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Corte europea dei diritti dell’uomo (Sezione V), 29 ottobre 2009

(requête n 29137/06)

 

 

AFFAIRE SI AMER c. FRANCE

 

DÉFINITIF

10/05/2010

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 

En l'affaire Si Amer c. France,

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président, 
Renate Jaeger, 
Jean-Paul Costa, 
Karel Jungwiert, 
Mark Villiger, 
Isabelle Berro-Lefèvre, 
Zdravka Kalaydjieva, juges, 
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 octobre 2009,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 29137/06) dirigée contre la République française et dont un ressortissant algérien, M. Youcef Si Amer (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 juin 2006 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représenté par Me A. de Brossin de Mere, avocate à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Edwige Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le requérant, qui réside en Algérie et qui avait, avant l'indépendance de ce pays, volontairement souscrit une assurance retraite complémentaire auprès d'une caisse complémentaire française, se dit victime d'une discrimination résultant du rejet de sa demande de liquidation, au motif qu'il ne réside pas en France ou à Monaco. Il invoque à cet égard l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole no 1, voyant dans les causes de ce refus un « critère de nationalité déguisé ».

4.  Le 18 octobre 2007, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1939 et réside à Alger.

6.  Du 1er janvier 1953 au 17 décembre 1962, le requérant (de nationalité française jusqu'au 31 décembre 1962) était employé en Algérie, alors territoire français jusqu'au 5 juillet 1962, par une filiale d'une société de droit français. Il a volontairement souscrit durant cette période une assurance complémentaire « décès, invalidité, vieillesse » auprès d'une caisse complémentaire française, la Caisse Interprofessionnelle de Prévoyance des Salariés (« CIPS ») ; il a dûment et régulièrement versé ses cotisations et la CIPS les a encaissées.

7.  Après l'accession à l'indépendance de l'Algérie, l'ensemble des régimes de retraite, y compris le régime complémentaire, furent absorbés par le régime général algérien, qui fut lui-même dissous en 1983.

8.  En 1998, le requérant sollicita auprès de la caisse française le bénéfice de ses droits à retraite complémentaire. Celle-ci rejeta cependant sa demande, au motif qu'il ne résidait pas en France au moment où elle était formulée. L'association des régimes de retraites complémentaires (« ARRCO ») confirma ce refus par des lettres des 18 juin 1998 et 22 février 2002. La première de ces lettres est rédigée comme il suit :

« (...) L'accord national de retraite du 8 décembre 1961, en application duquel l'ARRCO a été créée, vise sans condition de nationalité la quasi-totalité des salariés des entreprises du secteur privé qui exercent leur activité en Métropole ou dans les départements d'outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Des dispositions ont cependant été prises pour permettre, sous certaines conditions, la validation des services accomplis en Algérie, au Maroc et en Tunisie.

S'agissant des périodes d'emploi effectuées en Algérie, leur prise en compte par une institution de retraite complémentaire membre de l'ARRCO est subordonnée à la condition que le participant réside en France ou à Monaco au moment de la formulation de la demande de retraite.

Cette condition de résidence figurait dans le protocole franco-algérien du 16 décembre 1964, publié par décret du 21 janvier 1965, qui précisait les droits des personnes françaises résidant en France et ayant acquis des droits en Algérie auprès d'une caisse membre de l'OCIP.

Cette condition de résidence a toujours été maintenue, notamment par l'annexe IV à l'accord du 8 décembre 1961, conclue le 20 novembre 1974 et agréée par le Ministre du Travail en date du 21 août 1975 (Journal Officiel du 5 septembre 1975).

L'accord du 8 décembre 1961 a été codifié le 15 mars 1988. Dans cette codification, l'ancienne annexe IV est devenue l'annexe C.

L'accord du 8 décembre 1961 codifié le 15 mars 1988 a été agréé et étendu, ainsi que ses annexes, par arrêté ministériel du 21 juin 1988 paru au Journal Officiel du 30 juin 1988.

