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Corte europea dei diritti dell’uomo

(Quinta Sezione)

 

 

8 marzo 2012

 

DÉFINITIF

 

08/06/2012

 

 

AFFAIRE CADÈNE c. FRANCE

 

(Requête n. 12039/08)

 

 

 

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

 

 

 

 

STRASBOURG

 

 

 

 

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


 

En l’affaire Cadène c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

          Dean Spielmann, président,
          Elisabet Fura,
          Karel Jungwiert,
          Mark Villiger,
          Ann Power-Forde,
          Ganna Yudkivska,
          André Potocki, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 février 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 12039/08) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Jean Cadène (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 février 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me Frédéric Bonnet, avocat à Perpignan. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Edwige Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le requérant allègue en particulier une violation de son droit d’accès à un tribunal.

4.  Le 10 janvier 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

 

5.  Le requérant est né en 1936 et réside à Perpignan.

6.  Le 24 août 2007, la voiture du requérant fut flashée à la vitesse de 98 km/h, soit 93 km/h après application de la marge de tolérance technique, à un endroit où la vitesse était limitée à 90 km/h. De tels faits sont constitutifs d’une contravention de la quatrième classe.

7.  Le requérant reçut le 30 août 2007 un avis de contravention au code de la route l’invitant à s’acquitter d’une amende forfaitaire de 68 euros (EUR). L’avis précisait qu’en cas de payement dans les quinze jours, le montant serait ramené à 45 EUR et qu’en cas de défaut de payement dans les quarante-cinq jours, il serait majoré et porté à 180 EUR. Il était accompagné d’un « formulaire de requête en exonération (art. 529-10 et R. 49-14 du code de procédure pénale) ».

8.  Ce formulaire envisage trois situations : 1o le vol ou la destruction du véhicule ; 2o le prêt, la location ou la cession du véhicule ; 3o « autre motif ou absence des justificatifs ou des documents demandés ». Il indique que, dans la troisième hypothèse, le formulaire doit être accompagné d’un exposé sur papier libre des raisons de la contestation ou de l’absence des renseignements ou documents requis, et envoyé dans les quarante-cinq jours suivant la date d’envoi de l’avis de contravention, et que le montant de l’amende forfaitaire doit être réglé à titre de consignation. Il précise que cette consignation n’est pas assimilable au paiement de l’amende forfaitaire et n’entraîne pas de retrait de points du permis de conduire.

Le formulaire contient au verso des « informations complémentaires » suivantes : la requête en exonération est transmise à l’officier du ministère public qui vérifie si les conditions de recevabilité sont remplies ; si ce n’est pas le cas, le requérant reçoit un avis d’amende forfaitaire majorée ; si c’est le cas, l’officier du ministère public examine son bien-fondé et décide, soit de classer la contravention sans suite, soit de poursuivre l’intéressé devant la juridiction de proximité. Il est également précisé que la requête est irrecevable si le formulaire n’est pas envoyé par lettre recommandé avec demande d’avis de réception ou si, s’agissant de la troisième des situations susmentionnées, il n’est pas accompagné de l’exposé sur papier libre.

9.  Le jour même, le requérant envoya à l’officier du ministère public une lettre par laquelle il sollicitait l’obtention du cliché photographique permettant de constater l’infraction.

L’officier du ministère public lui répondit le 4 septembre 2007 qu’il avait décidé de ne pas donner suite à cette demande, le « motif de rejet [étant] : paiement non effectué ».

Le 11 septembre 2007, le requérant répondit au ministère public qu’il n’était pas d’accord avec cette décision, soulignant que « cette production n’[était] nullement subordonnée à un règlement préalable, [et qu’]elle [était] absolument essentielle pour [lui], qui [n’avait] appris qu’il [aurait] dépassé la vitesse autorisée que par l’avis de contravention ».

10.  Le 10 octobre 2007, dans le délai imparti et les formes requises, le requérant envoya le formulaire de requête en exonération, sur lequel il avait coché la case correspondant à la troisième situation (« autre motif ou absence des justificatifs ou des documents demandés »).

