-dessus), mais qu’elles devaient inclure toutes les circonstances exceptionnelles pertinentes pour une libération pour des motifs d’humanité. Tout en s’abstenant de préciser plus avant le sens de l’expression « circonstances exceptionnelles » dans ce contexte, ou de fixer des critères, la Cour d’appel a rappelé la jurisprudence interne antérieure selon laquelle les progrès exceptionnels accomplis par un détenu pendant son séjour en prison devaient être pris en compte (Lord Chief Justice Bingham en 1998 dans l’affaire R. v. Home Secretary ex parte Hindley ; voir également Lord Steyn dans la même affaire, lorsque celle-ci a été tranchée par la Chambre des lords en 2001 – paragraphe 19 ci-dessus). La Cour relève également que dans l’affaire Bieber, la Cour d’appel, expliquant à quel moment l’infliction de la perpétuité réelle pouvait être contestée sur le fondement de l’article 3, a évoqué « l’ensemble des circonstances pertinentes, notamment [le] temps passé et [l]es progrès accomplis en prison » (passage reproduit dans l’arrêt Vinter et autres, précité, § 49). Eu égard à l’ensemble de ces dicta, le droit établi en Angleterre et au pays de Galles consacre à l’évidence l’idée que des progrès exceptionnels accomplis par un détenu sur le chemin de l’amendement sont couverts par le libellé de la loi et constituent donc un motif de réexamen.

56. Quant à l’autre expression utilisée à l’article 30, « motifs d’humanité », l’arrêt de la Cour d’appel, qui précisait qu’elle ne se limitait pas aux motifs humanitaires mais avait une acception large (paragraphe 33 de la décision McLoughlin, repris au paragraphe 19 ci-dessus), a là aussi corrigé l’interprétation étroite donnée à cette expression dans le manuel sur les peines de durée indéterminée pour la mettre en conformité avec l’article 3 (paragraphe 33 de la décision McLoughlin, repris au paragraphe 19 ci dessus). À cet égard également, la loi sur les droits de l’homme joue un rôle important, son article 3 exigeant que la législation soit interprétée et mise en œuvre par l’ensemble des autorités publiques d’une manière compatible avec la Convention.

57. Ces précisions suffisent à la Cour pour conclure à l’existence d’un réexamen par une autorité qui a non seulement le pouvoir mais également l’obligation de considérer si, à la lumière d’un changement significatif chez un détenu condamné à la perpétuité réelle et de l’accomplissement par celui ci de progrès sur le chemin de l’amendement, des motifs légitimes d’ordre pénologique permettent toujours de justifier son maintien en détention (Vinter et autres, précité, § 125).

iii. Critères et modalités du réexamen

58. La Cour doit ensuite examiner les critères et les modalités du réexamen des peines de perpétuité réelle. Dans la décision McLoughlin, la Cour d’appel n’a pas précisé la signification de l’expression « circonstances exceptionnelles », jugeant la notion suffisamment certaine en soi. Le requérant est critique à ce propos, alléguant qu’il reste de ce fait dans l’incertitude. Le Gouvernement estime que les choses sont suffisamment claires, et qu’il n’était ni possible ni réalisable d’apporter davantage de précision. Comme la Cour l’a déjà relevé ci-dessus, l’expression « circonstances exceptionnelles » s’étend aux progrès accomplis par le détenu concerné au cours de sa peine (paragraphe 55 ci-dessus). La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si un détenu purgeant une peine perpétuelle dans le système national sait ce qu’il doit faire pour que sa libération puisse être envisagée et à quelles conditions il peut obtenir un réexamen de sa peine (Vinter et autres, précité, § 122 ; voir également le paragraphe 18 de la Recommandation Rec(2003)22 et la règle 30.3 des Règles pénitentiaires européennes, cités aux paragraphes 20 et 21 ci dessus).

59. Les deux parties ont invoqué des affaires examinées par des chambres de la Cour postérieurement à l’arrêt Vinter. Ces arrêts sont effectivement pertinents en l’espèce, en ce qu’ils illustrent l’application par la Cour de la jurisprudence Vinter. Dans l’affaire Lásló Magyar, c’est le manque d’indications précises quant aux critères et modalités de collecte et d’évaluation des « renseignements personnels » du détenu que la Cour a critiqué. Elle a estimé dans cette affaire que, le pouvoir exécutif n’ayant aucune obligation de motiver ses décisions, il en découlait que les détenus ne savaient pas ce que l’on attendait d’eux pour que leur libération pût être envisagée (Lásló Magyar, précité, §§ 57–58). Dans le cadre de l’article 46, elle a appelé les autorités nationales à procéder à une réforme prévoyant le réexamen requis et assurant que les détenus condamnés à perpétuité sachent « avec un certain degré de précision » ce qu’ils doivent faire (Lásló Magyar, précité, § 71). Dans l’affaire Harakchiev et Tolumov, la Cour a critiqué le système tel qu’il se présentait avant 2012 en raison de son opacité, de l’absence de déclarations politiques accessibles au public, du défaut de motivation des décisions de grâce individuelles ainsi que du défaut total de garanties formelles et informelles (Harakchiev et Tolumov, précité, § 262). Dans une autre affaire (Trabelsi c. Belgique, no 140/10, CEDH 2014 (extraits)), la chambre a fondé son constat de violation de l’article 3 sur l’absence de mécanisme de réexamen des peines opérant sur la base de « critères objectifs et préétablis dont le détenu aurait eu connaissance avec certitude au moment de l’imposition de la peine perpétuelle » (§ 137). Le requérant en l’espèce a tout particulièrement tiré argument de ce constat. La Cour observe que si les formulations employées dans ces arrêts varient quelque peu, on retrouve dans chacun d’eux le même point essentiel, à savoir que les critères et modalités du système de réexamen des peines doivent présenter un certain degré de spécificité ou de précision, en conformité avec l’impératif général de sécurité juridique.

60. Il convient également d’avoir égard aux affaires post-Vinter dans lesquelles la Cour a conclu que le système interne répondait aux exigences de l’article 3 quant à la compressibilité des peines perpétuelles. Ces arrêts, au nombre de trois, démontrent qu’un degré élevé de précision n’est pas requis pour que le système concerné soit jugé conforme à la Convention.

61. Dans la première de ces affaires, Harakchiev et Tolumov, la Cour a estimé qu’à compter de 2012 les modalités d’exercice du droit de grâce présidentielle étaient suffisamment claires. Bien que, en raison de sa nature même, la procédure ne fût pas assortie de critères légaux, la Cour constitutionnelle a tiré des principes directeurs des valeurs constitutionnelles, à savoir « l’équité, l’humanité, la compassion, la pitié, ainsi que l’état de santé et la situation familiale du condamné, et tous les changements positifs de sa personnalité » (Harakchiev et Tolumov, précité, § 258). Seul ce dernier élément a trait aux progrès accomplis par le détenu. La Cour a relevé que si la procédure ne prévoyait pas la motivation des décisions dans les cas individuels, la transparence était néanmoins assurée par d’autres moyens. Elle a noté que la commission de grâce, instaurée pour émettre des recommandations sur les demandes de grâce, fonctionnait conformément à des règles de procédure publiées, lesquelles exigeaient la prise en compte de la jurisprudence pertinente des juridictions internationales sur l’interprétation et l’application des instruments internationaux de protection des droits de l’homme applicables. Elle a ajouté que la commission était tenue en vertu de ses règles de procédure de publier des rapports d’activité, ce qu’elle faisait sur une base mensuelle et annuelle, dans lesquels elle donnait des précisions sur les critères qui la guidaient dans l’examen des demandes de grâce, les motifs des recommandations adressées par elle au vice-président et les décisions de celui-ci sur ces demandes (ibidem, §§ 90-107). Elle a estimé que ces mesures avaient accru la transparence de la procédure de grâce et constituaient une autre garantie d’un exercice cohérent et transparent des pouvoirs présidentiels à cet égard (ibidem, § 259).

62. Dans l’affaire Čačko, la Cour a relevé que, pour prétendre à une libération anticipée, le détenu devait « avoir démontré, par l’accomplissement de ses obligations et par son bon comportement, qu’il s’était amendé » et que « l’on [pouvait] attendre de lui qu’il se conduis[ît] bien à l’avenir » (Čačko, précité, § 43). Dans l’affaire Bodein, elle a noté que le réexamen en droit français se fondait sur la dangerosité du détenu et sur l’évolution de sa personnalité au cours de l’exécution de sa peine (Bodein, précité, § 60).

63. En l’espèce, sur ce point précis, la Cour n’estime pas le système national défaillant, et ce pour deux raisons étroitement liées. Premièrement, il découle clairement de la décision McLoughlin et des dispositions de la loi sur les droits de l’homme que l’exercice du pouvoir conféré par l’article 30 doit être guidé par l’ensemble de la jurisprudence pertinente de la Cour en son état actuel et telle qu’elle sera développée ou précisée à l’avenir. En rappelant ci-dessus sa jurisprudence pertinente, la Cour entend aider le ministre et les juridictions nationales à s’acquitter de leur obligation légale d’agir d’une manière compatible avec la Convention dans ce domaine.

64. Deuxièmement, ainsi que la Cour d’appel l’a déclaré et que la chambre l’a admis, on peut s’attendre à ce que la pratique permette de préciser encore la signification concrète du libellé de l’article 30. L’obligation pour le ministre de motiver chacune de ses décisions, sous le contrôle des juridictions nationales, revêt de l’importance à cet égard, et permet de garantir un exercice cohérent et transparent du pouvoir d’élargissement.

65. La Cour juge cependant opportun d’ajouter qu’il serait souhaitable de réviser le manuel sur les peines de durée indéterminée (ainsi que d’autres sources d’information officielles) pour mettre ces textes en adéquation avec le droit tel qu’il a été clarifié par la Cour d’appel et avec la jurisprudence pertinente relative à l’article 3 de la Convention, de manière à ce que les règles applicables en la matière soient immédiatement accessibles. La Cour renvoie de nouveau aux normes pertinentes définies par le Conseil de l’Europe (paragraphe 18 de la Recommandation Rec(2003)22, cité au paragraphe 20 ci-dessus).

iv. Moment du réexamen

66. Le moment du réexamen de la peine constitue un aspect particulier de la sécurité juridique, la Cour ayant déclaré dans l’arrêt Vinter qu’un détenu ne doit pas être obligé d’attendre d’avoir passé un nombre indéterminé d’années en prison avant de pouvoir se plaindre d’un défaut de conformité avec l’article 3 de la Convention (paragraphe 44 ci-dessus).

67. En règle générale, l’existence d’un réexamen automatique de la peine après une période minimale définie représente pour le détenu une garantie importante contre le risque d’une détention contraire à l’article 3. La Cour renvoie à cet égard à l’affaire Öcalan (no 2), dans laquelle elle a estimé qu’à l’évidence le droit interne n’offrait au requérant aucune possibilité de demander à quelque moment que ce fût le réexamen de sa peine de réclusion à perpétuité aggravée pour des motifs légitimes d’ordre pénologique. Elle a donc appelé les autorités turques à mettre en place une procédure permettant de vérifier si le maintien en détention du requérant se justifierait toujours après un délai minimum de détention (Öcalan (no 2), précité, §§ 204 et 207). En l’espèce, le système interne est différent, en ce que le processus de réexamen peut être initié par le détenu à tout moment. La Cour rappelle qu’elle a examiné un mécanisme similaire à Chypre, où les détenus condamnés à perpétuité pouvaient obtenir le bénéfice des dispositions pertinentes à tout moment sans avoir à purger une période de sûreté (Kafkaris, précité, § 103). Cela peut être vu comme étant dans l’intérêt des détenus, puisqu’ils n’ont pas à attendre pendant un nombre déterminé d’années pour bénéficier d’un premier réexamen ou de réexamens ultérieurs. Eu égard à l’extrême gravité des crimes commis par les personnes relevant de cette catégorie, il y a cependant lieu de s’attendre à ce qu’elles purgent une longue période de détention.

68. Dans deux des affaires postérieures à l’arrêt Vinter qui ont fait l’objet d’un arrêt de la Cour, le système national prévoyait un réexamen de la peine après une période déterminée – vingt-cinq ans dans l’affaire Čačko et trente dans l’affaire Bodein (vingt-six ans en réalité dans le cas du requérant). Cependant, dans l’affaireHarakchiev et Tolumov, le système interne tel qu’il se présentait postérieurement aux réformes de 2012 ne prévoyait pas un délai précis pour le réexamen des peines. Par ailleurs, dans l’affaire László Magyar, la Cour a conclu à la violation de l’article 3 et a donné des indications en vertu de l’article 46 quant aux mesures nécessaires, sans aborder la question du moment du réexamen sous l’angle de l’une ou l’autre de ces dispositions.

