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Corte europea dei diritti dell’uomo

(Quinta Sezione)

 

 

8 marzo 2012

 

 

DÉFINITIF

 

08/06/2012

 

 

AFFAIRE CÉLICE c. FRANCE

 

(Requête n. 14166/09)

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

 

STRASBOURG

 

 

 

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 

 


En l’affaire Célice c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

          Dean Spielmann, président,
          Elisabet Fura,
          Karel Jungwiert,
          Mark Villiger,
          Ann Power-Forde,
          Ganna Yudkivska,
          André Potocki, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 février 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 14166/09) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Damien Célice (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 février 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me Bertrand Perier, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Edwige Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le requérant allègue en particulier une violation de son droit d’accès à un tribunal.

4.  Le 28 mai 2010, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permettait l’ancien article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

 

5.  Le requérant est né en 1970 et réside à Paris.

6.  Le 14 juin 2008, la voiture du requérant fut flashée à la vitesse de 76 km/h, soit 71 km/h après application de la marge de tolérance technique, à un endroit où la vitesse était limitée à 70 km/h. De tels faits sont constitutifs d’une contravention de la quatrième classe.

7.  Un avis de contravention au code de la route invitant le requérant à payer une amende forfaitaire de 68 euros (EUR) lui fut adressé le 19 juin 2008. L’avis précisait qu’en cas de paiement dans les quinze jours, le montant serait ramené à 45 EUR et qu’en cas de défaut de paiement dans les quarante-cinq jours, il serait majoré et porté à 180 EUR.

8.  Le 4 juillet 2008, le requérant adressa une requête en exonération à l’officier du ministère public, usant du formulaire prévu à cet effet, intitulé « formulaire de requête en exonération (art. 529-10 et R. 49-14 du code de procédure pénale) ».

9.  Ce formulaire envisage trois situations : 1o le vol ou la destruction du véhicule ; 2o le prêt, la location ou la cession du véhicule ; 3o « autre motif ou absence des justificatifs ou des documents demandés ». Il indique que, dans la troisième hypothèse, le formulaire doit être accompagné d’un exposé sur papier libre des raisons de la contestation ou de l’absence des renseignements ou documents requis, et envoyé dans les quarante-cinq jours suivant la date d’envoi de l’avis de contravention, et que le montant de l’amende forfaitaire doit être réglé à titre de consignation. Il précise que cette consignation n’est pas assimilable au paiement de l’amende forfaitaire et n’entraîne pas de retrait de points du permis de conduire.

Le formulaire contient au verso les « informations complémentaires » suivantes : la requête en exonération est transmise à l’officier du ministère public qui vérifie si les conditions de recevabilité sont remplies ; si ce n’est pas le cas, le requérant reçoit un avis d’amende forfaitaire majorée ; si c’est le cas, l’officier du ministère public examine son bien-fondé et décide, soit de classer la contravention sans suite, soit de poursuivre l’intéressé devant la juridiction de proximité. Il est également précisé que la requête est irrecevable si le formulaire n’est pas envoyé par lettre recommandé avec demande d’avis de réception ou si, s’agissant de la troisième des situations susmentionnées, il n’est pas accompagné de l’exposé sur papier libre.

Le formulaire ajoute que, pour obtenir une copie du cliché pris par un appareil de contrôle automatisé, il faut envoyer une demande écrite « impérativement » accompagnée d’« une photocopie lisible de la carte grise du véhicule concerné, [d’]une photocopie lisible d’une pièce d’identité avec photographie, et [d’]une photocopie lisible de l’avis de contravention ».

10.  Le requérant, qui se plaçait dans la troisième des situations susmentionnées, régla la consignation et, dans les délais impartis et les formes requises, envoya sa demande en exonération assortie d’une lettre faisant valoir ce qui suit :

« (...) Je prends bonne note de ce que des poursuites sont susceptibles d’être engagées à mon encontre pour un dépassement de la vitesse maximale limitée de 1 km/h, en ma qualité de titulaire de la carte grise d’un véhicule DINO immatriculé (...). Il s’agit d’un véhicule de collection dont la date de première mise en circulation remonte à l’année 1975 et dont, bien entendu, je n’ai pas un usage quotidien.

Je n’étais pas le conducteur de ce véhicule au moment où les faits ont été relevés par vos services. Je suis en mesure de le prouver en produisant, si vous le demandez, six ou sept témoignages de collaborateurs et de clients qui étaient présents à mon cabinet le 14 juin 2008 entre 16 h et 17 h. J’ignorais même que ce véhicule circulait ce jour là. Il doit s’agir d’un préposé du garagiste chez qui le véhicule était en dépôt pour entretien. Je ne suis donc pas en mesure de vous communiquer une identité.

Je souhaiterais donc, dans un premier temps, recevoir une photocopie pour éventuellement identifier l’auteur de l’infraction que vous me reprochez. Je procède par ailleurs à la consignation demandée.

