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Corte europea dei diritti dell’uomo

(Seconda Sezione)

 

6 marzo 2012, req. n. 23563/07

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE GAGLIANO GIORGI c. ITALIE

(Requête no 23563/07)

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

STRASBOURG

 

 

 

 

 

 

6 mars 2012

 

 

 

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 

 

 

En l’affaire Gagliano Giorgi c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente,

 Danutė Jočienė,

 Dragoljub Popović,

 Işıl Karakaş,

 Guido Raimondi,

 Paulo Pinto de Albuquerque,

 Helen Keller, juges,

et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 31 mai 2007,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 février 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

EN FAIT

1.  Le requérant, M. Mario Gagliano Giorgi, est un ressortissant italien, né en 1949 et résidant à Milan. Il a saisi la Cour le 31 mai 2007. Il est représenté devant la Cour par Mes B. Nascimbene et M.S. Mori, avocats à Milan. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora, et par son coagent, M. N. Lettieri.

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

A.  La procédure principale

3.  Le requérant était inspecteur auprès du Bureau des Étrangers de la Préfecture de police (Questura) de Milan.

4.  Par un décret du 5 septembre 1988, notifié le jour suivant, le parquet du tribunal de Milan informa le requérant qu’il avait entamé des poursuites à son encontre pour concussion (articles 317 et 81 du code pénal) et ordonna la perquisition du domicile, de la voiture et du bureau du requérant, laquelle eut lieu le 6 septembre 1988.

5.  Le 9 septembre 1988, l’ordinateur du requérant fut saisi.

6.  Le 20 mars 1989, le juge d’instruction (« le juge ») du tribunal de Milan ordonna de nouvelles perquisitions, qui eurent lieu le jour suivant. Le 20 mars 1989, le juge émit un mandat d’arrêt à l’encontre du requérant des chefs de concussion (articles 317 et 81 du code pénal) et faux (article 479 du même code). Le requérant était accusé d’avoir contraint ou poussé plusieurs ressortissants étrangers nécessitant de titres de séjour à lui verser des sommes d’argent afin d’obtenir les titres du Bureau des Etrangers. Il était aussi accusé d’avoir altéré le procès-verbal de certaines déclarations faites par un ressortissant étranger ayant dénoncé cette pratique. Le juge ordonna aussi l’arrestation de six autres personnes impliquées dans les mêmes faits.

7.  Le 21 mars 1989, le Préfet de police (Questore) de Milan suspendit le requérant de ses fonctions.

8.  A une date non précisée, le requérant formula une première demande de mise en liberté, qui fut rejetée par le juge le 28 mars 1989, en raison du risque de dissimulation des preuves de la part du requérant.

9.  A une date non précisée, le requérant contesta le mandat d’arrêt devant la chambre du tribunal de Milan chargée de réexaminer les mesures de précaution (tribunale del riesame). Le 30 mars 1989, celle-ci débouta le requérant.

10.  A une date non précisée, le requérant introduisit une nouvelle demande de mise en liberté devant le juge. Par une ordonnance déposée le 21 avril 1989, ce dernier rejeta cette demande, en raison du risque de dissimulation des preuves. L’ordonnance du juge fut confirmée, le 29 mai 1989, par le tribunale del riesame.

11.  Par une ordonnance déposée le 21 juin 1989, le juge, à la suite d’une troisième demande du requérant, ordonna sa remise en liberté, au motif que, le parquet ayant recueilli suffisamment de preuves, le risque de dissimulation ne subsistait plus.

12.  Par une ordonnance déposée le 25 janvier 1990, le juge ordonna le renvoi devant le tribunal de Milan du requérant pour concussion et faux (RG no185/90). Sept autres personnes furent renvoyées en justice.

13.  A la suite de six audiences, tenues entre les 8 et 23 mai 1990, d’instruction et de plaidoiries, par un jugement du 25 mai 1990, déposé au greffe le 22 juin 1990, le tribunal condamna le requérant pour concussion et faux à quatre ans et six mois de réclusion et à l’interdiction perpétuelle de l’exercice de fonctions publiques.