69. Quant aux faits de la présente affaire, la Cour estime qu’on ne saurait dire que les préoccupations exprimées dans l’arrêt Vinter tenant à l’absence de calendrier et à ses conséquences pour un détenu condamné à une peine de perpétuité réelle (Vinter et autres, précité, § 122) valent également pour le requérant en l’espèce. Aux termes de l’article 30 de la loi de 1997, le ministre peut ordonner sa libération « à tout moment ». Partant, ainsi que le Gouvernement l’a confirmé, il est loisible au requérant de demander à tout moment un réexamen de sa peine par le ministre. Il n’appartient pas à la Cour de spéculer sur le degré d’efficacité généralement atteint en pratique par un tel système, réglementé a minima. C’est la situation particulière du requérant qui est en jeu en l’espèce, et celui-ci n’a en rien insinué qu’on l’avait empêché ou dissuadé de demander à tout moment au ministre d’envisager sa libération. Avant de conclure, la Cour renvoie cependant de nouveau, comme elle l’a fait dans l’affaire Vinter, aux éléments pertinents de droit comparé et de droit international d’où se dégage « une nette tendance en faveur de l’instauration d’un mécanisme spécial garantissant un premier réexamen dans un délai de vingt-cinq ans au plus après l’imposition de la peine perpétuelle, puis des réexamens périodiques par la suite » (Vinter et autres, précité, § 120 ; voir, plus récemment et dans le même sens, Murray, précité, § 99).

v. Conclusion

70. La Cour estime que la décision McLoughlin a permis de remédier au manque de clarté du droit interne constaté dans l’arrêt Vinter, qui découlait de l’incohérence dans le système national entre le droit applicable et la politique officielle publiée. De plus, la Cour d’appel a donné des précisions quant à la portée, aux critères et aux modalités du réexamen par le ministre, ainsi qu’à l’obligation pour celui-ci de libérer un détenu condamné à une peine de perpétuité réelle dont le maintien en détention ne peut plus se justifier par des motifs légitimes d’ordre pénologique. De ce fait, le système interne, fondé sur des textes législatifs (la loi de 1997 et la loi sur les droits de l’homme), la jurisprudence (des juridictions internes et de la Cour) et la politique officielle publiée (le manuel sur les peines de durée indéterminée), ne présente plus le contraste que la Cour avait relevé dans l’arrêt Vinter et autres (précité, § 130). La pratique interne pourra définir de manière plus précise les circonstances dans lesquelles un détenu condamné à une peine de perpétuité réelle peut demander sa libération, sur la base de motifs légitimes d’ordre pénologique justifiant la détention. L’obligation légale pour les juridictions nationales de prendre en compte la jurisprudence relative à l’article 3 de la Convention, telle qu’elle pourrait se développer à l’avenir, représente une garantie additionnelle importante.

71. Comme la Cour l’a souvent dit, ce sont les autorités nationales qui sont responsables au premier chef de la protection des droits reconnus par la Convention (voir, par exemple, O.H. c. Allemagne, no 4646/08, § 118, 24 novembre 2011). Pour la Cour, la Cour d’appel a tiré les conclusions nécessaires de l’arrêt Vinter et, en clarifiant le droit interne, a remédié à la cause de la violation de la Convention (voir également Kronfeldner c. Allemagne, no 21906/09, § 59, 19 janvier 2012).

72. La Cour conclut que la peine de perpétuité réelle peut à présent être considérée comme compressible, en conformité avec l’article 3 de la Convention.

73. Ainsi qu’elle l’a indiqué d’emblée (paragraphe 37 ci-dessus), eu égard au fait que les observations des parties se sont limitées à l’état actuel du droit interne, la Cour juge inutile d’examiner séparément si la situation du requérant dans la période antérieure à la décision Loughlin répondait aux exigences de l’article 3 relativement aux peines de perpétuité réelles, telles qu’exposées dans l’arrêt Vinter. Elle observe néanmoins que, comme le Gouvernement l’avait en fait lui-même reconnu avant que la Cour d’appel ne rendît sa décision dans l’affaire McLoughlin, les circonstances matérielles entourant la peine de perpétuité réelle infligée au requérant en l’espèce étaient alors identiques à celles des requérants en l’affaire Vinter (paragraphe 23 ci-dessus).

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

Dit, par quatorze voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 17 janvier 2017.

              Johan CallewaertAndrás Sajó

Adjoint au GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion dissidente du juge López Guerra ;

– opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque ;

– opinion séparée du juge Sajó.

A.S.

J.C.

 

OPINION DISSIDENTE DU JUGE LÓPEZ GUERRA

(Traduction)

 

Mon désaccord tient à la déclaration finale dans l’arrêt de la Grande Chambre (paragraphe 73) par laquelle la majorité refuse d’examiner la situation du requérant antérieurement à la décision interne R. v. McLoughlin. Pour moi, cette situation (qui a débuté, contrairement à ce qu’estime la Grande Chambre, avec le prononcé de la peine du requérant en 1984, s’étendant ainsi sur un intervalle de trente ans) a emporté violation de l’article 3 de la Convention, étant donné que le requérant avait été privé de tout espoir d’être libéré dans le futur (aussi éloigné fût-il) et, au contraire, s’était vu imposer la certitude qu’il resterait en prison jusqu’à la fin de ses jours.

Le requérant fut condamné en 1984 à une peine d’emprisonnement. Ainsi qu’il ressort des faits exposés dans l’arrêt de la Grande Chambre, le juge du fond estima en 1988 qu’il s’agissait d’un cas « où la perpétuité réelle s’imposait » et le Lord Chief Justice recommanda que l’intéressé ne fût jamais libéré. En 1994, le ministre informa le requérant qu’il avait décidé de lui infliger une peine de perpétuité réelle. En 2008, la High Court estima qu’il n’y avait aucune raison de revenir sur la décision du ministre. Cette conclusion fut confirmée par la Cour d’appel. La même année, le requérant saisit la Cour. Cinq ans plus tard, en 2013, alors que la présente requête était toujours pendante, la Cour rendit son arrêt en l’affaire Vinter et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, CEDH 2013 (extraits)), qui portait sur la compatibilité des conditions de la réclusion à perpétuité au Royaume-Uni avec l’article 3 de la Convention. Dans cet arrêt, la Cour, interprétant l’article 3, établit que la Convention n’interdit pas l’imposition d’une peine perpétuelle ; cependant, pour être compatible avec l’article 3, pareille peine doit être compressible de jure et de facto, c’est à dire qu’elle doit offrir à la fois une chance d’élargissement et une possibilité de réexamen (Vinter et autres, précité, § 42). Cette interprétation a été réitérée tout récemment dans l’arrêt Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, CEDH 2016). Elle constitue donc l’interprétation établie (pour l’instant) que fait la Cour de l’article 3 de la Convention, une interprétation qui n’est pas contestée par le requérant et qui n’est donc pas l’objet de son affaire, ni celle de sa demande.

Le fondement de la présente requête, introduite, comme rappelé ci-dessus, en 2008, était l’allégation selon laquelle que l’ordonnance de réclusion à perpétuité était contraire à l’article 3. Devant la Grande Chambre, le requérant soutenait que même après la décision McLoughlin, l’ordre juridique du Royaume-Uni, s’agissant de la réclusion à perpétuité, continuait d’être contraire à cette disposition et ne répondait pas aux exigences établies par la Cour dans l’arrêt Vinter et autres.

Dans le présent arrêt, la Grande Chambre estime que la situation actuelle découle à cet égard des orientations définies par la jurisprudence des tribunaux britanniques, notamment par la décision de la Cour d’appel dans l’affaire McLoughlin. Elle admet que les principes établis dans cette décision rendue en 2014 suppriment les carences, identifiées dans l’arrêt Vinter et autres, de l’ordre juridique britannique en ce qui concerne la réclusion à perpétuité et sa compatibilité avec l’article 3, c’est-à-dire concernant la possibilité d’un réexamen des conditions d’une peine d’emprisonnement à vie, la portée d’un tel réexamen, les critères et les modalités applicables ainsi que le calendrier du réexamen. Elle conclut ainsi que, à l’heure actuelle et en conséquence de la décision McLoughlin, la peine de perpétuité réelle imposée au requérant peut à présent être considérée comme compressible, en conformité avec l’article 3 de la Convention. La Grande Chambre ne constate donc aujourd’hui aucune violation de cette disposition. Malgré les observations du requérant, je ne vois aucune raison de m’écarter du raisonnement détaillé de la Grande Chambre sur ce point.

Mais bien entendu, cette conclusion (et l’emploi du terme « à présent » au paragraphe 72 de l’arrêt est révélateur) renvoie à la situation telle qu’elle se présente aujourd’hui (en 2016) en conséquence de la décision McLoughlin rendue en 2014.

À supposer que, comme l’estime la Grande Chambre, il n’y ait plus à l’heure actuelle de violation de l’article 3 dans le chef du requérant en conséquence de la décision susmentionnée, une question se pose toujours concernant sa situation entre le moment où l’intéressé a été condamné à une peine de perpétuité réelle et la date à laquelle la décision McLoughlin a été prononcée, transposant ainsi dans l’ordre juridique britannique les principes exposés par la Cour dans l’arrêt Vinter et autres.

Dans ce dernier arrêt, la Cour avait estimé que la situation au Royaume Uni concernant les peines de perpétuité réelle ne respectait pas les normes posées par l’article 3. Ainsi qu’il ressort des considérations développées en l’espèce par la Grande Chambre, pareille situation a persisté jusqu’au 2014, date de la décisionMcLoughlin. Ainsi, le requérant a été soumis depuis sa condamnation à une peine de perpétuité réelle jusqu’à cette date (c’est-à-dire pendant trente ans) à une situation qui, en soi, emportait violation de l’article 3.

Je suis quelque peu troublé par le fait que la Grande Chambre considère que les griefs du requérant se limitent « à l’état actuel du droit interne » (paragraphe 73 de l’arrêt), eu égard au fait qu’il a introduit sa requête en 2008 et seulement après avoir tenté en vain pendant de nombreuses années de faire redresser la violation, à maintes reprises, devant les autorités britanniques. Pendant cette période, le requérant, condamné à une peine de perpétuité réelle, a été privé de toute perspective de réexamen ou d’atténuation de sa peine. Il a donc été soumis à ce que la Cour a défini dans son arrêt Vinter et autres comme un traitement inhumain, et j’estime que la Grande Chambre, dans le présent arrêt, aurait dû reconnaître ce fait et conclure en conséquence à la violation de l’article 3.

 

 

OPINION DISSIDENTE DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

 

Table des matières

I.  Introduction (§ 1)

Première partie (§§ 2-25)

II.  Le droit issu de la Convention en matière de libération conditionnelle (§§ 2-10)

A.  La reconnaissance du droit à la libération conditionnelle dans l’arrêt Vinter et autres (§§ 2-6)

B.  L’exposition des « principes pertinents » sur la libération conditionnelle dans l’arrêt Murray (§§ 7-10)

III.  Le cadre juridique au Royaume-Uni en matière de libération conditionnelle pour les détenus condamnés à des peines de perpétuité réelle (§§ 11-26)

A.  La réaction de la Cour d’appel à l’arrêt Vinter (§§ 11-18)

B.  L’obligation de prendre en compte la Convention (§§ 19-25)

Deuxième partie (§§ 26-47)

IV.  Les obligations de l’État dans la présente affaire (§§ 26-34)

A.  La position du gouvernement défendeur (§§ 26-29)

B.  La position de la Grande Chambre (§§ 30-34)

V.  Quel avenir pour le système de la Convention ? (§§ 35-47)

A.  Les conséquences sismiques du présent arrêt pour l’Europe (§§ 35-40)

B.  Argentoratum locutum, iudicium finitum (§§ 41-47)

Conclusion (§§ 48-50)

I. Introduction (§ 1)

1. Je suis au regret de ne pas souscrire à cet arrêt. J’estime en effet que la décision McLoughlin[1] ne devrait pas être considérée comme respectant les exigences de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention ») telles qu’exposées dans l’arrêt Vinter et autres[2]. Les efforts ingénieux de la majorité pour concilier la lettre et l’esprit de l’arrêt Vinter et autres avec la décision McLoughlin non seulement soulèvent des questions de précision linguistique, de cohérence logique et de sécurité juridique qui étaient restées sans réponse dans l’arrêt Vinter, mais en outre touchent au problème fondamental de la compatibilité avec la Convention de l’article 2 de la loi sur les droits de l’homme (« la loi »), tel qu’appliqué en l’espèce par la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles (« la Cour d’appel »). La présente opinion dissidente a pour objectif de répondre à ces questions.

Première partie (§§ 2-25)

II.  Le droit issu de la Convention en matière de libération conditionnelle (§§ 2-10)

A.  La reconnaissance du droit à la libération conditionnelle dans l’arrêt Vinter et autres (§§ 2-6)

2. Le 9 juillet 2013, la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour ») a estimé, dans l’arrêt Vinter et autres, que les peines de perpétuité réelle emportaient violation de l’article 3 de la Convention. La critique de la Cour portait sur deux questions étroitement liées : le manque de clarté du droit au moment des faits concernant la perspective de libération pour les détenus condamnés à des peines perpétuelles, eu égard à l’écart entre diverses sources[3], ainsi que l’absence de tout mécanisme spécifique de libération conditionnelle pour les détenus condamnés à de telles peines[4]. Considérant ces lacunes dans le droit interne, la Cour a estimé que la peine de perpétuité réelle infligée au requérant ne pouvait être considérée comme compressible aux fins de l’article 3 de la Convention.

3. Pour la Cour, vu l’écart entre la jurisprudence interne telle qu’exposée dans l’arrêt Bieber[5] et la politique officielle exposée dans le manuel sur les peines de durée indéterminée (« Lifer Manual »)[6], nul ne pouvait savoir « aujourd’hui » si « le ministre suivrait sa politique restrictive actuelle, telle qu’énoncée dans l’ordonnance de l’administration pénitentiaire, ou s’il s’affranchirait du libellé apparemment exhaustif de ce texte en appliquant le critère de respect de l’article 3 énoncé dans l’arrêt Bieber »[7]. La Cour a estimé que la possibilité d’attaquer par la voie du contrôle juridictionnel tout refus par le ministre de libérer un détenu condamné à la réclusion à perpétuité, tout en permettant de clarifier le cadre juridique, ne suffisait pas à pallier le manque de clarté qui existait au moment des faits (« actuellement ») quant à l’état du droit national applicable[8].

4. La Cour a ajouté que, pour qu’une peine de perpétuité réelle fût compatible avec l’article 3, un mécanisme de libération conditionnelle devait être en place au moment où la peine était prononcée. Le réexamen en vue de la libération conditionnelle devait avoir lieu selon un calendrier prédéterminé et raisonnable, sans que cela empêchât le détenu concerné de demander un tel réexamen à son initiative à tout moment après le prononcé de la peine[9].