A ce stade, je souhaiterais juste préciser que, s’agissant d’un véhicule de 1975, le compteur de vitesse est conçu de telle façon qu’il est en pratique impossible de déceler un écart aussi réduit que celui de 1 km/h. (...) »

11.  Par une lettre du 29 juillet 2008, l’officier du ministère public répondit au requérant que, pour obtenir le cliché, il lui fallait impérativement envoyer des photocopies de ce même courrier, de l’avis de contravention, de la carte grise du véhicule et d’une pièce d’identité. La lettre fait référence à l’article 6 de l’arrêté du 27 octobre 2003 « portant création du système de contrôle sanction automatisé », aux termes duquel « le droit d’accès au cliché pris par les appareils de contrôle automatique des infractions (...) s’effectue, par envoi, par courrier simple et à la demande expresse du titulaire du droit d’accès, sous le contrôle d’un officier ou agent de police judiciaire ».

En réponse, le requérant fit valoir dans un courrier recommandé du 5 août 2008 que les informations réclamées par l’administration étaient déjà en la possession de cette dernière et que l’article 6 de l’arrêté du 7 octobre 2003 ne subordonnait pas l’envoi du cliché à la production de tels documents. Il réitéra par ailleurs sa demande d’accès au cliché, afin d’être « en mesure de remplir la demande de renseignement concernant l’identité du conducteur à l’origine de l’infraction ».

12.  Dans un courrier du 3 septembre 2008, l’officier du ministère public informa le requérant du rejet de sa demande en ces termes :

« (...) Suite au courrier que vous m’avez fait parvenir, je vous informe du rejet de votre demande en raison du non respect des règles prévues par l’article 529-10 du code de procédure pénale.

Le motif de rejet est : Demande de cliché sans contestation explicite de l’infraction.

Conformément aux dispositions de l’article R. 49-18 du Code de Procédure Pénale, la somme versée est considérée comme un paiement de l’amende forfaitaire ou de l’amende forfaitaire majorée, sous réserve que ce montant corresponde à celui de l’amende due. Le cas échéant, vous devez payer le complément au centre d’encaissement des amendes (...) »

13.  Le requérant s’opposa à cette décision par courrier recommandé du 8 septembre 2008 en faisant valoir qu’il avait bien contesté l’infraction qui lui était reprochée et que sa demande d’accès au cliché avait pour seul objectif de déterminer l’identité du conducteur au moment des faits et de pouvoir, en conséquence, s’exonérer de sa responsabilité.

14.  Le requérant ne reçut pas de réponse à ce courrier.

15.  Le 21 novembre 2008, le ministère de l’Intérieur informa le requérant que la réalité de l’infraction qui lui était reprochée avait été établie par le paiement de l’amende forfaitaire et qu’en conséquence, un point serait retiré sur son permis de conduire.

 

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

 

16.  Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale (dans leur version applicable à l’époque des faits) sont les suivantes :

Article 529

« Pour les contraventions des quatre premières classes dont la liste est fixée par décret en Conseil d’Etat l’action publique est éteinte par le paiement d’une amende forfaitaire qui est exclusive de l’application des règles de la récidive (...). »

Article 529-1

« Le montant de l’amende forfaitaire peut être acquitté soit entre les mains de l’agent verbalisateur au moment de la constatation de l’infraction, soit auprès du service indiqué dans l’avis de contravention dans les quarante-cinq jours qui suivent la constatation de l’infraction ou, si cet avis est ultérieurement envoyé à l’intéressé, dans les quarante-cinq jours qui suivent cet envoi. »

Article 529-2

« Dans le délai prévu par l’article précédent, le contrevenant doit s’acquitter du montant de l’amende forfaitaire, à moins qu’il ne formule dans le même délai une requête tendant à son exonération auprès du service indiqué dans l’avis de contravention. Dans les cas prévus par l’article 529-10, cette requête doit être accompagnée de l’un des documents exigés par cet article. Cette requête est transmise au ministère public.

A défaut de paiement ou d’une requête présentée dans le délai de quarante-cinq jours, l’amende forfaitaire est majorée de plein droit et recouvrée au profit du trésor public en vertu d’un titre rendu exécutoire par le ministère public. »

Article 529-10

« Lorsque l’avis d’amende forfaitaire concernant une des contraventions mentionnées à l’article L. 121-3 du code de la route a été adressé au titulaire du certificat d’immatriculation ou aux personnes visées aux deuxième et troisième alinéas de l’article L. 121-2 de ce code, la requête en exonération prévue par l’article 529-2 ou la réclamation prévue par l’article 530 n’est recevable que si elle est adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception et si elle est accompagnée :

1o  Soit de l’un des documents suivants :

a)  Le récépissé du dépôt de plainte pour vol ou destruction du véhicule ou pour le délit d’usurpation de plaque d’immatriculation prévu par l’article L. 317-4-1 du code de la route, ou une copie de la déclaration de destruction de véhicule établie conformément aux dispositions du code de la route ;

b)  Une lettre signée de l’auteur de la requête ou de la réclamation précisant l’identité, l’adresse, ainsi que la référence du permis de conduire de la personne qui était présumée conduire le véhicule lorsque la contravention a été constatée ;

2o  Soit d’un document démontrant qu’il a été acquitté une consignation préalable d’un montant égal à celui de l’amende forfaitaire dans le cas prévu par le premier alinéa de l’article 529-2, ou à celui de l’amende forfaitaire majorée dans le cas prévu par le deuxième alinéa de l’article 530 ; cette consignation n’est pas assimilable au paiement de l’amende forfaitaire et ne donne pas lieu au retrait des points du permis de conduire prévu par le quatrième alinéa de l’article L. 223-1 du code de la route.