14.  Le 26 mai 1990, le requérant attaqua ce jugement devant la cour d’appel de Milan (RG no 4630/90), demandant le renouvellement de l’instruction et des plaidoiries, son acquittement ou la requalification des faits contestés en corruption.

15.  Le 5 juillet 1990, devant le juge d’instance de Monza, le requérant fit élection de domicile, aux fins de la procédure devant la cour d’appel de Milan, dans la commune de S. Zenone al Lambro (Milan), auprès de Mme V.S.

16.  Le 7 avril 1993, le président de la cour d’appel de Milan fit notifier l’assignation à comparaître à l’audience du 18 mai 1993 à l’un des avocats du requérant.

17.  Des sept audiences fixées entre le 18 mai et le 29 novembre 1993, une fut renvoyée d’office, une en raison de ce que la Questura de Milan n’avait pas produit les documents demandés par la cour, une concerna la déclaration de contumace du requérant, une les demandes d’instruction probatoire et la production de documents par les avocats des accusés, une le dépôt de documents de la part de la Questura, une l’audition des témoins, une la présentation des conclusions.

18.  Par un arrêt du 29 novembre 1993, déposé au greffe le 22 décembre 1993, la cour d’appel ne confirma la responsabilité du requérant que pour certains des épisodes de concussions qui lui étaient reprochés et de ce chef ramena à trois ans et huit mois la peine globale retenue à son encontre pour ce délit et celui de faux.

19.  Le 24 décembre 1993, ce dernier se pourvut en cassation et demanda à titre principal l’annulation de l’arrêt de la cour d’appel en raison de ce que l’assignation à comparaître à l’audience du 18 mai 1993 avait été notifiée au domicile de son avocat et non pas au domicile qu’il avait élu le 5 juillet 1990. A titre subsidiaire, il sollicita à nouveau la requalification en corruption des faits contestés.

20.  Par un arrêt du 29 septembre 1994, déposé au greffe le 1er décembre 1994, la Cour de cassation annula l’arrêt de la cour d’appel et renvoya l’affaire à une autre section de celle-ci, en raison, entre autres, de la nullité de l’assignation à comparaître.

21.  Entre-temps, le 10 mars 1994, le Questore de Milan révoqua la suspension du requérant de ses fonctions. Ce dernier fut muté à la Questura de Turin.

22.  L’audience de plaidoiries de l’affaire devant la cour d’appel de Milan (RG no 2637/94) fut fixée au 29 janvier 1996. A une date non précisée, la cour d’appel déclara la contumace du requérant.

23.  Par un arrêt du 1er mars 1996, déposé au greffe le 30 avril 1996, la cour d’appel, après avoir requalifié les faits en « corruption », déclara l’extinction de ce délit pour prescription. Elle condamna le requérant avec sursis pour faux à une peine de réclusion d’un an et à la peine accessoire de l’interdiction de l’exercice de fonctions publiques pour un an.

24.  A une date non précisée, antérieure à juillet 1996, le requérant se pourvut à nouveau en cassation. Il fit valoir que le greffe de la cour d’appel, en notifiant l’assignation à comparaître à son domicile élu, à savoir l’habitation de Mme V.S., avait erronément adressé le recommandé à l’attention de celle-ci et non à l’attention du requérant.

25.  Par un arrêt du 7 octobre 1997, déposé au greffe le 18 octobre 1997, la Cour de cassation fit droit à la demande du requérant et renvoya le dossier à une autre section de la cour d’appel.

26.  A une date non précisée, le greffe de la cour d’appel notifia l’assignation à comparaître à l’audience du 26 mars 1998 (RG no 4288/97) à l’un des avocats du requérant.

27.  A cette date, la cour d’appel déclara la nullité de l’assignation et ordonna la notification de l’assignation pour l’audience du 11 juin 1998 par la police judiciaire auprès de Mme V.S. et auprès de la Questura de Turin, où le requérant avait entre-temps pris service.