5. Les critères et modalités, y compris le calendrier, s’agissant d’évaluer le caractère approprié de la libération conditionnelle doivent être établis par la loi de manière claire et prévisible, sur la base en premier lieu de considérations de réinsertion (c’est-à-dire de prévention spéciale) et en deuxième lieu de considérations de dissuasion (c’est-à-dire de prévention générale). Les critères ne doivent pas se limiter à une infirmité mentale ou physique du détenu ou au fait que celui-ci soit à l’article de la mort. Pareils « motifs d’humanité » sont manifestement trop restrictifs. Selon la Cour, tel était le cas de l’article 30 de la loi de 1997 sur les peines en matière criminelle et du manuel sur les peines de durée indéterminée.

6. Il découle logiquement de ce qui précède que, si les individus condamnés pour les crimes les plus atroces doivent disposer d’un mécanisme de libération conditionnelle, a fortiori les autres détenus doivent en disposer également. La justice serait clairement bafouée si des délinquants condamnés pour des infractions moins graves ne pouvaient obtenir une libération conditionnelle dès qu’ils sont aptes à réintégrer la société, alors qu’une telle possibilité serait offerte à des délinquants condamnés pour des infractions plus graves. En d’autres termes, la Convention garantit un droit à la libération conditionnelle si et lorsque les conditions juridiques requises pour la libération sont réunies. De plus, la libération conditionnelle n’est pas une libération de la peine mais une forme modifiée de l’ingérence de l’État dans la liberté de la personne condamnée, au moyen d’un contrôle exercé sur sa vie en général, ce contrôle pouvant prendre une forme très stricte, avec des conditions strictes, selon les besoins de chaque personne libérée sous conditions.

B.  L’exposition des « principes pertinents » sur la libération conditionnelle dans l’arrêt Murray (§§ 7-10)

7. Dans l’arrêt Murray, la Cour a été encore plus explicite[10]. Selon les paragraphes 99 et 100 de cet arrêt, le mécanisme de libération conditionnelle doit respecter les cinq « principes pertinents » contraignants suivants :

1) Le principe de légalité (« règles ayant un degré suffisant de clarté et de certitude », « conditions définies dans le droit interne ») ;

2) Le principe de l’évaluation des motifs d’ordre pénologique justifiant le maintien en détention, sur la base de « critères objectifs et définis à l’avance », qui incluent la resocialisation (prévention spéciale), la dissuasion (prévention générale) et la rétribution ;

3) Le principe de l’évaluation selon un calendrier prédéfini et, dans le cas des détenus à vie, « dans un délai de vingt-cinq ans au plus après l’imposition de la peine, puis [au moyen de] réexamens périodiques par la suite » ;

4) Le principe de garanties procédurales équitables, au nombre desquelles doit figurer à tout le moins l’obligation de motiver les décisions de refus d’octroi de la libération ou de révocation de celle-ci ;

5) Le principe d’un contrôle juridictionnel.

8. Dans l’arrêt Murray, la Cour a réaffirmé que, en principe, les critères sur lesquels doit se fonder toute décision d’accorder ou non une libération conditionnelle doivent être établis par la loi d’une manière claire et prévisible. Outre l’arrêt Vinter et autres, les précédents entérinés par la Grande Chambre sont les arrêtsTrabelsi[11], László Magyar[12] et Harakchiev et Tolumov[13]. Cette position se retrouve également dans le paragraphe 10 de la Résolution 76(2) du Comité des Ministres, dans les paragraphes 3, 4 et 20 de la Recommandation Rec(2003)22 du Comité des Ministres et dans le paragraphe 34 de la Recommandation Rec(2003)23 du Comité des Ministres et, à l’échelle internationale, dans l’article 110 du Statut de 1998 de la Cour pénale internationale (statut de Rome) et dans la Règle 223 (Critères pour l’examen de la question de la réduction de la peine) de son Règlement de procédure et de preuve. Ainsi, selon la Grande Chambre, les critères d’appréciation de la liberté conditionnelle ne sont pas laissés à la discrétion des États membres. Le mécanisme de réexamen en vue de la libération conditionnelle doit se fonder sur « des critères objectifs et définis à l’avance », c’est-à-dire ces « motifs légitimes d’ordre pénologique » explicitement établis au paragraphe 100 de l’arrêt Murray. Surtout, la Cour a réaffirmé que les motifs d’ordre pénologique ne devaient pas être assimilés à ni confondus avec « des motifs d’humanité tenant à un mauvais état de santé, à une invalidité physique ou à un âge avancé »[14].

9. Selon l’arrêt Murray, le réexamen en vue d’une libération conditionnelle doit avoir lieu dans un délai raisonnable et défini à l’avance. Le précédent invoqué par la Cour à cet égard était l’arrêt Bodein c. France[15]. Cette position est conforme au paragraphe 9 de la Résolution (76)2 et au paragraphe 5 de la Recommandation Rec(2003)22 du Comité des Ministres et aussi, au niveau général, à l’article 110 §§ 3 et 5 du Statut de Rome. Dans les cas où la question de la libération conditionnelle n’est pas tranchée au moment du réexamen initial, la situation du détenu devrait être réexaminée à des intervalles raisonnables, et pas trop espacés, comme indiqué au paragraphe 12 de la Résolution (76)2 du Comité des Ministres et au paragraphe 21 de la Recommandation Rec(2003)22 du Comité des Ministres.

10. Enfin, toujours à la lumière des « principes pertinents » dégagés dans l’arrêt Murray, la décision de libération conditionnelle doit être prise dans le cadre d’une procédure équitable et contradictoire, doit être motivée et doit être susceptible d’un contrôle juridictionnel[16]. Cela est également prévu par le paragraphe 32 de la Recommandation Rec(2003)22 du Conseil des Ministres, l’article 110 § 2 du Statut de Rome et la règle 224 de son Règlement de procédure et de preuve[17].

En résumé, après avoir établi les « principes pertinents » susmentionnés, on aurait pu s’attendre à ce que la Cour ait atteint dans l’arrêt Murray un point de non-retour dans sa fonction normative en matière de protection des droits de l’homme des détenus. Malheureusement, cette attente s’est avérée vaine en l’espèce.

III. Le cadre juridique au Royaume-Uni en matière de libération conditionnelle pour les détenus condamnés à des peines de perpétuité réelle (§§ 11-26)

A. La réaction de la Cour d’appel à l’arrêt Vinter (§§ 11-18)

11. Dans l’affaire McLoughlin, la Cour d’appel a été spécifiquement constituée pour examiner la question de la compatibilité d’une peine de perpétuité réelle avec la Convention. Elle a estimé que l’arrêt Vinter et autres n’empêchait pas l’imposition de peines de perpétuité réelle pour des « crimes atroces » dès lors que le droit d’Angleterre et du pays de Galles prévoyait bien la compressibilité de ces peines, les conditions exposées dans le manuel sur les peines de durée indéterminée, bien qu’exceptionnelles, n’étant pas trop restrictives et ayant en réalité « une acception large pouvant être précisée au cas par cas, comme cela se passe dans le cadre de la common law ». En d’autres termes, la Cour d’appel a estimé que la Grande Chambre avait mal interprété l’article 30 de la loi de 1997 sur les peines en matière criminelle et le manuel sur les peines de durée indéterminée[18].

12. La Cour d’appel a répondu à la critique de l’arrêt Vinter et autres dans les termes suivants : « Il nous semble que la Grande Chambre a attaché une grande importance au fait que la politique exposée dans le manuel sur les peines de durée indéterminée n’a pas été révisée. Or, cela est à notre avis sans conséquence du point de vue du droit »[19]. Ainsi, la Cour d’appel, dans un raisonnement artificiel, énonce implicitement que le ministre se mettrait dans l’illégalité en suivant sa propre politique publiée, qu’elle a par ailleurs jugée « extrêmement restrictive »[20]. Pour la haute juridiction britannique, dès lors qu’un délinquant condamné à une peine de perpétuité réelle peut établir que des « circonstances exceptionnelles » sont survenues après l’imposition de sa peine, le ministre doit examiner toutes les circonstances pertinentes d’une manière compatible avec l’article 3. Toute décision du ministre doit être motivée par référence aux circonstances de chaque affaire et est susceptible d’un contrôle juridictionnel permettant d’expliciter la signification des termes « circonstances exceptionnelles » et « motifs d’humanité », selon le processus habituel en common law[21].

13. Le fait que la juridiction nationale réponde spécifiquement à la première critique exprimée par la Grande Chambre dans l’arrêt Vinter et autres quant à la clarté et la sécurité de l’état du droit interne ne met pas fin au débat. L’interprétation par la juridiction interne du droit national soulève des questions assez sérieuses sur les plans linguistique, logique et juridique, ainsi que le soutient le requérant. En ce qui concerne la précision linguistique, la question épineuse qui se pose est la suivante : qu’est-ce que l’« humanité » a à voir avec « des motifs d’ordre pénologique »[22] justifiant le maintien en détention ? Il est évident que l’interprétation par la Cour d’appel du libellé de l’article 30 de la loi de 1997 sur les peines en matière criminelle et les circonstances énumérées de manière exhaustive, et non simplement à titre d’exemple, du chapitre 12 de l’ordonnance no 4700 de l’administration pénitentiaire ne cadre tout simplement pas avec le sens donné à la notion d’« humanité » dans la culture occidentale[23]. L’« acception large » de l’expression « motifs d’humanité » est-elle large au point de n’avoir aucun lien avec le sens donné par le dictionnaire au mot « humanité » ? À cet égard, il faudrait garder à l’esprit le jugement du juge Atkin dans l’affaire Liversidge v Anderson :

« Je vois avec appréhension l’attitude des juges qui, sur une simple question d’interprétation, lorsqu’ils sont face à des demandes impliquant la liberté du sujet, s’avèrent être plus bureaucratiques que le pouvoir exécutif. Leur fonction est de donner aux mots leur sens naturel, sans peut-être, en temps de guerre, tendre vers la liberté, mais en suivant l’obiter dictum de C.B. Pollock dans l’affaire Bowditch v Balchin (1850, 5 Ex. 378), cité avec l’approbation de mon noble et avisé ami le juge Wright dans l’affaire Barnard v Gorman (1941, 3 All E.R., p. 55) : « dans une affaire qui met en jeu la liberté du sujet, nous « ne pouvons pas aller au-delà de l’interprétation naturelle de la loi. » »[24]

14. En termes de cohérence logique, la question inévitable est la suivante : comment peut-on soutenir logiquement qu’une disposition « extrêmement restrictive »[25] telle que le chapitre 12 de l’ordonnance no 4700 de l’administration pénitentiaire puisse être interprétée dans une « acception large » ? Comment une règle « extrêmement restrictive » relative à des « conditions exceptionnelles »[26] de nature à conduire à l’exercice par le ministre du pouvoir que lui confère l’article 30 peut-elle être interprétée de manière extensive ? La règle d’or de l’interprétation est que les règles restrictives, formulées en termes exhaustifs, doivent donner lieu à une interprétation étroite[27]. Et ce pour une raison de base, qui apparaît déjà dans le dialogue entre Alice et Humpty Dumpty : « Lorsque j’utilise un mot », déclare Humpty Dumpty, « il signifie exactement ce que j’ai décidé qu’il signifierait – ni plus ni moins ». « Mais le problème » dit Alice, « c’est de savoir si tu peux faire en sorte que les mots signifient des choses différentes ». « Le problème », répond Humpty Dumpty, « est de savoir qui commande, c’est tout ! ». Métaphoriquement, celui qui commande, en l’occurrence le ministre, peut avoir une idée de ce que sont des « circonstances exceptionnelles » lorsqu’il y est confronté, mais les détenus, les avocats et même les juges auront du mal à anticiper ce jugement.

15. La fragilité linguistique et logique de l’argumentation de la Cour d’appel a nécessairement une influence sur sa force juridique. En termes purement juridiques, la question cruciale est celle-ci : qu’est-ce qui peut être plus flou, incertain et donc imprévisible qu’un pouvoir discrétionnaire de libération dans des « circonstances exceptionnelles », qui se transforme en une obligation de libération ayant une « acception large » conformément aux principes exposés dans la jurisprudence de la Cour sur l’article 3 de la Convention ? Qu’est-ce qui peut être plus flou, incertain et donc imprévisible que des « circonstances exceptionnelles » ayant une « acception large » ? Comment des juges et des juristes, même expérimentés, peuvent-ils appliquer un système aussi imprévisible et comment les détenus peuvent-ils se fonder là-dessus ? Aucune réponse à ces questions ne peut être trouvée dans l’arrêt rendu en l’espèce par la majorité.

16. À première vue, il est évident que le mécanisme de réexamen prévu par l’article 30 de la loi de 1997 sur les peines en matière criminelle et dans le manuel sur les peines de durée indéterminée, même si on lit ces instruments à la lumière de l’interprétation de la Cour d’appel, ne prévoit pas « un réexamen permettant aux autorités nationales de rechercher si, au cours de l’exécution de sa peine, le détenu a tellement évolué et progressé sur le chemin de l’amendement qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne permet plus de justifier son maintien en détention »[28]. Comme indiqué ci dessus, la violation constatée dans l’arrêt Vinterrepose sur deux motifs, le premier étant le défaut de sécurité juridique et le deuxième étant l’absence de mécanisme spécifique de réexamen de la peine. Ces deux motifs restent inchangés[29].

17. Premièrement, la décision McLoughlin n’a pas remédié au défaut de clarté et de sécurité du cadre juridique. La Cour d’appel n’a pas énoncé clairement ce que sont les « circonstances exceptionnelles » qui sont de nature à mettre en branle le mécanisme de réexamen, ou les motifs pour lesquels ce réexamen peut être demandé. Au contraire, elle a estimé que « l’expression « circonstances exceptionnelles » [était] en soi suffisamment certaine »[30]. Bien que la disposition pertinente du manuel sur les peines de durée indéterminée soit toujours intitulée « Élargissement à titre d’humanité pour des raisons médicales », ce qui montre de manière évidente quel était le but de l’article 30, la Cour d’appel a soutenu que l’« acception large » des « motifs d’humanité » englobait « les motifs légitimes d’ordre pénologique ». L’affirmation n’est pas nouvelle. Elle a déjà été avancée par le Gouvernement et explicitement rejetée par la Grande Chambre au paragraphe 129 de l’arrêt Vinter[31]. Si l’on continue ainsi, le dialogue entre les juridictions risque de prendre la forme de deux monologues parallèles jusqu’à ce que l’une d’elles abandonne.