L’officier du ministère public vérifie si les conditions de recevabilité de la requête ou de la réclamation prévues par le présent article sont remplies. »

Article 530

« Le titre mentionné au second alinéa de l’article 529-2 ou au second alinéa de l’article 529-5 est exécuté suivant les règles prévues par le présent code pour l’exécution des jugements de police. La prescription de la peine commence à courir à compter de la signature par le ministère public du titre exécutoire, qui peut être individuel ou collectif.

Dans les trente jours de l’envoi de l’avis invitant le contrevenant à payer l’amende forfaitaire majorée, l’intéressé peut former auprès du ministère public une réclamation motivée qui a pour effet d’annuler le titre exécutoire en ce qui concerne l’amende contestée. Cette réclamation reste recevable tant que la peine n’est pas prescrite, s’il ne résulte pas d’un acte d’exécution ou de tout autre moyen de preuve que l’intéressé a eu connaissance de l’amende forfaitaire majorée. S’il s’agit d’une contravention au code de la route, la réclamation n’est toutefois plus recevable à l’issue d’un délai de trois mois lorsque l’avis d’amende forfaitaire majorée est envoyé par lettre recommandée à l’adresse figurant sur le certificat d’immatriculation du véhicule, sauf si le contrevenant justifie qu’il a, avant l’expiration de ce délai, déclaré son changement d’adresse au service d’immatriculation des véhicules ; dans ce dernier cas, le contrevenant n’est redevable que d’une somme égale au montant de l’amende forfaitaire s’il s’en acquitte dans un délai de quarante-cinq jours, ce qui a pour effet d’annuler le titre exécutoire pour le montant de la majoration.

La réclamation doit être accompagnée de l’avis d’amende forfaitaire majorée correspondant à l’amende considérée ainsi que, dans le cas prévu par l’article 529-10, de l’un des documents exigés par cet article, à défaut de quoi elle est irrecevable. »

Article 530-1

« Au vu de la requête faite en application du premier alinéa de l’article 529-2, de la protestation formulée en application du premier alinéa de l’article 529-5 ou de la réclamation faite en application du deuxième alinéa de l’article 530, le ministère public peut, soit renoncer à l’exercice des poursuites, soit procéder conformément aux articles 524 à 528-2 ou aux articles 531 et suivants, soit aviser l’intéressé de l’irrecevabilité de la réclamation non motivée ou non accompagnée de l’avis.

En cas de condamnation, l’amende prononcée ne peut être inférieure au montant de l’amende ou de l’indemnité forfaitaire dans les cas prévus par le premier alinéa de l’article 529-2 et le premier alinéa de l’article 529-5, ni être inférieure au montant de l’amende forfaitaire majorée dans les cas prévus par le second alinéa de l’article 529-2 et le second alinéa de l’article 529-5.

Dans les cas prévus par l’article 529-10, en cas de classement sans suite ou de relaxe, s’il a été procédé à la consignation prévue par cet article, le montant de la consignation est reversé, à sa demande, à la personne à qui avait été adressé l’avis de paiement de l’amende forfaitaire ou ayant fait l’objet des poursuites. En cas de condamnation, l’amende prononcée ne peut être inférieure au montant prévu à l’alinéa précédent augmenté d’une somme de 10 %. »

Article 530-2

« Les incidents contentieux relatifs à l’exécution du titre exécutoire et à la rectification des erreurs matérielles qu’il peut comporter sont déférés à la juridiction de proximité, qui statue conformément aux dispositions de l’article 711. »

Article R. 49-8

« L’officier du ministère public saisi d’une réclamation recevable informe sans délai le comptable direct du trésor de l’annulation du titre exécutoire en ce qui concerne l’amende contestée. »

Article R. 49-18 (version en vigueur jusqu’au 1er octobre 2008)

« Lorsqu’une consignation a été acquittée en application des dispositions de l’article 529-10, il est fait application des dispositions suivantes :

Si la consignation n’est pas suivie d’une requête en exonération ou d’une réclamation formulée conformément aux dispositions des articles 529-2, 529-10 et 530, elle est considérée comme valant paiement de l’amende forfaitaire ou de l’amende forfaitaire majorée.

Si l’officier du ministère public classe sans suite la contravention, il notifie sa décision à l’auteur de la requête en exonération en l’informant que la consignation lui sera remboursée s’il en fait la demande au comptable du trésor public.

En cas de condamnation à une peine d’amende ou lorsque le prévenu est déclaré redevable de l’amende en application de l’article L. 121-3 du code de la route, la juridiction de jugement précise dans sa décision le montant de l’amende restant dû après déduction du montant de la consignation.