28.  A la suite de l’audience du 11 juin 1998, par un arrêt du même jour, déposé au greffe le 24 juin 1998, la cour d’appel déclara que le chef d’accusation de corruption était prescrit et condamna le requérant à un an de réclusion pour faux et à la peine accessoire de l’interdiction de l’exercice de fonctions publiques pour un an. Elle confirma le bénéfice du sursis de l’exécution de la peine.

29.  Le 2 octobre 1998, le requérant se pourvut en cassation. Il allégua que la notification de l’assignation à comparaître à l’audience du 11 juin 1998 effectuée auprès de Mme V.S. n’indiquait pas correctement l’autorité judiciaire compétente et que celle effectuée à la Questura de Turin n’était pas régulière puisque remise à son supérieur hiérarchique.

30.  Par un arrêt du 14 avril 1999, déposé au greffe le 29 avril 1999, la Cour de cassation débouta le requérant au motif que, d’après la jurisprudence de la même cour, la remise à un supérieur hiérarchique entraîne une présomption de connaissance de la part du destinataire de la notification, laquelle est de ce fait régulière.

B.  La première requête introduite devant la Cour

31.  Le 12 octobre 1999, le requérant saisit la Cour d’une requête (no52228/99) concernant l’équité de la procédure pénale diligentée à son encontre.

32.  Le 8 novembre 2002, la Cour, statuant au sens de l’article 28 de la Convention, déclara la requête manifestement mal fondée.

C.  La procédure « Pinto »

33.  Le 16 octobre 2001, le requérant saisit la cour d’appel de Brescia au sens de la loi « Pinto », demandant 60 000 000 lires italiennes [30 987 euros (EUR)] pour le préjudice moral et matériel qu’il prétendait avoir subi à cause de la durée de la procédure principale.

34.  Par une décision déposée le 21 février 2002, la cour d’appel conclut à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention uniquement pour la phase allant du dépôt du jugement du tribunal de Milan (22 juin 1990) au prononcé du premier arrêt en appel (29 novembre 1993), en estimant que les autres phases de la procédure n’avaient subi aucune stagnation, compte tenu du nombre de juges qui avaient eu à statuer sur l’affaire. Elle n’accorda aucune indemnisation, au motif que le requérant n’avait pas démontré avoir subi de dommage matériel ou moral et que, de toute manière, ayant été condamné à l’issue de la procédure principale, il n’avait pu subir aucun dommage moral lié à la durée de celle-ci.

35.  Le 24 avril 2002, le requérant se pourvut en cassation. Par un arrêt déposé le 24 octobre 2003, la Cour de cassation cassa la décision litigieuse, estimant que l’issue défavorable d’un procès n’exclut pas en soi l’existence d’un dommage moral découlant de sa durée et que, par ailleurs, les préjudices subis du fait de la durée d’une procédure doivent être démontrés par l’intéressé. Elle renvoya l’affaire devant la cour d’appel de Brescia.

36.  Le 20 avril 2004, le requérant saisit cette dernière, faisant valoir, entre autres, qu’après le dépôt de l’arrêt du 24 octobre 2003, la Cour de cassation plénière avait rendu quatre arrêts excluant la nécessité de démontrer le dommage moral (nos 1338, 1339, 1340 et 1341 de 2004).

37.  Par une décision du 7 juillet 2004, déposée le 21 juillet 2004, la cour d’appel rejeta le recours, au motif que les principes découlant des arrêts de la Cour de cassation plénière n’étaient pas directement applicables dans la procédure de renvoi et que le requérant n’avait pas démontré le dommage moral, comme il était tenu de faire. La cour d’appel releva par ailleurs que le requérant avait intérêt au prolongement de la procédure pénale afin d’obtenir la prescription des délits dont il était accusé.

38.  Le 15 novembre 2004, le requérant se pourvut en cassation. Par un arrêt déposé le 6 décembre 2006, la Cour de cassation débouta le requérant et le condamna au paiement de 3 000 EUR pour frais et dépens de la procédure.