18. Deuxièmement, la Cour d’appel n’a pas donné la moindre indication sur les caractéristiques du processus spécifique de libération conditionnelle par lequel un détenu sera ou non éligible à un réexamen de sa peine de perpétuité réelle, notamment sur le moment auquel il ou elle peut s’attendre à être en mesure de présenter une telle demande de réexamen, sur l’instance qui devrait conduire ce réexamen et sur la périodicité des réexamens ultérieurs[32].

B.  L’obligation de prendre en compte la Convention (§§ 19-25)

19. La Cour d’appel a soutenu que, en vertu des articles 3 et 6 de la loi sur les droits de l’homme, l’article 30 de la loi de 1997 devait être interprété et appliqué de manière suffisamment large pour respecter l’article 3 de la Convention dans chaque affaire. Elle a ajouté que le manuel sur les peines de durée indéterminée ne restreignait pas et ne pouvait pas restreindre ou entraver de quelque manière que ce fût cette obligation. C’est là que se trouve le cœur de l’affaire. Cet argument soulève une question générale et fondamentale : celle de la compatibilité de l’article 2 de la loi sur les droits de l’homme, tel qu’appliqué en l’espèce par la Cour d’appel, avec les obligations qui incombent au Royaume-Uni en vertu de la Convention[33].

20. La loi impose une obligation générale à toutes les autorités publiques de respecter les droits au titre de la Convention (article 6), ajoutant ainsi à leur obligation générale d’agir conformément aux principes du droit administratif[34]. Ces droits sont des droits internes et leur source formelle est la loi[35]. Cette obligation s’applique tant aux juridictions internes qu’au ministre, qui sont tous des autorités publiques. Le non-respect des droits et libertés consacrés par la Convention est un acte illégal, qui donne lieu à une réparation judiciaire appropriée (articles 6 et 8). La loi impose aux juridictions internes une obligation de « prendre en compte » la jurisprudence de la Cour (article 2). L’article 3 de la loi est une disposition cruciale, qui énonce l’obligation d’interpréter et de mettre en œuvre la législation primaire et la législation déléguée d’une manière compatible avec les droits reconnus par la Convention, dans toute la mesure du possible. L’article 3 n’affecte pas la validité de toute législation primaire incompatible ou de toute législation déléguée si, dans ce dernier cas, la législation primaire empêche la suppression de l’incompatibilité (sauf possibilité de révocation). L’objectif sous-jacent de la loi est de déléguer aux juridictions l’essentiel du travail consistant à assurer l’application conforme à la Convention du droit interne. En bref, les déclarations d’incompatibilité doivent être le dernier ressort.

21. Ainsi, la Convention s’est vu conférer un effet juridique en droit interne par la loi sur les droits de l’homme et un statut constitutionnel par la législation établissant la dévolution du pouvoir législatif en Écosse, en Irlande du Nord et au pays de Galles[36]. Elle ne se substitue pas à la protection en matière de droits de l’homme offerte par la common law ou par la loi, ni ne crée discrètement un corpus de droit fondé sur les arrêts de la Cour[37]. Malgré les critiques selon laquelle la loi « donnerait le champ libre aux fous, empoisonnerait les juges et enrichirait les avocats »[38], les juridictions internes ont tenté, dans leur interprétation et leur application de la Convention, d’assumer une plus grande part de responsabilité pour la mise en œuvre des droits et libertés consacrées par la Convention. Ils l’ont fait en croyant que le Parlement ne pouvait pas avoir eu pour intention que les droits et libertés au titre de la Convention reconnus par la loi sur les droits de l’homme demeurent gravés dans le marbre, tel qu’ils étaient lorsque la loi a été adoptée[39].

22. Dans l’affaire Ullah, le juge Bingham a énoncé le « principe du miroir », déclarant que les juridictions nationales devaient « demeurer en phase avec la jurisprudence de Strasbourg à mesure qu’elle évolue au fil du temps : pas plus, mais certainement pas moins »[40]. Dans l’affaire McCaughey, la juge Hale a souscrit à la même idée, déclarant que :

« Si l’interprétation évolutive des droits au titre de la Convention entraîne que ceux ci ont à présent un sens différent de celui qu’ils avaient à l’adoption de la loi de 1998, alors nous avons l’obligation de donner effet à son acception actuelle, plutôt qu’à celle qu’ils avaient auparavant »[41].

De plus, lorsqu’il n’existe aucune jurisprudence spécifique concernant l’État défendeur, les juridictions internes sont censées, en vertu de la loi sur les droits de l’homme, prendre en compte les décisions de la Cour concernant des problèmes juridiques similaires et « tenter d’extraire des principes spécifiques de ces décisions, puis les appliquer aux faits des affaires dont nous sommes saisis » [42], ou, en d’autres termes, respecter l’effet res interpretata des décisions de la Cour pour l’ensemble des Parties contractantes.

23. Il convient de noter que les juridictions internes sont disposées à mettre tout en œuvre et à adopter des interprétations très extensives des termes législatifs afin de se conformer à la prescription légale de permettre la compatibilité avec la Convention. Dans l’affaire de principe Ghaidan v Godin-Mendoza[43], la Chambre des lords a estimé, dans un revirement de jurisprudence, que l’expression « une personne avec laquelle le locataire initial réside comme mari et femme doit être traitée comme le conjoint du locataire initial » devait être interprétée comme incluant les partenaires de même sexe. Le juge Nicholls s’exprima ainsi :

« Le simple fait que le libellé en cause soit incompatible avec une signification conforme à la Convention ne rend pas en soi impossible une interprétation respectant la Convention en vertu de l’article 3. L’article 3 permet au libellé en cause d’être interprété de manière large ou étroite. Mais il va plus loin : il peut également imposer à un tribunal d’y lire des termes qui changent la signification de la législation adoptée, de manière à la rendre conforme à la Convention. En d’autres termes, le Parlement, lorsqu’il a adopté l’article 3, souhaitait que, seulement dans les limites de ce qui est « possible », un tribunal puisse modifier le sens, et donc l’effet, de la législation primaire et dérivée. »[44]

Ainsi, le rôle des juridictions au Royaume-Uni n’est pas, comme dans l’interprétation traditionnelle de la loi, de trouver la véritable signification de la disposition, mais de trouver, si possible, le sens qui s’accorde le mieux avec les droits et libertés consacrées par la Convention. En conséquence, même lorsque le libellé d’une loi adoptée par le Parlement est, si on l’aborde de manière littérale, clair et dénué d’ambiguïté, les juges peuvent toujours s’en écarter, ajouter à son libellé ou l’ignorer en vertu de l’article 3 de la loi sur les droits de l’homme si cela est nécessaire aux fins de la compatibilité avec un droit consacré par la Convention[45].

24. Cependant, dans certaines affaires, les juridictions internes ont préféré dire que la poutre se trouvait dans l’œil du voisin[46]. Soulignant une jurisprudence peu claire et incohérente de la Cour, le juge Slynn a donné le ton pour l’avenir dès l’affaire R (Alconbury Developments Ltd) v Secretary of State for the Environment, Transport and the Regions :

« En l’absence de circonstances spéciales, il me semble que cette juridiction devrait suivre toute jurisprudence claire et constante de la Cour européenne des droits de l’homme »[47].

Dans l’affaire R v Horncastle, le juge Phillips est allé encore plus loin :

« Cependant, il y aura de rares occasions où le juge national aura des préoccupations quant à savoir si une décision de la Cour de Strasbourg appréhende suffisamment ou se concilie avec des aspects particuliers de notre procédure interne. En pareil cas, il est loisible au juge national de refuser de suivre la décision de Strasbourg, en motivant sa décision de refus »[48].

L’année suivante, le juge Neuberger a résumé dans l’affaire Manchester City Council v Pinnock ce point de vue apparemment établi, dans les termes suivants :

« Notre Cour n’est pas tenue de suivre toutes les décisions de la Cour européenne. Non seulement il serait irréaliste de le faire, mais cela serait quelquefois inapproprié car cela détruirait les capacités de notre Cour de s’engager dans un dialogue constructif avec la Cour européenne, dialogue qui apporte une valeur ajoutée pour le développement du droit de la Convention (voir, par exemple, R v Horncastle [2010] 2 AC 373). Bien entendu, nous devrions habituellement suivre une jurisprudence claire et constante de la Cour européenne (R (Ullah) v Special Adjudicator [2004] 2 AC 323). Mais nous ne sommes en réalité pas tenus de le faire ou (en théorie du moins) de suivre une décision de la Grande Chambre. Ainsi que le juge Mance l’a souligné dans l’affaire Doherty v Birmingham City Council ([2009] AC 367, § 126), l’article 2 de la loi de 1998 exige que nos tribunaux « prennent en compte » les décisions de la Cour européenne, mais pas nécessairement qu’ils les suivent. Cependant, lorsqu’il y a une jurisprudence claire et constante dont l’effet n’est pas incompatible avec un aspect fondamental, matériel ou procédural, de notre droit, et dont le raisonnement n’apparaît pas ignorer ou mal comprendre un argument ou un point de principe, nous estimons que notre Cour aurait tort de ne pas suivre cette jurisprudence. »[49]

25. Il y a des limites à ce processus, ainsi que le juge Mance (rejoint par les juges Hope, Hugues et Kerr) l’a clairement admis dans l’affaire Chester[50], « particulièrement lorsque la question a déjà été soumise à une Grande Chambre une fois ou, a fortiori, deux fois comme en l’espèce », se référant à deux arrêts de Grande Chambre dans les affaires Hirst[51] et Scoppola (no 3)[52]. Le juge Mance a ajouté :

« Il faudrait alors qu’un principe véritablement fondamental de notre droit, ou une omission ou un malentendu flagrant, soit impliqué, pour qu’il puisse être jugé approprié par notre Cour d’envisager de refuser purement et simplement de suivre un arrêt rendu par la Cour de Strasbourg au niveau de la Grande Chambre ».

Le juge Sumption a exprimé plus ou moins la même idée :

« Dans un sens ordinaire, l’expression « prendre en compte » une décision de la Cour européenne des droits de l’homme ne signifie rien d’autre que de la considérer, ce qui peut impliquer de la rejeter comme erronée. Cependant, ce n’est pas une approche qu’un tribunal du Royaume-Uni peut adopter, sauf dans des cas tout à fait exceptionnels (...) Une décision de la Cour européenne des droits de l’homme est plus qu’un avis sur la signification à donner à la Convention. C’est une décision d’une juridiction qui devrait, selon ce que le Royaume-Uni a consenti par traité, régler définitivement la question. Les tribunaux sont donc tenus de traiter pareilles décisions comme des exposés faisant autorité de la Convention comme celle-ci l’a voulu, sauf s’il apparaît que ces décisions ont mal compris ou ignoré tel ou tel aspect important du droit ou de la pratique anglais qui pourrait, s’il était convenablement expliqué, conduire à une révision de sa décision par la Cour de Strasbourg. »[53]

En d’autres termes, le critère décisif des autorités internes pour accepter de suivre les arrêts de la Cour semble être déterminé par une logique apparemment stricte de norme/exception, selon laquelle ce n’est que dans des « cas rares » ou des « cas exceptionnels », lorsque des aspects particulièrement importants de l’ordre juridique interne sont ignorés ou mal compris, que les autorités s’aventureront à dire que les arrêts de la Cour ne doivent pas être suivis[54]. Tel était précisément raisonnement qui était sous jacent à l’arrêt de la Cour d’appel[55].

Deuxième partie (§§ 26-47)

IV. Les obligations de l’État dans la présente affaire (§§ 26-34)

A. La position du gouvernement défendeur (§§ 26-29)

26. Le Gouvernement soutient que l’argument du requérant concernant la définition donnée dans le dictionnaire du terme « humanité » est hors de propos. Dans son contexte légal, le terme « motif d’humanité » devrait à présent être compris à la lumière des exigences de l’article 3 à cet égard. À supposer même, pour les besoins de la discussion, que cela devrait être le cas au regard de la loi sur les droits de l’homme, il reste que la Cour d’appel a refusé de donner une signification précise et concrète à l’expression « circonstances exceptionnelles », estimant qu’elle était en soi suffisamment certaine. Alors que l’arrêt Vinter et autres invoque le principe de sécurité juridique, la Cour d’appel juge « parfaitement conforme à l’état de droit » de considérer les demandes des détenus sur une base individuelle à la lumière du critère d’un changement exceptionnel de circonstances. Il convient de rappeler que dans son arrêt Bieber, qui fait toujours partie du droit positif, la Cour d’appel a évoqué « l’ensemble des circonstances matérielles, y compris la période (...) déjà purgée et les progrès effectués en prison ». Il semble que la jurisprudence interne ne donne aucune indication spécifique concernant les critères à prendre en compte dans l’examen de peines de perpétuité réelle. Au lieu de la spécificité requise par le principe de légalité, on trouve de la latitude.

27. La norme de la Cour quant à la définition des motifs pertinents de libération conditionnelle est beaucoup plus exigeante. Dans l’affaire Harakchiev et Tolumov, la Cour a souligné l’importance des déclarations officielles de politique générale et des critères généraux guidant les autorités dans l’exercice du pouvoir de grâce. Elle a souligné l’importance de la transparence de la procédure[56]. Dans l’affaire László Magyar qui a suivi l’arrêt Vinter, la chambre a sanctionné le défaut d’orientation spécifique concernant les critères directeurs et les conditions applicables pour l’exercice du droit de grâce présidentiel (le recueil et l’organisation des données personnelles et l’appréciation de la demande). La solution suggérée, dans la partie de cet arrêt sur l’article 46, était d’introduire une législation permettant aux détenus « de prévoir, avec quelque degré de précision, ce qu’ils doivent faire pour présenter une demande de libération et dans quelles conditions ». Cette question a été encore précisée dans l’arrêt Trabelsi, dans lequel la chambre s’est référée à des « critères objectifs et préétablis dont le détenu aurait eu connaissance avec certitude au moment de l’imposition de la peine perpétuelle » et permettant de déterminer « si, au cours de l’exécution de sa peine, l’intéressé a tellement évolué et progressé qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne justifie plus son maintien en détention »[57].