En cas de décision de relaxe et s’il n’est pas fait application de l’article L. 121-3 du code de la route, la juridiction ordonne le remboursement de la consignation au prévenu si celui-ci en fait la demande au comptable du trésor public. »

17.  La « circulaire relative à la politique pénale en matière de contrôle automatisé de la vitesse » du 7 avril 2006 (CRIM 2006 – 08 E1/07-04-2006) souligne notamment qu’en application de l’article 530-1 du code de procédure pénale, une contestation ne peut être considérée comme étant irrecevable que si elle n’est pas motivée ou si elle n’est pas accompagnée de l’avis correspondant à l’amende, outre les cas où, en application des dispositions de l’article 529-10, elle doit être accompagnée du versement d’une consignation. Elle ajoute que l’officier du ministère public ne dispose pas du pouvoir d’apprécier le caractère bien fondé ou non de la réclamation ou de la requête en exonération, son pouvoir d’appréciation se limitant à l’examen de la recevabilité formelle de la contestation : lorsque les conditions de recevabilité sont remplies, la contestation doit être obligatoirement portée devant la juridiction de jugement à moins que l’officier du ministère public ne décide de renoncer aux poursuites.

La circulaire précise ensuite que, dans un arrêt du 29 octobre 1997 (Cass. Crim., Bull. crim. no 357), la Cour de cassation a ainsi cassé un jugement ayant déclaré irrecevable une requête présentée sur le fondement de l’article 530-2 du code de procédure pénale « alors que la réclamation n’avait pas été déclarée irrecevable en raison de l’absence de motivation ou du défaut d’accompagnement de l’avis correspondant à l’amende considérée et que, dès lors, l’officier du ministère public devait, en application de l’article R. 49-8 du même code, informer le comptable du trésor de l’annulation du titre exécutoire ». Elle ajoute, renvoyant aux arrêts Peltier c. France (no 32872/96, 21 mai 2002) et Besseau c. France (no 73893/01, 7 mars 2006), que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme va dans le même sens.

18.  Dans un avis du 5 mars 2007 (no 0070004P), la Cour de cassation à indiqué ce qui suit :

« Lorsque la décision d’irrecevabilité de la réclamation du contrevenant est prise par le ministère public pour un motif autre que l’un des deux seuls prévus par l’article 530-1, premier alinéa du code de procédure pénale, le contrevenant, avisé de cette décision, peut élever un incident contentieux devant la juridiction de proximité, en application de l’article 530-2 du même code.

Cet incident contentieux est recevable jusqu’à prescription de la peine.

Si la juridiction de proximité juge que la réclamation était recevable, le titre exécutoire est annulé, ce qui a pour effet d’ouvrir un nouveau délai de prescription de l’action publique. »

Dans les observations qu’il a formulées dans le cadre de l’examen de la demande d’avis, l’avocat général L. Davenas a rappelé qu’un incident contentieux relatif à l’exécution porté devant un tribunal ne permet pas en principe de remettre en cause le principe de la condamnation ni d’aborder le fond du litige. Il a toutefois souligné qu’il en va différemment pour le contentieux de l’amende forfaitaire majorée, en raison du caractère ambivalent du titre exécutoire – mi-acte de poursuite, mi-acte juridictionnel – qui fait que la réclamation visée à l’article 530-2 du code de procédure pénale touche à la fois la forme et le fond de la condamnation et remet en cause sa force de chose jugée. L’officier du ministère public, en effet, ne dispose pas du pouvoir d’apprécier le bien-fondé ou non d’une réclamation ; il doit seulement après avoir vérifié si les conditions de sa recevabilité (articles 530-1 et 529-10 du code de procédure pénale) sont remplies, la porter obligatoirement devant la juridiction de proximité à moins qu’il ne renonce aux poursuites. Dès lors, une réclamation régulièrement déposée, rejetée pour des motifs autres que l’absence de motivation ou d’avis qui donne lieu à un incident contentieux relatif à l’exécution du titre exécutoire, annule le titre exécutoire et met l’officier du ministère public dans l’obligation de soumettre la réclamation au juge de proximité. Il s’agit là, souligne l’avocat général L. Davenas, du « contrepoids nécessaire au pouvoir exorbitant donné à un agent de poursuite de rejeter une requête que lui seul juge irrecevable ».

19.  Dans une décision du 29 septembre 2010 (no 2010-38 QPC), le Conseil constitutionnel a déclaré l’article 529-10 du code de procédure pénale conforme à la Constitution, sous la réserve suivante :

« 7.  Considérant que le dernier alinéa de l’article 529-10 (...) prévoit que l’officier du ministère public vérifie si les conditions de recevabilité de la requête en exonération ou de la réclamation sont remplies ; que le droit à un recours juridictionnel effectif impose que la décision du ministère public déclarant irrecevable la réclamation puisse être contestée devant la juridiction de proximité ; qu’il en va de même de la décision déclarant irrecevable une requête en exonération lorsque cette décision a pour effet de convertir la somme consignée en paiement de l’amende forfaitaire ; que, sous cette réserve, le pouvoir reconnu à l’officier du ministère public de déclarer irrecevable une requête en exonération ou une réclamation ne méconnaît pas l’article 16 de la Déclaration de 1789. »

EN DROIT

I.  SUR LE CARACTERE PRETENDUMENT ABUSIF DE LA REQUETE

 