D.  La deuxième requête introduite devant la Cour

39.  Entre-temps, le 10 novembre 2004, le requérant avait saisi à nouveau la Cour (requête no 40739/04), se plaignant de la durée de la procédure pénale, de la durée de la procédure « Pinto » et du manque d’effectivité du remède « Pinto ».

40.  Le 11 janvier 2005, la Cour, en application de l’article 28 de la Convention, déclara la requête irrecevable dans sa globalité. Par lettre du 17 janvier, le requérant fut informé que « compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles ».

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  La loi « Pinto »

41.  Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », figurent dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006-V).

B.  La renonciation à la prescription en matière pénale.

42.  L’article 157 § 7 du code pénal, tel que modifié suite à l’arrêt no 275/1990 de la Cour constitutionnelle, se lit ainsi :

Article 157 § 7

« L’accusé peut toujours renoncer à la prescription de façon expresse. »

GRIEFS

43.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la durée de la procédure principale et du manque de redressement dans le cadre de la procédure « Pinto ». Il conteste notamment que la cour d’appel de Brescia, dans ses décisions des 21 février 2002 et 7 juillet 2004, a limité à deux ans seulement la durée de la procédure principale excédant le délai « raisonnable » et n’a pas accordé d’indemnisation au motif qu’il n’avait pas fait la preuve du dommage moral subi, ce qui serait, au contraire, in re ipsa.

44.  Invoquant les articles 1, 13 et 46, il se plaint du manque d’effectivité du remède « Pinto », en raison de ce que la décision de la cour d’appel de Brescia du 7 juillet 2004 et l’arrêt de la Cour de cassation du 6 décembre 2006 n’ont pas appliqué les critères d’indemnisation établis pas la Cour et suivis dans les arrêts de la Cour de cassation plénière de 2004.

45.  Sur la base de l’article 6 § 1, il se plaint de la durée de la procédure « Pinto ».

46.  Invoquant les articles 1, 13 et 46, il se plaint du manque d’effectivité du remède « Pinto », en raison de la durée de la procédure « Pinto ».

EN DROIT

I.  GRIEFS TIRÉS DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

47.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la durée de la procédure principale et du manque de redressement dans le cadre de la procédure « Pinto » ainsi que de la durée de cette dernière.

48.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

49.  L’article 6 de la Convention, dans ses parties pertinentes, se lit ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée (...) »

A.  Sur la durée de la procédure principale et le manque de redressement dans le cadre de la procédure « Pinto »

50.  La Cour relève que le requérant allègue la violation de l’article 6 de la Convention du fait qu’il n’a obtenu aucune indemnisation pour une procédure ayant duré dix ans et sept mois pour trois degrés de juridiction.

Absence de préjudice important

51.  Dans ses observations du 20 mai 2010, le Gouvernement invoque l’absence de tout préjudice important pour le requérant. Il se réfère au texte de l’article 35 § 3 b) de la Convention, tel que modifié par le Protocole no 14, selon lequel la Cour peut déclarer une requête irrecevable lorsque « le requérant n’a subi aucun préjudice important, sauf si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles exige un examen de la requête au fond et à condition de ne rejeter pour ce motif aucune affaire qui n’a pas été dûment examinée par un tribunal interne ».

52.  Le Gouvernement affirme, notamment, que le prolongement de la procédure litigieuse a permis au requérant de bénéficier d’une réduction de la peine en raison de l’extinction du délit de corruption pour prescription. Le Gouvernement soutient, en outre, que le requérant aurait fait preuve d’un comportement obstructionniste lors du procès afin de faire courir les délais de prescription.

53.  La partie requérante rejette les arguments du Gouvernement quant à sa conduite lors du procès et nie tout prétendu bénéfice qui découlerait de la déclaration de prescription en question. Elle fait valoir en particulier que, l’arrêt d’appel du 1er mars 1996 ayant déjà accordé au requérant le bénéfice du sursis, ladite déclaration n’aurait entraîné aucune modification substantielle de la peine infligée à ce dernier.

