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Corte europea dei diritti dell’uomo (Sezione II), 31 marzo 2009

(requête n. 22644/03)

 

 

AFFAIRE SIMALDONE c. ITALIE

 

 

DÉFINITIF

30/06/2009

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

 

En l’affaire Simaldone c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente, 
Ireneu Cabral Barreto, 
Vladimiro Zagrebelsky, 
Danutė Jočienė, 
Dragoljub Popović, 
András Sajó, 
Işıl Karakaş, juges, 
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 mars 2009,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 22644/03) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Francesco Simaldone (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 juillet 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me G. Romano, avocat à Bénévent. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté successivement par ses agents, MM. I.M. Braguglia, R. Adam et Mme E. Spatafora, et ses coagents, MM. V. Esposito et F. Crisafulli, ainsi que par son coagent adjoint, M. N. Lettieri.

3.  Le 20 novembre 2007, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, elle a en outre décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4.  Le requérant est né en 1929 et réside à Bénévent.

A.  La procédure principale

5.  Le 6 octobre 1992, le requérant assigna le service local de santé publique (« Unità Sanitaria Locale », ci-après « U.S.L. »), dont il était salarié, devant le tribunal administratif régional (« le TAR ») de Campanie (RG no 9633/92), afin d’obtenir le remboursement du prix des repas quotidiens (4,13 euros [EUR] par jour) auquel il estimait avoir droit à partir du 1er janvier 1991.

6.  Le 21 octobre 1992, le requérant présenta une demande de fixation d’audience.

7.  Les parties n’ont fourni aucune information sur les développements de la procédure, qui demeurait pendante à la date de la décision « Pinto », le 27 janvier 2003 (paragraphe 9 ci-dessous).

B.  La procédure « Pinto »

8.  Le 17 avril 2002, le requérant saisit la cour d’appel de Rome au sens de la loi « Pinto » et demanda la constatation d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et, notamment, 10 846 EUR à titre de dommage moral.

9.  Par une décision du 27 janvier 2003, dont le texte fut déposé au greffe le 26 mars 2003, la cour d’appel considéra la procédure jusqu’à la date de la décision et constata le dépassement d’une durée raisonnable. Elle accorda 700 EUR en équité au requérant comme réparation du dommage moral ainsi que 1 000 EUR à son avocat pour frais et dépens, y compris ceux relatifs à la procédure devant la Cour. Non notifiée, cette décision devint définitive le 10 mai 2004.

10.  La somme accordée en exécution de la décision Pinto, y compris les intérêts, fut payée le 6 avril 2004, à la suite d’une saisie. Le requérant reçut 723 EUR.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Le droit et la pratique interne pertinents relatifs à la loi « Pinto »

11.  Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto » figurent dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006-...).

12.  Notamment, la loi « Pinto » dispose entre autres :

Article 2 – Droit à une satisfaction équitable

« 1.  (...)

3.  Le juge détermine le montant de la réparation conformément à l’article 2056 du code civil, en respectant les dispositions suivantes :

a)  seul le préjudice qui peut se rapporter à la période excédant le délai raisonnable indiqué au paragraphe 1 peut être pris en compte ;

(...) »

Article 3 – Procédure

« 1.  (...)

6.  La cour prononce, dans les quatre mois suivant la formation du recours, une décision susceptible de pourvoi en cassation. La décision est immédiatement exécutoire.

7.  Le paiement des indemnités aux ayants droit a lieu, dans la limite des ressources disponibles, à compter du 1er janvier 2002. »

Article 5 – Communication

« La décision qui fait droit à la demande est communiquée par le greffe, non seulement aux parties, mais aussi au procureur général près la Cour des comptes afin de permettre l’éventuelle instruction d’une procédure en responsabilité, et aux titulaires de l’action disciplinaire des fonctionnaires concernés par la procédure. »

13.  La Cour de cassation plénière (Sezioni Unite), saisie de recours contre des décisions rendues par des cours d’appel dans le cadre de procédures « Pinto », a rendu le 27 novembre 2003 quatre arrêts de cassation avec renvoi (nos 1338, 1339, 1340 et 1341), dont les textes furent déposés au greffe le 26 janvier 2004 et dans lesquels elle a affirmé que « la jurisprudence de la Cour de Strasbourg s’impose aux juges italiens en ce qui concerne l’application de la loi no 89/2001 ».

Elle a notamment affirmé dans son arrêt no 1340 le principe selon lequel :

« la détermination du dommage extrapatrimonial effectuée par la cour d’appel conformément à l’article 2 de la loi nº 89/2001, bien que par nature fondée sur l’équité, doit intervenir dans un environnement qui est défini par le droit puisqu’il faut se référer aux montants alloués, dans des affaires similaires, par la Cour de Strasbourg, dont il est permis de s’éloigner mais de façon raisonnable. »

B.  Le droit interne pertinent en matière de publication, communication, notification et exécution des décisions judiciaires en matière civile

14.  Les dispositions du code de procédure civile en la matière se lisent ainsi dans leurs parties pertinentes :

Article 133 – Publication et communication de l’arrêt

« L’arrêt est rendu public par son dépôt auprès du greffe de la juridiction qui l’a rendu.

