CONSULTA ONLINE

 

 

Corte europea dei diritti dell’uomo

(Quarta Sezione)

 

24 marzo 2015

 

AFFAIRE ANTONIO MESSINA c. ITALIE

 

(Requête no 39824/07)

 

ARRÊT

 

En l’affaire Antonio Messina c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de:

     Päivi Hirvelä, présidente,

     Guido Raimondi,

     George Nicolaou,

     Ledi Bianku,

     Nona Tsotsoria,

     Paul Mahoney,

     Krzysztof Wojtyczek, juges,

et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 mars 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date:

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 39824/07) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Antonio Messina («le requérant »), a saisi la Cour le 28 août 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement italien («le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme E. Spatafora, ainsi que par sa coagente, Mme P. Accardo.

3. Invoquant l’article 5 §§ 1 a) et 5 de la Convention, le requérant alléguait, entre autres, qu’il avait purgé une peine supérieure à celle qu’il aurait purgée en cas d’octroi plus rapide d’une remise de peine.

4. Le 6 décembre 2010, les griefs tirés de l’article 5 §§ 1 a) et 5 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement.

5. Dans ses premières observations sur le fond, déposées au greffe le 18 avril 2011, le Gouvernement indiquait que le parquet avait demandé la révocation de la décision de remise de peine. Il ajoutait que la procédure étant pendante devant le tribunal de l’application des peines, il n’était donc pas en mesure de répondre aux questions posées par la Cour lors de la communication de la requête.

6. Le 14 septembre 2011, le Gouvernement a attiré l’attention de la Cour sur la nécessité qui aurait été la sienne d’attendre l’issue de l’audience du 4 octobre 2011 avant d’envoyer ses observations.

7. Le 22 novembre 2011, le requérant a informé la Cour que, le 4 octobre 2011, le tribunal avait décidé de rejeter la demande de révocation du parquet.

8. Le Gouvernement n’ayant pas donné suite à sa lettre du 14 septembre 2011, la Cour l’informa le 14 novembre 2012 qu’elle délibérerait sur l’affaire en l’état.

9. Par une lettre du 11 décembre 2012, le Gouvernement envoya une copie de la décision du tribunal de l’application des peines et demanda à la Cour «de bien vouloir prendre en considération cette circonstance qui [étayait] les conclusions qu’il avait soumises dans ses observations du 18 avril 2011 ».

 

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

 

10. Les faits de la cause tels qu’ils ont été présentés par les parties peuvent se résumer comme suit.

11. Le requérant est né en 1946 et réside à Bologne.

12. Le requérant a écopé de plusieurs peines pour des délits graves. Il ressort du dossier que sa dernière condamnation a été prononcée par la cour d’assises d’appel de Palerme pour association de malfaiteurs de type mafieux (article 416bis du code pénal) par un arrêt du 31 janvier 2001 devenu définitif le 17 février 2003.

13. Le requérant affirme avoir été détenu pendant les périodes suivantes: du 12 janvier 1976 au 9 juin 1978 ; du 18 octobre 1985 au 25 mai 1987 ; du 21 février au 26 juin 1990 ; du 13 août 1993 au 8 octobre 2007.

14. Par une décision du 25 octobre 1999 (no 8390/99), le tribunal de l’application des peines de Naples accorda au requérant une remise de peine (liberazione anticipata) de quatre-vingt-dix jours par rapport à la période de détention du 23 mai 1998 au 23 mai 1999.

15. Le 11 juin 2003, le tribunal de l’application des peines de Bologne accorda au requérant une remise de peine de trois cent soixante jours par rapport à huit semestres pour la période de 1998 à 2003.

16. À une date non précisée, le requérant demanda une nouvelle remise par rapport à la période de détention du 12 janvier 1976 au 23 mai 1998.

Par une décision du 17 juin 2004 (no R.G. 1627/03), compte tenu de la participation positive du requérant aux programmes de réinsertion sociale, le juge de l’application des peines de Bologne, R.R., accorda une remise de quatre-vingt-dix jours calculée sur la période du 23 mai 2003 au 23 mai 2004. Il rejeta la demande pour la période de détention antérieure à mai 1998 au motif que, pour la période du 12 janvier 1976 au 23 mai 1998, le requérant avait été condamné par la cour d’assises d’appel de Palerme pour un délit commis après le 23 mai 1998 (association de malfaiteurs de type mafieux).