54.  La Cour rappelle que le nouveau critère du manque de préjudice important a été conçu pour lui permettre de traiter rapidement les requêtes à caractère futile afin de se concentrer sur sa mission essentielle, qui est d’assurer au niveau européen la protection juridique des droits garantis par la Convention et ses Protocoles (Stefanescu c. Roumanie (déc.), no 11774/04, 12 avril 2011, § 35).

55.  Issue du principe de minimis non curat praetor, la nouvelle condition de recevabilité renvoie à l’idée que la violation d’un droit, quelle que soit sa réalité d’un point de vue strictement juridique, doit atteindre un seuil minimum de gravité pour justifier un examen par une juridiction internationale (Korolev c. Russie (déc), nº 25551/05, 1 juillet 2010). L’appréciation de ce seuil est, par nature, relative et dépend des circonstances de l’espèce (Korolev, précitée, et, mutatis mutandis, Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 100, série A no 161). Cette appréciation doit tenir compte tant de la perception subjective du requérant que de l’enjeu objectif du litige.

56.  Au vu des critères se dégageant de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’afin de vérifier si la violation d’un droit atteint le seuil minimum de gravité, il y a lieu de prendre en compte notamment les éléments suivants : la nature du droit prétendument violé, la gravité de l’incidence de la violation alléguée dans l’exercice d’un droit et/ou les conséquences éventuelles de la violation sur la situation personnelle du requérant (Giusti c. Italie, no 13175/03, § 34, 18 octobre 2011).

57.  En l’espèce, la Cour constate que, en raison de la durée de la procédure litigieuse, le 11 juin 1998, la cour d’appel a déclaré l’extinction du chef d’accusation de corruption pour prescription. Cela a de toute évidence entraîné une diminution de la peine retenue à l’encontre du requérant, d’autant plus que le délit prescrit était assorti de la peine la plus lourde des deux reprochés à l’intéressé, quoique les éléments du dossier ne permettent pas d’apprécier l’importance exacte de cette réduction ni d’éclaircir ultérieurement le lien existant entre la violation du délai raisonnable et celle-ci. La Cour observe également que le requérant a décidé de ne pas renoncer à la prescription, possibilité qui lui était offerte en droit italien (voir Droit interne pertinent, § 42 ci-dessus). Dans ces circonstances, la Cour est de l’opinion que la réduction de la peine en question à tout de moins compensé ou particulièrement réduit les préjudices découlant normalement de la durée excessive de la procédure. Au demeurant, la Cour voit mal la pertinence des observations de la partie requérante ayant trait au fait que l’arrêt du 1er mars 1996 avait octroyé au prévenu le bénéfice du sursis de l’exécution de la peine (voir § 23 ci-dessus). Elle note à cet égard que par ce même arrêt la Cour d’appel de Milan avait en fait déjà déclaré l’extinction du délit de corruption pour prescription.

58.  Dès lors, la Cour considère que le requérant n’a pas subi un « préjudice important » au regard de son droit à un procès dans un délai raisonnable.

59.  Quant à la question de savoir si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles exige d’examiner la requête au fond, la Cour rappelle que cette notion renvoie aux conditions déjà définies pour l’application des articles 37 § 1 et 38 § 1 (dans sa rédaction antérieure au Protocole no 14) de la Convention. Les organes de la Convention ont interprété de manière constante ces dispositions comme exigeant la poursuite de l’examen d’une affaire, en dépit de la conclusion d’un règlement amiable ou l’existence d’une cause de radiation du rôle. Il a en revanche déjà été jugé que cet examen ne s’imposait pas lorsqu’il existe une jurisprudence claire et très abondante sur la question relative à la Convention qui se pose dans l’affaire soumise à la Cour (voir, entre autres, Van Houten c. Pays-Bas (radiation), no 25149/03, CEDH 2005-IX, et Kavak c. Turquie (déc.), no 34719/04 et 37472/05, 19 mai 2009).