20.  Le Gouvernement indique que le requérant, qui pouvait s’exonérer de toute responsabilité en établissant qu’il n’était pas le conducteur du véhicule, n’a produit devant l’officier du ministère public aucune pièce justificative dans ce sens. Il se serait borné à exiger la production du cliché, en refusant de fournir les documents requis à cette fin. Ce faisant, il aurait omis de satisfaire à la « condition de forme élémentaire » prévue par la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés – visée par l’arrêté du 27 octobre 2003 « portant création du système de contrôle sanction automatisé » –, dont les articles 34 et 39 prescriraient que des données à caractère personnel ne peuvent être transmises à des personnes ne justifiant pas de leur identité. Le requérant aurait ainsi lui-même fait obstacle à la possibilité de dégager sa responsabilité relative à l’infraction du 14 juin 2008, ce qui aurait eu pour conséquence de rendre la présente requête sans objet. Soulignant que « la Cour n’[a] pas vocation à protéger des droits hypothétiques », le Gouvernement lui demande de conclure au caractère abusif de la requête.

21.  Le requérant invite la Cour à constater la vacuité de ces arguments. Il souligne tout d’abord que la loi ne fait pas de la production des pièces justificatives évoquées par le Gouvernement une condition de recevabilité des réclamations, le pouvoir d’appréciation de l’officier du ministère public étant limité à l’examen de la recevabilité formelle de la contestation. C’est devant une juridiction de jugement que de tels éléments auraient dû être produits ; or, du fait même de la décision de cet officier, sa cause n’a pu être examinée par un tribunal. Il indique ensuite qu’il s’est conformé à l’arrêté ministériel du 27 octobre 2003 – dont l’article 6 dispose que le droit d’accès au cliché pris par les appareils de contrôle automatique s’effectue par envoi, par courrier simple et à la demande expresse du titulaire du droit d’accès, sous le contrôle d’un officier ou agent de police judiciaire –, joignant dûment à sa demande l’avis d’amende forfaitaire permettant son identification en tant que titulaire du droit d’accès. Enfin, il souligne qu’en tout état de cause, la communication du cliché est une question distincte de la situation qu’il dénonce : la décision d’irrecevabilité du ministère public faisait de toute façon obstacle à l’examen de sa cause par un juge.

22.  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 3 a) de la Convention, elle déclare irrecevable toute requête individuelle introduite en application de l’article 34 lorsque, notamment, elle estime qu’elle est « abusive ». Cela étant, renvoyant à sa jurisprudence en la matière (voir en particulier Miroļubovs et autres c. Lettonie, no 798/05, 15 septembre 2009, §§ 62-66, et Petrović c. Serbie (déc.), nos 56551/11, 56650/11, 56669/11, 56671/11, 56692/11, 56744/11, 56826/11, 56827/11, 56831/11, 56833/11 et 56834/11, 16 novembre 2011) et rappelant qu’il s’agit-là d’une mesure procédurale exceptionnelle (Miroļubovs et autres précité, § 62), elle constate que rien ne permet de considérer que la présente requête est abusive au sens de l’article 35 § 3 a).

 

II.  SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

 

23.  Le requérant dénonce une violation de son droit d’accès à un « tribunal ». Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A.  Sur la recevabilité

24.  Le Gouvernement soutient que la requête est irrecevable, faute pour le requérant d’avoir épuisé les voies de recours internes. Il indique que, compte tenu des pouvoirs dont il disposait en application des articles 529-10 et 530-1 du code de procédure pénale, en estimant les explications du requérant insuffisantes, l’officier du ministère public s’est « livré, probablement à tort,  à une appréciation du bien fondé de la requête en exonération motivée » plutôt qu’à une appréciation de la recevabilité de celle-ci. Or, selon lui, le requérant disposait de deux voies de recours pour se plaindre de cette décision.

Premièrement, souligne le Gouvernement, le requérant pouvait, en application de l’article 530-2 du code de procédure pénale, soulever devant la juridiction de proximité un incident contentieux relatif à l’exécution du titre exécutoire. Le Gouvernement renvoie à cet égard à quatre arrêts et à un avis de la Cour de cassation (Cass. crim. 29 octobre 1997, JCP 1998 éd. G, IV, p. 1271 ; Cass. Crim., 20 mars 2002, bull. no 69 ; Cass. crim., 9 mai 2002, no 01-87396 ; Cass. crim., 29 mai 2002, bull. no 124 ; Cass. avis du 5 mars 2007, no 0070004P). Il concède que dans l’arrêt Peltier c. France (21 mai 2002, no 32872/96) la Cour a conclu à l’ineffectivité de ce recours en ce qu’il ne concerne que la question de l’exécution du titre rendu exécutoire et ne permet pas au contrevenant de contester le bien-fondé ou la réalité de l’infraction, mais soutient qu’en l’espèce, le requérant contestait non la réalité de l’infraction mais sa responsabilité. Deuxièmement, le Gouvernement soutient que le requérant disposait d’une voie de droit pour obtenir réparation de l’erreur du ministère public : engager la responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, aux termes duquel « l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice [ ;] sauf dispositions particulière, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice ».