Cette annexe C (...) fait toujours état de l'obligation de résidence en France ou à Monaco.

Au cas particulier, dès lors que vous résidez en Algérie, aucun droit ne peut vous être accordé par un régime de retraite membre de l'ARRCO, au titre de la période d'activité que vous avez accomplie au sein de la société [susévoquée]. (...) »

9.  En conséquence, le requérant assigna la CIPS devant le tribunal en vue essentiellement de l'attribution d'une retraite complémentaire.

10.  Le 4 mars 2004, le tribunal de grande instance de Paris rejeta ses demandes.

11.  Le requérant interjeta appel de ce jugement, dénonçant notamment une discrimination contraire au droit français et au droit international, et soulignant en particulier que la condition, dite de « résidence », ne constituait qu'une condition de nationalité déguisée.

12.  Par un arrêt du 11 mai 2005, la cour d'appel de Paris confirma le jugement entrepris. Après avoir relevé que l'accord interprofessionnel du 8 décembre 1961 prévoit, en son annexe C, des dispositions particulières en faveur des salariés, quelle que soit leur nationalité, pour la validation des services accomplis en Algérie, à la condition de résider en France ou à Monaco au moment de la formulation de leur demande, la cour d'appel releva que les règles relatives au régime général de la sécurité sociale ne peuvent, à défaut de dispositions le prévoyant, être étendues aux régimes complémentaires de retraite et de prévoyance des salariés, d'origine conventionnelle. Par ailleurs, elle jugea que la condition de résidence en France exigée par l'accord interprofessionnel du 8 décembre 1961 ne crée aucune discrimination entre les salariés de nationalité algérienne et les autres salariés ressortissants des Etats membres de la CEE ayant travaillé en Algérie, dès lors qu'elle est imposée quelle que soit leur nationalité.

13.  Le requérant déposa une demande d'aide juridictionnelle en vue de se pourvoir en cassation contre cet arrêt.

14.  Le 7 mars 2006, après avoir relevé que le montant des ressources de l'intéressé était inférieur au plafond légal, le bureau d'aide juridictionnelle de la Cour de cassation rejeta la demande, au motif qu'aucun moyen de cassation sérieux ne pouvait être relevé contre la décision critiquée. Le 1er juin 2006, le premier président de la haute juridiction, saisi par le requérant, confirma cette décision.

II.  LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT

15.  A la suite de l'accession de l'Algérie à l'indépendance, le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire ont signé, le 16 décembre 1964, un « accord relatif aux régimes complémentaires de retraites » (publié par décret du 21 janvier 1965) dont l'objet est de régler les rapports entre les deux pays en cette matière. Les articles 2, 4 et 5 de cet accord sont libellés comme suit :

Article 2

« Les ressortissants algériens occupés en Algérie et relevant à ce titre, en vertu du statut qui leur est applicable, d'une institution française de retraites complémentaires seront affiliés de plein droit à une institution algérienne.

Les droits acquis ou en cours d'acquisition vis-à-vis des institutions françaises en cause seront maintenues. Des conventions entre institutions françaises et algériennes intéressées préciseront les modalités du maintien de ces droits. »

Article 4

« Les personnes relevant, à la date d'effet du présent accord, au titre de services accomplis en Algérie, d'une institution algérienne membre de l'O.C.I.P. [Organisation commune des institutions de prévoyance] ou d'une institution française agissant pour son compte, sont reprises en charge dans les conditions suivantes :

a) En ce qui concerne les personnes de nationalité française résidant en France et titulaires de droits acquis, en cours d'acquisition ou éventuels auprès d'institutions algériennes de retraites complémentaires, au titre de périodes d'emploi salarié en Algérie, antérieurement au 1er juillet 1962, elles recevront, le cas échéant, des allocations ou se verront valider des droits par des institutions françaises.

b) En ce qui concerne les ressortissants français demeurés en Algérie, les institutions algériennes continuent à assumer leurs obligations à leur égard.

c) Les autres personnes relevant des institutions algériennes sont de la compétence de ces institutions.