60.  En l’espèce, la Cour estime qu’aucun impératif tiré de l’ordre public européen auquel participent la Convention et ses Protocoles ne justifie de poursuivre l’examen du grief.

61.  En effet, ledit grief pose la question du droit au délai raisonnable en matière pénale et notamment celle de la durée de la procédure principale dans le cadre du remède introduit par la loi « Pinto », qui ont fait l’objet d’une jurisprudence copieuse de la Cour (voir, entre autres, Cocchiarella c. Italie [GC], précité, Simaldone c. Italie, no 22644/03, 31 mars 2009 et Labita c. Italie [GC], no 26772/95, CEDH 2000-IV).

62.  Dans ces conditions, la Cour estime que le respect des droits de l’homme n’exige pas la poursuite de l’examen de ce grief.

63.  Enfin, s’agissant de la troisième condition posée par le nouveau critère de recevabilité, qui exige que l’affaire ait été « dûment examinée » par un tribunal interne, la Cour rappelle qu’elle vise à garantir que toute affaire fera l’objet d’un examen juridictionnel soit sur le plan national, soit sur le plan européen. Cette clause reflète également le principe de subsidiarité, tel qu’il ressort notamment de l’article 13 de la Convention, qui exige que des recours effectifs contre les violations soient disponibles au niveau national (Korolev, précitée). Combinée à la clause de sauvegarde précédente, elle garantit que ne sont pas en jeu devant la Cour des questions sérieuses d’application ou d’interprétation de la Convention et de ses Protocoles, ou des questions importantes relatives au droit national (voir le Rapport explicatif au Protocole no 14, § 83).

64.  En l’espèce, la Cour constate que la question portant sur la durée de la procédure pénale a été examiné à deux reprises par le juge d’appel et par le juge de cassation compétents aux termes de la loi « Pinto », le requérant ayant soumis à ce dernier les moyens tirés du refus de la cour d’appel de lui accorder une indemnisation pécuniaire.

65.  Dans ces conditions, la Cour estime que l’affaire a été dûment examinée par un tribunal interne, aucune question sérieuse relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou au droit national n’ayant été laissée sans réponse.

66.  Les conditions du nouveau critère de recevabilité étant réunies, la Cour estime que ce grief doit être déclaré irrecevable en vertu de l’article 35 §§ 3 b) et 4 de la Convention.

B.  Sur la durée de la procédure « Pinto »

67.  La Cour observe que le requérant invoque une violation de l’article 6 de la Convention du fait de la durée prétendument excessive de la procédure « Pinto ».

68.  Le Gouvernement n’a pas formulé d’observations sur ce point.

1. Les principes applicables

69.  Quant au délai qui peut être considéré raisonnable au sens de l’article 6 § 1, la Cour rappelle que les critères applicables ne sauraient être ceux adoptés pour évaluer la durée des procédures ordinaires, eu égard à la nature de la voie de recours « Pinto » et au fait que ces affaires ne revêtent normalement aucune complexité. Dans le cadre d’un recours indemnitaire visant à redresser les conséquences de la durée excessive des procédures, une diligence particulière s’impose aux États afin que la violation soit constatée et redressée dans le plus bref délai possible (Belperio et Ciarmoli c. Italie, no 7932/04, § 42, 21 décembre 2010).

70.  En ce qui concerne la phase judiciaire de la procédure, dans l’affaire Vaney c. France (no 53946/00, § 53, 30 novembre 2004) où le requérant se plaignait de la durée d’une procédure pénale ainsi que de la durée d’un recours en responsabilité de l’État pour la lenteur de celle-ci, la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention aussi en relation à la durée de la deuxième procédure.

71.  Dans l’affaire Cocchiarella (précité, § 99), la Cour a indiqué que le délai de quatre mois prévu par la loi « Pinto » respecte l’exigence de célérité requise pour un recours effectif. Toutefois, elle a accepté que des durées de neuf mois pour une instance et de quatorze mois pour deux instances pouvait passer pour raisonnables, bien que dépassant le délai prévu par la loi « Pinto » (Riccardi Pizzati c. Italie [GC], no 62361/00, § 98, 29 mars 2006, Giuseppe Mostacciuolo c. Italie (no 2) [GC], no 65102/01, § 97, 29 mars 2006).