Le greffier atteste le dépôt au bas de la décision et y appose la date et sa signature; dans les cinq jours, il en informe les parties par un avis contenant le dispositif. (...) »

Article 136 – Communications

« Le greffier, par billet de greffe (biglietto di cancelleria) en papier non timbré, fait les communications prescrites par la loi ou par le juge au Parquet, aux parties, à l’expert, aux autres auxiliaires du juge et aux témoins, et donne connaissance des décisions pour lesquelles la loi prescrit telle forme abrégée de communication. (...) »

Article 137 – Notifications

« Les notifications, quand il n’est pas prévu autrement, sont exécutées par l’huissier de justice, sur demande (istanza) de la partie ou sur requête (richiesta) du Parquet ou du greffier. (...) »

Article 475 – Apposition de la formule exécutoire

« Les arrêts et les autres décisions de l’autorité judiciaire (...), pour valoir titre pour l’exécution forcée, doivent être munis de la formule exécutoire, sauf si la loi dispose autrement. (...) »

Article 479 – Notification du titre exécutoire et de la mise en demeure (precetto)

« A moins que la loi n’en dispose autrement, l’exécution forcée doit être précédée par la notification du titre revêtu de la formule exécutoire et de la mise en demeure. (...) »

15.  L’article 14 de la loi no 30 du 28 février 1997 dispose entre autres :

Article 14 – Exécution forcée contre les administrations publiques

« 1.  Les administrations de l’Etat et les organismes publics à caractère non économique accomplissent les procédures d’exécution des décisions judiciaires et des sentences arbitrales exécutoires comportant l’obligation de payer des sommes d’argent dans les cent-vingt jours suivant la notification du titre revêtu de la formule exécutoire. Avant l’échéance de ce délai, le créancier n’a pas le droit d’entamer de procédure d’exécution forcée ni de notifier la mise en demeure. (...) »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

16.  Le requérant se plaint de la durée de la procédure civile. Après avoir épuisé la voie de recours « Pinto », il considère que le montant accordé par la cour d’appel à titre de dommage moral n’est pas suffisant pour réparer le préjudice causé par la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

17.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

18.  L’article 6 § 1 est ainsi libellé  dans sa partie pertinente :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A.  Sur la recevabilité

1.  Qualité de « victime »

19.  Selon le Gouvernement, le requérant n’est plus « victime » de la violation de l’article 6 § 1 car il a obtenu de la cour d’appel de Rome un constat de violation et un redressement approprié et suffisant par rapport au très faible enjeu du litige.

20.  Il affirme que la cour d’appel de Rome a tranché l’affaire en conformité avec les paramètres indemnitaires dégagés des précédents disponibles à l’époque dans la jurisprudence de la Cour. Il souligne qu’il serait inapproprié d’apprécier l’évaluation de la cour d’appel, faite quelques mois après l’entrée en vigueur de la loi « Pinto », sur la base des paramètres introduits par la Cour lors des arrêts de la Grande Chambre du 29 mars 2006 (ex pluribus, Cocchiarella c. Italie, précité). Selon le Gouvernement, les indemnisations qui résulteraient de l’application à des « affaires du passé » de ces critères, conçus pour l’époque actuelle, seraient au moins doubles et parfois triples par rapport à celles accordées dans des requêtes italiennes de durée tranchées par la Cour auparavant.

21.  Les paramètres établis par la Grande Chambre, formulés de façon apodictique, parviendraient, selon le Gouvernement, à des résultats déraisonnables, injustes et incompatibles avec l’esprit et les buts de la Convention. Les indemnisations que la Cour octroie dans les requêtes italiennes de durée en application de ces critères seraient doubles ou triples par rapport à celles accordées auparavant dans des affaires similaires d’autres pays qui ne disposeraient même pas d’un remède interne contre la durée excessive des procédures.

22.  Le Gouvernement précise enfin qu’aux termes de la loi « Pinto », ce ne sont que les années dépassant la durée « raisonnable » qui peuvent être prises en compte pour déterminer le montant de l’indemnisation à octroyer par la cour d’appel.

23.  Le requérant estime qu’il est toujours « victime » de la violation dans la mesure où la procédure « Pinto » a eu une durée excessive. En outre, la somme allouée à titre d’indemnisation est dérisoire et a été versée en retard. Selon lui, l’enjeu du litige ne serait pas pertinent pour évaluer sa qualité de « victime », car toute personne a droit à ce que sa cause soit examinée dans un délai raisonnable, indépendamment de l’enjeu de la procédure nationale.

24.  La Cour rappelle que, selon l’article 34 de la Convention, elle « peut être saisie d’une requête par toute personne physique (...) qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. (...) ». A cet égard, elle reconnaît qu’il appartient en premier lieu aux autorités nationales de redresser une violation alléguée de la Convention. Il s’ensuit que la question de savoir si un requérant peut se prétendre victime du manquement allégué se pose à tous les stades de la procédure au regard de la Convention (Bourdov c. Russie, no 59498/00, § 30, CEDH 2002-III).