17. Le 3 septembre 2004, le requérant saisit le tribunal de l’application des peines de Bologne, arguant que le refus opposé par le juge de l’application des peines aurait été fondé sur une constatation erronée, à savoir la commission d’un délit après 1998.

18. Par une décision du 21 octobre 2004 (no R.T.S. 3531/04), le tribunal, prenant en considération seulement la période du 12 janvier 1976 au 9 juin 1978, rejeta la demande au motif que le requérant aurait commis d’autres délits.

19. Le 6 novembre 2004, le requérant se pourvut en cassation et, par un arrêt déposé le 25 mai 2005 (no 19864/05), il obtint la cassation de la décision du tribunal en raison : a) de l’absence de motivation par rapport à l’identification des délits commis ; b) de l’absence d’évaluation de l’éventuel impact de ces délits sur la décision d’octroyer la remise de peine ; c) de la non-prise en considération par la juridiction de la participation du requérant aux programmes de réinsertion sociale. L’affaire fut renvoyée devant le tribunal de l’application des peines de Bologne pour un nouvel examen.

20. Par une décision du 9 décembre 2005, le parquet calcula la nouvelle durée de la détention que le requérant devait encore purger. Il ressort de ce document que les délits pour lesquels le requérant avait été condamné par la cour d’assises d’appel de Palerme avaient été commis jusqu’au mois de septembre 1989 et non pas 1998.

21. Par un jugement du 28 septembre 2006 (no R.T.S. 3199/05), le tribunal de l’application des peines de Bologne, présidé par le juge R.R., confirma la décision du 21 octobre 2004 au motif que, selon le casier judiciaire du requérant, le délit pour lequel il avait été condamné par la cour d’assises de Palerme avait été commis jusqu’au mois de septembre 1998.

22. Le 3 octobre 2006, le requérant se pourvut en cassation. D’une part, il affirmait avoir droit à la remise au moins par rapport aux semestres postérieurs à 1993 et, d’autre part, il dénonçait l’existence d’une erreur quant à la date à prendre pour commission du délit litigieux (septembre 1989 et non pas septembre 1998). Il indiquait que cette dernière circonstance était démontrée par plusieurs documents: l’arrêt de la cour d’assises d’appel de Palerme du 31 janvier 2001, la décision du 9 décembre 2005 du parquet relative à la détermination de la peine qui restait à purger et les données consignées dans le registre des matricules. Enfin, le requérant reprocha au tribunal un manque d’impartialité découlant selon lui de la présence en son sein du juge R.R.

23. Par une décision déposée le 6 juillet 2007 (no 26132/07), la haute juridiction, sans motivation concernant le grief relatif à l’impartialité, rejeta le pourvoi, estimant que la commission du délit d’association de malfaiteurs de type mafieux aurait pu continuer bien au-delà de 1993, l’état de détention n’excluant pas, en principe, la possibilité de commettre un tel délit.

24. Le 4 juin 2007, le requérant introduisit une nouvelle demande de remise de peine.

25. À la date du 12 juillet 2007, le casier judiciaire du requérant fut modifié: il ressort dudit document que les délits pour lesquels le requérant avait été condamné par la cour d’assises d’appel de Palerme avaient été commis jusqu’au mois de septembre 1989.

26. Par une décision déposée au greffe le 8 octobre 2007 (no 807/07, no SIUS 2900/07), le juge de l’application des peines de Bologne, R.L.R., accorda au requérant une remise de peine de quatre cent cinq jours pour bonne conduite, au sens de l’article 54 de la loi no 354/1975, pour la période du 23 novembre 1993 au 23 mai 1998. Le requérant affirme avoir été remis en liberté le 8 octobre 2007. Selon lui, le juge n’aurait pas pris en considération la période du 23 novembre 2006 au 8 octobre 2007 pour calculer la totalité des jours de remise de peine auxquels il avait droit. Le requérant ne saisit pas le tribunal de l’application des peines.

27. Selon les informations fournies par le requérant et confirmées par le Gouvernement (observations du 18 avril 2011), le terme de la peine étant initialement prévu au 28 février 2008, l’application de cette remise aurait permis la libération du requérant le 19 janvier 2007.