25.  Le requérant expose tout d’abord que, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, il ressort de son courrier du 8 septembre 2008 qu’il entendait contester la décision du ministère public déclarant sa réclamation irrecevable. Il ajoute que si la Cour a conclu dans l’arrêt Peltier précité que la saisine de la juridiction de proximité en application de l’article 530-2 du code de procédure pénale n’est pas un recours à épuiser, ce n’est pas seulement parce qu’elle ne permet pas de contester le bien-fondé ou la réalité de l’infraction, mais aussi parce qu’elle ne permet de contester ni le rejet de la demande d’exonération de l’amende forfaitaire ni la validité de la motivation de cette décision, et qu’elle n’offre pas un remède à l’entrave au droit de contester la réalité de l’infraction devant un tribunal.

Le requérant soutient ensuite qu’à supposer même qu’il puisse être considéré qu’il s’agit d’une voie de recours efficace, elle n’était pas ouverte dans son cas puisque la réclamation qu’il avait formulée dans les quarante-cinq jours prévus par les textes avait été déclarée irrecevable et n’avait donc pas donné lieu à une conversion en amende forfaitaire majorée. Or il résulte du second alinéa de l’article 529-2 du code de procédure pénale que seule l’amende forfaitaire majorée donne lieu à un titre exécutoire, susceptible de faire l’objet d’un incident contentieux au sens de l’article 530-2 du même code. Il ajoute qu’il ressort en réalité de l’avis et des arrêts de la Cour de cassation auxquels le Gouvernement se réfère, que ce recours n’est possible que lorsque la décision d’irrecevabilité est prise par le ministère public pour un autre motif que ceux prévus par le premier alinéa de l’article 530-1 du code de procédure pénale. Le ministère public ayant déclaré sa réclamation irrecevable par l’un des motifs prévus par cette disposition – l’absence de motivation expresse de la réclamation – ce recours ne lui était donc pas accessible.

Le requérant expose en outre qu’il eut été inefficace d’engager la responsabilité de l’Etat pour déni de justice sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judicaire, cette voie ne permettant pas de mettre en cause les conséquences de la décision du ministère public déclarant la réclamation irrecevable. Il ajoute que cette disposition n’est de toute façon pas applicable à la situation qu’il dénonce puisqu’il ressort des articles 4 du code civil et 434-7-1 du code pénal qu’un « déni de justice » ne peut être le fait que de celui dont la fonction est de juger ; or telle n’est pas la fonction du parquet, dont il est question en l’espèce.

26.  La Cour rappelle tout d’abord que seules les voies de recours effectives et propres à redresser la violation alléguée doivent être épuisées. Plus précisément, les dispositions de l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrivent l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats ; ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues. Il incombe à l’Etat défendeur, s’il plaide le non-épuisement, de démontrer que ces conditions se trouvent réunies (voir, parmi de nombreux autres, Paksas c. Lituanie [GC], no 34932/04, 6 janvier 2011, § 75).

27.  S’agissant de la thèse du Gouvernement selon laquelle, en application de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, le requérant avait la possibilité de dénoncer le déni de justice dont il se dit victime dans le cadre d’une action visant à la réparation du dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice, la Cour rappelle que le requérant se plaint essentiellement d’une violation du droit de toute personne à ce que la décision relative au « bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » soit prise par un « tribunal indépendant et impartial ». Elle estime que dans un tel cas de figure, seule une procédure permettant d’obtenir un tel examen juridictionnel de l’« accusation » est propre à redresser la violation alléguée. Tel n’est pas le cas de la procédure en réparation dont il est question.

28.  La Cour rappelle ensuite que dans l’affaire Peltier (arrêt précité, §§ 21-24 ; voir aussi la décision sur la recevabilité du 29 juin 1999), dont les circonstances sont proches de celles de la présente affaire, elle a conclu que la possibilité prévue par l’article 530-2 du code de procédure pénale de soulever devant le juge (il s’agissait alors du tribunal de police) un incident contentieux relatif à l’exécution du titre exécutoire ne constituait pas un recours effectif. Elle a en effet constaté que ce recours ne concernait que la question de « l’exécution » du titre rendu exécutoire par le ministère public pour permettre au trésor public de recouvrer l’amende forfaitaire majorée : il visait à la mise en œuvre de l’obligation du ministère public d’informer le comptable du trésor de l’annulation du titre exécutoire lorsque la réclamation a été déclarée irrecevable pour un autre motif que l’absence de motivation ou du défaut d’accompagnement des avis correspondant à l’amende. Elle en a déduit que ce recours ne permettait pas de remédier au grief du requérant Peltier, qui consistait à mettre en cause le rejet de sa demande d’exonération de l’amende forfaitaire, la validité de la motivation de la décision de l’officier du ministère public rejetant sa réclamation contre l’amende forfaitaire majorée ainsi que l’entrave subséquente à son droit d’accès à un tribunal pour contester la réalité de l’infraction reprochée.