25.  Toutefois, une décision ou mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, et réparé la violation de la Convention (voir, par exemple, Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, §§ 69 et suiv., série A no 51 ; Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1996-III ; Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI ; Jensen c. Danemark (déc.), no 48470/99, CEDH 2001-X).

26.  Il appartient à la Cour de vérifier, a posteriori, d’une part, s’il y a eu reconnaissance par les autorités, au moins en substance, d’une violation d’un droit protégé par la Convention et, d’autre part, si le redressement opéré peut être considéré comme approprié et suffisant (voir, notamment, Normann c. Danemark (déc.), no 44704/98, 14 juin 2001 ; Jensen et Rasmussen c. Danemark (déc.), no 52620/99, 20 mars 2003 ; Nardone c. Italie (déc.), no 34368/02, 25 novembre 2004).

27.  La première condition, à savoir la reconnaissance par les autorités nationales d’une violation de la Convention, ne prête pas à controverse.

28.  Quant à la seconde condition, à savoir que le requérant ait bénéficié d’un redressement approprié et suffisant, la Cour a déjà indiqué que, même si un recours doit être regardé comme « effectif » dès lors qu’il permet soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés, cette conclusion n’est valable que pour autant que l’action indemnitaire demeure elle-même un recours efficace, adéquat et accessible permettant de sanctionner la durée excessive d’une procédure judiciaire (Paulino Tomas c. Portugal (déc.), no 58698/00, CEDH 2003-VIII).

29.  La Cour note d’abord que la procédure « Pinto » devant la cour d’appel a duré du 17 avril 2002 au 26 mars 2003, soit onze mois pour un degré de juridiction, ce qui constitue une durée excessive, eu égard à la nature de la voie de recours « Pinto ».

30.  Elle estime en outre qu’en se bornant à octroyer une somme de 700 EUR au requérant pour dommage moral, la cour d’appel de Rome n’a pas réparé la violation en cause de manière appropriée et suffisante. Se référant aux principes dégagés dans sa jurisprudence (voir, entre autres, Cocchiarella c. Italie, précité, §§ 69-98), la Cour relève en effet que la somme en question ne représente guère plus que 7,8 % de ce qu’elle octroie généralement dans des affaires italiennes similaires. Quant à l’incidence de l’enjeu du litige, elle observe que celui-ci représente sans nul doute l’un des critères consacrés par sa jurisprudence, comme la complexité de l’affaire et le comportement de la partie requérante et des autorités compétentes, dans l’appréciation du dépassement du délai raisonnable ainsi que du dommage moral subi (voir Aragosa c. Italie, no 20191/03, § 22, 18 décembre 2007). Toutefois, elle rappelle que, même lorsque cet enjeu est de faible importance, les procédures en matière de droit du travail, telles la présente, ainsi que les procédures en matière d’état et de capacité des personnes, doivent être menées de manière particulièrement rapide. Néanmoins, l’enjeu du litige pourra éventuellement justifier une réduction du montant à allouer aux termes de l’article 41 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Aragosa c. Italie, précité, § 22). Quant à la circonstance que la loi « Pinto » ne permet pas d’indemniser le requérant pour la durée globale de la procédure mais prend en compte le seul préjudice qui peut se rapporter à la période excédant le « délai raisonnable » (article 2, alinéa 3, lettre a) de ladite loi) (paragraphe 12 ci-dessus), la Cour rappelle qu’un Etat partie à la Convention dispose d’une marge d’appréciation pour organiser une voie de recours interne de façon cohérente avec son propre système juridique et ses traditions, en conformité avec le niveau de vie du pays (Cocchiarella c. Italie, précité, § 80). La circonstance que la méthode de calcul de l’indemnisation prévue en droit interne ne correspond pas exactement aux critères énoncés par la Cour n’est pas décisive pourvu que les juridictions « Pinto » parviennent à octroyer des sommes qui ne soient pas déraisonnables par rapport à celles allouées par la Cour dans des affaires similaires (Cocchiarella c. Italie, précité, § 105).

31. Enfin, la Cour observe que l’indemnité allouée au requérant ne lui a été effectivement versée que le 6 avril 2004, soit douze mois après le dépôt au greffe de la décision de la cour d’appel.

32.  Quant aux observations du Gouvernement relatives à une prétendue incohérence entre, d’une part, les paramètres indemnitaires dégagés dans les arrêts de la Grande Chambre du 29 mars 2006 et, d’autre part, ceux suivis dans les requêtes italiennes de durée précédemment tranchées par la Cour ainsi que dans les affaires similaires d’autres pays, la Cour rappelle qu’elle a rejeté une exception semblable dans l’arrêt Aragosa c. Italie (précité, §§ 17-24). Après avoir procédé à l’analyse de sa jurisprudence aussi bien antérieure que postérieure au 29 mars 2006 et à un examen comparatif des sommes allouées à titre de satisfaction équitable respectivement dans les affaires italiennes de durée de procédure et les affaires similaires concernant d’autres Etats Contractants, la Cour avait observé que les sommes octroyées dans des affaires italiennes postérieures au 29 mars 2006 sont loin d’être triples, ou même doubles, par rapport à celles allouées auparavant dans des affaires comparables d’autres pays citées par le Gouvernement à titre d’exemple. La Cour n’aperçoit aucune raison de déroger à ses précédentes conclusions et rejette donc l’exception.