Les dossiers des personnes visées au présent article seront transférés sous le contrôle des autorités administratives compétentes des deux pays, par les institutions qui les détiennent, aux institutions visées à l'article ci-dessous. »

Article 5

« Les gouvernements français et algérien prendront toutes mesures réglementaires en vue de définir le niveau des avantages accordés aux personnes rattachées aux institutions de leur pays, et de désigner les institutions d'accueil. »

16.  L'accord national interprofessionnel de retraite complémentaire du 8 décembre 1961, dans sa version applicable au moment où le requérant a fait valoir ses droits, s'accompagne notamment d'une « Annexe IV », conclue le 20 novembre 1974, agréée par le ministre du Travail le 21 août 1975 (Journal Officiel du 5 septembre 1975), et devenue l'annexe C suite à la codification de cet accord le 15 mars 1988. Celle-ci précise les conditions de « validation des services accomplis en Algérie », et son article 1er est ainsi libellé :

« Les salariés ayant travaillé en Algérie bénéficient quelle que soit leur nationalité [de la validation – sous certaines réserves – des services accomplis en Algérie avant le 1er juillet 1962] à condition de résider en France ou à Monaco au moment de la formulation de leur demande. »

17.  Conformément à l'avenant no 48 à l'accord, signé le 18 juin 1998, cette condition de résidence a été étendue à l'ensemble de l'Espace économique européen pour les demandes de liquidation présentées à compter du 1er janvier 2000. Elle a ensuite été supprimée le 22 septembre 2005 pour les personnes dont l'allocation prenait effet à partir du 1er octobre 2005.

EN DROIT

18.  Le requérant se plaint du rejet de sa demande de liquidation de retraite complémentaire, au motif qu'il ne réside pas en France ou à Monaco, ce qui constituerait une discrimination prohibée par l'article 14 de la Convention dans l'exercice de son droit patrimonial garanti par l'article 1 du Protocole no 1. Dans ses observations, le requérant s'en plaint également sous l'angle de l'article 8 de la Convention et de l'article 2 du Protocole no 4.

La Cour indique d'emblée qu'elle examinera ce grief sous l'angle de l'article 14 de la Convention, combiné à l'article 1 du Protocole no 1, seules dispositions pertinentes en l'espèce, qui se lisent comme suit :

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Article 1 du Protocole no 1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

I.  SUR LA RECEVABILITÉ

A.  Sur l'exception d'irrecevabilité soulevée par le Gouvernement

19.  Le Gouvernement soulève une exception d'irrecevabilité tirée de l'absence d'épuisement des voies de recours internes. Il considère que le requérant n'a pas explicitement soulevé le grief tiré de la violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole no 1. Il souligne en outre que le requérant n'a fait état, devant les juridictions nationales, que d'une discrimination liée à sa nationalité et non, comme devant la Cour, de la condition de résidence proprement dite.

20.  Le requérant estime avoir épuisé les voies de recours disponibles et suffisantes. Il rappelle à cet égard que si la Cour de cassation ne s'est pas prononcée sur le litige, c'est parce que sa demande d'aide juridictionnelle devant cette juridiction a été rejetée. Il ajoute que son recours était en tout état de cause voué à l'échec, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation. Il précise également avoir mis les juridictions nationales en présence d'arguments relatifs à la violation d'une discrimination interdite, notamment par la Convention, même si les juges n'ont ensuite appliqué que la loi française.

21.  La Cour rappelle que la finalité de l'article 35 § 1 de la Convention est de ménager aux Etats contractants l'occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant qu'elles ne soient soumises à la Cour. Si cette disposition doit s'appliquer « avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif », il faut pour autant que le grief dont on entend saisir la Cour soit d'abord soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées (voir, notamment, Cardot c. France, arrêt du 19 mars 1991, série A no 200, p. 18, § 34).