29.  Certes, depuis lors, la Cour de cassation a confirmé que le contrevenant peut élever un incident contentieux en application de l’article 530-2 lorsque la décision d’irrecevabilité de la réclamation est prise par le ministère public pour un motif autre que l’un des deux seuls prévus par l’article 530-1 du code de procédure pénale. La Cour de cassation a précisé qu’il appartient alors au juge (il s’agit désormais de la juridiction de proximité) de décider si la réclamation est recevable, la recevabilité entraînant de plein droit l’annulation du titre exécutoire et mettant l’officier du ministère public dans l’obligation de soumettre la réclamation au juge de proximité (paragraphe 18 ci-dessus).

En l’espèce toutefois, en application de l’article R. 49-18 du code de procédure pénale, la requête en exonération ayant été déclarée irrecevable par l’officier du ministère public, la consignation acquittée par le requérant a été considérée comme valant paiement de l’amende forfaitaire. De ce fait, la procédure n’a pas donné lieu à l’amende forfaitaire majorée prévue par l’article 529-2 du code de procédure pénale, seule susceptible aux termes de cet article d’aboutir à un titre exécutoire. Il n’y a donc pas eu de titre exécutoire susceptible de fonder l’application de l’article 530-2 susmentionné. Il s’ensuit qu’en tout état de cause, le requérant n’avait pas accès à la procédure prévue par cette disposition.

30.  Il convient en conséquence de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement. Constatant par ailleurs que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

31.  Le requérant soutient qu’en rejetant sa réclamation au motif qu’il n’avait pas formulé une « contestation explicite de l’infraction », l’officier du ministère public a procédé à une appréciation de la pertinence de celle-ci et s’est illégitimement érigé en juge de la réclamation et en « autorité de sanction ». Le requérant se serait en conséquence trouvé privé de tout recours juridictionnel. D’une part, parce que, l’officier du ministère public n’étant pas indépendant à l’égard du pouvoir exécutif, il ne peut être qualifié d’« autorité judiciaire » au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion. D’autre part, parce que, lorsque, comme dans son cas, la décision d’irrecevabilité de cet officier est fondée sur l’un des motifs visés par l’article 530-1 du code de procédure pénale, le justiciable ne peut même pas élever un incident contentieux devant la juridiction de proximité.

Le requérant rappelle ensuite que la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 1 dans les arrêts Peltier (précité) et Besseau c. France (no 73893/01, 7 mars 2006), qui concernaient des cas de figure comparables.

Il ajoute que, dans sa décision du 29 septembre 2010 (no 2010-38 QPC), le Conseil constitutionnel a jugé que, dans le cas d’une décision d’irrecevabilité de l’officier du ministère public prise après paiement de la consignation par le justiciable et ayant pour effet de convertir ce paiement en paiement de l’amende, il y a méconnaissance du droit d’accès au juge si cette décision ne peut faire l’objet d’un recours devant la juridiction de proximité. Or tel est précisément le cas de figure dans lequel il s’est trouvé.

32.  Le Gouvernement n’a pas développé une argumentation au fond distincte de celle exposée au paragraphe 18 ci-dessus.

2.  Appréciation de la Cour

33.  Comme la Cour l’a rappelé dans les arrêts Peltier et Besseau précités (paragraphes 35 et 23, respectivement), qui concernaient des circonstances proches de celles de l’espèce, le droit à un tribunal, dont le droit d’accès constitue un aspect, n’est pas absolu ; il se prête à des limitations implicites, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d’un recours. Celles-ci ne peuvent toutefois en restreindre l’exercice d’une manière ou à un point tels qu’il se trouve atteint dans sa substance même, elles doivent tendre à un but légitime et il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

34.  En l’espèce, la Cour constate que le requérant a déposé une requête en exonération au sens de l’article 529-10 du code de procédure pénale. Elle relève en particulier qu’il a à cette fin adressé à l’officier du ministère public – il s’agit d’un commissaire de police –, dans les formes et délai prescrits, le formulaire intitulé « formulaire de requête en exonération (art. 529-10 et R. 49-14 du code de procédure pénale) » joint à l’avis de contravention. Il a par ailleurs, conformément à l’article 529-10 2o du code de procédure pénal, indiqué sur ce formulaire qu’il se trouvait dans la troisième des situations envisagées – précisant de la sorte qu’il sollicitait l’exonération pour « autre motif ou absence des justificatifs ou des documents demandés » –, a joint comme requis un exposé sur papier libre indiquant les raisons de la contestation et de l’absence de justificatifs, et – cela n’est pas controversé – a justifié du règlement du montant de l’amende forfaitaire à titre de consignation (paragraphes 8-11 ci-dessus).