28. Le Gouvernement ne souscrit pas à la déclaration dans l’arrêt Trabelsi selon laquelle le réexamen de la peine nécessite des critères préétablis[58]. Il n’estime ni nécessaire ni faisable de décrire ce qu’un détenu condamné à une peine perpétuelle doit faire, par exemple en ce qui concerne les progrès vers sa réinsertion. Pour lui, il faut plutôt prendre en compte l’ensemble des circonstances pertinentes. La position du Gouvernement n’est pas en phase avec la Recommandation Rec (2003) 22, dans laquelle il est souligné que les critères que les détenus doivent remplir pour être libérés sous conditions doivent être clairs et explicites, ni avec l’article 30.3 des Règles pénitentiaires européennes[59], qui prévoit que les détenus condamnés doivent être informés de la période devant être purgée et des possibilités de libération anticipée. De même, l’article 100 § 4 du Statut de Rome dispose que la Cour pénale internationale peut réduire la peine si elle constate l’existence de facteurs attestant d’un changement de circonstances manifeste aux conséquences appréciables de nature à justifier la réduction de la peine[60]. Ces éléments sont repris et développés dans les articles 223 et 224 du Règlement de procédure et de preuve, dans lesquelles les exemples suivants sont donnés : le fait que le comportement de la personne condamnée en détention montre que l’intéressée désavoue son crime ; les possibilités de resocialisation et de réinsertion réussie de la personne condamnée ; la perspective que la libération anticipée de la personne condamnée ne risque pas d’être une cause d’instabilité sociale significative ; toute action significative entreprise par la personne condamnée en faveur des victimes et les répercussions que la libération anticipée peut avoir sur les victimes et les membres de leur famille ; la situation personnelle de la personne condamnée, notamment l’aggravation de son état de santé physique ou mentale ou son âge avancé.

29. Déjà au paragraphe 128 de l’arrêt Vinter et autres, la Cour a observé que ceux qui étaient directement concernés ne disposaient que d’une image partielle des conditions exceptionnelles susceptibles de conduire à l’exercice du pouvoir du ministre en vertu de l’article 30. Comme le dit le requérant, le manuel sur les peines de durée indéterminée est toujours le seul texte qui est accessible aux détenus condamnés à perpétuité quant à leurs possibilités de libération. Il n’existe toujours aucun critère publié. Pourtant, la jurisprudence de la Cour fournit des exemples de facteurs pertinents pour déterminer si une peine de perpétuité réelle devrait être réexaminée. Dans l’arrêt Harakchiev et Tolumov, il était relevé que dans le système bulgare, les circonstances prises en considération comprenaient l’équité, l’humanité, la compassion, la pitié, l’état de santé et la situation familiale du condamné, ainsi que tous les changements positifs de sa personnalité[61]. Dans l’arrêt Čačko, il est dit que la base du réexamen en droit interne est le point de savoir si le détenu « a démontré qu’il s’était amélioré par le respect de ses obligations et par sa bonne conduite, et si l’on peut s’attendre à ce que la personne concernée se comporte de manière appropriée à l’avenir »[62]. Dans l’arrêt Bodein[63], la Cour a estimé que la demande de libération du détenu serait évaluée au regard de sa dangerosité, de son comportement et de l’évolution de sa personnalité. Elle a jugé ces éléments suffisants pour répondre aux exigences de l’article 3 de la Convention.

B. La position de la Grande Chambre (§§ 30-34)

30. Il est vrai que dans le présent arrêt la Grande Chambre a confirmé le rôle prédominant du principe de légalité dans le droit pénitentiaire, particulièrement en matière de libération conditionnelle[64], ainsi que l’obligation des autorités pénitentiaires de s’efforcer d’obtenir la réinsertion du détenu condamné à une peine de perpétuité réelle[65]. Il est également vrai que la Grande Chambre a ajouté que le ministre doit motiver sa décision de libérer ou ne pas libérer le détenu d’une manière conforme à la Convention, que ces décisions doivent être susceptible de recours devant un juge et que ce contrôle juridictionnel doit comporter un « examen au fond » des besoins pénologiques du détenu concerné[66]. Enfin, il est vrai que la Grande Chambre a redit qu’il faudrait un réexamen automatique de la peine après une période minimale définie, en principe vingt-cinq ans après le prononcé de la peine, sans préjudice de la possibilité pour le détenu de demander un réexamen de sa peine à tout moment[67]. La bonne nouvelle est que la majorité n’est pas disposée à laisser aux autorités internes le soin de régler les détails de telles questions. Mais ce n’est qu’une facette de cette décision.

31. L’autre facette, moins positive, est que la Grande Chambre se satisfait de la vague référence par la Cour d’appel aux « circonstances exceptionnelles »[68]. La Cour d’appel n’a donné aucune indication quant aux critères, au poids respectif et à la procédure aux fins d’apprécier les besoins pénologiques du maintien en détention d’un détenu condamné à la perpétuité réelle. La Cour d’appel a déclaré que le pouvoir conféré par l’article 30 devait être interprété et serait interprété en conformité avec la Convention et la jurisprudence de la Cour. Cependant, la Cour d’appel n’a pas précisé ce que serait cette interprétation. En fait, elle a donné un chèque en blanc au ministre, et la Cour n’y trouve rien à redire dans le présent arrêt. À l’instar du juge Atkin dans son opinion dissidente jointe à l’arrêt Liversidge v Anderson, je conteste l’interprétation mise en œuvre par la Cour d’appel et la majorité de la Cour, qui a pour effet concret de donner à un ministre un pouvoir sans limite sur la liberté des femmes et des hommes.

32. Cette complaisance est également illustrée par le défaut d’application au niveau interne de l’interprétation actuelle de la Cour d’appel ; le Gouvernement n’a pas pu fournir un seul exemple depuis l’entrée en vigueur de l’article 30 de la loi de 1997 sur les peines en matière criminelle, ou au moins depuis l’arrêt Bieber, où un individu condamné à une peine de perpétuité réelle aurait été libéré sur la base de motifs d’ordre pénologique. Le Gouvernement n’a pas davantage cité une pratique démontrant que, malgré ces lacunes, le système opère bien en fait d’une manière conforme à la Convention, en ce qui concerne les garanties procédurales, telles que la divulgation, le droit de plaidoirie lors d’une audience sur le réexamen de la peine et le droit d’avoir une motivation pour une décision négative. Le défaut de toute affaire où l’interprétation susmentionnée a été appliquée ne fait que démontrer que cette interprétation était, et est toujours, purement virtuelle. En réalité, l’interprétation de la Cour d’appel contredit même la politique du Gouvernement telle qu’elle est exposée noir sur blanc, urbi et orbi, sur les pages web du gouvernement britannique (« la personne n’est pas susceptible d’être libérée »)[69] et du Conseil de détermination des peines (Sentencing Council), qui est un organe public dépendant du ministère de la Justice (« il [le délinquant] ne sortira jamais de prison »)[70]. En réalité, la pratique des tribunaux demeure fidèle à la politique strictement punitive du Gouvernement et de son Conseil de détermination des peines, et n’a tenu aucun compte de l’interprétation de la Cour d’appel, ainsi qu’il ressort des observations de Sir John Griffiths Williams sur la peine, dans l’arrêt R v Christopher Halliwell (Crown Court de Bristol, 23 septembre 2016) :

« J’estime que votre degré d’infraction est exceptionnellement élevé et remplit les critères pour une peine de perpétuité réelle, et que les dispositions transitoires n’exigent pas de moi de vous imposer une peine minimale. Si je devais vous imposer une peine minimale, elle serait d’une telle durée que, selon toute probabilité, vous ne seriez jamais libéré. Je vous condamne à l’emprisonnement à vie et ordonne que ce soit une peine de perpétuité réelle. »

Ainsi que dans les observations du juge Wilkie sur la peine, dans l’arrêt R v Thomas Mair (Central Criminal Court, 23 novembre 2016) :

« J’ai examiné cette affaire avec minutie mais j’ai conclu que cette infraction, comme je l’ai décrite, présente un tel degré de gravité exceptionnelle qu’elle ne peut être sanctionnée convenablement que par une peine de perpétuité réelle. C’est la peine que je vous inflige. Dès lors, vous ne serez libéré, si jamais vous l’êtes, que par le ministre qui exercera sa grâce exécutive pour des motifs humanitaires pour vous permettre de mourir chez vous. La décision de savoir si cela se passera ou non appartiendra à celui qui exercera ses fonctions le moment venu. »

Et aussi dans les observations du juge Openshaw sur la peine, dans l’arrêt R v Stephen Port (Central Criminal Court, 25 novembre 2016) :

« Partant, la peine correspondant aux chefs de meurtre est une peine de réclusion à perpétuité ; je refuse de fixer une peine minimale, ce qui entraîne une peine de perpétuité réelle et signifie que le défendeur mourra en prison. »

33. Il convient de mentionner à ce stade que la Grande Chambre elle même a admis au paragraphe 65 du présent arrêt que l’interprétation de la Cour d’appel n’était pas accessible, dans ce qui est manifestement un euphémisme complaisant par rapport à la réalité[71]. Cette complaisance va de pair avec le rôle réduit assigné à la Cour par le paragraphe 63, central, de l’arrêt. Dans ce paragraphe, la majorité est censée fournir la justification ultime pour parvenir à un constat de non-violation. Le paragraphe déçoit le lecteur. Le défaut actuel de clarté et de sécurité dans le cadre juridique interne est sauvé par l’hypothèse généreuse de la Cour selon laquelle le ministre, en exerçant les pouvoirs que lui confère l’article 30, suivra une politique différente de celle qu’il a délibérément maintenue en vigueur depuis l’arrêt Vinter et autres.

34. Il est étrange que la majorité prétende qu’une clarification future du droit sera de nature à remédier au présent manque de clarté et de sécurité, et donc à la violation qui existe aujourd’hui, mais il est encore plus étrange de présumer que cette clarification résultera de l’adhésion du ministre à la politique souhaitée par la Cour[72]. Quoi qu’il en soit, à l’instar de ce que la juge Kalaydjieva a dit dans son opinion jointe à l’arrêt de la chambre, je ne vois pas quelle influence le développement progressif du droit depuis l’arrêt Bieber en 2009 pouvait avoir sur la situation du requérant un an auparavant, en 2008, lorsqu’il a soumis ses griefs à la Cour, ou au moment de leur examen par la chambre en 2015 et par la Grande Chambre en 2016.

V. Quel avenir pour le système de la Convention ? (§§ 35-47)

A. Les conséquences sismiques du présent arrêt pour l’Europe (§§ 35-40)

35. La Cour d’appel a déclaré qu’elle avait raison dans l’arrêt Bieber et que la Cour avait tort dans l’arrêt Vinter et autres. À présent, la Grande Chambre revient sur son arrêt Vinter et autres, admettant que la Cour d’appel avait raison et que le droit anglais avait déjà, depuis la décision Bieber au moins, un mécanisme de libération conditionnelle pour les personnes condamnées à perpétuité compatible avec la Convention. Ce n’est pas un événement isolé. Dans l’arrêt Al-Khawaja et Tahery[73], la Grande Chambre a admis le principe dégagé dans l’arrêt Horncastle de la Cour suprême, et dans l’arrêt Horncastle c. Royaume-Uni [74], la chambre a conclu à la non-violation de l’article 6 malgré l’utilisation de témoignages par ouï dire ayant conduit à la condamnation du requérant. Après le recul dans l’arrêt Al-Khawaja et Tahery quant à la question de la condamnation fondée uniquement ou de manière déterminante sur un témoignage par ouï-dire[75], la régression dans l’arrêt RMT sur le rôle d’autres sources internationales de droits dans l’interprétation des droits du travail protégé par la Convention[76], le renversement de jurisprudence dans l’arrêt Animal Defenders sur la question de l’interdiction des publicités politiques[77], et la saga Hirst toujours en cours sur les droits de vote des détenus[78], la Cour est en pleine crise existentielle. Le scénario pré-catastrophe s’aggrave encore à présent par le regrettable effet de contagion de l’arrêt Hirst sur les juridictions russes[79].

36. Point n’est besoin d’un grand effort pour identifier la source de la crise. Elle tient à la force d’attraction de l’argument des « rares occasions » développé dans l’arrêt Horncastle. Le problème c’est que les « rares occasions » tendent à proliférer et à devenir un exemple à suivre pour d’autres. Les autorités nationales de tous les États membres seront tentées de choisir leurs propres « rares occasions » lorsqu’elles ne seront pas satisfaites par un certain arrêt ou une certaine décision de la Cour afin de s’exonérer de leurs obligations internationales de le ou la mettre en œuvre, particulièrement s’agissant de la protection de minorités, telles que les détenus, les personnes LGBT, les demandeurs d’asile, les migrants, les étrangers, les Roms et d’autres groupes non-étatiques qui résident dans les Parties contractantes (comme par exemple le peuple kurde), pour n’en mentionner que quelques-unes. Il y a toujours une minorité que la majorité est prompte à traiter comme un bouc émissaire pour tous les maux de la société, en lui imposant des restrictions et limitations contestables sur l’exercice des droits et libertés consacrés par la Convention[80].