Le formulaire était dûment accompagné de l’avis de contravention, d’un document établissant que le requérant avait réglé la consignation et d’une lettre intitulée « mémoire » dans laquelle il reprenait les termes de son courrier du 11 septembre 2007, soulignait que la production du cliché ne pouvait être subordonnée à un paiement, et exposait notamment ce qui suit :

« (...) En l’absence de tout élément de fait susceptible d’établir l’infraction qui lui est reprochée, le mis en cause ne peut se déterminer sur la reconnaissance ou la contestation de l’infraction. Il y a là une atteinte caractérisée aux droits de la défense, incompatible avec la présomption d’innocence, dont la Cour européenne des Droits de l’Homme est le garant. Je conteste fermement l’infraction qui m’est imputée ».

11.  Par une lettre du 19 octobre 2007, l’officier du ministère public informa le requérant de sa décision de rejeter la requête en exonération « en raison du non respect des règles impératives prescrites par l’article 529-10 du code de procédure pénal ». La lettre précise que « le motif du rejet est : requête ou réclamation non motivée » ; elle ajoute ceci :

« Conformément aux dispositions de l’article R. 49-18 du Code de Procédure Pénale, la somme versée est considérée comme un paiement de l’amende forfaitaire ou de l’amende forfaitaire majorée, sous réserve que ce montant corresponde à celui de l’amende due. Le cas échéant, vous devez payer le complément au centre d’encaissement des amendes (...). »

12.  Le 31 décembre 2007, le ministère de l’Intérieur informa le requérant que la réalité de l’infraction qui lui était reprochée avait été établie par le paiement de l’amende forfaitaire et qu’en conséquence, un point serait retiré sur son permis de conduire.

13.  Le 4 février 2008, l’avocat du requérant adressa à l’officier du ministère public une lettre par laquelle il contestait l’irrecevabilité de la requête en exonération ainsi que les circonstances mêmes de l’infraction. Le 20 février 2008, ledit officier répondit au requérant en ces termes :

« Suite au recours (retrait de points) que vous avez effectué, je vous précise que le service du Fichier National des Permis de Conduire a été informé qu’en l’état actuel du dossier la contravention (...) vous est bien imputable. »

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

 

14.  Le droit et la pratique internes pertinents sont exposés dans l’arrêt Célice c. France (no 14166/09, §§ 16-19).

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 ET 13 DE LA CONVENTION

 

15.  Le requérant se plaint d’une violation de son droit d’accès à un « tribunal ». Il invoque les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, aux termes desquels :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

16.  La Cour rappelle en tout premier lieu que les exigences de l’article 6 § 1 de la Convention, qui impliquent l’ensemble des garanties propres aux procédures judiciaires, sont en principe plus strictes que celles de l’article 13, qui se trouvent absorbées par elles (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 146, CEDH 2000-XI). L’article 6 § 1 trouvant à s’appliquer en l’espèce – cela n’a d’ailleurs pas prêté à controverse entre les parties –, il convient d’examiner cette partie des requêtes sous l’angle de cette disposition uniquement.

A.  Sur la recevabilité

17.  Le Gouvernement soutient que la requête est irrecevable, faute pour le requérant d’avoir épuisé les voies de recours internes. Il souligne à cet égard que ce dernier avait la possibilité, en application de l’article 530-2 du code de procédure pénale, de soulever devant la juridiction de proximité un incident contentieux relatif à l’exécution du titre exécutoire. Il renvoie à cet égard à quatre arrêts et à un avis de la Cour de cassation (Cass. crim. 29 octobre 1997, JCP 1998 éd. G, IV, p. 1271 ; Cass. Crim., 20 mars 2002, bull. no 69 ; Cass. crim., 9 mai 2002, no 01-87396 ; Cass. crim., 29 mai 2002, bull. no 124 ; Cass. avis du 5 mars 2007, no 0070004P). Il se réfère en outre à la décision no 2010-38 QPC du septembre 2010, par laquelle le Conseil constitutionnel déclare l’article 529-10 du code de procédure pénale conforme à la Constitution.