22.  En l'espèce, la Cour relève d'abord qu'il ne peut être reproché au requérant de ne pas avoir préalablement saisi la Cour de cassation de son grief. En effet, il a déposé une demande d'aide juridictionnelle qui a été rejetée par le bureau d'aide juridictionnelle, puis par le premier président, au motif qu'aucun moyen de cassation sérieux ne pouvait être relevé (Gnahoré c. France, n40031/98, §§ 46-48, CEDH 2000-IX). La Cour note ensuite qu'il ressort des pièces produites par le requérant, et plus spécialement de ses conclusions devant la cour d'appel de Paris, qu'il contestait explicitement le fait de se voir opposer sa résidence comme obstacle à la liquidation de sa retraite, le cotisant de nationalité française résidant en Algérie n'étant pas quant à lui, selon les termes de ses conclusions, privé de son droit ; il ajoutait que son droit à liquidation lui était refusé parce qu'il résidait en Algérie ; il mentionnait enfin, entre autres développements à ce sujet, et dans des termes analogues à ceux de la présente requête, que la condition dite de « résidence », ne constitue qu'une condition de nationalité déguisée. Dès lors, s'il n'a pas explicitement invoqué l'interdiction de discrimination consacrée par la Convention, le requérant a entendu dénoncer, devant les juges d'appel, une discrimination résultant du rejet de sa demande de liquidation de retraite complémentaire au motif qu'il ne réside pas en France ou à Monaco. Il a par conséquent soulevé en substance, et sans qu'il soit contesté qu'il l'ait fait dans les formes et délais prescrits par le droit interne, le grief invoqué à l'appui de sa requête devant la Cour.

23.  Dans ces conditions, le requérant ayant, de l'avis de la Cour, épuisé les voies de recours internes, il convient de rejeter l'exception soulevée par le Gouvernement.

B.  Sur l'applicabilité de l'article 14 de la Convention combiné à l'article 1 du Protocole no 1

24.  Le Gouvernement précise d'abord qu'il n'entend pas, compte tenu de la jurisprudence de la Cour (Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], n65731/01, décision du 6 juillet 2005, CEDH 2005-X), soutenir que la pension de retraite complémentaire litigieuse se situerait hors du champ de l'article 1 du Protocole no 1. Il conteste en revanche, outre le fait que le montant des cotisations n'a pas été produit aux débats, l'existence d'une espérance légitime au profit du requérant, dans la mesure où celui-ci ne satisfait pas aux conditions fixées par le droit interne qui soumet le bénéfice de la pension à une condition de résidence. Il ajoute que le requérant ne dispose d'aucun bien actuel, compte tenu du temps écoulé entre sa cessation de fonctions, ainsi que la conclusion des accords régissant la matière, et sa demande de liquidation.

25.  Le requérant soutient qu'il tire du contrat d'assurance complémentaire en cause un droit patrimonial constitutif d'un « bien » au sens de l'article 1 du Protocole no 1. Il précise à cet effet qu'il bénéficie d'une espérance légitime, dès lors que la réalité des versements de cotisations n'a été contestée, ni par la caisse de retraite, ni par son organisme de tutelle, l'ARRCO, qui a même adressé au requérant un relevé de carrière, avant de motiver son refus de liquidation de la pension par le seul critère de résidence, toutes les autres conditions légales étant satisfaites. Il ajoute que la créance litigieuse présente un caractère certain dont il résulte, même dans l'hypothèse où des droits ne lui seraient pas ouverts, un dommage causé par l'inobservation de la convention le liant à la caisse de retraite complémentaire, en contravention au principe légal de sauvegarde des droits acquis à une prestation de retraite. Il fait enfin valoir qu'il dispose d'un droit actuel, les cotisations ayant été versées au patrimoine de la caisse.