72.  Plus récemment, dans l’affaire Belperio et Ciarmoli (précité, § 48), la Cour a considéré déraisonnable une procédure « Pinto », ayant duré deux ans et huit mois pour un degré de juridiction, y compris la phase de l’exécution. En outre, lors de la communication de cette même affaire, le 9 juin 2009, la Cour a fixé à environ un an et six mois (pour un degré de juridiction, plus phase d’exécution) et deux ans et six mois (pour deux degrés de juridiction, y compris phrase d’exécution) le délai dans lequel une procédure Pinto globalement considérée devrait s’achever pour être considérée raisonnable.

73.  À la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’afin de satisfaire aux exigences du « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, la durée d’une procédure « Pinto » devant la cour d’appel compétente et la Cour de cassation, y incluse la phase d’exécution de la décision, ne devrait pas, en principe et sauf circonstances exceptionnelles, dépasser deux ans et six mois.

2. L’application au cas d’espèce

74.  La Cour note que la procédure « Pinto », débutée le 16 octobre 2001, s’est achevée le 6 décembre 2006 et a donc duré cinq ans et un mois (à ramener à quatre ans et deux mois compte tenu des retards imputables au requérant) pour deux degrés de juridictions. La Cour remarque aussi que, le requérant n’ayant obtenu aucune indemnisation, la procédure « Pinto » n’a pas eu de phase d’exécution.

75.  Même à supposer que la procédure en question revêtait une complexité particulière du fait des nombreux renvois au cours de la procédure principale, soit trois devant la cour d’appel et autant devant la Cour de cassation, la Cour souligne que sa durée a largement dépassé le délai susmentionné de deux ans et six mois, d’autant plus qu’elle n’a comporté aucune phase d’exécution.

76.  Partant, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1, sous l’angle du droit à un jugement dans un délai raisonnable.

II.  GRIEF TIRÉ DU MANQUE D’EFFECTIVITÉ DU REMÈDE PINTO EN RAISON, D’UNE PART, DE LA NON-APPLICATION, PAR LES JURIDICTIONS INTERNES DES CRITÈRES D’INDEMNISATION ÉTABLIS PAR LA COUR ET, D’AUTRE PART, DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE « PINTO » (ARTICLES 1, 13 et 46 DE LA CONVENTION)

77.  La Cour estime que ces griefs devraient être analysés uniquement sous l’angle de l’article 13, qui se lit comme suit :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

78.  La Cour rappelle, d’une part, que l’article 13 ne saurait s’interpréter comme exigeant un recours interne pour tout grief, si injustifié soit-il, qu’un individu peut présenter sur le terrain de la Convention : il doit s’agir d’un grief défendable au regard de celle-ci (Boyle et Rice c. Royaume-Uni, série A no 131, § 52, 24 avril 1988). Dans la présente affaire, la Cour vient de conclure que les griefs du requérant tirés de la durée de la procédure principale et du manque de redressement dans le cadre de la procédure « Pinto » sont irrecevables pour absence de préjudice important (voir § 66 ci-dessus). Ces mêmes considérations l’amènent à conclure, sous l’angle de l’article 13, que l’on n’était pas en présence de griefs défendables (voir, parmi beaucoup d’autres, Al-Shari et autres c. Italie (déc.), no 57/03, 5 juillet 2005, Walter c. Italie (déc.), no 18059/06, 11 juillet 2006, et Schiavone c. Italie (déc.), no 65039/01, 13 novembre 2007). L’article 13 ne trouve donc pas à s’appliquer en l’espèce.