28.  Il ressort des documents envoyés par le Gouvernement à l’appui de ses observations du 18 avril 2011 que, par une note du 31 mars 2011, le ministère de la Justice avait exprimé l’avis que la décision du juge de l’application des peines de Bologne du 8 octobre 2007 était « illégitime », au motif que la décision du tribunal de l’application de peines de Bologne du 28 septembre 2006, qui avait refusé la remise de peine, était devenue définitive.

29. Par une décision du 4 octobre 2011, déposée le 18 novembre 2011, le tribunal de l’application des peines de Bologne rejeta la demande introduite par le parquet visant à la révocation de la décision de remise de peine. La juridiction constatait que, comme le requérant l’aurait affirmé à juste titre, le casier judiciaire du 7 mars 2005, sur la base duquel les décisions de rejet de la demande de remise de peine avaient été rendues, était entaché d’une erreur matérielle, à savoir l’indication selon laquelle le requérant avait continué à enfreindre la loi jusqu’en septembre 1998 au lieu de septembre 1989.

 

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

 

30. L’article 54 (intitulé «Remise de peine » – Liberazione anticipata) de la loi sur l’administration pénitentiaire (no 354/1975) se lit ainsi :

«(...) toute personne condamnée à une peine de réclusion ayant participé aux programmes de réadaptation peut bénéficier d’une réduction de peine de quarante-cinq jours pour chaque semestre de peine purgée (...) »

31. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, les juges jouissent d’une marge d’appréciation dans leur évaluation des conditions requises pour l’obtention de la remise de peine. Ils doivent aussi vérifier que la participation aux programmes de réinsertion n’est pas purement fictive ou n’a pas exclusivement comme but l’obtention de bénéfices tels que la remise de peine et qu’elle représente une réelle volonté de réinsertion sociale (Cour de cassation, no 29779 du 3 juillet 2012, déposé le 20 juillet 2012). Toutefois, cette marge d’appréciation n’est pas dépourvue de limites et les décisions sur la remise de peine doivent être dûment motivées (voir, entre autres, Cour de cassation, no 10756 du 7 février 2013, déposé le 7 mars 2013, et no 32985 du 5 juillet 2011, déposé le 1er septembre 2011). À titre d’exemple, la commission d’un délit ou d’une faute disciplinaire ne suffit pas, en soi, à priver l’intéressé du bénéfice d’une remise de peine ; il incombe aux juges de démontrer en quoi la commission d’un tel délit est révélatrice de l’absence d’implication de l’intéressé dans le parcours de rééducation (Cour de cassation, no14359 du 13 février 2013 et déposé le 26 mars 2013). Ainsi, tout en étant libres dans leur appréciation des conditions requises pour l’obtention de la remise de peine, les juges nationaux ne peuvent pas, lorsque les conditions sont remplies, refuser l’octroi de la mesure demandée.

32. Selon l’article 69bis de la loi no 354/1975, introduit par l’article 1 § 4 de la loi no 277/2002, l’alinéa 5 de l’article 30bis de la loi pénitentiaire est applicable à la procédure concernant les demandes de remise de peine. Cette dernière disposition est ainsi libellée :

« Le magistrat de l’application des peines (...) ne fait pas partie du collège qui tranche un recours concernant une décision adoptée par lui-même. »

33. En ce qui concerne le droit à réparation pour une détention provisoire « injuste » (ingiustizia sostenziale), l’article 314 du code de procédure pénale (CPP) prévoit un droit à réparation dans deux cas distincts : lorsque, à l’issue de la procédure pénale sur le fond, l’accusé est acquitté (réparation pour injustice dite « substantielle ») ou lorsqu’il est établi que le suspect a été placé ou maintenu en détention provisoire au mépris des articles 273 et 280 CPP (réparation pour injustice dite « formelle »).

L’article 314 §§ 1 et 2 CPP se lit comme suit :

« 1. Quiconque est relaxé par un jugement définitif au motif que les faits reprochés ne se sont pas produits, qu’il n’a pas commis les faits, que les faits ne sont pas constitutifs d’une infraction ou qu’ils ne sont pas érigés en infraction par la loi a droit à une réparation pour la détention provisoire subie, à condition de ne pas avoir provoqué [sa détention] ou contribué à la provoquer intentionnellement ou par faute lourde.