26.  D'après la jurisprudence constante de la Cour, les principes qui s'appliquent généralement aux affaires concernant l'article 1 du Protocole no 1 gardent toute leur pertinence dans le domaine des prestations sociales (Stec et autres, précitée, § 54).

27.  Certes, le droit à pension n'est pas comme tel garanti par la Convention. Dès lors toutefois qu'un Etat met en place une législation créant un régime de prestations ou de pensions, cette législation doit être considérée comme engendrant un intérêt patrimonial relevant du champ d'application de l'article 1 du Protocole no 1 pour les personnes remplissant ses conditions (ibidem, ainsi que, mutatis mutandis, Koua Poirrez c. France, no 40892/98, § 42, CEDH 2003-X).

28.  En outre, le régime créé doit l'être d'une manière compatible avec l'article 14 de la Convention (Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], n65731/01, 12 avril 2006, § 53, CEDH 2006-VI).

29.  Par conséquent, lorsque, comme dans les circonstances de l'espèce, le requérant formule sur le terrain de l'article 14 combiné avec l'article 1 du Protocole no 1 un grief aux termes duquel il a été privé, en tout ou en partie et pour un motif discriminatoire visé à l'article 14, d'une prestation donnée, le critère pertinent consiste à rechercher si, n'eût été la condition d'octroi litigieuse, l'intéressé aurait eu un droit, sanctionnable devant les tribunaux internes, à percevoir la prestation en cause (Stec, décision précitée, § 55, et Gaygusuz c. Autriche, 16 septembre 1996, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV)

30.  La Cour relève que si le Gouvernement admet en l'espèce l'existence d'une base légale susceptible de faire entrer la pension de retraite complémentaire litigieuse dans le champ de l'article 1 du Protocole no 1, il soutient toutefois que le requérant n'en tirerait aucun intérêt patrimonial faute de satisfaire à la condition de résidence exigée par le droit français. La Cour ne peut souscrire à cette analyse dès lors qu'en l'espèce, le requérant s'est vu refuser le bénéfice de la prestation du seul fait de ce motif qui est, précisément, l'objet de son grief. La Cour ajoute que, dans la mesure où l'existence d'une créance du requérant est admise, le fait que son montant soit inconnu ne saurait atteindre cette créance dans sa substance. Le moment de présentation de la demande, lequel correspond, logiquement, à l'âge du départ à la retraite, ne saurait pour sa part compromettre le caractère actuel de la créance.

31.  Il s'ensuit que la situation du requérant entre dans le champ d'application de l'article 1 du Protocole no 1 et du droit au respect des biens qu'il garantit et que, partant, l'article 14 de la Convention trouve à s'appliquer en l'espèce.

32.  La Cour relève par ailleurs que la requête ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

A.  Thèse des comparants

1.  Le requérant

33.  Selon le requérant, aucun critère objectif et raisonnable ne vient justifier la différence de traitement dont il expose faire l'objet. Il y voit un déséquilibre entre l'objectif d'intérêt général de sauvegarde de l'équilibre financier des régimes de retraite complémentaire et le respect de ses propres droits fondamentaux.

34.  Il précise que la condition de résidence exigée pour bénéficier de sa retraite complémentaire dissimule en fait une discrimination fondée sur la nationalité. Il estime ainsi que les ressortissants français résidant en Algérie auraient, pour leur part, le choix de faire liquider leur pension de retraite en France, du fait des règles posées, selon lui, par le droit communautaire, notamment la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes relative au bénéfice par des travailleurs migrants de pensions de retraite ou d'allocations sociales. Le travailleur algérien travaillant en Algérie serait en revanche toujours pénalisé.

35.  Le requérant conteste enfin disposer d'une possibilité effective d'obtenir la liquidation de sa pension de retraite complémentaire par une institution algérienne. Il explique que le régime général de retraite algérien a absorbé tous les régimes de retraite, jusqu'à la dissolution de cette caisse unique algérienne en vertu d'une loi de 1983. Il précise encore que l'ARRCO, dans ses réponses au requérant quant à son droit à liquidation, n'a jamais mentionné la possibilité de faire valoir ce droit auprès d'une institution algérienne.