33.  La Cour considère donc qu’eu égard aux insuffisances du redressement opéré, le requérant peut toujours se prétendre « victime » au sens de l’article 34 de la Convention.

2.  Conclusion

34.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il doit partant être déclaré recevable.

B.  Sur le fond

35.  En ce qui concerne le premier volet du grief, la Cour estime que la période litigieuse s’étend du 6 octobre 1992, jour de l’assignation de l’U.S.L. devant le TAR de Campanie, jusqu’au 27 janvier 2003, date prise en considération par la cour d’appel « Pinto » et à laquelle, selon les informations contenues dans le dossier de la requête, la procédure principale était pendante. Elle avait donc déjà duré un peu plus de dix ans et trois mois pour un degré de juridiction.

36.  Après avoir examiné les faits à la lumière des informations fournies par les parties et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce, la durée de la procédure litigieuse a été excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

37.  Quant à l’autre volet, la Cour observe qu’elle vient de juger que le montant accordé ne permettait pas de considérer le redressement offert en l’occurrence comme suffisant, d’autant plus que la durée de la procédure « Pinto » a été excessive et le paiement de l’indemnisation « Pinto » s’est avéré tardif.

38.  En conclusion, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

II.  SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 6 § 1 DE LA CONVENTION ET 1 DU PROTOCOLE No 1 DU FAIT DU RETARD DANS LE PAIEMENT DE L’INDEMNISATION « PINTO »

39.  Le requérant affirme que le retard mis par les autorités nationales à se conformer à la décision « Pinto » de la cour d’appel de Rome a entraîné la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, précité, et l’article 1 du Protocole no 1 ainsi libellé dans sa partie pertinente :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général (...) »

40.  Le Gouvernement conteste cette thèse.

A.  Sur la recevabilité

1.  Non-épuisement des voies de recours internes

41.  Excipant du non-épuisement des voies de recours internes, le Gouvernement soutient que le retard litigieux ne saurait être considéré comme un refus ou une carence grave de remplir l’obligation d’exécuter une décision de justice mais devrait être qualifié uniquement sous l’angle du respect du délai raisonnable. Il estime que le requérant aurait dû entamer une nouvelle procédure « Pinto » afin de se plaindre de la durée de l’exécution de la décision « Pinto ».

42.  En ce qui concerne l’ article 6 § 1 de la Convention, la Cour rappelle que le droit à un tribunal garanti par cette disposition inclut le droit à l’exécution d’une décision judiciaire définitive et obligatoire et que l’exécution d’un jugement doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6 (voir, notamment, Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40 et suiv., Recueil 1997-II ; Metaxas c. Grèce, no 8415/02, § 25, 27 mai 2004). L’exécution étant la seconde phase de la procédure au fond, le droit revendiqué ne trouve sa réalisation effective qu’au moment de l’exécution (voir, entre autres, les arrêts Di Pede c. Italie et Zappia c. Italie, 26 septembre 1996, respectivement §§  22, 24, 26 et 18, 20, 22, Recueil 1996-IV ; mutatis mutandis, Silva Pontes c. Portugal, 23 mars 1994, § 33, série A no 286-A).

43.  Dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie précité (§§ 36-107), la Cour a pris en considération le retard dans le paiement de l’indemnisation « Pinto » afin d’évaluer le caractère approprié et suffisant du redressement offert par ce remède pour la violation du droit au « délai raisonnable ». Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (voir, en premier lieu, Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil 1998-I), la Cour estime qu’il y a lieu d’analyser ce grief sous l’angle du droit du requérant à un tribunal tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention et notamment de l’obligation de l’Etat de se conformer à une décision judiciaire exécutoire.

44.  Enfin, la Cour considère qu’exiger du requérant un nouveau recours « Pinto » pour se plaindre de la durée de l’exécution de la décision « Pinto », comme le suggère le Gouvernement, reviendrait à enfermer le requérant dans un cercle vicieux où le dysfonctionnement d’un remède l’obligerait à en entamer un autre. Une telle conclusion serait déraisonnable et constituerait un obstacle disproportionné à l’exercice efficace par le requérant de son droit de recours individuel, tel que défini à l’article 34 de la Convention (voir en ce sens Vaney c. France, no 53946/00, § 53, 30 novembre 2004 et, mutatis mutandis, Kaić c. Croatie, no 22014/04, § 32, 17 juillet 2008).

45.  Quant à l’article 1 du Protocole no 1, la Cour rappelle que l’impossibilité pour une personne d’obtenir l’exécution d’un jugement rendu en sa faveur constitue une ingérence dans son droit au respect de ses biens, qui relève de la première phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 (voir Bourdov c. Russie, précité, § 40).

46.  Le grief du requérant pouvant être analysé aussi sous l’angle de cette disposition, la Cour estime que l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement de la voie de recours « Pinto » n’est pas pertinente en l’espèce et doit donc être rejetée.