2. Le même droit est garanti à toute personne relaxée pour quelque motif que ce soit ou à toute personne condamnée qui, au cours du procès, a fait l’objet d’une détention provisoire, lorsqu’il est établi par une décision définitive que l’acte ayant ordonné la mesure a été pris ou prorogé alors que les conditions d’applicabilité prévues aux articles 273 et 280 n’étaient pas réunies. »

34. L’article 273 § 1 CPP dispose :

« Nul ne peut être soumis à des mesures de détention provisoire s’il n’y a pas à sa charge de graves indices de culpabilité. »

35. L’article 280 CPP prévoit qu’une mesure de précaution peut être adoptée seulement si la peine maximale pour l’infraction prétendument commise est supérieure à trois ans d’emprisonnement.

 

EN DROIT

I. SUR LE GRIEF TIRÉ DE L’ARTICLE 5 § 1 a) DE LA CONVENTION

 

36. Le requérant soutient que la tardiveté de l’octroi de la remise de peine a eu pour effet d’allonger la durée de l’exécution de sa peine. Il invoque l’article 5 § 1 a) de la Convention, qui est ainsi libellé :

Article 5

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

(...) »

A. Sur la recevabilité

37. Constatant que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

38. Le requérant allègue que, à compter du 19 janvier 2007, sa détention était devenue irrégulière car elle n’aurait plus découlé d’une condamnation au sens de l’article 5 § 1 a) de la Convention, mais d’un octroi tardif de la remise de peine. En effet, selon lui, son casier judiciaire du 7 mars 2005, sur la base duquel les décisions de rejet de la remise de peine auraient été rendues, était entaché d’une erreur matérielle, à savoir l’indication selon laquelle il avait continué à enfreindre la loi jusqu’en septembre 1998 au lieu de septembre 1989.

39. Le Gouvernement ne se prononce pas sur le fond du grief (paragraphes 5-9 ci-dessus).

40. La Cour relève que le requérant a été arrêté et placé en détention en exécution, entre autres, d’une condamnation par la cour d’assises d’appel de Palerme. La privation de liberté à laquelle le requérant a été soumis s’analyse donc en une détention régulière d’une personne après condamnation par un tribunal compétent au sens de l’article 5 § 1 a) de la Convention.

41. Se fondant sur l’article 54 de la loi sur l’administration pénitentiaire (« la loi no 354/1975 »), le requérant a demandé une remise de peine de quarante-cinq jours par semestre (liberazione anticipata), notamment pour la période du 12 janvier 1976 au 23 mai 1998 (paragraphe 16 ci-dessus). Cette disposition énonce que la remise de peine n’est octroyée que si l’intéressé a fait preuve de bonne conduite et participé aux programmes de réinsertion sociale.

42. Par une décision du 17 juin 2004, le juge de l’application des peines de Bologne a rejeté la demande concernant la période antérieure au mois de mai 1998, principalement au motif que l’intéressé avait continué à commettre des délits jusqu’à cette date. Ce n’est que le 8 octobre 2007 que le juge de l’application des peines a octroyé la remise sollicitée pour la période du 23 novembre 1993 au 23 mai 1998, en raison de la participation du requérant aux programmes de réinsertion sociale (paragraphes 16 et 26 ci-dessus).

43. Le requérant a été remis en liberté le 8 octobre 2007, quatre mois et vingt jours avant le terme de sa peine, alors que la remise accordée équivalait à un an, un mois et treize jours. La fin de la peine étant initialement prévue au 28 février 2008, l’octroi de cette remise lui aurait valu d’être libéré le 19 janvier 2007.

44. Dans ces circonstances, la Cour constate que le requérant a purgé une peine plus longue de huit mois et vingt jours que celle qui résultait de la condamnation prononcée à son encontre après déduction de la remise litigieuse. Il reste à déterminer si le surplus d’emprisonnement a emporté violation de l’article 5 de la Convention.