La Cour note ensuite qu’il ressort de l’article 530-1 du code de procédure pénale que, chargé de vérifier les conditions de recevabilité des requêtes en exonération, l’officier du ministère public, a trois possibilités : soit renoncer à l’exercice des poursuites, soit saisir la juridiction compétente, soit, lorsque la requête n’est pas motivée ou n’est pas accompagnée de l’avis, aviser l’intéressé de son irrecevabilité. En l’espèce, il a considéré que la requête était irrecevable au motif qu’il s’agissait d’une « demande de cliché sans contestation explicite de l’infraction » (paragraphe 12 ci-dessus). Or, d’une part, il résulte de ce qui précède que ce motif est erroné, le requérant ayant clairement indiqué dans le formulaire prévu à cet effet contester l’infraction qui lui était reprochée, et précisé ses motifs dans la lettre accompagnant comme il se doit sa requête en exonération (paragraphe 10 ci-dessus). Il apparaît en outre – le Gouvernement le concède – qu’en portant cette appréciation, l’officier du ministère public, dont le pouvoir d’appréciation se limite à l’examen de la recevabilité formelle de la contestation, a excédé ses pouvoirs. D’autre part, comme indiqué précédemment (paragraphe 29 ci-dessus), la décision d’irrecevabilité de l’officier du ministère public a entraîné l’encaissement de la consignation équivalant au paiement de l’amende forfaitaire par application de l’article R. 49-18 du code de procédure pénale. Ainsi, nonobstant la contestation du requérant, l’amende était payée et l’action publique était éteinte, sans qu’un « tribunal », au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, ait examiné le fondement de l’« accusation » dirigée contre lui et entendu ses arguments relatifs à celle‑ci.

35.  La Cour en déduit que le droit d’accès à un tribunal du requérant s’est trouvé atteint dans sa substance même.

36.  Au surplus, la Cour prend acte du fait que, dans sa décision n2010‑38 QPC du 29 septembre 2010, le Conseil Constitutionnel a jugé que, dans le cas où l’officier du ministère public déclare irrecevable une requête en exonération contre une amende forfaitaire après que le requérant a payé la consignation et où la déclaration d’irrecevabilité a pour effet de convertir le paiement de la consignation en paiement de l’amende, l’impossibilité de saisir la juridiction de proximité d’un recours contre cette décision est incompatible avec le « droit à un recours juridictionnel effectif ».

37.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

 

II.  SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION

 

38.  Le requérant se plaint du fait qu’en matière d’excès de vitesse notamment, la requête en exonération ou la réclamation adressée au ministère public n’est recevable que si elle est accompagnée d’un document démontrant la consignation préalable d’un montant égal à celui de l’amende forfaitaire ou de l’amende forfaitaire majorée. Il voit là une méconnaissance de la présomption d’innocence, consacrée par l’article 6 § 2 de la Convention en ces termes :

« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

39.  La Cour a déjà eu l’occasion de juger qu’en tant que telle, la circonstance que la recevabilité de la requête en exonération et de la réclamation dont il est question à l’article 529-10 du code de procédure pénale est subordonnée au paiement préalable d’une consignation d’un montant correspondant à l’amende forfaitaire n’emporte pas violation de l’article 6 de la Convention (voir Thomas c. France (déc.) no 14279/05, 29 avril 2008, et Schneider c. France (déc.), no 49852/06, 30 juin 2009). Elle ne voit aucune raison de s’écarter de cette conclusion en l’espèce. Partant, manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention, cette partie de la requête est irrecevable et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

 

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

 

40.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

41.  Le requérant réclame 68 EUR au titre du préjudice matériel, cette somme correspondant au montant de l’amende forfaitaire qu’il a acquitté. Il demande en outre 1 EUR pour préjudice moral.

42.  Le Gouvernement marque son accord avec ces montants.

43.  La Cour estime que l’on ne peut retenir qu’il y a un lien de causalité entre la violation constatée et le préjudice matériel allégué, sauf à spéculer sur l’issue qu’aurait eu la procédure si le requérant avait eu accès à un tribunal pour contester l’infraction qui lui était imputée. Elle rejette donc cette partie de la demande. Si elle admet en revanche que le requérant a subi un dommage moral du fait de la méconnaissance de l’article 6 § 1 de la Convention, elle considère que ce dommage se trouve suffisamment compensé par la conclusion de violation à laquelle elle est parvenue.

B.  Frais et dépens

44.  Le requérant demande 2 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, et 1 000 EUR pour ceux relatifs à une procédure conduite devant le tribunal administratif de Paris afin de contester le retrait de point consécutif au paiement de l’amende forfaitaire. Il produit deux notes d’honoraires correspondant à ces montants.

45.  Le Gouvernement observe que l’entête de l’avocat du requérant ne figure pas sur les notes d’honoraires produites et que le requérant ne démontre pas avoir effectivement payé les sommes indiquées. Il souligne qu’en tout état de cause, il n’y a pas lieu de rembourser les frais et dépens relatifs à la procédure administrative, dès lors en particulier que cette procédure est sans rapport avec les griefs dont la Cour est saisie. Il juge en revanche raisonnable le montant réclamé au titre de la procédure devant la Cour, pour autant que le requérant apporte la preuve de son paiement.

46.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

En l’espèce, premièrement, la Cour marque son accord avec le Gouvernement s’agissant des frais et dépens relatifs à la procédure devant le tribunal administratif dont le requérant fait état. Deuxièmement, compte tenu en particulier de la note d’honoraires y relative produite par le requérant – qui émane sans conteste de l’avocat qui le représente – et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’allouer 1 000 EUR à ce dernier au titre de la procédure devant elle.

C.  Intérêts moratoires

47.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

 

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

 

3. Dit que le constat de violation auquel elle parvient constitue une satisfaction équitable suffisante s’agissant du dommage moral ;

 

4.  Dit,

a)  que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 mars 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia Westerdiek                                                              Dean Spielmann
       Greffière                                                                              Président