37. Le risque de manipulation par les autorités nationales dans leurs propres intérêts devient intolérablement élevé lorsqu’elles prétendent n’être liées que par une jurisprudence « claire et constante » de la Cour de Strasbourg, contestant ainsi l’effet res interpretata des arrêts de chambre, voir des arrêts de Grande Chambre, « incongrus », « insolites », ou « trop généraux ». Le critère des autorités internes pour accepter l’autorité des arrêts de la Cour devient alors beaucoup plus discrétionnaire, fondé sur une frontière à l’évidence très fluide entre la jurisprudence claire/pas claire, constante/non constante, permettant ainsi le rejet de la force contraignante et interprétative de tout arrêt de la Cour sur des questions nouvelles ou polémiques[81]. Comme si le système de la Convention n’avait pas ses propres mécanismes internes pour garantir la cohérence, y compris, notamment, le renvoi à la Grande Chambre et la fonction de Jurisconsulte. Comme si toute tentative par la Cour de naviguer dans des eaux inconnues ou de changer de route devait se voir accorder un ex post fiat par les autorités internes. Comme si, en définitive, le pouvoir conféré par l’article 19 de la Convention appartenait aux autorités nationales et non à la Cour.

38. Dans ce contexte, le présent arrêt peut entraîner un séisme pour le système européen de protection des droits de l’homme. La décision de la majorité représente un pic dans une tendance grandissante vers une réduction du rôle de la Cour par rapport à certaines juridictions nationales, avec le risque sérieux d’une application à deux vitesses de la Convention[82]. Si la Cour continue dans cette voie, elle finira par être considérée comme une commission non judiciaire de quarante-sept experts hautement qualifiés et politiquement légitimés, qui prononcera non pas des arrêts contraignants, du moins en ce qui concerne certaines Parties contractantes, mais de simples recommandations sur « ce qui serait souhaitable » que les autorités internes fassent, et qui agira en qualité de simple auxiliaire, afin de les « aider » à remplir leurs obligations légales et internationales[83]. La probabilité de conséquences délétères pour tout le système européen de protection des droits de l’homme est renforcée par l’environnement politique actuel, qui dénote une hostilité grandissante envers la Cour. Ainsi qu’un commentateur l’a dit :

« Dans ses cinquante années d’existence, la Cour n’a jamais été soumise à un tel barrage de critiques hostiles tels que celui en provenance du Royaume-Uni en 2011. Au fil des ans, certains gouvernements ont découvert qu’il était électoralement populaire de critiquer les juridictions internationales telles que la Cour de Strasbourg : celles-ci sont des cibles faciles, particulièrement parce qu’elles ont tendance, comme toutes les juridictions, à ne pas répliquer. »[84]

Le juge Mance a confirmé cette appréciation :

« J’ai entendu dire que, lorsque la Cour de Strasbourg n’est pas d’accord avec une décision prise contre la France, le reproche en France est dirigé contre l’instance française qui a pris la décision, alors que, au Royaume-Uni, elle serait dirigée contre la Cour de Strasbourg. »[85]

Le juge Moses est du même avis :

« Les critiques de nos juges ont été dirigés sur des juges étrangers d’une juridiction internationale (...) On espérait qu’en augmentant le pouvoir des juges d’interpréter et d’appliquer la Convention pour résoudre les contestations internes des actions des autorités publiques, le pouvoir des juges à Strasbourg en serait réduit. Quel paradoxe de voir que les tentatives de diminuer la force de l’influence de Strasbourg n’ont fait que renforcer les vociférations quant à l’invasion de ce qui est condamné comme étant de la jurisprudence étrangère ! »[86]

Pour le juge Neuberger, cette campagne était « exagérée » et « biaisée »[87]. En fait, la rhétorique du scepticisme vis-à-vis de Strasbourg n’est pas vraiment nouvelle[88]. Le scepticisme facile et superficiel dans lequel tombent les cyniques et les méprisants, les critiques inconséquentes répandues par les moqueurs ont toujours existé. Cela reflète une attitude profondément ancrée vis-à-vis du droit international et des juridictions internationales, qui conteste l’universalité des droits de l’homme.

39. Le fait est que certaines autorités nationales ont toujours répugné à apprendre de la Cour, considérant les droits de l’homme seulement comme quelque chose pouvant s’exporter et non s’importer. Pour le dire avec les mots du juge Hoffmann :

« [L]orsque nous avons adhéré, en réalité pris les commandes des négociations concernant la Convention européenne, ce n’était pas parce que nous pensions que cela affecterait notre propre droit, mais parce que nous pensions que ce serait bien de constituer un exemple pour d’autres et pour aider à garantir que tous les États membres respectent ces droits fondamentaux de base qui n’était pas culturellement définis mais qui reflétaient notre humanité commune. »[89]

Dans sa Conférence annuelle de 2009 devant le Conseil des études judiciaires, le juge Hoffmann a précisé sa pensée, s’élevant contre une application uniforme des « droits abstraits » garantis par la Convention et attaquant en des termes sévères « la lacune fondamentale dans le concept consistant à avoir une juridiction internationale des droits de l’homme qui s’occuperait de l’application concrète de ces droits dans différents pays ».[90] Le but avoué consistait à mettre en question l’autorité de la Cour pour fixer des normes en matière de droits de l’homme dans toute l’Europe. Cette approche cadre parfaitement avec une certaineWeltanschauung qui a été exprimée par Milton dans son ouvrage intitulé The Doctrine and Discipline of Divorce dans les termes suivants : « Ne laissons pas l’Angleterre oublier qu’elle est en première ligne s’agissant d’apprendre aux nations comment vivre ».[91]

40. De ce point de vue, la relation entre le droit national et la Convention est singulièrement déséquilibrée : l’impact du droit national sur la Convention devrait être maximisé alors que l’impact de la Convention sur le droit interne devrait être minimisé, sinon carrément rejeté, s’accompagnant quelquefois même d’un appel explicite pour des solutions qui sont censément « faites maison » et conformes à l’héritage juridique de la Grande-Bretagne, et qui permettraient aux personnes d’avoir le sentiment d’être propriétaires de leurs droits. Dans ce contexte, l’argument tenant à la « diversité des droits de l’homme » montre son vrai visage de carte souverainiste, politiquement unidirectionnelle, jouée dans le cadre de l’importation des droits de l’homme et justifiant le refus de normes « étrangères », c’est-à-dire les normes de la Convention imposée par une juridiction internationale. En même temps, la carte « diversité en matière de droits de l’homme » est sciemment minimisée dans le cadre de l’exportation des droits de l’homme et l’imposition, au moyen d’une juridiction internationale, de valeurs et politiques internes aux autres Parties contractantes. Bien entendu, cela implique également une compréhension partiale du revers logique de la doctrine de la « diversité des droits de l’homme », c’est-à-dire la doctrine de la marge d’appréciation[92] : la marge devrait être plus large pour les États qui sont censés « constituer un exemple pour les autres » et plus étroite pour les États qui sont censés apprendre de l’exemple. Cela ouvre de toute évidence la porte à certains gouvernements pour satisfaire leur base électorale et protéger leurs intérêts favoris. À mon humble avis, là n’est pas l’objet et le but de la Convention.

B. Argentoratum locutum, iudicium finitum (§§ 41-47)

41. Deux situations différentes doivent être distinguées. Lorsque le niveau de protection des droits de l’homme au niveau national est plus élevé que celui offert par la Convention, on peut arguer de manière convaincante que les normes européennes fixées par la Cour sont superfétatoires. La Convention elle-même le permet (article 53). Rien n’empêche les autorités internes d’aller au-delà de la norme fixée par Strasbourg en matière de protection des droits de l’homme, et pas seulement pour des questions que la Cour a déclarées relever de la marge nationale d’appréciation[93]. Le « plus grand danger », perçu par le juge Brown, « selon lequel le tribunal national interpréterait la Convention trop généreusement en faveur du requérant plutôt que de l’interpréter de manière trop étroite »[94], a mal compris cette question : du point de vue de Strasbourg, il n’y a jamais d’interprétation interne erronée « trop généreuse » de la Convention, simplement parce que les juridictions internes peuvent se tromper par excès de prudence, mais certainement pas par excès de progrès. Lorsque les autorités nationales, y compris les tribunaux, choisissent la voie d’une interprétation de la Convention qui est davantage pro persona, cette interprétation est garantie par l’article 53.

42. Également d’un point de vue britannique, les réticences de type Ullah[95], selon lesquelles les juridictions nationales ne devraient pas aller là où Strasbourg n’est pas encore allé, ou, pour reprendre les mots du juge Brown, devrait faire « pas moins mais certainement pas plus »[96], semblent infondées, et ce pour diverses raisons[97]. Premièrement, dans l’arrêt Ullah, le juge Bingham n’était pas concerné par la situation pour laquelle la Cour de Strasbourg ne s’était pas encore prononcée[98]. Deuxièmement, le manque ou l’insuffisance de jurisprudence de la Cour de Strasbourg ne devrait pas être utilisée pour dissuader les juridictions nationales de donner plein effet aux droits consacrés par la Convention. Pareille position agnostique et passive permettrait aux Parties contractantes de contourner leurs obligations en tant que premiers gestionnaires de la Convention. La loi sur les droits de l’homme elle-même a été conçue pour permettre aux juges britanniques de « contribuer à cette interprétation dynamique et évolutive de la Convention »[99], en d’autres termes, au développement du droit issu de la Convention sur les droits de l’homme dans de nouvelles directions. Il est donc parfaitement juste de prétendre dans ce contexte que Strasbourg n’est pas « la source inévitable et ultime de toute sagesse »[100]. On pourrait dire, en modifiant le jugement déjà modifié du juge Kerr, « Argentoratum non locutum, nunc est nobis loquendum – Strasbourg n’a pas parlé, à nous de parler maintenant »[101].

43. Mais lorsque le niveau interne de la protection des droits de l’homme est inférieur à celui offert par la Cour, lorsque l’interprétation nationale des droits consacrés par la Convention est plus étriquée que celle de Strasbourg, les autorités internes, y compris les tribunaux, doivent agir en tant que serviteurs fidèles des valeurs de la Convention et reconnaître la prépondérance à l’interprétation ultime et faisant autorité de la Cour (article 19 de la Convention), en réalité même au-dessus du parlement, des différents organes exécutifs et de l’ordre judiciaire du Royaume-Uni. Il ne s’agit pas d’une simple obligation de moyens de trouver autant que faire se peut la meilleure solution possible pour harmoniser le droit interne et les normes européennes, ou de rechercher une interprétation conforme à la Convention du droit interne lorsqu’une telle interprétation apparaît tenable au vu des méthodes traditionnellement reconnues de l’interprétation légale et constitutionnelle. C’est beaucoup plus que cela[102]. C’est une obligation de résultat, de mettre en œuvre pleinement et de bonne foi les arrêts et décisions de la Cour ainsi que les principes qui y sont exposés[103]. Même si nous traitons de droits au titre d’une loi britannique, en réalité les autorités nationales n’ont pas le choix, ainsi que le juge Rodger l’a si brillamment exprimé : « Argentoratum locutum, iudicium finitum – Strasbourg a parlé, l’affaire est close ».[104]

44. Telle est également la compréhension entérinée au plus haut niveau politique par les représentants des Parties contractantes dans la déclaration de Brighton : « Toutes les lois et politiques devraient être conçues et tous les agents publics devraient exercer leurs responsabilités d’une manière qui donne plein effet à la Convention »[105]. Ou pour reprendre les termes empreints de sagesse du juge Neuberger lorsqu’il évoquait la regrettable saga Hirst : « Nous pouvons penser qu’il est inopportun que Strasbourg mette son nez dans les questions du droit de vote des détenus au motif que la décision en la matière devrait être laissée à notre parlement ». Mais il a également ajouté : « on peut penser que cela est un prix modeste à payer pour une Europe civilisée que d’être quelquefois obligés d’adapter un peu nos lois ».[106] Et cela correspond certainement à la meilleure tradition du droit international du Royaume-Uni, synthétisée par les termes de la conférence de Grotius en 1949 du professeur Lauterpacht, lorsque celui-ci affirmait :

« La portée indéniablement large du transfert de souveraineté impliquée par la Cour et la Commission européennes des droits de l’homme qui sont envisagées (...). Car ces propositions impliquent non seulement le pouvoir, dont seront investies des instances internationales, d’examiner et de contrôler des décisions judiciaires des plus hautes juridictions nationales, mais aussi l’autorité de contrôler des actes législatifs de parlements souverains. »

Il a poursuivi en indiquant une longue liste de « questions pouvant être soulevées en Grande-Bretagne », notamment l’emprisonnement arbitraire. Il a encore précisé plus explicitement les choses en admettant que:

« Ces possibilités doivent être clairement gardées en mémoire et pleinement rendues publiques au point d’admettre que, dans un sens distinct, une part de la souveraineté nationale sera transférée aux sept personnes composant la Cour européenne des droits de l’homme. Après avoir fait cela – mais seulement après – nous pourrons être libres de dire qu’un tel achèvement est inévitable si la proclamation de l’allégeance aux droits de l’homme ne doit pas rester lettre morte. »[107].

À la même occasion, M. Barrington, qui s’était trouvé avec Sir David Maxwell Fyfe dans les réunions du mouvement européen et dans la rédaction de la Convention européenne des droits de l’homme, exprima la position de principe visionnaire de la délégation britannique :

« Je pense que les gouvernements répugneront à accepter quoi que ce soit impliquant une renonciation à leur souveraineté, mais il vous appartient de briser leur répugnance. Toute personne pouvant soutenir les efforts faits à Strasbourg pour porter cette Convention apportera une contribution importante à la cause mondiale des droits de l’homme. »[108]

45. En conséquence, les autorités nationales, y compris les tribunaux, doivent agir d’une façon qui s’accorde avec le principe « pacta sunt servanda » et se conformer à la lettre et aux principes des arrêts et décisions de la Cour, y compris ceux qui sont rendus contre d’autres Parties contractantes. En tant que premiers gestionnaires de la Convention, les autorités nationales doivent donc se conformer au dernier mot de la Cour, à qui est confié le maintien uniforme de « l’instrument constitutionnel de l’ordre public européen »[109], dès lors que le niveau interne de protection des droits de l’homme est inférieur à celui de la Cour.

