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Corte europea dei diritti dell’uomo

(Seconda Sezione)

 

19 giugno 2012

 

Requête n. 13396/03

 

 

 

 

AFFAIRE IULIANO ET AUTRES c. ITALIE

 

 

 

 

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

 

 

STRASBOURG

 

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 

En l’affaire Iuliano et autres c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente, 
 Dragoljub Popović, 
 Isabelle Berro-Lefèvre, 
 András Sajó, 
 Guido Raimondi, 
 Paulo Pinto de Albuquerque, 
 Helen Keller, juges, 
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 mai 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 13396/03) dirigée contre la République italienne et dont cinq ressortissants de cet État, Mmes Colomba Maria et Concetta Iuliano, M. Alberico Iuliano, Mme Carmela Iuliano et M. Elio Iuliano (« les requérants »), ont saisi la Cour le 23 avril 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Par un arrêt du 14 décembre 2006 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que l’ingérence litigieuse n’était pas compatible avec le principe de légalité et qu’elle avait donc enfreint le droit au respect des biens des requérants (CEDH Iuliano et autres c. Italie, no 13396/03, § 46, 14 décembre 2006).

3.  En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, les requérants réclamaient une satisfaction équitable égale à la valeur marchande des deux parcelles du terrain dont ils avaient été privés, réévaluée et assortie d’intérêts. Ils demandaient également un dédommagement à titre de préjudice moral, ainsi qu’une somme à titre de remboursement des frais encourus devant la Cour.

4.  La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état pour le dommage moral, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, point 3 du dispositif).

5.  Le délai fixé pour permettre aux parties de parvenir à un accord amiable était venu à échéance sans que les parties n’aboutissent à un tel accord.

6.  Le 17 avril 2007, le président de la chambre a décidé de demander aux parties de nommer chacune un expert chargé d’évaluer le préjudice matériel et de déposer un rapport d’expertise avant le 18 juin 2007.

7.  Lesdits rapports d’expertise ont été déposés dans le délai imparti.

8.  A la suite de la modification de la composition des sections de la Cour, la présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée.

EN DROIT

9.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage matériel

10.  Les requérants sollicitent le versement de la somme de 272 009 EUR, égale à la valeur marchande des deux parcelles du terrain dont ils ont été privés, réévaluée et assortie d’intérêts.

11.  Le Gouvernement conteste les prétentions des requérants.

12.  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).

13.  Elle rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009), la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a décidé d’écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l’arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l’Etat sur les terrains.

14.  Selon les nouveaux critères fixés par la Grande Chambre, l’indemnisation doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l’on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l’inflation. Il convient aussi de l’assortir d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est écoulé depuis la dépossession des terrains. Ces intérêts doivent correspondre à l’intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.

15.  En l’espèce, les requérants ont perdu la propriété de leur terrain en 1981 et 1987. Il ressort de l’expertise ordonnée par les juridictions internes que les valeurs des biens à ces dernières dates étaient de 10 532 EUR et 4 379 EUR.

16.  Compte tenu de ces éléments, la Cour estime raisonnable d’accorder conjointement aux requérants 83 500 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

17.  Reste à évaluer la perte de chances subie à la suite de l’expropriation litigieuse (Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC] précité, § 107). La Cour juge qu’il y a lieu de prendre en considération le préjudice découlant de l’indisponibilité des deux parcelles du terrain pendant la période allant du début de l’occupation légitime (18 mars 1976 et 30 avril 1986) jusqu’au moment de la perte de propriété (respectivement 20 juillet 1981 et 26 septembre 1987). Statuant en équité, la Cour alloue conjointement aux requérants 7 500 EUR.

B.  Dommage moral

18.  Les requérants demandent un dédommagement de 150 000 EUR à titre de préjudice moral.

19.  Le Gouvernement s’y oppose et estime qu’aucune somme n’est due au titre du préjudice moral, puisque ce type de préjudice ne saurait découler de la violation de l’article 1 du Protocole no 1 mais uniquement de la violation du « délai raisonnable ».

20.  La Cour estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de leurs biens a causé aux requérants un préjudice moral important, qu’il y a lieu de réparer de manière adéquate.

21.  Statuant en équité, la Cour accorde conjointement aux requérants 10 000 EUR au titre du préjudice moral.

C.  Frais et dépens

22.  Justificatifs à l’appui, les requérants demandent 43 000 EUR pour les frais de procédure devant les juridictions internes.

23.  Le Gouvernement s’y oppose et observe que les prétentions des requérants sont exorbitantes.

24.  La Cour rappelle que l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).

25.  La Cour ne doute pas de la nécessité d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu’il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d’allouer un montant de 20 000 EUR pour l’ensemble des frais exposés.

D.  Intérêts moratoires

26.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i.  91 000 EUR (quatre vingt onze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

ii.  10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

iii.  20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt aux requérants, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

2.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 juin 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley Naismith Françoise Tulkens 
 Greffier Président