2.  Le Gouvernement

36.  S'agissant de la question de l'existence d'une discrimination à l'encontre du requérant, le Gouvernement admet qu'il y a en l'espèce une différence de traitement entre les personnes qui, en Algérie française, avaient cotisé dans les mêmes conditions à une caisse complémentaire française. Il précise toutefois que ce critère de différenciation repose sur la seule résidence des intéressés, toute référence à la nationalité ayant été supprimée par l'annexe C de l'accord du 8 décembre 1961, et étant d'ailleurs proscrite par la jurisprudence interne. Il en résulte selon lui une absence de discrimination, dès lors qu'un ressortissant algérien résidant en France peut demander la liquidation de sa retraite auprès d'une caisse française, tandis qu'un Français résidant en Algérie ne peut le faire qu'auprès d'une institution algérienne.

37.  Le Gouvernement soutient que cette différenciation a un but légitime : elle visait, suite à l'accession de l'Algérie à l'indépendance et aux mouvements de personnes que cela avait occasionné, à régler les rapports entre ce pays et la France en matière de régimes complémentaires de retraites, sur la base du principe de territorialité des régimes ; elle s'inscrivait ainsi dans le cadre d'une série de mesures adoptées dans le but de répartir de manière cohérente et claire entre les deux pays le « règlement du passé ».

38.  Le Gouvernement ajoute qu'un « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » a été maintenu, dès lors que le critère de résidence a un caractère objectif et réaliste, et qu'il s'accompagnait initialement de dispositions énonçant les conditions de prise en charge des droits complémentaires des résidents algériens par les caisses algériennes. Il souligne à cet égard que les stipulations de l'accord franco-algérien du 16 décembre 1964, spécialement les articles 2 et 4 c), confèrent aux ressortissants algériens employés en Algérie et relevant à ce titre d'une caisse de retraite française l'affiliation de plein droit à une institution algérienne, de la compétence de laquelle relève le requérant, et le maintien des droits acquis.

B.  Appréciation de la Cour

39.  La Cour rappelle qu'une différence de traitement constitue une discrimination, au sens de l'article 14, si elle vise, sans justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables. Le manque de justification objective et raisonnable signifie que la distinction litigieuse ne poursuit pas un but légitime ou qu'il n'y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, notamment, Karlheinz Schmidt c. Allemagne, 18 juillet 1994, § 24, série A no 291-B, Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998, § 30, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, et D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, §§ 175 et 196, CEDH 2007-XII). Par ailleurs, la Cour reconnaît aux Etats contractants une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d'autres égards analogues justifie des différences de traitement (Van Raalte c. Pays-Bas, 21 février 1997, § 39, Recueil 1997-I, et Gaygusuz, précité, § 42). L'étendue de cette marge varie selon les circonstances, les domaines et le contexte. La Cour rappelle néanmoins que seules des considérations très fortes peuvent l'amener à estimer compatible avec la Convention une différence de traitement exclusivement fondée sur la nationalité (voir, notamment, Luczak c. Pologne, no 77782/01, § 48, CEDH 2007-XIII, et Gaygusuz, précité, § 42).

40.  En outre, une ample latitude est d'ordinaire laissée à l'Etat pour prendre des mesures d'ordre général en matière économique ou sociale (voir, par exemple, James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 46, série A no 98, National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society c. Royaume-Uni, 23 octobre 1997, § 80, Recueil 1997-VII, et Stec et autres, précité, § 52). Grâce à une connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est d'utilité publique en matière économique ou en matière sociale, et la Cour respecte en principe la manière dont l'Etat conçoit les impératifs de l'utilité publique, sauf si son jugement se révèle « manifestement dépourvu de base raisonnable » (ibidem).