46. Ainsi que la juge Hale l’a écrit, « il n’y a aucune raison pour qu’un État, une fois qu’il s’est engagé à respecter certaines normes minimales, ne puisse s’en dégager en définissant les termes utilisés de sa propre manière »[110]. Ni la suprématie du Parlement ni l’indépendance de l’ordre judiciaire ne peuvent être invoquées pour s’exonérer de l’obligation prévue dans la Convention de mise en œuvre des arrêts et décisions de la Cour (article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités). La Convention « ne fait aucune distinction quant au type de règles ou de mesures concernées et n’exclut aucune partie de la « juridiction » des États membres du contrôle en vertu de la Convention. »[111]

47. En droit constitutionnel, pas même le cœur de la Constitution nationale, qui implique des enjeux politiques plus élevés (tel que les dispositions sur la composition des plus hautes instances politiques et judiciaires de l’État), ne peut être déterminant en cas de conflit avec des obligations internationales découlant de la Convention et de ses protocoles[112]. Toute autre approche approuvant du bout des lèvres les arrêts et décisions de la Cour mais rejetant finalement leur force contraignante de chose jugée pour les parties et de res interpretata pour l’ensemble des Parties contractantes violerait le principe « pacta sunt servanda » et le précepte instrumental de bonne foi (article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités). En tant que premier président de la Cour, le juge McNair l’a dit : « La mise en œuvre des traités est soumise à une obligation primordiale de bonne foi mutuelle »[113]. Soit la Convention et les arrêts et décisions de la Cour sont pleinement et fidèlement honorés, soit des frictions entre Strasbourg et les autorités nationales deviendront la norme plutôt que l’exception. Cela se produirait de toute évidence au détriment des personnes physiques et morales qui viennent à Strasbourg demander justice et, finalement, déterminerait le sort du système lui-même. Le choix entre deux voies opposées est à présent clair pour les gouvernements de toute l’Europe. Entre la tentation isolationniste et souverainiste et le véritable engagement en faveur d’une « union plus étroite » entre les États européens poursuivant le « développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales »[114], on attend que les pères fondateurs du système ne soient pas les architectes de sa chute et que prévalent le respect de l’héritage inspirant de Sir Hersch Lauterpacht et le travail accompli de Sir David Maxwell Fyfe.

Conclusion (§§ 48-50)

48. Les « grands bénéfices apportés au droit et à un grand nombre de personnes » par la loi sur les droits de l’homme sont contestables[115]. Autant que les développements substantiels que la Cour a initiés dans un pays dans lequel « l’idée qu’un citoyen soit titulaire de droits qu’il puisse revendiquer contre l’État lui-même nous était inconnue ».[116] Mais l’arrêt McLoughlin illustre la faiblesse potentielle du modèle de la loi sur les droits de l’homme, lorsqu’une juridiction interne ne prend pas pleinement en compte la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. La Cour d’appel n’a pas remédié aux lacunes du droit interne à la suite de l’arrêt Vinter et autres.

49. Si l’arrêt McLoughlin représente tout ce qui peut être accompli judiciairement pour répondre à l’arrêt Vinter et autres, alors, comme l’a déjà admis la Commission mixte des droits de l’homme du parlement britannique, un changement de législation est nécessaire. Comme le juge Nicholls l’a déclaré à une occasion, « le Parlement ne peut pas avoir eu l’intention de dire que l’article 3 allait exiger des tribunaux de prendre des décisions pour lesquelles ils ne sont pas équipés. Il peut y avoir plusieurs façons de se conformer à la Convention, et ce choix peut impliquer des questions appelant une délibération législative. »[117]

50. Quoiqu’il en soit, en l’espèce, la violation de l’article 3 s’est cristallisée le 6 octobre 2008, date à laquelle la Cour d’appel a débouté le requérant, confirmant la conclusion de la High Court selon laquelle il n’y avait pas de raison de s’écarter de la décision du ministre d’imposer à l’intéressé une peine de perpétuité réelle. Au moins depuis cette date, le requérant a été privé du droit à la liberté conditionnelle que lui confère l’article 3.

 

 

 

 

OPINION SÉPARÉE DU JUGE SAJÓ

(Traduction)

 

À mon grand regret, je n’ai pas pu suivre l’avis de la majorité, pour les raisons exposées par le juge Pinto de Albuquerque dans son opinion séparée. À supposer même que la notion de « motifs d’humanité » puisse avoir une signification raisonnable pour un juge au Royaume-Uni, cela ne peut certainement pas offrir à un détenu les indications précises stipulées dans l’arrêt Murray c. Pays-Bas ([GC], no 10511/10, § 100, CEDH 2016).

________________________________________

[1]. R v McLoughlin, R v Newell, Court of Appeal, Criminal Division, 18 février 2014 [2014] EWCA Crim 188.

[2]. Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, CEDH 2013 (extraits).

[3]. Ibidem, §§ 124, 129 et 130.

[4]. Ibidem, §§ 122, 129 et 130. Dans un souci de clarté terminologique, j’ai utilisé le terme anglais « parole » dans le sens où le Conseil de l’Europe l’emploie, c’est-à-dire dans l’acception de libération conditionnelle ou anticipée de détenus condamnés en vertu de modalités post-libération individualisées ; les mesures d’amnistie et de grâce ne sont pas comprises dans cette définition, comme le Comité des Ministres l’admet dans sa Recommandation Rec(2003)22.

[5]. R. v Bieber (2009), Weekly Law Reports, vol. 1, p. 223, §§ 48 et 49.

[6]. Le manuel sur les peines de durée indéterminée figure au chapitre 12 de l’ordonnance n° 4700 de l’administration pénitentiaire. La politique officielle est demeurée inchangée malgré l’arrêt rendu dans l’affaire Bieber.

[7]. Vinter et autres, précité, § 129.

[8]. Ibidem, § 129.

[9]. Vinter et autres, précité, § 122 : « le moment où le réexamen de sa peine (…) pourra être sollicité. ».

[10]. Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, 26 avril 2016.

[11]. Trabelsi c. Belgique, no 140/10, § 137, CEDH 2014 (extraits)

[12]. László Magyar c. Hongrie, no 73593/10, § 57, 20 mai 2014.

[13]. Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, nos 15018/11 et 61199/12, §§ 255, 257 et 262, CEDH 2014 (extraits).

[14]. Murray, précité, § 100.

[15]. Bodein c. France, no 40014/10, § 61, 13 novembre 2014.

[16]. Curieusement, le paragraphe 45 du présent arrêt se réfère au paragraphe 120 de l’arrêt Vinter et autres, mais n’évoque pas le paragraphe 100 de l’arrêt Murray.

[17]. Murray, précité, § 100.

[18]. McLoughlin, précité, § 29.

[19]. Ibidem, § 30.

[20]. Ibidem, § 11.

[21]. Paragraphe 23 de l’arrêt de la chambre en relation avec les paragraphes 25-36 de la décision McLoughlin.

[22]. Il s’agit d’une expression utilisée dans McLoughlin, précité, § 37.

[23]. Voir, dans le dictionnaire Oxford, la définition de la compassion comme étant un « sentiment de pitié empathique et de sollicitude pour les souffrances ou les malheurs d’autrui », dérivé du latincompassio (souffrir ensemble).

[24]. Liversidge v Anderson [1941] UKHL 1.

[25]. Vinter et autres, précité, § 126.

[26]. Vinter et autres, précité, § 128.

[27]. Voir, parmi beaucoup d’autres, Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 58, série A no 22, Amuur c. France, 25 juin 1996, § 42, Recueil des arrêts et décisions 1996 III, et Assanidzé c. Géorgie[GC], no 71503/01, § 139, CEDH 2004 II.

[28]. Vinter et autres, précité, § 119.

[29]. En pratique, rien n’a changé après l’arrêt Vinter, ce que confirment les études de terrain (Van Zyl Smit et Appleton, « The Paradox of Reform: Life Imprisonment in England and Wales », dans : Van Zyl Smit and Appleton (éd.), Life Imprisonment and Human Rights, Oxford, 2016, p. 228).

[30]. Décision McLoughlin, précitée, § 31.

[31]. Les conditions exhaustives exposées dans l’ordonnance de l’administration pénitentiaire elle-même ne seraient pas suffisantes aux fins de l’article 3 (Vinter et autres, précité, §§ 126, 127, 129).

[32]. Comme cela a été expressément reconnu par la Commission mixte des droits de l’homme du Parlement britannique, dans sa proposition sur cette question, aux points 1.21 1.26.

[33]. Décision McLoughlin, précitée, §§ 23 à 25.

[34]. Ibidem, § 29.

[35]. Voir le juge Hoffmann dans l’affaire R v Lyons [2002] UKHL 44, § 27 ; les juges Nicholls et Hoffmann dans l’affaire In re McKerr [2004] UKHL 12, §§ 25 et 62-65 ; le juge Bingham dans l’affaire R (Al-Skeini and others) v Secretary of State of Defence (2007) UKHL 26, § 10 ; le juge Hoffman dans l’affaire Re G (Adoption: Unmarried Couple) (2008) UKHL 38, §§ 33-35 ; et le juge Neuberger dans l’affaire R (on the application of Nicklinson and another) v Ministry of Justice (2014) UKSC 38, § 74.

[36]. Il est admis que la loi sur les droits de l’homme n’a pas modifié l’équilibre constitutionnel entre le parlement, le pouvoir exécutif et l’ordre judiciaire (voir le juge Dyson, “What is wrong with human rights?”, Conférence à l’Université du Hertfordshire, 3 novembre 2011, citant le rapport de 2006 du service des Affaires constitutionnelles).

[37]. Voir le juge Reed dans l’affaire R (Osborn) v Parole Board (2013) UKSC 61, § 57, et le juge Toulson dans Kennedy v Charity Commission (Secretary of State for Justice and Others Intervening)(2014) UKSC 20, § 133.

[38]. Voir le juge McCluskey, Scotland on Sunday, 6 février 2000.

[39]. Voir le juge Dyson, “Are judges too powerful?”, Bentham Association Presidential Address 2014, 13 March 2014: « Il est tout à fait irréaliste de supposer que le Parlement pensait que la Convention allait demeurer immuable, telle qu’elle était en 1998. »

[40]. R (Ullah) v Special Adjudicator (2004) UKHL 26, § 20

[41]. McCaughey and Another [2011] UKSC 20, § 91. Voir également la juge Hale, « Beanstalk or Living Instrument? How tall can the European Convention on Human Rights grow? », Gray’s Inn Reading 2011, 16 juin 2011.

[42]. Voir le juge Neuberger dans P and Q v. Surrey County Council (2014) UKSC 19, § 62.

[43]. Ghaidan v. Godin-Mendoza [2004] UKHL 30.

[44]. Voir le juge Nicholls dans l’affaire Ghaidan, précitée, § 32.

[45]. Voir la juge Hale, « What’s the point of human rights?” » Warwick Law Lecture 2013, 28 novembre 2013: « Mais dans leurs interventions, les juges Nicholls, Steyn et Roger ont également donné une signification très large à ce qui était « possible » – dès lors qu’une interprétation n’était pas contraire au système ou aux principes essentiels d’interprétation, les mots pouvaient être interprétés de manière étroite ou large, ou leur signification pouvait être extrapolée, pour assurer la compatibilité avec les droits consacrés par la Convention et aller dans le sens de la législation, même si le résultat n’était pas ce qui était voulu à l’époque. »

[46]. Voir le juge Kerr, « The UK Supreme Court: The Modest Underworker of Strasbourg? », Clifford Chance Lecture 2012, 25 janvier 2012 : « Même si l’on peut nous reprocher d’avoir été par le passé excessivement révérencieux envers la Cour de Strasbourg, des signaux clairs et vigoureux ont été envoyés récemment pour dire que nous ne le sommes plus. »

[47]. Voir le juge Slynn dans l’affaire R (Alconbury Developments Ltd) v. Secretary of State for the Environment, Transport and the Regions UKHL 23, § 26. Cet extrait a été repris par le juge Bingham au fameux paragraphe 20 de l’affaire Ullah.

[48]. Voir le juge Philips dans l’affaire R v Horncastle and others (Appellants) (on appeal from the Court of Appeal Criminal Division) [2009] UKSC 14, § 11.

[49]. Voir le juge Neuberger dans l’affaire Manchester City Council v Pinnock [2010] UKSC 45, § 48.

[50]. R (on the Application of Chester) v Secretary of State for Justice (2013) UKSC 63, § 27.

[51]. Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, CEDH 2005 IX.

[52]. Scoppola c. Italie (no 3) [GC], no 126/05, 22 mai 2012.

[53]. R (on the Application of Chester) v Secretary of State for Justice (2013) UKSC 63, § 121.

[54]. Pour une référence à la notion de « circonstances exceptionnelles » quant à un refus de suivre une jurisprudence claire de la Cour, voir également Lord Dyson, Conférence à l’Université du Hertfordshire, précitée.

[55]. Décision McLoughlin, précitée, § 30, où est soulignée la prétendue mauvaise compréhension par la Cour d’un aspect important du droit national.

[56]. Harakchiev et Tolumov, précité, §§ 258 et 259.

[57]. Trabelsi, précité, § 137

[58]. Le Gouvernement renvoie à une décision récente de la High Court dans laquelle celle-ci a refusé de suivre l’arrêt Trabelsi – R (Harkins) v. Secretary of State for the Home Department [2015] 1 WLR 2975.

[59]. Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les Règles pénitentiaires européennes.

[60]. Il est particulièrement important de garder à l’esprit le Statut de Rome parce que le Royaume-Uni en est une Partie contractante et en a donc accepté les normes.

[61]. Harakchiev et Tolumov, précité, § 258.

[62]. Čačko v. Slovakia, no 49905/08, § 43, 22 July 2014.

[63]. Bodein, précité, § 60.

[64]. Paragraphe 44 de l’arrêt.

[65]. Paragraphe 43 de l’arrêt.

[66]. Paragraphes 51 et 52 de l’arrêt.