18.  Le requérant objecte qu’il ressort tant des dispositions pertinentes du code de procédure pénal que de la jurisprudence citée par le Gouvernement que l’article 530-2 de ce code n’est applicable qu’en présence d’une amende forfaitaire majorée rendue exécutoire. Or dans son cas, l’amende forfaitaire n’a pas été majorée puisqu’elle a été payée par conversion du paiement de la consignation. Ainsi, en l’absence de titre exécutoire, il ne lui était pas possible de soulever un incident contentieux sur le fondement dudit article 530-2. Il ajoute que la décision du Conseil constitutionnel à laquelle se réfère le Gouvernement contient une importante réserve d’interprétation dont il ressort implicitement qu’un recours juridictionnel effectif n’est pas disponible dans l’hypothèse où l’officier du ministère public déclare irrecevable une requête en exonération après payement de la consignation et où la déclaration d’irrecevabilité a pour effet de convertir le paiement de la consignation en paiement de l’amende.

19.  La Cour rappelle tout d’abord que seules les voies de recours effectives et propres à redresser la violation alléguée doivent être épuisées. Plus précisément, les dispositions de l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrivent l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats ; ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues. Il incombe à l’Etat défendeur, s’il plaide le non-épuisement, de démontrer que ces conditions se trouvent réunies (voir, parmi de nombreux autres, Paksas c. Lituanie [GC], no 34932/04, 6 janvier 2011, § 75).

20.  La Cour rappelle ensuite que dans l’affaire Peltier c. France (no 32872/96, arrêt du 21 mai 2002, §§ 21-24, et décision sur la recevabilité du 29 juin 1999), dont les circonstances sont proches de celles de la présente affaire, elle a conclu que la possibilité prévue par l’article 530-2 du code de procédure pénale de soulever devant le juge (il s’agissait alors du tribunal de police) un incident contentieux relatif à l’exécution du titre exécutoire ne constituait pas un recours effectif. Elle a en effet constaté que ce recours ne concernait que la question de « l’exécution » du titre rendu exécutoire par le ministère public pour permettre au trésor public de recouvrer l’amende forfaitaire majorée : il visait à la mise en œuvre de l’obligation du ministère public d’informer le comptable du trésor de l’annulation du titre exécutoire lorsque la réclamation a été déclarée irrecevable pour un autre motif que l’absence de motivation ou du défaut d’accompagnement des avis correspondant à l’amende. Elle en a déduit que ce recours ne permettait pas de remédier au grief du requérant, qui consistait à mettre en cause le rejet de sa demande d’exonération de l’amende forfaitaire, la validité de la motivation de la décision de l’officier du ministère public rejetant sa réclamation contre l’amende forfaitaire majorée ainsi que l’entrave subséquente à son droit d’accès à un tribunal pour contester la réalité de l’infraction reprochée.

21.  Certes, depuis lors, la Cour de cassation a confirmé que le contrevenant peut élever un incident contentieux en application de l’article 530-2 lorsque la décision d’irrecevabilité de la réclamation est prise par le ministère public pour un motif autre que l’un des deux seuls prévus par l’article 530-1 du code de procédure pénale. La Cour de cassation a précisé qu’il appartient alors au juge (il s’agit désormais de la juridiction de proximité) de décider si la réclamation est recevable, la recevabilité entraînant de plein droit l’annulation du titre exécutoire et mettant l’officier du ministère public dans l’obligation de soumettre la réclamation au juge de proximité.

En l’espèce toutefois, en application de l’article R. 49-18 du code de procédure pénale, la requête en exonération ayant été déclarée irrecevable par l’officier du ministère public, la consignation acquittée par le requérant a été considérée comme valant paiement de l’amende forfaitaire. De ce fait, la procédure n’a pas donné lieu à l’amende forfaitaire majorée prévue par l’article 529-2 du code de procédure pénale, seule susceptible aux termes de cet article d’aboutir à un titre exécutoire. Il n’y a donc pas eu de titre exécutoire susceptible de fonder l’application de l’article 530-2 susmentionné. Il s’ensuit qu’en tout état de cause, le requérant n’avait pas accès à la procédure prévue par cette disposition.