41.  Enfin, en ce qui concerne la charge de la preuve sur le terrain de l'article 14 de la Convention, la Cour a rappelé que, « lorsqu'un requérant a établi l'existence d'une différence de traitement, il incombe au Gouvernement de démontrer que cette différence de traitement était justifiée » (Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 84, CEDH 2009-.., et D.H. et autres, précité, § 177).

42.  Quant à l'application de ces principes à la présente espèce, la Cour relève tout d'abord que l'existence d'une différence de traitement entre les personnes ayant cotisé, au titre de leurs périodes de travail en Algérie avant l'indépendance, à une caisse de retraite complémentaire française, est avérée. Elle est d'ailleurs admise par le Gouvernement. La Cour relève à cet égard que le requérant se trouvait dans une situation objectivement analogue aux personnes ayant eu une carrière professionnelle identique ou similaire mais ayant ensuite résidé en France ou à Monaco.

43.  La Cour estime que la différence litigieuse répond au but légitime d'assurer, par le principe de la territorialité des régimes de retraite complémentaire, le règlement des rapports en la matière entre la France et l'Algérie après l'accession de celle-ci à l'indépendance. La Cour note, avec le Gouvernement, que l'accord conclu par les deux pays le 16 décembre 1964 compte parmi les mesures destinées à assurer une répartition cohérente et claire du règlement du passé et des charges respectives incombant aux Etats. L'accord prend ainsi expressément en compte, dans son préambule, un contexte marqué par les mouvements de personnes résultant « des circonstances exceptionnelles qui ont accompagné l'accession de l'Algérie à l'indépendance. » Il s'agissait notamment d'assurer l'effectivité des droits des personnes rapatriées sur le territoire français. La Cour ajoute que la nécessité de répartir la charge des situations passées se justifie d'autant plus, au regard de la préservation de l'équilibre financier du régime, que celui-ci repose sur le principe de la répartition, les pensions étant financées non par les cotisations passées de leur bénéficiaire mais par les cotisations présentes versées par les employeurs et les salariés en activité.

44.  Il convient ensuite d'établir si les moyens employés l'ont été dans un rapport raisonnable de proportionnalité au but légitime ci-dessus caractérisé. La Cour relève à ce sujet que la différence de traitement visant le requérant résulte d'abord de l'application combinée des articles 2 et 4 c) de l'accord franco-algérien du 16 décembre 1964, qui prévoient l'affiliation de plein droit des ressortissants algériens occupés en Algérie aux caisses de retraite complémentaire de ce pays, et ce avec maintien des droits acquis.

45.  La Cour relève, pour autant, que cette différence de traitement ne concerne en principe que les modalités de prise en charge du régime complémentaire en question. En effet, dès son entrée en vigueur, les termes de l'accord donnaient au requérant un droit à liquidation identique à ce qu'il était avant l'indépendance de l'Algérie. Quant à l'effectivité de ce droit, elle découle de l'exécution de l'accord franco-algérien précité, dont l'article 5 met à la charge des gouvernements français et algériens la définition du niveau des prestations servies aux personnes rattachées aux institutions de ces pays et la désignation des institutions d'accueil. A cet égard, la Cour estime qu'aucun manquement ne saurait être imputé à l'Etat français, auquel il appartenait uniquement de s'assurer de la mise en œuvre de cet accord concernant les personnes rattachées à ses institutions internes.

46.  Dans ces conditions, la différence de traitement en cause ne saurait donc être regardée comme discriminatoire, quelles que soient par ailleurs les conséquences alléguées de dispositions de droit communautaire qui n'étaient en vigueur ni lors de l'entrée en vigueur de l'accord franco-algérien précité, ni même lors de la demande de liquidation, antérieure à l'entrée des régimes de retraite complémentaire dans le champ communautaire le 1er juillet 2000.

47.  Il s'ensuit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole no 1.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

2.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole no 1.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 octobre 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia Westerdiek Peer Lorenzen Greffière Président