45. La Cour rappelle d’emblée que l’article 5 § 1 a) de la Convention ne garantit pas, en tant que tel, le droit pour un condamné, par exemple, de jouir d’une loi d’amnistie ou de bénéficier de façon anticipée d’une remise en liberté conditionnelle ou définitive (Mouesca c. France (déc.), n52189/99, 18 octobre 2001, et İrfan Kalan c. Turquie (déc.), no 73561/01, 2 octobre 2001). Toutefois, il pourrait en aller autrement lorsque les juridictions internes sont tenues, en l’absence de tout pouvoir discrétionnaire, d’appliquer une telle mesure à toute personne remplissant les conditions fixées par la loi pour en bénéficier (Grava c. Italie, no 43522/98, § 43, 10 juillet 2003, Pilla c. Italie, no 64088/00, § 41, 2 mars 2006, Şahin Karataş c. Turquie, no 16110/03, § 35, 17 juin 2008, et Del Rio Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, 21 octobre 2013).

46. La Cour observe qu’aux termes de l’article 54 de la loi no 354/1975 sur l’administration pénitentiaire et de la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière (paragraphes 30 et 31 ci-dessus), les autorités compétentes jouissent d’une marge d’appréciation afin d’établir si un détenu a rempli les critères de bonne conduite et de participation aux programmes de réinsertion et si son adhésion à ces programmes n’est pas purement fictive ou n’a pas exclusivement comme but l’obtention de bénéfices tels que la remise de peine. Toutefois, cette liberté d’appréciation n’est pas dépourvue de limites et chaque décision doit être dûment motivée en droit et en fait. Lorsque les conditions sont remplies, les autorités judiciaires doivent ainsi octroyer la remise de peine dans la mesure établie par la loi (paragraphe 31 ci-dessus).

47. En l’espèce, les juges ont d’abord refusé d’octroyer la remise de peine pour la période du 12 janvier 1976 au 23 mai 1998 au motif que, selon le casier judiciaire du requérant (paragraphes 21 et 25 ci-dessus), l’activité criminelle en question avait pris fin en septembre 1998.

48. Ensuite, les juges ont accepté la demande pour la période de 1993 à 1998 en soulignant la bonne conduite du requérant et sa participation aux programmes de réinsertion sociale au cours de la période litigieuse. En effet, comme l’a précisé le tribunal de l’application des peines le 4 octobre 2011, le casier judiciaire dont les juges avait fait référence était entaché d’une erreur matérielle, car il indiquait que le requérant avait continué à commettre le délit litigieux jusqu’en septembre 1998 tandis que la cour d’assises d’appel de Palerme avait condamné le requérant pour un délit commis jusqu’au mois de septembre 1989 (paragraphe 29 ci-dessus).

49. En conclusion, la Cour constate que le requérant a purgé une peine d’une durée supérieure à celle qu’il aurait dû subir selon le système juridique national, compte tenu des remises de peine auxquelles il avait droit (voir, mutatis mutandis, Grava, précité, § 45). Elle estime que le surplus d’emprisonnement en cause, équivalent à huit mois et vingt jours, ne saurait s’analyser en une détention régulière au sens de l’article 5 § 1 a) de la Convention.

50. Par conséquent, il y a eu violation de cette disposition.

 

II. SUR LE GRIEF TIRÉ DE L’ARTICLE 5 § 5 DE LA CONVENTION

 

51. Le requérant se plaint de ne pas avoir été indemnisé pour la détention injustement subie. Il invoque l’article 5 § 5 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à la liberté et la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation ».

52. Dans ses observations, le Gouvernement ne s’exprime pas en la matière (paragraphes 5-9 ci-dessus).

A. Sur la recevabilité

53. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

54. La Cour rappelle que le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 de l’article 5 de la Convention suppose qu’une violation de l’un des autres paragraphes de cette disposition ait été établie par une autorité nationale ou par la Cour (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002‑X). En l’espèce, la Cour ayant conclu à la violation de l’article 5 § 1 a), il reste à déterminer si le requérant disposait, au moment de l’introduction de la requête devant elle, de la possibilité de demander réparation pour le préjudice subi.

55. La Cour rappelle que, en vertu de sa jurisprudence constante, il appartient aux juridictions nationales d’interpréter et d’appliquer les dispositions du droit interne (Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, 23 avril 1997, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1997-III, et De Lorenzo c. Italie (déc.), no 69264/01, 12 février 2004). Ainsi, en l’espèce, la Cour ne saurait se substituer aux juridictions internes pour déterminer la base juridique sur laquelle l’indemnisation pouvait être accordée.