22.  Il convient en conséquence de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement. Constatant par ailleurs que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

23.  Le requérant soutient que la consignation qu’il a versée ne pouvait être assimilée au paiement de l’amende forfaitaire au sens de l’article 49-18 du code de procédure pénale, puisqu’elle était concomitante d’une requête en exonération formulée conformément aux dispositions des articles 529-10 et 530 du code de procédure pénale. Sur ce dernier point, il précise qu’il a déposé une requête en exonération dans les délai et formes requis, accompagnée comme il se doit d’une lettre dans laquelle il indiquait très clairement contester l’infraction qui lui était imputée au motif que la preuve de la matérialité de l’infraction n’était pas rapportée et qu’il ne pouvait se défendre faute d’avoir accès au cliché. Ainsi, d’une part, la décision de l’officier du ministère public de rejeter sa requête comme étant non motivée était erronée. D’autre part, ledit officier s’est prononcé sur le bien-fondé de la réclamation, se substituant de la sorte au juge.

24.  Le Gouvernement estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Il considère que la requête en exonération du requérant pouvait légitimement passer pour non motivée. Il rappelle ensuite qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour que le droit à un tribunal se prête à des limitations implicites, admissibles dans la mesure où elle visent un but légitime et ne portent pas atteinte à la substance même de ce droit. Or, souligne-t-il, la Cour a jugé dans l’affaire Schneider c. France (no 49852/06, décision du 30 juin 2009) que le but du système procédural simplifié de la procédure d’amende forfaitaire – éviter l’encombrement du rôle des juridictions par des affaires d’infractions routières – est légitime. De plus, selon lui, l’on ne saurait dire que ce droit a été atteint dans sa substance même, dès lors que le requérant avait la possibilité de saisir la juridiction de proximité en application de l’article 530-2 du code de procédure pénale.

2.  Appréciation de la Cour

25.  Comme la Cour l’a rappelé dans les arrêts Peltier et Besseau précités (paragraphes 35 et 23, respectivement), qui concernaient des circonstances proches de celles de l’espèce, le droit à un tribunal, dont le droit d’accès constitue un aspect, n’est pas absolu ; il se prête à des limitations implicites, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d’un recours. Celles-ci ne peuvent toutefois en restreindre l’exercice d’une manière ou à un point tels qu’il se trouve atteint dans sa substance même, elles doivent tendre à un but légitime et il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

26.  En l’espèce, la Cour constate que le requérant a déposé une requête en exonération au sens de l’article 529-10 du code de procédure pénale. Elle relève en particulier qu’il a à cette fin adressé à l’officier du ministère public – il s’agit d’un commissaire de police –, dans les formes et délai prescrits, le formulaire intitulé « formulaire de requête en exonération (art. 529-10 et R. 49-14 du code de procédure pénale) » joint à l’avis de contravention. Il a par ailleurs, conformément à l’article 529-10 2o du code de procédure pénal, indiqué sur ce formulaire qu’il se trouvait dans la troisième des situations envisagées – précisant de la sorte qu’il sollicitait l’exonération pour « autre motif ou absence des justificatifs ou des documents demandés » –, a joint comme requis un exposé sur papier libre indiquant les raisons de la contestation et de l’absence de justificatifs, et a justifié du règlement du montant de l’amende forfaitaire à titre de consignation.