79.  De l’autre part, la Cour rappelle que, selon la jurisprudence Delle Cave et Corrado (nº 14626/03, §§ 43-46, 5 juin 2007) et Simaldone (précité, § 83), ni l’insuffisance de l’indemnisation « Pinto » ni la circonstance que la loi « Pinto » ne permet pas d’indemniser le requérant pour la durée globale de la procédure mais prend en compte le seul préjudice qui peut se rapporter à la période excédant le délai raisonnable ne remettent pas en cause, pour l’instant, l’effectivité de cette voie de recours.

80.  Tout en soulignant qu’on ne peut exclure que la lenteur excessive du recours indemnitaire en affecte son caractère adéquat (Cocchiarella, précité, § 86), la Cour considère que la durée de la procédure constatée en l’espèce, bien qu’entraînant la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, n’est pas suffisamment importante pour remettre en cause l’effectivité du remède « Pinto », eu égard aussi à l’existence d’une phase supplémentaire de renvoi.

81.  Il y a lieu en l’espèce de déclarer ce grief irrecevable pour défaut manifeste de fondement au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

82.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

83.  Le requérant réclame 30 987,41 euros (EUR) au titre du dommage matériel et moral. Il fait valoir que sa situation judiciaire a entraîné un manque à gagner (lucrum cessans) important en terme de salaires non perçus du fait de sa suspension du service et du préjudice causé à sa carrière ainsi que grièvement porté atteinte à sa vie de relation professionnelle et familiale.

84.  Le Gouvernement estime que les prétentions du requérant sont disproportionnées.

85.  Quant au préjudice matériel, la Cour estime que le requérant n’a aucunement démontré l’existence d’un lien direct entre la violation constatée, à savoir la durée excessive du remède « Pinto » et le manque à gagner prétendument souffert. Dès lors, il y a lieu de ne rien accorder en l’espèce.

86.  Quant au préjudice moral en raison de la durée de la procédure « Pinto », la Cour rappelle qu’elle est une juridiction internationale ayant pour tâche principale d’assurer le respect des droits de l’homme tels que garantis dans la Convention et ses Protocoles, plutôt que de compenser, minutieusement et de manière exhaustive, les préjudices subis par les requérants. Contrairement aux juridictions nationales, la Cour a pour rôle privilégié d’adopter des jugements publics établissant les normes en matière des droits de l’homme applicables dans toute l’Europe (voir, mutatis mutandis,Goncharova et autres et 68 autres « retraités privilégiés » c. Russie, nos 23113/08 et autres requêtes, §§ 22-24, 15 octobre 2009).

87.  Elle observe que dans le cas d’espèce, le requérant a été victime de l’incapacité des autorités italiennes à garantir le déroulement de la procédure « Pinto » dans un délai compatible avec les obligations qui découlent de l’adhésion de l’État défendeur à la Convention.

88.  La Cour relève que plus de 2 000 requêtes portant principalement ou uniquement sur ce même problème sont pendantes contre l’Italie et que le nombre de ce type de requêtes est en constante augmentation depuis 2008. Elle estime que, dans des situations impliquant un nombre significatif des victimes placées dans une situation similaire, une approche globale s’impose.

89. Au vu de ce qui précède et statuant en équité, la Cour considère opportun d’accorder une somme forfaitaire de 500 EUR au requérant à titre de dommage moral en raison de la durée excessive de la procédure « Pinto » qu’elle vient de constater.

B.  Frais et dépens

90.  La partie requérante demande également le remboursement des frais et dépens engagés devant les juridictions nationales et devant la Cour, qu’elle quantifie en 15 600 EUR.

91.  Le Gouvernement trouve excessifs et injustifiés les frais réclamés.

92.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Au vu de ce qui précède, la lettre de rappel de paiement établie à l’égard du requérant par son avocat produite par la partie requérante ne saurait être considérée comme étant un document de nature à justifier des frais et dépens à ce titre. Partant, la Cour rejette la demande.

C.  Intérêts moratoires

93.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ :

1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure « Pinto » et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée excessive de la procédure « Pinto » ;

3.  Dit

a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 500 EUR (cinq cents euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 mars 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Françoise Elens-Passos Françoise Tulkens

 Greffière adjointe Présidente