56. Par conséquent, il incombait au Gouvernement d’indiquer avec une clarté suffisante quels recours utiles l’intéressé aurait dû introduire en la matière. La Cour n’a pas à suppléer d’office à l’imprécision ou aux lacunes des thèses de l’État défendeur (voir, mutatis mutandis, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, § 35, série A no 301‑B).

57. La Cour constate que le Gouvernement ne se prononce pas sur le fond du grief (paragraphes 5-9 ci-dessus).

58. Partant, en l’absence de toute indication de la part du Gouvernement sur la voie que le requérant aurait dû emprunter pour obtenir une indemnisation, la Cour conclut à la violation de l’article 5 § 5 de la Convention.

 

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 RELATIVE AU REFUS DE LA REMISE DE PEINE POUR LE PÉRIODE DU 23 NOVEMBRE 2006 AU 8 OCTOBRE 2007

 

59. Le requérant reproche au juge de l’application des peines de Bologne de ne pas lui avoir accordé, et ce, selon lui, en violation du droit interne, la remise de peine relative à la période du 23 novembre 2006 au 8 octobre 2007 (paragraphe 26 ci-dessus), ce qui l’aurait obligé à purger une peine plus longue.

60. La Cour relève qu’il ne ressort pas du dossier que le requérant ait saisi le tribunal de l’application des peines pour se plaindre de la décision du 8 octobre 2007 du juge de l’application des peines.

61. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

 

IV. SUR LE GRIEF TIRÉ DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

 

62. Le requérant soutient que l’article 6 de la Convention a été violé en raison du manque d’impartialité qui aurait entaché la procédure devant le tribunal de l’application des peines de Bologne (décision du 28 septembre 2006, no R.T.S. 3199/05). En particulier, il affirme que le président du collège a tranché auparavant, dans le cadre de la même procédure, le même type de demande en tant que juge de l’application des peines (décision du 17 juin 2004, no R.G. 1627/03).

63. La Cour a examiné ce grief tel qu’il a été présenté par le requérant. Compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose, et pour autant qu’elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention.

64. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

 

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

 

65. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

66. Lors de l’introduction de la requête, le requérant a réclamé 10 000 000 euros (EUR) au titre du dommage moral. Toutefois, dans ses observations, il ne réclame aucun montant pour dommage moral ou dommage matériel et il ne demande pas le remboursement de frais et dépens.

67. Selon sa jurisprudence constante (voir, notamment, Andrea Corsi c. Italie, no 42210/98, 4 juillet 2002, Andrea Corsi c. Italie (révision), no 42210/98, 2 octobre 2003, Willekens c. Belgique, no 50859/99, 24 avril 2003, et Mancini c. Italie, no 44955/98, CEDH 2001-IX), la Cour n’octroie aucune somme à titre de satisfaction équitable dès lors que les prétentions chiffrées et les justificatifs nécessaires n’ont pas été soumis dans le délai imparti à cet effet par l’article 60 § 1 du règlement, même dans le cas où la partie requérante aurait indiqué ses prétentions à un stade antérieur de la procédure (Fadıl Yılmaz c. Turquie, no 28171/02, § 26, 21 juillet 2005, et Kravchenko et autres (logements militaires) c. Russie, nos 11609/05, 12516/05, 17393/05, 20214/05, 25724/05, 32953/05, 1953/06, 10908/06, 16101/06, 26696/06, 40417/06, 44437/06, 44977/06, 46544/06, 50835/06, 22635/07, 36662/07, 36951/07, 38501/07, 54307/07, 22723/08, 36406/08 et 55990/08, § 51, 16 septembre 2010).

68. Aussi, le requérant n’ayant pas satisfait aux obligations qui lui incombaient aux termes de l’article 60 du règlement, la Cour considère-t-elle qu’il convient de n’allouer aucune somme à titre de satisfaction équitable.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 5 §§ 1 a) et 5 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 a) de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention ;

4. Dit qu’il n’y a pas lieu d’allouer une somme à titre de satisfaction équitable en l’espèce.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 mars 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Fatoş Aracı                                                                         Päivi Hirvelä

Greffière adjointe                                                                 Présidente