[67]. Paragraphes 67 et 69 de l’arrêt.

[68]. Paragraphe 55 de l’arrêt.

[69]. « Types de peines d’emprisonnement (…) Peine de perpétuité réelle. Une peine de perpétuité réelle signifie qu’il n’y a pas de durée minimale fixée par le juge, et que la personne n’est pas susceptible d’être libérée. » (https://www.gov.uk/types-of-prison-sentence/life-sentences, Dernière mise à jour: 23 septembre 2016). J’ai consulté le site le 24 novembre 2016.

[70]. « Peine de perpétuité réelle : Pour les cas les plus graves, un délinquant peut être condamné à l’emprisonnement à vie au moyen en lui infligeant une peine de perpétuité réelle. Cela signifie que le crime du délinquant était tellement grave qu’il ne sortira jamais de prison » (https://www.sentencingcouncil.org.uk/about-sentencing/types-of-sentence/life-sentences/ Au 30 juin 2016, 59 délinquants purgeaient une peine de perpétuité réelle. J’ai consulté le site le 24 novembre 2016.

[71]. Alors qu’il lui avait été spécifiquement demandé pourquoi, si l’intention était de suivre Vinter et autres, le manuel sur les peines de durée indéterminée n’avait pas été modifié, le gouvernement défendeur n’a donné aucune réponse.

[72]. Au paragraphe 63 de l’arrêt, il est dit : « (…) l’exercice du pouvoir conféré par l’article 30 doit être guidé par l’ensemble de la jurisprudence pertinente de la Cour (…) ».

[73]. Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 147, CEDH 2011.

[74]. Horncastle et autres c. Royaume-Uni, no 4184/10, 16 décembre 2014.

[75]. Voir l’opinion en partie dissidente et en partie concordante des juges Sajó et Karakaş dans l’arrêt Al-Khawaja et Tahery, précité.

[76]. Comparer National Union of Rail, Maritime et Transport Workers c. Royaume-Uni (no 31045/10, CEDH 2014) avec Demir et Baykara ([GC], no 34503/97, CEDH 2008).

[77]. Comparer Animal Defenders International c. Royaume-Uni ([GC], no 48876/08, CEDH 2013 (extraits)) avec VgT Verein gegen Tierfabriken c. Suisse (no 24699/94, CEDH 2001 VI).

[78]. Voir la juste appréciation de la situation par le Commissaire des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Memorandum to the Joint Committee on the Draft Voting Eligibility (Prisoners) Bill, CommDH (2013)23, 17 octobre 2013.

[79]. Voir l’arrêt de la chambre de juillet 2013 dans l’affaire Anchugov et Gladkov (dans laquelle la Cour a estimé que l’article 32 § 3 de la Constitution russe relative au droit de vote des détenus était incompatible avec les normes européennes telles qu’énoncées dans l’arrêt Hirst), l’arrêt rendu en juillet 2015 par la Cour constitutionnelle russe concernant la loi fédérale sur l’accession de la Fédération de Russie à la CEDH, la loi russe de décembre 2015 sur le pouvoir de la Cour constitutionnelle de déclarer inexécutables les décisions d’instances internationales (y compris en ce qui concerne l’indemnisation) si elles contredisent la Constitution russe et, enfin, la première application en avril 2016 de cette loi dans un arrêt de la Cour constitutionnelle, rendu précisément dans l’affaire Anchugov et Gladkov.

[80]. Voir le commentaire du Commissaire des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, La non-exécution des arrêts de la Cour : une responsabilité partagée, 23 août 2016 : « Certains arrêts peuvent être difficiles à exécuter pour des raisons techniques ou parce qu’ils touchent des questions extrêmement sensibles et complexes pour le pays, ou vont à l’encontre de l’avis de la majorité de la population. Pourtant, le système de la Convention se délite lorsqu’un État membre, puis un deuxième, puis un troisième, décident de choisir, parmi les arrêts rendus, ceux qu’ils vont mettre en œuvre. La non-exécution est aussi une responsabilité partagée et nous ne pouvons plus fermer les yeux sur ce problème. »

[81]. Cela est bien illustré par la divergence de vues dans l’affaire Ambrose entre la majorité, qui a estimé que la jurisprudence de la Cour de Strasbourg n’énonçait aucune règle claire selon laquelle l’interrogatoire par la police d’un suspect, sans que celui-ci ne bénéficie de conseils juridiques serait inéquitable sauf s’il est en garde à vue, et le juge Kerr, selon lequel la jurisprudence de la Cour de Strasbourg était suffisamment claire pour que le principe suivant soit reconnu : lorsqu’une personne devient suspecte, les questions qui lui sont ensuite posées et qui sont de nature à produire des éléments à charge doivent être précédées par une information sur ses droits à être représentée par un avocat, et toute question posée à un suspect, qu’il soit ou non en garde à vue, doit l’être, si l’intéressé le souhaite, en présence d’un avocat.

[82]. Voir l’opinion dissidente commune aux juges Ziemele, Sajó, Kalaydjieva, Vučinić et De Gaetano, jointe à l’arrêt Animal Defenders International, précité ; voir également l’interview du président Costa (2007), 5 Droits de l’Homme, pp. 77 et 78, où celui-ci met en garde contre des normes à deux, voire trois, vitesses, et l’article du président Spielmann, « Allowing the right margin: the European Court of Human Rights and the national margin of appreciation doctrine: Waiver or Subsidiarity of European Review? », (2011) 14 Cambridge Yearbook of European Legal Studies, p. 381. Voir également mon discours à l’université de Paris-Sorbonne-Assas, le 20 novembre 2015 : « Réflexions sur le renforcement de l’obligation des arrêts de la Cour », publié dans Sébastien Touze (éd.), La Cour Européenne des Droits de l’Homme, Une confiance nécessaire pour une autorité renforcée, Paris, Pedone, pp. 217-226.

[83]. Paragraphes 63 et 65 de l’arrêt.

[84]. Michael O’Boyle, ancien greffier adjoint de la Cour « The Future of the European Court of Human Rights », dans German Law Journal, 12 (2011), 10: 1862-77.

[85]. Voir le juge Mance, « Destruction or metamorphosis of the legal order? », World Policy Conference, Monaco, 14 décembre 2013.

[86]. Voir le juge Moses, « Hitting the Balls out of the Court: are Judges Stepping Over the Line? », Creaney Memorial Lecture, 26 février 2014.

[87]. Voir The Guardian, 5 mars 2013 : « Senior judge warns over deportation of terror suspects to torture states ».

[88]. Pour appuyer cet argument, un exemple suffit. À la suite de l’arrêt McCann c. Royaume-Uni, les médias se sont exprimés ainsi : « Les ministres affirment qu’ils vont ignorer cet arrêt et n’excluent pas la sanction ultime consistant à se retirer du système de la Convention. Selon une source proche du pouvoir, « toutes les options restent ouvertes, y compris le retrait ». D’après Downing Street, l’arrêt rendu dans l’affaire dite « de la mort sur le Rocher » « défie tout sens commun ». Le Vice-premier Ministre Michael Heseltine l’a qualifiée de grotesque » (Daily Mail, 28 septembre 1995).

[89]. Voir le juge Hoffmann, « Human Rights and the House of Lords », (1999) MLR 159, p. 166.

[90]. Voir le juge Hoffmann, « The Universality of Human Rights », Conférence annuelle devant le Conseil des études judiciaires, 19 mars 2009.

[91]. John Milton, Selected Prose, nouvelle edition révisée, éd. Patrides, Columbia, 1985, p. 120.

[92]. Voir, parmi d’autres, associant les deux doctrines, Bernhardt, « Thoughts on the interpretation of Human-Rights Treaties », dans Matscher et Petzhold (éds.), Protecting Human Rights: the European Dimension. Études en l’hommeur de Gérard Wiarda, Carl Heymanns, 1988, p. 71.

[93]. Voir le juge Hoffmann dans l’affaire Re G (Adoption: Unmarried Couple) 2008 UKHL 38, § 31 ; le juge Brown dans l’affaire Rabone and Another v. Pennine Care NHS Trust (2012) UKSC 2, §§ 111 et 112 ; et le juge Hodge dans l’affaire Moohan and Another v. The Lord Advocate (2014) UKSC 67, § 13.

[94]. Voir le juge Brown dans l’affaire R (Al-Skeini and others) v. Secretary of State of Defence, précité, § 107.

[95]. Expression employée par le juge Kerr, juge dissident dans l’affaire Ambrose v. Harris (Procurator Fiscal, Oban) (2011) UKSC 43, § 126 ; mais voir le juge Hope, § 20 : « Il n’appartient pas à cette Cour d’étendre la portée des droits issus de la Convention au-delà de ce qui est justifié par la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. » Le juge Irvine a approuvé cet avis dans sa conférence intitulée «A British Interpretation of Convention Rights », à l’Institut judiciaire de l’UCL, 14 décembre 2011. Pour une réponse, voir le juge Sales, « Strasbourg Jurisprudence and the Human Rights Act: A Response to Lord Irvine », dans Public Law, Issue, 2, 2012, pp. 253-267.

[96]. Voir le juge Brown dans l’affaire R (Al-Skeini and others) v. Secretary of State of Defence, précitée, § 106.

[97]. Dans la même veine, voir également la juge Hale, Warwick Law Lecture 2013, précitée, et Sir Nicholas Bratza, « The relationship between the UK courts and Strasbourg », (2011) EHRR 505, p. 512.

[98]. Voir le juge Kerr, Clifford Chance Lecture, précitée.

[99]. The White Paper, Rights Brought Home: The Human Rights Bill, 1997, Cm 3782, § 2.5.

[100]. Pour reprendre les termes employés par le juge Kerr, Clifford Chance Lecture, précitée.

[101]. Pour reprendre la formulation du juge Kerr, Clifford Chance Lecture, précitée.

[102]. Le juge Sumption (avec lequel le juge Hughes est d’accord) a clairement dit dans R (on the Application of Chester), précité, § 120, que « L’obligation de droit international du Royaume-Uni en vertu de l’article 46.1 de la Convention va plus loin que l’article 2 § 1 de la loi, mais ce n’est pas l’une des dispositions à laquelle la loi donne effet. »

[103]. Sur la mise en œuvre des principes exposés dans les arrêts, voir les commentaires du juge Bingham dans Secretary of State for the Home Department v. JJ (2007) UKHL 45, § 19 ; du juge Mance dans Kennedy v. Charity Commission, précité, § 60 ; et de la juge Hale dans Moohan and Another, précité, § 53.

[104]. Le juge Rodger fait à cet égard une synthèse parfaite dans l’affaire AF v. Secretary of State for Home Department and Another (2009) UKHL 28, § 98 ; voir également le juge Hoffmann, § 70 : « Mais le Royaume-Uni est tenu par la Convention, en vertu des règles de droit international, d’accepter les décisions de la CEDH sur son interprétation. Rejeter une telle décision reviendrait presque certainement, pour ce pays, à enfreindre une obligation qu’il a accepté en adhérant à la Convention. Je ne vois aucun avantage pour mes estimés collègues juges de faire cela. » Le point de vue du juge Hoffmann est particulièrement important parce qu’il pensait que « la décision de la CEDH est erronée et pourrait tout à fait détruire le système d’ordonnances de contrôle, qui représente une partie importante des défenses de ce pays contre le terrorisme. Néanmoins, je pense que mes estimés collègues juges n’ont d’autre choix que de se soumettre. »

[105]. Conférence sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme, Déclaration de Brighton, paragraphes 7, 9 c) iv et 12b.

[106]. Voir le juge Neuberger, « Who are the Masters now? », Second Lord Alexander of Weedon Lecture, 6 avril 2011, § 64.

[107]. Lauterpacht, « The proposed European Court of Human Rights », dans The Grotius Society, Partie II, Textes lus devant la Société Grotius en 1949, pp. 37 et 39.

[108]. Ibidem, p. 43. Renvoyant à Sir Lauterpacht, M. Barrington a admis que « nous avons sans vergogne emprunté de nombreuses idées à son projet de Convention sur les droits de l’homme élaboré pour l’Association de droit international en 1948. »

[109]. Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), 23 mars 1995, § 75, série A no 310 ; voir également l’avis de la Cour sur la réforme du système de contrôle de la Convention, 4 septembre 1992, para. I (5). Voir mon opinion dans Fabris c. France [GC], no 16574/08, CEDH 2013 (extraits), et l’opinion des juges Pinto de Albuquerque et Dedov dans Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, CEDH 2016.

[110]. Voir la juge Hale, « Common law and Interpretation: the limits of interpretation », 2011 EHRLR, p. 538.

[111]. Parmi beaucoup d’autres précédents, Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, § 29, Recueil des arrêts et décisions 1998 I, et, plus récemment, Anchugov et Gladkov c. Russie, nos 11157/04 et 15162/05, § 50, 4 juillet 2013.

[112]. Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 27996/06 et 34836/06, CEDH 2009; il s’agissait dans cette affaire d’un conflit entre les dispositions constitutionnelles relatives à la composition des plus hauts instances politiques de l’État et les normes européennes; voir aussi , plus récemment, Baka c. Hongrie [GC], précité, qui portait sur un conflit entre les dispositions constitutionnelles relatives à la composition de la Cour suprême de Hongrie et la Convention.

[113]. McNair, The Law of Treaties, 2e édition, Oxford, 1961, p. 465.

[114]. Il s’agit des termes apparaissant dans le Préambule à la Convention.

[115]. Voir la juge Hale dans The Guardian, 14 mars 2013, « Les juges regretteront l’abrogation de la loi sur les droits de l’homme, prévient la juge Hale ».

[116]. Voir la juge Hale, Warwick Law Lecture 2013, précitée.

[117]. Voir le juge Nicholls dans Ghaidan, précité, § 33. Le juge Neuberger a été encore plus incisif : « Il reste que lorsque Strasbourg parle, c’est en définitive au Parlement d’examiner quelle action il convient de prendre » (« Who are the Masters now? », précité, § 67).