2.  Conclusion

47.  La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

B.  Sur le fond

48.  En ce qui concerne l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour rappelle avoir déjà statué (voir, en premier lieu, Cocchiarella c. Italie, précité, § 89) que s’il est admissible qu’une administration puisse avoir besoin d’un certain laps de temps pour procéder à un paiement, néanmoins, s’agissant d’un recours indemnitaire visant à redresser les conséquences de la durée excessive de procédures, ce laps de temps ne devrait généralement pas dépasser six mois à compter du moment où la décision d’indemnisation devient exécutoire.

49.  En outre, une autorité de l’Etat ne saurait prétexter du manque de ressources pour ne pas honorer une dette fondée sur une décision de justice (voir Cocchiarella c. Italie, précité, § 90 ; Bourdov c. Russie, précité, § 35).

50.  La Cour note que la somme octroyée par la juridiction « Pinto » n’a été versée que le 6 avril 2004, soit douze mois après le dépôt au greffe de la décision de la cour d’appel. Ce paiement a donc largement dépassé les six mois à compter du moment où la décision d’indemnisation devint exécutoire.

51.  Le Gouvernement soutient que le délai de six mois pour procéder au paiement de l’indemnisation « Pinto » devrait être calculé à partir du moment où la décision de la cour d’appel « Pinto » est communiquée à l’Administration par le greffe au sens de l’article 136 du code de procédure civile ou à compter de la notification à l’Administration par le requérant aux termes des articles 137, 475 et 479 du même code (paragraphe 14 ci-dessus).

52.  Quant à l’exception relative à la communication de la décision « Pinto » par le greffe de la cour d’appel, la Cour note d’abord qu’aux termes des articles 5 de la loi « Pinto » et 133 du code de procédure civile (paragraphes 12 et 14 ci-dessus), ladite communication doit être faite dans les cinq jours suivant le dépôt au greffe de la décision. Or, même en calculant le délai de six mois établi dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie au plus tard cinq jours après le dépôt au greffe de la décision « Pinto », cette circonstance ne serait pas déterminante. Par ailleurs, une communication tardive de la décision « Pinto » par le greffe de la cour d’appel ne saurait être mise à la charge du requérant, puisque le retard serait en tout cas imputable à l’Etat défendeur.

53.  Quant à la prétendue nécessité de notification de la décision « Pinto » par les soins du requérant, la Cour constate qu’aux termes de l’article 3 alinéa 6 de la loi « Pinto » (paragraphe 12 ci-dessus), la décision rendue par la cour d’appel est immédiatement exécutoire. Il s’ensuit que l’Administration est tenue de la mettre à exécution dès son dépôt au greffe, en versant au bénéficiaire l’indemnisation « Pinto » octroyée par la cour d’appel. La notification n’est nécessaire qu’aux fins d’entamer une procédure d’exécution forcée (article 479 du code de procédure civile). En l’espèce, la Cour rappelle avoir jugé inopportun de demander à une personne qui a obtenu une créance contre l’Etat à l’issue d’une procédure judiciaire d’engager par la suite une procédure d’exécution forcée afin d’obtenir satisfaction (Metaxas c. Grèce, précité, § 19 ; Karahalios c. Grèce, no 62503/00, § 23, 11 décembre 2003) et que, dans le cadre du recours « Pinto », les intéressés n’ont pas d’obligation d’entamer une procédure d’exécution (voir Delle Cave et Corrado c. Italie, no 14626/03, §§ 23-24, 5 juin 2007, CEDH 2007-...).

54.  A la lumière de ces considérations, la thèse du Gouvernement quant au dies a quo pour le calcul du retard dans le paiement de l’indemnisation « Pinto » ne saurait être accueillie et, partant, le délai de six mois pour effectuer ce paiement court, conformément à la jurisprudence Cocchiarella c. Italie, à partir de la date où la décision devient exécutoire, c’est-à-dire la date du dépôt au greffe de la décision « Pinto », non attaquée en l’espèce devant la Cour de cassation par aucune des parties à la procédure.

55.  Dès lors, en s’abstenant pendant douze mois de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à la décision de la cour d’appel « Pinto » rendue en l’espèce, les autorités italiennes ont privé les dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention de tout effet utile.

56.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1, sous l’angle du droit à l’exécution des décisions judiciaires.

57.  Sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, le Gouvernement soutient que cette disposition n’a pas été violée en l’espèce au motif que le retard dans l’exécution de la décision « Pinto » serait négligeable et compensé par l’octroi d’intérêts moratoires.

58.  Le requérant affirme que le dommage moral découlant de la violation du « délai raisonnable » ne saurait être compensé par l’octroi d’intérêts moratoires, qui visent à neutraliser le dommage matériel découlant de la non-disponibilité d’une somme d’argent.

59.  La Cour estime qu’à la lumière de sa jurisprudence (voir Bourdov c. Russie, précité, § 40), le retard litigieux s’analyse en une ingérence dans le droit au respect des biens du requérant.  Or, dans la présente affaire, le Gouvernement n’a fourni aucune justification pour cette ingérence, et la Cour estime qu’un éventuel manque de ressources ne saurait légitimer une telle omission (Bourdov c. Russie, précité, § 41).