La Cour note ensuite qu’il ressort de l’article 530-1 du code de procédure pénale que, chargé de vérifier les conditions de recevabilité des requêtes en exonération, l’officier du ministère public, a trois possibilités : soit renoncer à l’exercice des poursuites, soit saisir la juridiction compétente, soit, lorsque la requête n’est pas motivée ou n’est pas accompagnée de l’avis, aviser l’intéressé de son irrecevabilité. En l’espèce, il a considéré que la requête était irrecevable au motif qu’il s’agissait d’une « requête ou réclamation non motivée » (paragraphe 11 ci-dessus). Or, d’une part, il résulte de ce qui précède que ce motif est erroné, le requérant ayant clairement indiqué dans le formulaire prévu à cet effet contester l’infraction qui lui était reprochée, et précisé ses motifs dans la lettre accompagnant comme il se doit sa requête en exonération (paragraphe 10 ci-dessus) ; il n’est en outre pas exclu qu’en portant cette appréciation, l’officier du ministère public, dont le pouvoir d’appréciation se limite à l’examen de la recevabilité formelle de la contestation, ait excédé ses pouvoirs. D’autre part, comme indiqué précédemment (paragraphe 21 ci-dessus), la décision d’irrecevabilité de l’officier du ministère public a entraîné l’encaissement de la consignation équivalant au paiement de l’amende forfaitaire par application de l’article R. 49-18 du code de procédure pénale. Ainsi, nonobstant la contestation du requérant, l’amende était payée et l’action publique était éteinte, sans qu’un « tribunal », au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, ait examiné le fondement de l’« accusation » dirigée contre lui et entendu ses arguments y relatifs.

27.  La Cour en déduit que le droit d’accès à un tribunal du requérant s’est trouvé atteint dans sa substance même.

28.  Au surplus, la Cour prend acte du fait que, dans sa décision no 2010‑38 QPC du 29 septembre 2010, le Conseil Constitutionnel a jugé que, dans le cas où l’officier du ministère public déclare irrecevable une requête en exonération contre une amende forfaitaire après que le requérant a payé la consignation et où la déclaration d’irrecevabilité a pour effet de convertir le paiement de la consignation en paiement de l’amende, l’impossibilité de saisir la juridiction de proximité d’un recours contre cette décision est incompatible avec le « droit à un recours juridictionnel effectif ».

29.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

 

II.  SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION

 

30.  Le requérant se plaint du fait qu’en refusant de lui transmettre le cliché photographique relatif aux faits qui lui était reprochés, le ministère public l’a privé de la possibilité de se défendre. Il en déduit une méconnaissance de son droit à la présomption d’innocence, que l’article 6 § 2 de la Convention consacre en ces termes :

« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

31.  La Cour considère que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne relève aucune autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.

Cependant, eu égard à sa conclusion selon laquelle il y eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour estime qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 6 § 2 de la Convention (Peltier précité, § 43).

 

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

 

32.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

33.  Le requérant réclame 68 EUR au titre du préjudice matériel, cette somme correspondant au montant de l’amende forfaitaire qu’il a acquitté, et 800 EUR pour préjudice moral. Il demande en outre à la Cour d’ordonner le report au crédit de points de son permis de conduire, du point retiré en conséquence de l’infraction litigieuse.

34.  Le Gouvernement marque son accord avec le requérant s’agissant du dommage matériel. Il estime en revanche que, le cas échéant, le constat de violation suffirait à réparer le préjudice moral.

35.  La Cour estime que l’on ne peut retenir qu’il y a un lien de causalité entre la violation constatée et le préjudice matériel allégué, sauf à spéculer sur l’issue qu’aurait eu la procédure si le requérant avait eu accès à un tribunal pour contester l’infraction qui lui était imputée. Elle rejette donc cette partie de la demande. Si elle admet en revanche que le requérant a subi un dommage moral du fait de la méconnaissance de l’article 6 § 1 de la Convention, elle considère que ce dommage se trouve suffisamment compensé par la conclusion de violation à laquelle elle est parvenue. Quant à la mesure sollicitée par le requérant, elle sort des compétences de la Cour.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

 

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

 

3.  Dit qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 6 § 2 de la Convention ;

 

4.  Dit que le constat de violation auquel elle parvient constitue une satisfaction équitable suffisante s’agissant du dommage moral ;

 

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 mars 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia Westerdiek                                                              Dean Spielmann
       Greffière                                                                              Président