60.  La Cour rappelle aussi que, dans l’arrêt Shmalko c. Ukraine (no 60750/00, § 56, 20 juillet 2004), elle a conclu à une violation de l’article 1 du Protocole no 1 dans une affaire où la décision rendue en faveur du requérant avait été mise en exécution quinze mois après son prononcé.  Dans une affaire où une décision d’indemnisation pour détention illégale avait été mise à exécution douze mois après avoir été rendue, la Cour a observé que, même si ce retard pouvait être considéré non excessif per se, la nature de la décision devait être prise en compte (Lupacescu et autres c. Moldova, nos 3417/02, 5994/02, 28365/02, 5742/03, 8693/03, 31976/03, 13681/03, et 32759/03, § 23, 21 mars 2006). La Cour a souligné qu’un retard dans le paiement de la somme allouée devait avoir aggravé pour le requérant la frustration résultant de sa détention illégale (ibidem). Elle a, par conséquent, conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 (Lupacescu, précité, § 24).

61.  La Cour estime tout d’abord que ce raisonnement doit être suivi, mutatis mutandis, en l’espèce, car le requérant a entamé une procédure en réparation (circonstance non contestée par le Gouvernement) afin d’être dédommagé du préjudice découlant de la violation de son droit à un procès dans un « délai raisonnable » et s’est ensuite retrouvé à subir la frustration additionnelle résultant de la difficulté à obtenir le versement de l’indemnisation.

62.  Quant au seuil susceptible d’entraîner une violation de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour estime opportun de se référer là aussi à un délai de six mois à partir du moment où la décision, non attaquée devant la Cour de cassation par aucune des parties à la procédure, devient exécutoire.

63.  Pour ce qui est enfin de l’argument du Gouvernement selon lequel le retard aurait été compensé par l’octroi d’intérêts moratoires, la Cour relève que le requérant a reçu 23 EUR à titre d’intérêts pour un retard de douze mois dans le paiement de la somme « Pinto ». Toutefois, eu égard à la nature de la voie de recours interne et au fait que le requérant n’était pas tenu d’entamer une procédure d’exécution, la Cour estime que le versement des intérêts ne saurait être déterminant en l’espèce.

64.  Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

III.  SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 13 ET 53 DE LA CONVENTION DU FAIT DE L’INSUFFISANCE ET DU RETARD DANS LE PAIEMENT DE L’INDEMNISATION « PINTO » OBTENUE PAR LE REQUERANT

65.  Sur le terrain des articles 13 et 53 de la Convention, le requérant se plaint de l’ineffectivité du remède « Pinto », en raison de l’insuffisance de la réparation octroyée par la cour d’appel de Rome. Il se plaint en outre du retard dans le paiement de l’indemnisation « Pinto ».

66.  Les articles 13 et 53 de la Convention sont ainsi libellés :

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

Article 53

« Aucune des dispositions de la (...) Convention ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales qui pourraient être reconnus conformément aux lois de toute Partie contractante ou à toute autre Convention à laquelle cette Partie contractante est partie. »

A.  Sur la recevabilité

67.  La Cour estime d’abord que ces griefs doivent être considérés uniquement sous l’angle de l’article 13 de la Convention.

68.  En ce qui concerne le volet du grief relatif à l’insuffisance de l’indemnisation « Pinto », la Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Il implique que l’instance nationale compétente soit habilitée, d’abord, à connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et, ensuite, à offrir un redressement approprié dans les cas qui le méritent (voir Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 17, ECHR 2002-VIII ; Cocchiarella c. Italie, précité, §§ 77-79 ; Surmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 99, 8 juin 2006). Cela étant, le droit à un recours effectif au sens de la Convention ne saurait être interprété comme donnant droit à ce qu’une demande soit accueillie dans le sens souhaité par l’intéressé (Surmeli c. Allemagne, précité, § 98).

69.  La Cour rappelle aussi qu’en janvier 2004, la Cour de cassation, par les arrêts nos 1338, 1339, 1340 et 1341, a posé le principe selon lequel « la détermination du dommage extrapatrimonial effectuée par la cour d’appel conformément à l’article 2 de la loi nº 89/2001, bien que par nature fondée sur l’équité, doit intervenir dans un environnement qui est défini par le droit puisqu’il faut se référer aux montants alloués, dans des affaires similaires, par la Cour de Strasbourg, dont il est permis de s’éloigner mais de façon raisonnable » (voir paragraphe 13 ci-dessus, ainsi que Cocchiarella c. Italie, précité, §§ 24-25). A la suite de ce revirement, la Cour a considéré qu’à partir du 26 juillet 2004, date à laquelle ces arrêts, et notamment l’arrêt n1340 de la Cour de cassation, ne pouvaient plus être ignorés du public, il devait être exigé des requérants qu’ils usent du recours en cassation au sens de la loi « Pinto » aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention (Di Sante c. Italie (déc.), no 56079/00, 24 juin 2004 ; Cocchiarella c. Italie, précité, §§ 42-44).

70.  La règle de l’épuisement préalable des voies de recours internes établie par l’article 35 § 1 de la Convention présentant d’étroites affinités avec l’exigence d’effectivité des remèdes internes, inscrite dans l’article 13 (voir en ce sens Scordino c. Italie (déc.), n36813/97, CEDH 2003-IV), dans la décision Di Sante c. Italie précitée, la Cour, en considérant le recours en cassation au sens de la loi « Pinto » comme une voie de recours à épuiser, a implicitement reconnu le caractère effectif du remède « Pinto ».

71.  D’ailleurs, dans l’arrêt Delle Cave et Corrado c. Italie (précité, §§ 43-46) la Cour a déjà estimé que la simple insuffisance du montant de l’indemnisation accordée à un requérant dans le cadre de la procédure « Pinto » ne constitue pas en soi un élément suffisant pour remettre en cause l’effectivité du recours « Pinto ».

72.  Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu’il y a lieu de déclarer le volet du grief tiré de l’article 13 et portant sur l’insuffisance de l’indemnisation « Pinto » irrecevable pour défaut manifeste de fondement au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

73.  Pour ce qui est du volet du grief tiré du retard dans le paiement de l’indemnisation « Pinto », le Gouvernement soulève l’exception que la Cour vient de rejeter aux paragraphes 41-46 ci-dessus.

74.  Le requérant n’a pas pris position.

75.  Ce grief n’étant pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et ne se heurtant à aucun autre motif d’irrecevabilité, il y a donc lieu de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

76.  Selon le Gouvernement, un retard litigieux comme celui occasionné en l’espèce, de plus compensé par l’octroi d’intérêts moratoires, ne saurait remettre en cause le caractère effectif du recours « Pinto ». En outre, il serait paradoxal que l’Italie, s’étant efforcée d’introduire un remède pour la violation du droit au « délai raisonnable », puisse encourir un constat de violation de l’article 13, alors que de nombreux Etats parties à la Convention ne disposent pas de voie de recours interne en la matière et n’ont pourtant pas été condamnés pour violation de cette disposition.

77.  Le requérant n’a pas pris position.

78.  La Cour a déjà eu l’occasion de rappeler dans l’arrêt Kudła c. Pologne ([GC], no 30210/96, § 154, CEDH 2000-XI) que, dans le respect des exigences de la Convention, les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la façon de garantir aux individus le recours exigé par l’article 13 et de se conformer à l’obligation que leur fait cette disposition de la Convention. Elle a également insisté sur le principe de subsidiarité afin que les justiciables ne soient plus systématiquement contraints de lui soumettre des requêtes qui auraient pu être instruites d’abord et, selon elle, de manière plus appropriée, au sein des ordres juridiques internes. La Cour a aussi estimé dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie (précité, § 80) que, lorsque les législateurs ou les juridictions nationales ont accepté de jouer leur véritable rôle en introduisant une voie de recours interne, la Cour doit en tirer certaines conséquences. Lorsqu’un Etat a fait un pas significatif en introduisant un recours indemnitaire, la Cour se doit de lui laisser une plus grande marge d’appréciation pour qu’il puisse organiser ce recours interne de façon cohérente avec son propre système juridique et ses traditions, en conformité avec le niveau de vie du pays (ibidem). Les exigences de l’article 13 de la Convention ne sont toutefois respectées que si le remède prévu par le droit national afin de se plaindre d’une méconnaissance de l’article 6 § 1 demeure un recours efficace, adéquat et accessible permettant de sanctionner la durée excessive d’une procédure judiciaire (Paulino Tomas c. Portugal, précité ; Vidas c. Croatie, no 40383/04, § 36, 3 juillet 2008).

79.  Ainsi qu’il a été relevé au paragraphe 31 ci-dessus, l’indemnité « Pinto » allouée au requérant lui a été effectivement versée le 6 avril 2004, soit douze mois après le dépôt au greffe de la décision de la cour d’appel. Ce paiement a donc largement dépassé les six mois à compter du moment où la décision d’indemnisation devint exécutoire (Cocchiarella c. Italie, précité, § 89).

80.  De surcroît, la Cour souligne que, dans huit des neuf arrêts de la Grande Chambre du 29 mars 2006 (Cocchiarella c. Italie, précité, § 100 ; Musci c. Italie, no 64699/01, § 101, CEDH 2006-... ; Riccardi Pizzati c. Italie, no 62361/00, § 99 ; Giuseppe Mostacciuolo c. Italie (no 1), no 64705/01, § 99 ; Giuseppe Mostacciuolo c. Italie (no 2), no 65102/01, § 98 ; Apicella c. Italie, no 64890/01, § 98 ; Ernestina Zullo c. Italie, no 64897/01, § 102 ; Giuseppina et Orestina Procaccini c. Italie, no 65075/01, § 98), elle a relevé que les sommes octroyées par les cours d’appel « Pinto » avaient été versées tardivement aux requérants, voire n’avaient pas été versées du tout.

81.  En outre, la Cour a rendu, depuis le 29 mars 2006, plus de 50 arrêts contre l’Italie constatant la violation de l’article 6 § 1, du fait de la durée excessive des procédures judiciaires nationales. Dans tous ces arrêts, elle a relevé des retards dans le paiement des indemnisations « Pinto » qu’elle a souvent considérés comme des circonstances aggravantes de la violation du droit au délai raisonnable (voir Cocchiarella c. Italie, précité, § 120) à prendre en compte dans la détermination de la somme à octroyer aux requérants aux termes de l’article 41 de la Convention.

82.  Enfin, la Cour observe qu’à partir de septembre 2007, un nombre très important de nouvelles requêtes dirigées contre l’Italie portent exclusivement sur les retards dans le paiement des indemnisations « Pinto ». Environ 500 de ces requêtes ont été récemment communiquées au Gouvernement, ce qui révèle l’existence d’un problème dans le fonctionnement du recours « Pinto ».

83.  Cependant, la Cour relève qu’entre 2005 et 2007, les cours d’appel compétentes au sens de la loi « Pinto » ont rendu environ 16 000 décisions, de sorte que le nombre de requêtes introduites devant la Cour et concernant le retard dans le paiement des indemnisations « Pinto », bien qu’important, ne décèle pas, pour l’instant, une inefficacité structurelle du remède « Pinto ».

84.  Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le retard de douze mois dans le paiement de l’indemnisation « Pinto » constaté en l’espèce, bien qu’entraînant la violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1, n’est pas suffisamment important pour remettre en cause l’effectivité du remède « Pinto ».

85.  Cependant, la Cour estime opportun d’attirer l’attention du Gouvernement sur le problème des retards dans le paiement des indemnisations « Pinto » et sur la nécessité que les autorités nationales se dotent de tous les moyens adéquats et suffisants pour assurer le respect des obligations qui leur incombent en vertu de l’adhésion à la Convention et pour éviter que le rôle de la Cour soit engorgé d’un grand nombre d’affaires répétitives portant sur les indemnités accordées par des cours d’appel dans le cadre de procédures « Pinto » et/ou le retard dans le paiement des sommes en question, ce qui constitue une menace pour l’effectivité à l’avenir du dispositif mis en place par la Convention (voir Cocchiarella c. Italie, précité, §§ 69-107 et §§ 125-130 ; mutatis mutandis, Scordino c. Italie (no 3) (satisfaction équitable), no 43662/98, §§ 14-15, CEDH 2007-... ; Driza c. Albanie, no 33771/02, § 122, CEDH 2007-... (extraits) ; Katz c  Roumanie, no 29739/03, § 9, 20 janvier 2009).

IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

87.  Le requérant réclame 15 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

88.  Le Gouvernement conteste cette prétention.

89.  La Cour estime qu’elle aurait pu accorder au requérant, en l’absence de voies de recours internes et compte tenu du fait que l’affaire concerne la matière du droit du travail sans pourtant en toucher des aspects importants ou délicats tels, par exemple, un licenciement abusif, la somme de 9 000 EUR. Le fait que la cour d’appel de Rome, à l’issue d’une longue procédure, ait octroyé au requérant environ 7,8 % de cette somme aboutit à un résultat manifestement déraisonnable, d’autant plus que le paiement est intervenu douze mois après le dépôt au greffe de la décision de la cour d’appel de Rome. Par conséquent, eu égard aux caractéristiques de la voie de recours « Pinto » et au fait qu’elle est tout de même parvenue à un constat de violation ainsi qu’à la constatation des violations additionnelles de l’article 6 § 1, sous l’angle du droit à l’exécution des décisions judiciaires, et de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour, compte tenu de la solution adoptée dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie (précité, §§ 139-142 et 146) et statuant en équité, alloue au requérant 3 950 EUR.

B.  Frais et dépens

90.  Justificatifs à l’appui, le requérant demande 15 111 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

91.  Le Gouvernement conteste cette prétention.

92.  Selon la jurisprudence de la Cour, l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Can et autres c. Turquie, no 29189/02, § 22, 24 janvier 2008). La Cour observe que dans le cadre de la préparation de la présente requête, certains frais ont été encourus. Elle relève aussi que la cour d’appel de Rome a accordé à l’avocat du requérant 1 000 EUR pour frais et dépens, y compris ceux relatifs à la procédure devant la Cour. Dès lors, statuant en équité, la Cour estime raisonnable d’octroyer 1 000 EUR à ce titre.

C.  Intérêts moratoires

93.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de la durée excessive de la procédure (article 6 § 1 de la Convention) et du retard mis par les autorités nationales à se conformer à la décision de la cour d’appel de Rome (articles 6 § 1, 13 et 1 du Protocole no 1) et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention, en raison de la durée excessive de la procédure ;

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi que de l’article 1 du Protocole no 1, en raison du retard mis par les autorités nationales à se conformer à la décision de la cour d’appel de Rome ;

4.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention, en raison du retard mis par les autorités nationales à se conformer à la décision de la cour d’appel de Rome ;

5.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

(i)  3 950 EUR (trois mille neuf cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

(ii)  1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 mars 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Françoise Elens-Passos Françoise Tulkens 
 Greffière adjointe de section Présidente